La violence politique

Introduction :

“Quant à vouloir s’imposer à ses concitoyens par la violence, c’est toujours chose odieuse même si l’on se donne pour but de réformer des abus”. Salluste

L’étude de la « violence politique » s’intéresse à la place de l’usage de la force dans les systèmes politiques, démocratiques ou non. Dans une démocratie, les conflits d’intérêts, les affrontements d’idées, les oppositions de croyances sont naturelles et constituent la toile de fond des luttes politiques. Mais ils doivent rester pacifiques car si le conflit se voit en quelque sorte banalisé, la violence au contraire est stigmatisée. C’est pourquoi il est courant de la dénoncer chez l’adversaire et de la nier ou de la minimiser dans son propre camp. Le spectre des actions et des événements couverts par le concept de violence politique est vaste. Il est présenté dans le tableau suivant établi par Paul Wilkinson (annexe 1)..

C’est pourquoi nous tenterons de comprendre dans cette analyse qu’elles sont les violences politiques existantes ? Quels rôles jouent-elles dans les systèmes politiques et comment sont-elles exprimées ?

On trouve comme proposition de définition celle de Nieburg (1969), à savoir que la violence politique peut être rapportée à « des actes de désorganisation, destruction, blessures, dont l’objet, le choix des cibles ou des victimes, les circonstances, l’exécution, et/ou les effets acquièrent une signification politique, c’est-à-dire tendent à modifier le comportement d’autrui dans une situation de marchandage qui a des conséquences sur le système social »

Nous tenterons de répondre à cette problématique en traitant tout d’abord des modèles de la violence politique. Nous proposerons également une lecture de la violence politique en référence aux systèmes politiques qui la renferment. Enfin, dans une dernière partie nous étudierons les différentes expressions de la violence politique.

I. Les modèles de la violence politique

1.1. L’approche de Gurr

Gurr (2000) avance l’idée d’une interdépendance entre la violence politique et la violence sociale.

On trouve à l’origine de tout processus de violence politique la notion de frustration. Cette frustration est selon Gurr le résultat d’une évaluation réalisée par le sujet entre les biens qu’il se sent autorisé à convoiter et les biens qu’il peut dans la réalité obtenir. Lorsque la distance entre les deux est trop importante, qu’il n’y a pas de compensation possible et que les occasions offertes au sujet pour rétablir ce déséquilibre sont peu nombreuses, cela provoque un fort ressentiment pouvant conduire à la violence politique.

1.2. Les modèles d’une violence politique « révolutionnaire »

A la suite des travaux de Chazel (1985, 1989), nous pouvons distinguer trois types de modèles de compréhension de la violence politique en lien avec le processus révolutionnaire : les modèles séquentiels, les modèles psycho-sociaux et les modèles socio-historique.

Avec les modèles séquentiels (Brinton, 1938) les déterminants de la révolution sont l’intensification des conflits de classe et la crise de légitimité du pouvoir.

Les modèles psycho-sociaux, mettent l’accent sur l’intensité de la frustration, pour Davies «La révolution a le plus de chance de se produire quand une période prolongée de progrès économiques et sociaux est suivie par une courte période de retournement aigu, devant laquelle le fossé entre les attentes et les gratifications s’élargit rapidement, devenant intolérable. La frustration qui en résulte, dès lors qu’elle s’étend largement dans la société cherche des modes d’expression dans l’action violente » (1971).

Les modèles socio-historiques, s’appuient quant à eux sur une analyse comparative des phénomènes révolutionnaires (Moore, 1973 ; Skocpol, 1979 ; Zimmermann, 1983). Globalement dans cette approche les auteurs insistent sur les conséquences politiques des révolutions, c’est-à-dire sur la construction d’un nouveau type d’Etat instaurant des formes inédites de la participation populaire.

1.3. La dualité : violence colérique et violence instrumentale

L’implication émotionnelle des acteurs dans la violence qu’ils mettent en œuvre est une donnée importante à prendre en considération car elle appelle des modes de gestion politiques qui ne sont pas identiques. C’est l’intérêt de distinguer une violence colérique, souvent mais pas toujours, liée à des pratiques protestataires, et une violence instrumentale calculée, graduée, qui est en principe le mode normal d’intervention de l’Etat démocratique à l’intérieur comme à l’extérieur.

II. L’expression de la violence dans les systèmes politiques

2.1 Démocratie et violence

Dans le cadre de conflits sociaux ou de contestations, il est fréquent de voir les protagonistes faire appel à la force, même si son usage reste la plupart du temps d’une ampleur modérée. Une violence « soft » paraît cependant à de nombreux contestataires comme le moyen efficace de s’imposer à la table de négociation dans un système démocratique, même si selon Braud (1993) au moins deux conditions se doivent d’être respectées. La première est l’exigence de visibilité. Il faut que les médias en parlent et la couverture journalistique joue à cet égard un rôle décisif d’orchestration ou d’amplification des évènements. La seconde condition est de ne pas franchir un certain seuil au-delà duquel cette même violence deviendrait contre-productive dans la perspective des négociations à mener. Tout simplement parce qu’elle déclencherait l’apparition de réflexes sécuritaires susceptibles de faire passer au second plan les problèmes de fond qu’on avait voulu imposer sur le devant de la scène.

2.2. Autoritarisme et violence

Tout pouvoir, quel qu’il soit, détient une autorité. On le qualifiera d’autoritaire s’il utilise arbitrairement la violence. On parle d’autoritarisme d’abord quand un pouvoir abuse de son autorité en usant plus de la force que de la persuasion. Mais si l’abus d’autorité peut le rendre illégitime à nos yeux d’occidentaux, ce n’est pas nécessairement le cas aux yeux des populations qu’il peut concerner.

