Le Cardinal de Richelieu
« Si, dans le trouble d’un règne agité de diverses tempêtes, j’eusse pu faire établir le règlement que je propose, j’en eusse été très religieux observateur.»
Une biographie succincte de l’auteur
Armand Jean du Plessis de Richelieu, usuellement appelé le Cardinal de Richelieu est né le 9 septembre 1585 et mort le 4 décembre 1642. Issu d’une famille noble de robe et d’épée bien que pauvre, le jeune Armand-Jean se destinait à une carrière militaire, rêvant de devenir officier comme son père, capitaines des gardes d’Henri IV, qui décèdera en 1590. La charge de l’évêché de Luçon que la famille avait reçu du Roi Henri III en 1584 poussera le jeune Armand-Jean à se diriger vers la carrière religieuse. Nommé évêque de Luçon en 1606 puis ordonné en 1607 il fut l’un des évêques les plus jeunes de France. Rapidement porté vers la chose publique, il sera nommé en 1614 député du clergé aux Etats généraux. Grâce à l’appui de la reine mère Marie de Médicis, il deviendra ministres des Affaires étrangères au Conseil du roi en 1616. S’en suivra alors huit années pendant lesquels il tâchera de d’obtenir la paix dans la querelle entre Marie de Médicis et Louis XIII, période pendant laquelle il fit sa réputation d’habile négociateur. Le 29 avril 1624, à l’âge de 39 ans, le désormais Cardinal de Richelieu entre à nouveau au Conseil du Roi, assurant dès lors et pendant dix-huit ans, la charge de conseiller principal de sa majesté Louis XIII dont il aura la confiance jusqu’à la fin.
Etiqueté à tort d’une attitude purement machiavélienne et contesté dans son influence jugée trop grande sur Louis XIII, le Cardinal de Richelieu est rarement lu et parfois mal compris. D’aucuns gardent notamment une profonde antipathie par l’autorité dont il a fait preuve, quand d’autres lui voueront une admiration indéfectible pour la même raison. Si le chef d’œuvre des Trois mousquetaires d’Alexandre Dumas révèle une dimension psychologique romancée et donc constable, elle a le mérite de mettre en exergue l’influence gigantesque du Cardinal sur la politique du Royaume de France jusqu’en 1642.
Plan de l’étude
Notre brève étude s’appuiera principalement sur le Testament politique rédigé par le Cardinal de Richelieu, ouvrage synthétique dont il sembla à Montesquieu « que l’âme du Cardinal y était tout entière ».
Par souci de synthèse, nous prendrons le parti de bousculer l’ordre de rédaction des thèmes de l’ouvrage. Par souci de respect de la plume de l’auteur, plusieurs extraits seront cités fidèlement afin que ceux qui souhaitent comprendre la vérité du Cardinal de Richelieu puisse s’en approcher par son style, ultime outil au service de sa pensée.
Dans la préface de l’ouvrage, Arnaud Teyssier indique efficacement que chez Richelieu « tout est affaire de raison et de morale : l’homme doit savoir se gouverner par lui-même. Mais comme il est imparfait, comme la société des hommes n’est que le reflet inachevé de la société voulue par Dieu, il faut faire en sorte qu’il y soit incité. »
De ces ressorts dépendront en effet la doctrine du Cardinal de Richelieu que nous présenterons par l’exposé du rôle de l’Etat puis de la logique de puissance.
“Les grands embrasements naissent de petites étincelles.”
De la primauté de l’Etat : premier serviteur du bien public
De la noblesse comme principal nerf de l’Etat
Aux yeux du Cardinal, l’Etat demeure le seul cadre supérieur légitime du politique. Il doit par conséquent s’appuyer sur une partie de la population qui aura pour plus haute aspiration de servir le bien public. Face aux interprétations modernes présentant la noblesse usant injustement de la puissance de ces droits, Richelieu en présente surtout les devoirs dont la noblesse doit assurer la charge avec la plus grande discipline.
