En ce qui concerne l’évolution de la Chine dans les prochaines années, bien malin qui peut dire ce qu’elle sera dans dix ans ! Comme beaucoup de pays, et notamment le nôtre, elle est à la croisée des chemins. Cependant, en fonction du passé et compte tenu de ses objectifs, je puis formuler plusieurs éléments de réponses.
Mario Capraro, Le Pacte des Grands Rois, Ed. Edite, Paris, juin 2009, extraits tirés des pages 168‐169, 262‐263 puis 279
Un point de vue géopolitique
Lecture, extrait du roman « Le Pacte des Grands Rois » par Mario Capraro, « Faut‐il craindre la Chine comme nouvelle puissance mondiale ? »
– Les deux industriels qui sont sortis venaient‐ils demander des prix ?
– Il ne faut pas être curieux, mon neveu, tu dois apprendre à savoir attendre le bon moment pour toutes choses. Quant aux Européens, avec leurs certitudes, ils ne doutent de rien : nous sommes l’usine du monde, leur usine, et nous allons nous cantonner à la fabrication des produits à faible valeur ajoutée. Les produits nobles, à haute technicité sont pour eux. A croire qu’en le disant ils s’en convainquent davantage.
– Ils ne perdent rien pour attendre. Durant les décennies précédentes, il suffisait de s’installer en Chine pour faire des profits. Tel n’est plus le cas aujourd’hui. Nous allons construire même des avions. Nous venons de créer notre propre groupe de construction de gros porteurs destinés au transport de voyageurs et nous réduirons, puis supprimerons, notre dépendance vis‐à‐vis des avionneurs européens Airbus et américain Boeing.
[…]
Zhou le conduisit dans le quartier des anciennes concessions étrangères et l’amena dans la concession française « là où hier rencontre demain », lui dit‐il.
– Cette petite zone est très intéressante, pas uniquement pour son architecture, ses platanes et ses cafés qu’on verrait bien sur le boulevard Saint‐Germain, mais surtout pour le symbole. Lorsque vous regardez autour de vous, neuf et ancien se croisent dans les perspectives. Ce quartier est le souvenir d’une époque, aujourd’hui révolue, où l’Occident dictait sa loi à l’empire chinois.
[…]
La principale puissance à profiter de la mondialisation est extrême‐orientale : c’est nous la Chine. Mais notre réussite suscite des inquiétudes et des hostilités et nous réalisons que notre nouveau statut de puissance économique mondiale, suppose des devoirs envers nos concitoyens et envers la communauté internationale.
La volonté politique chinoise
Sur le plan économique
La Chine va passer très rapidement – elle est d’ailleurs en train de passer ce cap ‐ du statut de receveur d’ordre au statut de donneur d’ordre. En d’autres termes, elle va passer du statut d’usine du monde à celui de laboratoire du monde.
Voici le récent tableau de marche du développement chinois tel que l’ont conçu les dirigeants chinois pour les années récentes et à venir :
2001‐2008 : avec l’entrée de la Chine dans l’OMC, le processus économique de la mondialisation a joué à plein en faveur de la Chine. Les processus de production mondiaux se sont ordonnés autour de la Chine. La résultante principale de ce processus fut l’accumulation par la Chine de réserves monétaires considérables (notamment en devises américaines) : plus de 2 400 milliards de US‐Dollar à ce jour.
2008‐2020 : la Chine prend la tête de l’innovation et de la création d’actifs immatériels
(nanotechnologie, etc..) : promotion des technologies chinoises avec les Jeux Olympiques de 2008 -une réussite !) et surtout l’Exposition Universelle de Shanghai de 2010.
2020‐…. : Restauration de l’Empire du Milieu. La Chine a retrouvé la place qui est la sienne, c’est‐à‐dire au centre du monde. Tous les pays de la planète sont devenus les vassaux de la Chine (à l’instar de ce que sont les USA actuellement vis‐à‐vis des autres pays du monde). L’Histoire se répète… mais au profit de la Chine cette fois‐ci !
Sur le plan militaire
La Chine va continuer de plus en plus à affirmer sa puissance. Manifestation récente de sa présence, par exemple, le long des côtes de Somalie : le retour de la Chine dans le concert des nations est très solidement et très minutieusement préparé. L’instauration et le développement d’un complexe militaro‐industriel s’accélère : les USA considèrent que le budget militaire chinois est probablement dix fois (10) supérieur à celui déclaré !
