La non-violence

Le 12 mars 1930 Gandhi entame sa « marche du sel » de 450 km depuis Ahmedabad jusqu’à Dandi : c’est l’une des premières images qui vient à l’esprit de nombre d’entre nous lorsque nous entendons le terme « non-violence ». Le mahatma1 Gandhi dont l’action a permis à l’Inde de se soustraire au joug de l’impérialisme britannique, ou encore Martin Luther King, leader du mouvement pour les droits civiques des Noirs-américains, sont de grandes icônes de la non-violence. Mais au-delà des noms de ces figures emblématiques, savons-nous quels sont les principes guidant leur action ?

La non-violence n’est pas le simple contraire de la violence comme nous pouvons être tentés de le croire, il ne s’agit pas non plus du simple fait de ne pas user de violence ou encore d’agir de manière pacifique : mais alors, qu’est-ce que la non-violence ?

Dans un premier temps nous tenterons d’apporter des éléments de définition au terme de non-violence puis, dans une seconde partie, nous verrons comment elle est mise en œuvre en pratique.

1 Grande-âme

I – La non-violence : un principe à double facette.

Dans le terme « non-violence » le mot « violence » occupe une place centrale. C’est pourquoi, avant de s’intéresser à la non-violence, il est important de se poser la question suivante : qu’est-ce que la violence elle-même ?

Il est difficile de donner une définition à la notion de violence mais il existe un consensus sur la définition suivante : la violence désigne un abus de force portant atteinte à l’intégrité physique, à la vie ou à la liberté d’un individu ou, au-delà de cela, à son intégrité morale ou psychologique. Selon Christian Mellon et Jacques Semelin, lorsqu’on aborde la notion de non-violence il convient de définir le terme violence comme étant « tout ce qui porte atteinte aux droits fondamentaux des personnes », c’est-à-dire « les droits dont le respect est aujourd’hui internationalement reconnu comme nécessaire à une vie humaine digne ».

Cependant, même si la construction grammaticale du terme pourrait le faire penser, la non-violence n’est pas simplement la négation de la violence. En effet, la non-violence est une notion ambigüe au sens complexe.

Pour comprendre ce qu’est la non-violence revenons-en à l’origine de ce terme.

En France la première apparition du terme « non-violence » survient au début des années 20 lorsque les médias commencent à relayer l’action menée en Inde par Gandhi. Le mot « non-violence » regroupe en fait deux termes en sanscrit utilisés par le leader indien : ahiṃsā  et  satyagraha.

L’ahiṃsā est un principe, une philosophie commune à l’Hindouisme, au Jaïnisme et au Bouddhisme. Il s’agit d’une doctrine fondée sur la compassion, le désir de ne pas nuire et le respect de la vie. C’est une « force intérieure » qui va pousser à agir pour combattre la violence et toutes ses manifestations.

Quant à lui, le mot Satyagraha a été créé par Gandhi lui-même et peut être traduit par « force de la vérité ». Il ne s’agit pas de la passivité ou de la non-résistance mais de moyens sans violence mais actifs de lutte contre la violence au nom de la croyance profonde au principe d’ahiṃsā.

Ainsi la non-violence renvoie non seulement à une philosophie du refus de la violence, l’ahiṃsā, mais également à des moyens d’action spécifiques au service de cette philosophie, le satyagraha.

Christian Mellon et Jacques Semelin proposent de synthétiser ces deux notions dans la définition suivante : « la non-violence fait référence à des systèmes de pensées qui visent à fonder sur une critique radicale de la violence la volonté de chercher et de mettre en œuvre des moyens de lutte politique et sociale qui soient compatibles avec cette critique ».

II – D’un système de pensées à des actions concrètes.

 

A travers l’étude de cas concrets nous allons maintenant nous intéresser plus précisément à la notion de satyagraha et nous verrons quels sont ces modes d’action spécifiques dont Gandhi nous parle.

La marche du sel en Inde : première campagne de désobéissance civile de niveau national.

