Contre-Insurrection

 

Illustration de la contre-insurrection

« Quels sont les limites de la doctrine de la contre-insurrection dans le cadre d’une intervention extérieure ? »

      I.         Introduction : définition et principes généraux

La contre-insurrection, également appelée guerre contre-insurrectionnelle, est l’ensemble des activités politiques, économiques, sociales, militaires, juridiques et psychologiques, institutionnelles ou non, nécessaires pour neutraliser une insurrection (activité d’un groupe, idéologiquement motivé, pour provoquer un changement politique d’un pays) et répondre aux principaux motifs d’insatisfaction de la population. C’est une doctrine militaire qui vise à obtenir le soutien de la population dans le cadre d’un conflit opposant un mouvement insurgé à une force gouvernementale de contre-insurrection. Elle se base sur des actions civilo-militaires, des activités de renseignement, de guerre psychologique et sur le quadrillage par des patrouilles mobile afin de mailler le territoire. Si la contre-insurrection s’est orientée vers des activités civiles, elle a longtemps été associée à l’usage immodéré de la force et de la torture.

Les principes de la  contre-insurrection s’appliquent dans le cadre d’une guerre civile ou d’une occupation militaire pour lutter contre une insurrection. Cette théorie militaire regroupe un ensemble de tactiques appliquées principalement par des forces terrestres, appuyées par de la surveillance et des frappes aériennes, en prenant en compte l’importance du peuple entier dans la participation aux insurrections.

Le général américain David Petraeus, aussi ancien directeur de la CIA, définie l’expression « gagner les cœurs et les esprits » dans le Counter Insurgency Field Manual, 2007 de la manière suivante : « gagner les cœurs signifie persuader la population que leur meilleur intérêt est servi par les succès des contre-insurgés. Gagnerles esprits signifie convaincre la population que la force peut les protéger et que la résistance est inutile ».

Le renseignement y prend donc une place déterminante car il va permettre de saper les soutiens et les contacts de la population civile aux belligérants dans le but de démanteler les cellules actives ou dormantes. Selon le théoricien Roger Trinquier, la contre-insurrection repose sur trois principes simples :

  • Séparer les insurgés de la population qui la soutient
  • Occuper les zones d’ou les insurgés opérait auparavant, en les rendant dangereuses pour ceux-ci et en retournant la population contre celle-ci
  • Coordonner ces actions sur une large étendue géographique et sur une longue durée, afin que les insurgés n’aient plus aucun accès aux centres de population qui les soutiennent

Si la contre-insurrection a longtemps concerné exclusivement un Etat souverain en lutte contre une action à buts politiques à l’intérieur de ses frontières, elle s’impose maintenant dans le cadre des opérations extérieures menées par un pays. Le caractère particulier des conflits contemporains, notamment ceux d’Irak et d’Afghanistan, ont étél’occasion de redéfinir les contextes d’application de la contre-insurrection. Cependant, historiquement il est établi qu’une armée a plus de chance de vaincre une insurrection lorsqu’elle agit sur son propre territoire. Par exemple, la mise en difficulté de la coalition en Afghanistan est mise en difficulté malgré une augmentation des troupes sur le terrain et la mise en application des principes de contre-insurrection. Ce constat esquisse les limites de la doctrine de contre-insurrection dans une intervention extérieure.

Notre problématique est donc de trouver les limites de la contre-insurrection appliquée dans un contexte d’intervention extérieure. Pour cela, nous étudierons brièvement les caractéristiques de l’environnement opérationnel et facteurs de la contre-insurrection à l’extérieur et les problèmes qu’ils engendrent de ce fait, avant de s’intéresser aux limites de la contre-insurrection à travers l’exemple de l’Afghanistan.

 

II.         Facteurs de contre-insurrection et les caractéristiques de son environnement opérationnel

Les insurrections peuvent avoir des causes et prendre différentes formes. Nous nous intéressons donc au cas ou les insurrections atteignent un niveau de violence justifiant une intervention de forces militaires extérieures.

Dans un pays ou une région en proie à une insurrection, l’intervention en contre-insurrection se réalise dans un cadre de processusgénéral de stabilisation qui vise à restaurer les conditions de vie politiques et sociales, à la demande bien sûr d’une autorité légitime. Pour combattre l’insurrection dont les outils principaux sont la violence et la subversion, la contre-insurrection met un accent sur la sécurité et les stratégies d’influence particulièrement active pour contrer la propagande des insurgés. La gestion des crises extérieures se  fait par une approche globale. La contre-insurrection constitue un cas spécifique de stabilisation du fait dela confrontation à des adversaires déterminés à s’opposer à tout prix à cette stabilisation, en cherchant à faire basculer par tous les moyens une partie importante de la population dans leur camps. Le rétablissement d’un seuil minimum de sécurité apparaît donc comme une base nécessaire à la mise en œuvre efficace des actions de contre-insurrection.