Il notera avec la plus grande idée de justice que « ceux qui manqueront de servir la couronne de leurs épées et de leurs vies avec la constance et la fermeté que les lois de l’Etat requièrent, mériteraient d’être privés des avantages de leur naissance et réduits à porter une partie du faix (charge, fardeau) du peuple. »[1]
Il s’agira alors dans les compagnies de former les officiers de sorte que « les âmes nobles prennent autant de plaisir au bien qu’elles ont de peine à faire de mal. »[2]
De la justice
Outre son combat pour l’abolition du duel, pratique qu’il qualifie de « rage » et de « frénésie », Richelieu parait optimiste quant à la conduite des affaires de justice indiquant que : « « Quand même les lois seraient défectueuses, si les officiers sont des gens de bien, leur probité sera capable de suppléer à ce défaut. »[3]
« L’expérience apprenant à ceux qui ont une longue pratique du monde que les hommes perdent facilement la mémoire des bienfaits et que, lorsqu’ils sont comblés, le désir d’en avoir de plus grands les rend souvent et ambitieux et ingrats tout ensemble… »[4]
Etre rigoureux envers les particuliers qui font gloire de mépriser les lois et les ordonnances d’un Etat, c’est être bon pour le public, et on ne saurait faire un plus grand crime contre les intérêts publics qu’en se rendant indulgent envers ceux qui les violent. »
Par ailleurs, les écarts en action sont permis s’ils sont motivés par la raison d’Etat. Le Cardinal notant immédiatement à propos que « les désordres qui ont été établis par des nécessités publiques et qui se seront fortifiés par des raisons d’Etat ne se peuvent réformer qu’avec le temps ; il en faut ramener doucement les esprits et ne point passer d’une extrémité à l’autre. »[5]
La contrainte et l’obéissance [6]
Dans la recherche du bien public, le Cardinal de Richelieu savait que le rapport entre le commandement et l’obéissance demeure l’une des sources fondatrices du politique de sorte que le commandant protégeant le plus faible, ce dernier en retour devra lui témoigner de son obéissance. De même que l’expliquera Hobbes le rapport de la contrainte du pouvoir légitime est nécessaire pour apporter une réponse au besoin de protection des individus. En partie délivré de la contrainte du danger, ce dernier pourra voir en l’autorité de son protecteur un marchepied vers la transcendance à laquelle aucun ne pourrait s’adonner si la protection de sa personne était de leur responsabilité quotidienne et strictement privée. Les citations tirées du testament ci-dessous sont quelques leçons tirées de ce constat.
« Tous les politiques sont d’accord pour dire que, si les peuples étaient trop à leur aise, il serait impossible de les contenir dans les règles de leur devoir. »[7]
« L’autorité contraint à l’obéissance, mais la raison y persuade et il est bien plus à propos de conduire les hommes par des moyens qui gagnent si insensiblement leurs volontés que par ceux qui, les plus souvent, ne les font agir qu’autant qu’ils les forcent. »[8]
« Les sujets seront toujours religieux à obéir lorsque les princes seront fermes à commander. »
L’intérêt public et l’intérêt particulier
Il est d’évidence pour le Cardinal de Richelieu que chacun des individus a reçu de Dieu des talents qu’il est encouragé à faire fructifier. A ce constat naturel, il ajoute alors que ces talents doivent être orientés à servir la bien commun.
« On ne saurait imaginer le mal qui arrive à un Etat quand on préfère les intérêts particuliers aux publics et que ces derniers sont les réglés par les autres. »[9]
A ceux qui seront chargés de la chose publique, il sera naturellement demandé la séparation raisonnable de leur mission et de leurs ambitions privées. Ainsi le Cardinal juge que le clergé est tout disposé à servir au mieux l’Etat.
« Les ecclésiastiques sont souvent préférables à beaucoup d’autres lorsqu’il est question de grands emplois, non pour être moins sujet leurs intérêts, mais parce qu’ils s’en ont beaucoup moins u les autres hommes, puisque n’ayant ni femmes, ni enfants, ils sont libres des liens qui attachent davantage. »[10]
De la logique de puissance : garantie de la survie de l’Etat
« La puissance étant une des choses les plus nécessaires à la grandeur des rois et au bonheur de leur gouvernement, ceux qui ont la principale conduite d’un Etat sont particulièrement obligés de ne rien omettre qui puisse contribuer à rendre leur maitre si autorisé qu’il soit, par ce moyen, considéré de tout le monde.
Comme la bonté est l’objet de l’amour, la puissance est la cause de la crainte, et il est certain qu’entre tous les principes capables de mouvoir un Etat, la crainte, qui est fondée en l’estime et en la révérence de la force, est celui qui intéresse davantage chacun à faire son devoir. Si ce principe est de grande efficace au respect du dedans des Etats, il n’en a pas moins au regard du dehors, les sujets et les étrangers regardant avec mêmes yeux une puissance redoutable : les uns et les autres s’abstiennent d’offenser un prince qu’ils reconnaissance être en état de leur faire du mal s’il en a la volonté. » [11]
La prévoyance
Sachant les difficultés exprimées par le temps politique (long terme) face à l’événement (cours terme) pour le Cardinal de Richelieu « rien n’est plus nécessaire au gouvernement d’un Etat que la prévoyance, puisque, par son moyen, on peut aisément prévenir beaucoup de maux qui ne se pourraient guérir qu’avec de grandes difficultés quand ils sont arrivés.