Après avoir lutté par ses méthodes non-violentes durant 15 ans contre la discrimination raciale en Afrique du Sud, en 1915 Gandhi est rentré en Inde. L’enjeu dans son pays d’origine n’est pas celui de la discrimination raciale mais celui de l’indépendance : l’Inde subit la domination de l’empire britannique dont elle est une colonie. Gandhi ne peut accepter l’aliénation de son peuple et entreprend des actions non-violentes. De 1915 à 1930 il poursuit plusieurs campagnes, notamment de boycott ou encore de refus de payer des taxes. Cependant, la campagne la plus connue et aussi celle qui fut la plus retentissante sur la scène internationale est la marche du sel.

En 1930 Inde le sel est le monopole de l’empire britannique. Il est  interdit aux indiens d’en récolter, d’en posséder, d’en vendre ou même d’en toucher les dépôts naturels sur la plage, ce qui les oblige à acheter le sel produit par l’empire et à payer une taxe très élevée sur cette denrée. A ce sujet Gandhi déclare : « A côté de l’air et de l’eau, le sel est peut-être la plus grande nécessité de la vie. Il est le seul condiment du pauvre. Le bétail ne peut vivre dans le sel. […] L’impôt sur le sel permet à l’Etat d’atteindre des millions d’affamés, les malades, les infirmes et les pauvres sans aucune ressource. Par conséquent, cet impôt constitue la taxe la plus inhumaine que l’ingéniosité de l’homme puisse imaginer ».

C’est donc dans le but de faire abroger cette loi que le 12 mars 1930 il prend le départ d’Ahmedabad avec 78 indiens. Sur leur chemin des milliers de personnes rejoignent cette marche sans débordement qui est relayée par les médias à l’échelle internationale. Le 6 avril, à leur arrivée à Dandi, sur la côte, ils prennent un bain purificateur puis Gandhi saisit une poignée de sel enfreignant ainsi la loi. La désobéissance civile prend alors tout son sens et des milliers d’indiens font de même. Le peuple indien ramène du sel à l’intérieur du pays, l’utilisant pour cuisiner, le revendant et boycottant par la même occasion le sel anglais. C’est l’Inde entière qui se lève contre l’empire britannique dans un mouvement d’insurrection pacifique.

Suite à cela les indiens subissent une sévère répression conduisant 60 000 d’entre eux en prison mais ils continuent à produire du sel dans des volumes de plus en plus importants.

Le 4 mai, après avoir annoncé vouloir s’emparer d’un dépôt de sel à Dharsana, Gandhi est arrêté. Cependant, cette arrestation ne brise pas le mouvement de résistance et le 21 mai  la prise des usines de sel de Dharsana a lieu. Les marcheurs, hommes et femmes, subissent une répression extrêmement violente des policiers, qui n’hésitent pas à les matraquer. Toutefois, ils ne ripostent pas avec violence et suivent ainsi le modèle de satyagraha de Gandhi. Ils continuent à marcher silencieusement, au fur et à mesure que les leurs tombent sous les coups de la police. L’assaut dure 2 h, fait 320 blessés et cause la mort de 2 personnes.

Finalement, au mois d’octobre le Congrès décide la grève de l’impôt.

Après avoir passé 8 mois en prison Gandhi est libéré par Londres. Suite à une négociation avec le vice-roi le pacte de Delhi est signé le 5 mars 1931. Ce pacte se fait au prix de concessions mais pour Gandhi le compromis avec l’adversaire est une étape nécessaire du satyagraha.

Ce satyagraha du sel a démontré que la « vrai civilisation », comme l’appelait Gandhi, ne réside pas dans la force des armes mais dans la force de l’esprit. L’empire britannique a vécu cet épisode comme une défaite morale, se sentant humilié. L’image de l’Europe sur la scène internationale en fut dégradée, son prestige moral en Asie perdu. Ainsi ce fut une première étape de l’affranchissement de l’Inde. Il fallut encore des années de lutte pour en obtenir l’indépendance, mais c’est la non-violence de Gandhi et ses actions qui ont mené tout un peuple vers cette indépendance.