Par ailleurs, la reconstruction des autres piliers de stabilité, à savoir la gouvernance et le développement économique et social reste indispensable en stratégie de lutte contre l’insurrection. Les actions dans ces domaines permettent de délégitimer les insurgés et ainsi les priver de leurs soutiens populaires.

Dans la majorité des cas, les insurrections grandissent dans des situations politiques et sociales dégradées et marquées par l’absence de gouvernance et de développement économique et social. L’insatisfaction des populations est à la fois un facteur provocateur de l’insurrection et un facteur amplificateur. Ce qui explique la provocation d’une dégradation profonde du lien social. En effet, en compromettant la sécurité de la société, l’insurrection génère un cercle vicieux qui affaiblit les autres piliers de stabilité du lien social (la gouvernance et le développement économique et social). La population est donc un enjeu majeur de l’insurrection et de la contre-insurrection. Car quelles que soient ses insatisfactions, la population ne forme jamais un bloc majoritairement favorable aux insurgés, sinon ces derniers auraient déjà pris le pouvoir. De même, elle ne leur est pas entièrement hostile, sans quoi la l’insurrection n’aurait jamais pu naître et se développer. En outre, la majorité de la population en recherche de sécurité est neutre et attentiste, caractéristique des situations insurrectionnelles. Pendant cette phase d’attente, chaque pôle opposé, l’insurrection et le pouvoir légal en place, cherche à étendre son influence.

Par ailleurs, l’environnement régional est aussi déterminant, notamment si un ou plusieurs pays voisins apportent un soutien ou constituent un refuge pour tout ou partie de l’insurrection.

Par conséquent, une telle diversité de contexte interdit toute recette en contre-insurrection. Chaque insurrection est unique et les réponses doivent être adaptées aux situations correspondantes. La connaissance et la maîtrise des spécificités du contexte au niveau locale, en particulier la prise en compte des caractères culturels, religieux et historiques de la nation hôte, sont primordiales pour les intervenants extérieurs dans le cadre de la lutte contre les insurrections.  De plus les forces d’intervention, n’étant là que pour agir en appui d’une structure politique locale qui oriente leur action, doivent respecter quelques principes :

  • Respecter la prééminence du système et des décisions politiques du pays hôte ;
  • Comprendre l’interaction forte entre leur action et la nature politique de la contre-insurrection ;
  • Favoriser l’adhésion des responsables locaux et de la population au processus politique de réconciliation ;
  • Soutenir la légitimité des pouvoirs publics,  dont celles des forces de sécurité locales ;
  • Montrer une grande fermeté vis-à-vis des autorités locales de tous niveaux qui n’auraient pas un comportement respectueux des droits de leur population.

 

III.         Les limites de la contre-insurrection en contexte d’intervention extérieure : le cas de l’Afghanistan

Tout d’abord, le caractère multinational des coalitions en contre-insurrection est quasiment inévitable. Par contre, il est à noté que le cas de l’Afghanistan est tout à fait inédit tant au niveau tactique et opératif qu’au moment des affrontements du fait de la difficulté de coordination entre les membres de la coalition et avec les avec afghans. Or, comme l’affirmait Clausewitz, la guerre n’est que la simple continuation de la politique par d’autres moyens. La définition d’une politique commune au sein des Etats formant une coalition est difficile. En effet les divergences d’objectifs politiques de ces Etats coalisés ont des conséquences dramatiques sur le terrain.