Ainsi que le médecin qui sait prévenir les maladies est plus estimé que celui qui travaille à les guérir… »
Les raisons des difficultés à atteindre cette attitude réside dans l’imperfection originelle de l’esprit humain car « c’est une chose ordinaire aux esprits communs de se contenter de pousser le temps avec l’épaule et d’aimer mieux conserver leurs aises un mois durant que de s’en priver ce peu de temps pour se garantir du trouble de plusieurs années. » [12]
De l’action extérieure constante au-delà des frontières
Abolir les frontières, c’est détruire l’Etat. Ainsi « Il faudrait être privé de sens commun pour ne connaitre pas combien il est important aux grands Etats d’avoir leurs frontières bien fortifiées. »[13]
Dans l’esprit de Richelieu la frontière permet précisément la prévoyance par sa vertu de prévention, elle apparait davantage comme un outil vecteur d’anticipation et de dissuasion des conflits.
« Une frontière bien fortifiée est capable ou de faire perdre aux ennemis[14] l’envie qu’ils pouvaient avoir de former des desseins contre un Etat, ou, au moins, d’arrêter leurs cours et leur impétuosité s’ils sont assez osés pour venir à la force ouverte. »[15]
Agir en dehors de ces frontières demeure assurément l’un des moyens les plus efficaces pour prévenir les turbulences des autres puissances ainsi que l’on peut encore l’observer. Il faut donc que cette nécessité d’ouvrir les antennes de l’Etat aux agissements du monde (de l’étranger) doive être comprise comme une constante géopolitique.
« La lumière naturelle enseigne à chacun qu’il faut faire état de ses voisins, parce que, comme le voisinage leur donne lieu de pouvoir nuire, il les met aussi en état de pouvoir servir, ainsi que les dehors d’une place empêchent qu’on en puisse d’abord approcher les murailles. »[16]
Description de la thèse centrale de L’auteur
Après avoir longuement détaillé les enjeux de la puissance terrestre, énonçant à ce titre les défauts jugés inhérents à la nation française ( l’inconstance et l’indiscipline) puis ses qualités ( sa vaillance et son cœur), le Cardinal de Richelieu est notamment reconnu pour avoir développé la première flotte digne du Royaume de France grâce au lancement de grands travaux à partir de 1631 donnant naissance aux premiers arsenaux dont sont aujourd’hui héritières les entreprises comme Naval Group (anciennement DCNS).[17]
Arsenal de Toulon en 1670 avec vaisseau en construction
Si la tentation de prendre le large invite au rêve de la découverte et à l’imagination de l’inconnu, elle soutient également une grande volonté dans son accomplissement. Une entreprise qui sans la puissance de l’Etat est jugée impossible.
« La mer est celui de tous les héritages sur lequel tous les souverains prétendent plus de part, et cependant c’est celui sur lequel les droits d’un chacun sont moins éclaircis. L’empire de cet élément ne fut jamais bien assuré à personne ; il a été sujet à divers changements selon l’inconstance de sa nature, si sujet au vent qu’il s’abandonne à celui qui le flatte le plus, et dont la puissance est si déréglée qu’il se tient en état de le posséder par violence contre tous ceux qui pourraient lui disputer.
En un mot, les titres de cette domination sont la force et non la raison : il faut être puissant pour prétendre à cet héritage. »[18]
Le vaisseau La Couronne (1638) est l’un des premiers vaisseaux de la flotte que Richelieu aime à appeler les citadelles de la mer ou les forteresses flottantes
Pour l’analyste hors pair qu’est Richelieu, l’ambition d’investir les mers et océans relèvent d’une opportunité majeur et « il faudrait être aveugle pour ne connaitre pas que le trafic n’est pas seulement avantageux mais qu’il est tout à fait nécessaire. »[19]
Quand le Cardinal a été pourvu de la charge de la mer, le commerce était quasi entièrement ruiné et le Roi n’avait pas un seul vaisseau. Son étonnement est grand puisqu’ il lui semble pourtant « que la nature ait voulu offrir l’empire de la mer à la France pour l’avantageuse situation de ces deux côtes également pourvues d’excellents ports aux deux mers Océane et Méditerranée.»[20]
Il s’est agi alors de souligner la dimension amphibie de l’Etat français dont on a souvent réduit l’importance au profit de la dimension continentale.