Sur le plan stratégique
La Chine va prendre toute sa place sur l’échiquier mondial : elle en a les moyens. On le
voit bien en Afrique (matières premières) et en Amérique du Sud (signature d’accords privilégiés de partenariat) et en Asie (récent accord de coopération entre les Banques Centrales de la Chine, du Japon et de la Corée du Sud). Son espace géostratégique constitue une nouvelle conception des relations internationales. On peut s’attendre à ce que la Chine joue un rôle de plus en plus actif dans la définition des nouvelles normes internationales et dans la négociation des nouvelles règles qui régiront les relations internationales dans le futur. La Chine est (re)‐devenue un acteur géostratégique influent et de première importance dans les relations internationales.
Sur le plan intérieur
La Chine va continuer son propre processus de développement économique, désormais plus orienté au profit de la population en mettant en place un véritable marché intérieur.
Elle continuera à mettre l’accent sur l’innovation et la croissance à travers une économie de marché dirigée (Consensus de Beijing) sans insister sur la nécessité d’adopter un régime démocratique (Consensus de Washington). La Chine va développer un modèle social propre à elle. La Chine est clairement la mieux placée pour sortir la première du marasme économique suite à la crise financière. Ses banques, toutes publiques, ont peu d’actifs toxiques dans leurs bilans au contraire de leurs homologues américaines et européennes. Le niveau de dette de l’Etat est faible, donnant ainsi à Pékin, les moyens de financer un, voire même plusieurs, plans de relance massifs.
Enfin, il y a une contrainte politique considérable pour le régime de Pékin qui l’incite à tout faire pour soutenir l’activité : en dessous de 6 à 8 % de croissance, les analystes estiment que le chômage pourrait s’envoler et la tension sociale deviendrait alors très difficile à gérer entre les villes et les campagnes, entre les régions côtières qui se sont rapidement développées et certaines zones intérieures attardées.
« du statut d’usine du monde à celui de laboratoire du monde » « la Chine est redevenue un Acteur géostratégique de Première importance »
Sur le plan diplomatique
La Chine, avec (ou malgré ?) son acquisition rapide et progressive de tous les signes potentiels de la superpuissance, va tenter d’apaiser la thèse de la menace chinoise. Sur la scène internationale, la Chine souhaite offrir une vision du monde alternative à celle défendue par l’Occident.
La Chine va continuer à utiliser un soft power très sophistiqué pour convaincre les autres puissances mondiales de la nature pacifique de son émergence et des opportunités qu’elle représente pour ses partenaires.
Ce choix résulte de la prise de conscience du gouvernement chinois de l’incapacité pour leur pays de rivaliser militairement avec la superpuissance américaine. Aux yeux des dirigeants chinois, les USA devenant de plus en plus une superpuissance impopulaire, la Chine souhaite être de plus en plus perçue comme une puissance capable de se tenir debout et de faire face. Elle est redevenue un « royaume combattant » parmi les six autres que sont les USA, la Russie, le Japon, l’Europe, le Brésil et l’Inde.
Pour ce faire, la Chine va continuer de promouvoir un nombre restreint de principes, soit pour rassurer ses partenaires, soit pour les convaincre d’adopter ses idées et ses concepts :
– L’émergence pacifique : il s’agit d’essayer de dissiper les craintes suscitées par sa montée en puissance.
– La multipolarité : la Chine prône la formation d’un nouvel ordre international qui ne soit fondé ni sur une seule superpuissance (monde unipolaire) ni sur l’opposition entre deux blocs (monde bipolaire) mais sur l’établissement d’une multitude de pôles régionaux coopérant entre eux.
– Un nouveau concept de sécurité : il a pour objectif d’assurer que les conflits internationaux se règlent pacifiquement, idéalement de façon multilatérale, en insistant sur les normes traditionnelles de souveraineté et de non interventionnisme dans les affaires intérieures des Etats.
La Chine souhaite faire du modèle de développement chinois un exemple à suivre pour de nombreux dirigeants à travers le monde en faisant ouvertement l’éloge de son développement, du type de réformes qu’elle a entreprises et des leçons que pourraient en tirer ses partenaires. Telle est la volonté chinoise d’apparaître aux yeux du monde.
Cependant, la réalité est probablement légèrement différente. En effet, comment la Chine va‐t‐elle réagir face à la baisse des importations américaines ? Par ailleurs, que penser d’un certain retour de l’inflation en Chine ? Comment vont réagir les dirigeants chinois ? Autant d’inconnues qui rendent très difficile un véritable diagnostic de l’évolution à terme de la Chine… Les experts sont très divisés sur le sujet.