Par ailleurs, le fait que le contrôle des institutions locales échappe à la coalition constitue une autre limite de la contre-insurrection en intervention extérieure. Tous les théoriciens de l’insurrection, de Guevara à Galula, s’accordent à considérer la population comme l’enjeu principal. Or les insurgés vivent au milieu de la population, ce qui rend d’autant plus difficile son contrôle, qui constitue pourtant un préalable à la campagne de contre-insurrection. Dans plusieurs guerres contre-insurrectionnelle, certains officiers militaires étaient envoyés se fondent dans la population civile afin de neutraliser les insurgés. Ce modèle qui permet d’agir simultanément dans les domaines de la sécurité, de la gouvernance et de la reconstruction n’est pas transposable en Afghanistan parce que la coalition n’a aucun contrôle sur les institutions du pays. En effet, malgré les pressions directes sur le gouvernement afghan, la nomination des fonctionnaires, la promulgation des lois et le contrôle de la population restent du domaine de la souveraineté de l’État-hôte. De ce fait, la coalition est confrontée à la superposition des droits, Droit Internationale, Humanitaire et droits nationaux, voire à des contradictions avec le droit de l’État-hôte. Ainsi par exemple, le banal contrôle d’identité est impossible en Afghanistan puisque la carte d’identité n’existe pas.

De plus la légitimité vis-à-vis de la population est difficile à instaurer et à conserver. Le fait d’opérer dans un cadre juridique précis confère aux armées et à leurs actions un fondement juridique et donc légitime. Néanmoins, lors d’une guerre contre-insurrectionnelle, il faut ajouter à cette légitimité internationale, une légitimité locale que les armées se doivent d’acquérir auprès de la population ou ils mènent leurs actions. Si les forces internationales sont bien accueillies au début, tous les théoriciens s’accordent à dire qu’il n’empêche que le ressentiment à l’égard des étrangers augmentera toujours auprès de la population. Ce sentiment sera facilement transposé sur le gouvernement en place et rendra d’autant plus difficile l’objectif de stabilisation de l’État-hôte. De surcroit, si le gouvernement local perd sa crédibilité, compromis par exemple par les effets de la crise ou la corruption ou encore la criminalité grandissante, le soulèvement légitime du peuple vient renforcer l’insurrection. De ce fait, la distinction devient difficile sur le terrain entre l’insurgé illégitime et le peuple justement en colère.

La France est engagée en Afghanistan auprès de la coalition internationale de circonstance. Cette coalition peine malgré tout à instaurer les conditions nécessaires au rétablissement de la paix en Afghanistan, et par conséquent ceux de la victoire. L’analyse des limites précitées nous conduit à penser que cette opération militaire d’envergure montre les limites de la contre-insurrection dans le cadre d’une intervention extérieure. En effet, comme on l’a vu, en contre-insurrection, l’élément principal est le contrôle de la population autour de laquelle est centrée la plupart des actions militaires. Or, ce contrôle n’est possible que s’il est de pair avec le contrôle des institutions du pays. Il faut donc conduire une stratégie forte de stabilisation sur l’Etat-hôte lui-même à travers ses institutions pour avoir une chance de rétablir la stabilité en Afghanistan. Ce plan d’action est cependant difficilement réalisable du fait des contextes juridiques et internationales évoqués précédemment.

En conclusion, nous pouvons affirmer que les limites de la contre-insurrection dans le cadre d’une intervention extérieure ne proviennent pas des principes et fondements de la doctrine mais sont plutôt de nature exogène. En premier lieu, on notera que les divergences de vues politiques existant couramment entre les différents acteurs d’une coalition nuisent à son application dans ce cadre d’intervention militaire. Ensuite, il convient de souligner que dans le contexte d’une intervention extérieure, une coalition n’a pas les moyens d’exercer les prérogatives régaliennes de l’État souverain en matière de sécurité intérieure, ce qui l’empêche de mener une lutte efficace. Enfin, la légitimité d’une telle action finira par être  remise en cause, en particulier par la population qui est le véritable enjeu dans ce type de conflit.

 

Organigramme descriptif de la contre-insurrection

Organigramme de la contre-insurrection

 

Source

Ivan Cadeau, « David Galula, Contre-insurrection. Théorie et pratique », Revue historique des armées [En ligne], 259 | 2010, mis en ligne le 16 juin 2010, consulté le 04 novembre 2014. URL : http://rha.revues.org/7009

http://maisonducombattant.over-blog.com/pages/David_Galula_19191968-487697.html

GALULA (David), Contre-insurrection. Théorie et pratique

http://www.liberation.fr/monde/2012/11/11/le-theoricien-de-la-contre-insurrection_859744

http://www.dsi-presse.com/?p=6213

http://www.a-lire.info/monde/contre_insurrection.html

 

Texte relatif au sujet :

–       Christophe Lafaye, « Exemple de contre-insurrection : la fouille opérationnelle en Afghanistan  », Revue historique des armées, 268 | 2012, 88-98.

–       GALULA (David), Contre-insurrection. Théorie et pratique

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