Le boycott de la Montgomery City Lines aux Etats-Unis.

 Martin Luther King était également un militant non-violent. Il a lutté contre la discrimination raciale dont souffraient les populations noires aux Etats-Unis. Il a notamment utilisé le boycott comme moyen d’action non-violent, comme nous allons l’illustrer avec l’exemple du boycott de la Montgomery City Lines.

Cette entreprise de transport avait mis en place des règles strictes de ségrégation dans ses bus, conduisant à l’humiliation des populations noires qui représentent 70% de sa clientèle. La NAACP (National Association for the Advancement of Colored People), association de défense des droits civiques, a longtemps cherché à mettre fin à ces humiliations. Le 1er décembre 1955 Rosa Parks, militante de la NAACP, commet un acte de désobéissance volontaire en refusant de céder sa place et d’aller dans le fond du bus. Suite à cela elle est arrêtée et une plainte déposée contre elle. En réponse à cet évènement la NAACP, Ralph Abernathy, Edgar Nixon et le jeune pasteur Martin Luther King organisent avec succès le boycott de la Montgomery City Lines dès le 5 décembre 1955. Le transport des usagers noirs de la compagnie de transport sera assuré par 18 entreprises de taxi noires de la ville avec qui ils ont passé un accord.

Le boycott né ce 5 décembre 1955 va gagner le soutien des masses et le rassemblement dont Martin Luther King devient le président prend de l’ampleur. Bien que les blancs ne cèdent pas les meetings se succèdent et la population noire découvre la force d’organisation et de résistance dont elle est capable pour obtenir un droit. Elle cherche à gagner sa dignité et les blancs ripostent en utilisant la violence terroriste à leur encontre, posant des bombes aux domiciles des meneurs, dans les églises noires qui sont les lieux de meetings et rassemblements. Durant ce boycott Martin Luther King forge sa pensée de la non-violence sur laquelle il basera sa résistance.

C’est finalement le 21 décembre 1956 que le boycott se termine : la Cour suprême des Etats Unis déclare illégale la ségrégation dans les autobus, les restaurants, les écoles et autres lieux publics.

Ainsi, à travers ces deux exemples nous nous rendons compte que la non-violence n’est pas synonyme de passivité mais d’action. Ne pas avoir recours à la violence ne signifie pas que nous sommes démunis de moyens pour lutter contre la violence, l’oppression, la domination, la discrimination. Bien au contraire, ces exemples nous montrent que l’action non-violente est une action efficace : la désobéissance civile, le boycott ou encore les programmes constructifs sont autant de moyens non-violents pour lutter efficacement contre l’aliénation.

Conclusion

La non-violence n’est pas seulement une philosophie, c’est également un moyen de lutte puissant et efficace comme ont pu le démontrer Gandhi et Martin Luther King dans les actions qu’ils ont menées au cours de leur vie. C’est un message rempli d’humanité et d’espoir que portent ces militants de la non-violence.

Malgré les victoires de la non-violence nous vivons dans un monde où la violence règne. Elle semble avoir toujours été présente, bien que sous des formes différentes, et représente un moyen facile pour l’homme, égoïste et avide de puissance, d’imposer sa domination.

La violence déchire les communautés tandis que la non-violence fédère les peuples : mais dans un monde où l’individualisme et les intérêts personnels priment la non-violence est-elle en mesure de prendre le pas sur la violence ?

 Castello Estelle – groupe 202

Sources : 

La non-violence, Christian Mellon et Jacques Semelin, Que sais-je ?, presses universitaires de France, 1994.

Gandhi, Christine Jordis, folio, 2006.

Gandhi et Martin Luther King : leçons de la non-violence, Marie Agnès Combesque et Guy Deleury, Autrement, 2002.

Influencer comme Gandhi: Comment créer des relations positives et efficaces, Irène Kmiec-Rousseau et Anne Vermès, Eyrolles, 2014.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*