Personnellement, je suis plutôt optimiste à l’endroit de la Chine car il semble, cependant, que les dirigeants chinois aient très positivement réagi avec toute la vigueur nécessaire en injectant des masses considérables d’argent dans le marché intérieur chinois – l’équivalent de plus de 580 milliards de dollar, essentiellement sous forme de crédits ! ‐ afin de doper la consommation intérieure chinoise qui remplaceraient à court terme les exportations comme moteur du développement économique et d’éviter ainsi une possible explosion sociale… Phénomène, entre parenthèses, qui n’est pas uniquement propre à la Chine par les temps qui courent !
Mais la Chine a encore à inventer son futur, même si elle y travaille tous les jours, d’une manière très pragmatique. On ne gère pas une population de 1,3 milliards d’individus (plus de 24 fois la population de la France) comme celle d’un pays de 61 millions d’habitants (soit l’équivalent d’une province chinoise).
Les relations Chine ‐ Europe
Tout d’abord, je pense qu’il nous faut constater que la crise, que nous vivons, du capitalisme mondialisé a, à mes yeux, accéléré l’émergence d’un G2, composé de la Chine et des Etats‐Unis… par opposition au G20 officiel ! La place de l’Europe dans ce nouveau concert des nations est, me semble‐ t‐il, encore à définir. Je vois quatre réalités qui fondent ce nouveau condominium :
1) le centre stratégique du monde bascule vers l’Asie. On en parle depuis plus de vingt ans. Voilà qui est désormais fait ! L’Asie forte de 3,5 milliards d’individus alors que l’Occident ne représente plus qu’1 milliard d’individus sur les 5,6 du monde – avec la Chine en son centre ‐ est devenue le centre du monde. Le Pacifique a détrôné l’Atlantique comme épicentre commercial du monde.
2) Les USA entrent dans une ère de déclin relatif : c’est le prix à payer pour la démesure qui s’est emparée d’eux avec la bulle idéologique du néo conservatisme et la bulle du crédit qui a abouti à l’explosion du 15 septembre 2008 avec la mise en faillite de la banque Lehman Brothers.
3) La Chine assume désormais son statut de superpuissance. On la voit sur toutes les palettes de la géostratégie. Sa diplomatie est de plus en plus redoutable : elle maîtrise à la perfection les combinaisons offensives pacifiques… et militaires.
Elle a inventé le concept de guerre englobante, mêlant intentionnellement et très intelligemment les concepts de soft et de hard power. Elle est de plus en plus partout dans le monde, influençant de plus en plus d’une manière décisive , l’évolution des marchés (matières premières, pétrole…) et dérangeant les équilibres traditionnels nés à la fin de la Seconde Guerre Mondiale et à la fin de la Guerre Froide.
4) La crise économique a renforcé l’interdépendance des USA et de la Chine. Pékin – premier créancier de Washington avec plus de 1 800 milliards de dollar d’actifs – finance les déficits américains.
Cela me fait dire que la Chine et les USA – qui disposent tous les deux de l’arme atomique ‐ sont engagés dans une rivalité coopérative avec pour enjeu le leadership sur le monde du XXIe siècle.
La relation sino‐américaine décidera au XXIe siècle de l’avenir du commerce mondial, du système monétaire international, de la lutte contre le réchauffement climatique, etc.
La compétition entre la Chine et les USA se fait chaque jour plus vive pour le contrôle des facteurs de puissance, depuis les matières premières jusqu’à l’espace (voire le cyberespace !).
La recherche d’un partenariat stratégique avec la Chine fait ainsi partie de la reconstruction du leadership américain par l’Administration Obama. Cette ambition vat‐elle se concrétiser ? C’est une grande question…
La crise et surtout la sortie de crise influeront durablement sur le rapport de forces sino‐américain.
Et l’Europe dans tout ça ?
Eh bien, si elle n’y prendre garde (elle a de nombreux atouts pour réagir), l’Europe risque d’être marginalisée par la naissance de ce nouveau G2 (par opposition au G20 pour lequel beaucoup de pays, à mon avis, s’illusionnent encore !).
Au temps de la Guerre Froide, le Premier Ministre Chinois Chou En‐Lai résumait la coexistence pacifique en ces termes : « Que deux éléphants se battent ou qu’ils fassent l’amour, c’est toujours l’herbe qui est en dessous qui est écrasée ! ».