Richelieu rappelle que la France est une puissante terrestre par les ressources qu’elle peut produire et ne dépend ni des voisins hollandais, ni des espagnols, italiens ou anglais pour sa subsistance. Fort de ce don de la nature, elle a naturellement négligé le commerce maritime permettant aux autres puissances de faire gain de la mer en embauchant parfois des matelots français ne trouvant conditions de travail en France. Il préconise donc de s’engager dans la voie du commerce maritime.
« C’est un dire commun mais véritable qu’ainsi que les Etats augmentent souvent leur étendue par la guerre, ils s’enrichissent ordinairement dans la paix par le commerce. »[21]
L’intensité de conviction du Cardinal dans la dimension maritime de la France ne tarira pas et demeurera à posteriori comme l’une de ces décisions géopolitiques majeures. On lui attribuera ainsi le patronat de la formule célèbre selon laquelle :
« Les larmes de nos souverains ont souvent le goût de la mer qu’ils ont ignorée »[22]
Conclusion
En somme le Cardinal de Richelieu a toujours souhaité voir la France enracinée pour mieux pouvoir assumer sa puissance. Une vision du politique sur le très long terme, seul méthode capable d’assurer la compréhension du réel puis de la meilleure prise de décision possible. Richelieu rappellera ainsi que « L’opinion de nos pères doit être d’un grand poids. Les historiens et les plus célèbres auteurs dépouillés de passion qui ont écrit en chaque siècle doivent être consultés soigneusement en ces rencontres auxquelles rien ne vous peut être si contraire que la faiblesse ou l’ignorance. »
L’exigence de sa politique expliquera sans doute la réticence des gouvernants de notre siècle à se réclamer de sa trempe, ces derniers demeurant pour bon nombre effrayés par l’action et se contentant de la gestion. Une exigence pourtant si nécessaire qui n’aura pour d’autre ambition que de servir la Patrie, incitant les Français à travailler au bien public.[23]
Après tant d’années de loyaux services, Richelieu laisse à son successeur, le Cardinal Mazarin, l’héritage d’une action colossale. Agissant sur tous les fronts du politique, son œuvre permettra les années d’accalmie sous le règne de Louis XIV. Cependant que la révolution française rejettera les fruits de son travail (les révolutionnaires profanant d’ailleurs en 1793 son tombeau et sa dépouille), nombre de ces réformes et actions demeurent dans le logiciel étatique français.
Subsistent donc du Cardinal de Richelieu une œuvre intellectuelle pour celui qui s’interrogera quant au politique et de précieux conseils pour ceux qui prétendront gouverner de notre temps.
“La mort n’a qu’un instant, et la vie en a mille.”
Cinq mots clefs illustrant la pensée de Richelieu
Raison d’Etat / Bien public / Morale / Prévoyance / Puissance
- Ibid page 130 ↑
- Ibid page 235 ↑
- Ibid page 147 ↑
- Ibid page 230 ↑
- Ibid page 141 ↑
- Pour approfondir le rapport du commandement et de l’obéissance, nous conseillons la lecture de La Notion de Politique (Carl Schmitt) et l’Essence du politique (Julien Freund) qui constituent les travaux les plus récents et les plus efficaces pour comprendre ce présupposé du politique. ↑
- Ibid page 154 ↑
- Ibid page 218 ↑
- Ibid, page 221 ↑
- Ibid, page 250 ↑
- Ibid page 257 ↑
- Ibid page 225 ↑
- Ibid, page 260 ↑
- Voir les travaux de Carl Schmitt sur le rapport de l’ami et de l’ennemi comme présupposé du politique ↑
- Ibid p 260 ↑
- Ibid, page 239 ↑
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Naval_Grouphttps://www.naval-group.com/fr/ ↑
- Ibidi page 289 ↑
- Ibid, page 304 ↑
- Ibid, page 292 ↑
- Ibid, page 292 ↑
- Voir le rapport du Centre d’Etudes stratégiques de la Marine dirigé par le Lieutenant de vaisseau Stéphanie Payraudeau démontrant que les intuitions de Richelieu quant au potentiel naval de la France étaient avérées et combien les manquements des gouvernants français sont une constante depuis le XVIIème siècle.http://cesm.marine.defense.gouv.fr/images/EM/EM6-Larmes-souverains.pdf ↑
- « S’ils servent de leur puissance pour commettre quelque injustice ou quelque violence qu’ils ne peuvent faire comme personnes privées, ils font par commission un péché de prince ou de magistrat dont leur seule autorité est la source et duquel le Roi des Rois leur demandera, au jour du jugement, un compte très particulier. » (p331) ↑
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