Je suis personnellement convaincu qu’une nouvelle rivalité se déroule sous nos yeux entre les USA et la Chine : restera‐t‐elle pacifique ? C’est une grande question à laquelle, à ce jour, je n’ai pas de réponse…
L’Europe semble totalement absente de ce nouveau débat par absence manifeste de volonté stratégique commune, notamment entre la France et l’Allemagne…
La Chine a remplacé l’URSS parmi les éléphants. Mais l’Europe demeure au rang d’herbe, aux yeux des Chinois.
A ce jour, quoiqu’elle dise, la Chine a tendance à ne considérer l’Europe des 27 que comme un marché où se fournir en équipements industriels, particulièrement en Allemagne pour les machines‐ outils et en France, pour le nucléaire. Elle ne considère l’Europe que comme un second marché d’écoulement pour ses produits, le premier restant à ses yeux le marché nord‐américain pour des raisons stratégiques.
A ce jour, quoiqu’elle dise, la Chine a tendance à ne considérer l’Europe des 27 que comme un marché où se fournir en équipements industriels, particulièrement en Allemagne pour les machines‐ outils et en France, pour le nucléaire. Elle ne considère l’Europe que comme un second marché d’écoulement pour ses produits, le premier restant à ses yeux le marché nord‐américain pour des raisons stratégiques.
Elle ne considère pas encore l’Europe comme une entité à part entière car, à ses yeux, l’Europe n’a pas – pas encore ? ‐ les atouts de la puissance en comparaison avec les USA. Elle le regrette profondément car elle souhaiterait « utiliser » l’Europe comme un éventuel contrepoids face à la renaissance de la puissance russe et face à la superpuissance que sont encore les USA.
D’où, par ailleurs, les hésitations de la Chine vis‐à‐vis de l’Euro et sa volonté de créer une autre monnaie mondiale formée d’un cocktail de monnaie comme monnaie de référence, au sein de laquelle le Yuan pourrait jouer un rôle considérable…
En résumé, l’Europe n’est pas encore un partenaire stratégique influent aux yeux de la Chine.
Les relations Chine ‐ France
La France représente à peine 1,5 % du commerce extérieur chinois (importation / exportation) : c’est très peu… trois fois moins que l’Allemagne par exemple !
En ce qui concerne la France, notamment de par ses récentes « prises de position » ‐ malheureuses aux yeux des Chinois ‐ vis‐à‐vis du Tibet et du Sinkiang, elle a déçu la Chine d’autant plus que la France fut le premier pays à reconnaître diplomatiquement la République Populaire de Chine.
Sentimentalement, la fiancée chinoise est déçue de son partenaire. Cependant, la Chine va continuer une coopération stratégique avec la France tant sur le plan nucléaire qu’aéronautique avec le risque important pour la France que la Chine développe à court terme sa propre technologie nucléaire et aéronautique comme elle l’a si bien fait sur le plan spatial et qu’elle est en train de le faire sur le plan aéronautique (civil et militaire)… L’atout – mais pour combien de temps encore ? ‐ de la France dans ces domaines est la volonté chinoise de ne pas dépendre exclusivement de fournisseurs américains (aéronautique et nucléaire) ou russes (nucléaire).
Sur les autres plans de coopération économique et scientifique, la France n’est plus qu’un partenaire comme les autres. On peut le regretter… compte tenu de l’image positive de la France il y a quelques années encore. Personnellement, je pense que la balle est dans le camp des Français qui se doivent de réagir.
Au contraire de la France, la Chine a profité pleinement de la mondialisation et de la globalisation de l’économie pour affirmer sa puissance nouvelle.
La France, au contraire, semble s’y être fait piéger : ses finances en berne ne lui laissent aucune marge de manoeuvre. La France se doit de saisir les nouvelles opportunités qui se présentent à elle mais dans un sens offensif – et non pas défensif ! ‐ Pour se réformer et redevenir compétitive (Cf. le déficit de son commerce extérieur : plus de 50 milliards d’Euros par an !).
La France n’est plus – elle l’a été au début de l’ouverture de la Chine – un partenaire privilégié de la Chine. Va‐t‐elle d’essayer de le redevenir ? Elle a des atouts pour cela ! At‐ elle envie et la capacité de les mettre en valeur ?
La Chine considère la France comme le maillon faible de l’Europe sur le plan politique : ses relations avec l’Allemagne sont très différentes. En termes de population, la France ne représente plus que 1,5 % de la population mondiale : la Chine le sait !
En résumé, je dirais qu’à côté de la Chine qui veut plaire, il y a la Chine qui veut vaincre ! Ne l’oublions pas !
Régis de Gabory
Consultant en Stratégie
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