Selon Hermet (1985) on peut appliquer le concept d’autoritarisme à des dictatures civiles, comme celle de Salazar au Portugal (Hermet, 1983), ou militaires, dont l’Amérique du Sud et l’Asie du Sud-Est ont une longue tradition (Rouquié, 1982, 1987).

III. Les expressions de la violence politique

3.1. Le contrôle social : une expression de la violence politique

On peut considérer que toute forme de contrôle social qui barre une aspiration, impose des opinions ou des comportements, perturbe une trajectoire sociale ou un cadre de vie et qui s’impose massivement à un ensemble d’individus ou à un groupe social est une forme de violence politique, ceci qu’elle soit ou non ressentie comme telle.

D’une certaine manière le contrôle social est une forme de prise de pouvoir, qui impose aux individus avec un sentiment de liberté plus ou moins exacerbé une certaine manière de penser et d’agir dans le monde.

3.2. La violence politique illégitime

Dans tous les cas, la notion de violence politique renvoie d’abord à l’excès de pouvoir. Sur cette base, une violence illégitime s’en trouve  caractérisée par deux formes d’excès : ceux de la population, ou de  factions, qui s’exercent contre l’État (processus bottom-up), et ceux du pouvoir contre la population ou certains groupes à l’intérieur de celle-ci (processus top-down). Pour les premières, les émeutes (violences faites aux biens), sinon les meurtres ou la guérilla (violences faite aux individus), le terrorisme ou le renversement du pouvoir ; pour les second les violences des forces de l’ordre, la répression disproportionnée, l’ordre dévoyé du totalitarisme, sinon le nettoyage ethnique, les génocides et autres formes d’oppression et de crimes de masses (annexe 2). La gamme des violences politiques illégitimes est vaste.

3.3.Le terrorisme comme forme de la violence politique

D’une certaine manière, on peut toujours devenir le terroriste de quelqu’un; dans certaines configurations politiques ou militaires, tel acteur sera terroriste pour les uns et héros ou résistant pour les autres (Fridell, 2001). Comme cette qualification est un moyen de disqualification, elle devient une arme politique redoutable.

Mais le terrorisme comme forme de violence politique peut à contrario provoquer un puissant élan de rassemblement national comme ce fut le cas aux Etats-Unis après les attentats du 11 septembre 2001. En effet, les attentats terroristes contre les Etats-Unis ont fédéré tous les citoyens autour d’un projet de lutte contre le terrorisme à l‘intérieur comme à l’extérieur du pays. L’envoi de troupes en Afghanistan en fut la première manifestation. Dans sa forme actuelle cette violence terroriste et donc politique subie par les Etats-Unis les a conduit à légitimer en retour une autre forme de violence par nature éminemment politique et sur laquelle nous reviendrons: la guerre.

En Europe aussi le terrorisme et la violence politique menacent les démocraties, seuls neuf pays ou principautés européennes sont peu exposées aux risques de terrorisme et de violence politique : l’Islande, le Danemark, la Finlande, la Suisse et le Luxembourg, auxquelles s’ajoutent Andorre, le Lichtenstein, Monaco et le Vatican.

La France, l’Espagne, la Corse, la Sardaigne et la Sicile sont des pays ou territoires où ces risques ne sont pas négligeables, principalement du fait de leur politique étrangère ou intérieure (Annexe 3).

3.4. La guerre et la politique

La guerre ne peut s’analyser en dehors de la logique politique (Aron, 1976 ; Clausewitz, 1955). Pour Clausewitz, la guerre est la « continuation de la politique par d’autres moyens ». Cet auteur affirme en fait que la guerre est subordonnée à la politique qui l’encadre et la limite. Englobée dans l’activité politique, la guerre est un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté. Dans ce cadre, l’armée est le détenteur dans l’État de la violence qui est ici une violence de type politique, à laquelle celui-ci a recours en période exceptionnelle, soit que la situation lui paraisse désespérée, soit que l’adversaire ait dépassé le seuil de ce qu’il juge tolérable. La guerre est donc fondamentalement un acte politique, car elle exprime directement la réalité fondamentale et caractéristique de la politique : la domination de l’homme sur l’homme.

Conclusion

La violence politique n’est pas prête de disparaître car tous les systèmes politiques, quels qu’ils soient, en ont toujours tiré et en tire toujours profit d’une manière ou d’une autre. Parler de violence politique est à cet égard un peu abusif, car comme nous l’avons évoqué les modalités d’expression de cette violence sont tellement éclatées et disparates qu’il est difficile de proposer un concept qui va toutes les englober et une conclusion générale sur l’ensemble des aspects traités.

Cependant, On est en droit de se demander si l’augmentation des actes violents dans tous les pans de la société n’est pas à mettre en lien avec le spectacle quotidien et médiatisé d’une certaine violence politique. Que penser lorsqu’un Etat part en guerre contre un autre Etat malgré les injonctions à la paix des instances de régulations internationales (ONU). La vengeance, plutôt que le droit se trouve alors légitimée.

Annexe :

–        Annexe 1 :Classification des actions (violence politique)

Grande échelle

Petite échelle

* Émeutes et violence urbaine * Actes isolés de sabotage ou attaques de propriétés
* Rébellion armée ou résistance * Tentative isolée d’assassinat
* Révolution ou contre-révolution * Guerre des gangs et vendettas
* État de terreur ou répression * Terrorisme politique
* Guerre civile * Guérilla locale ou à petite échelle
* Guerre limitée * Terrorisme transnational et international
* Guerre nucléaire * Raids de type guérilla sur des États étrangers

–        Annexe 2 :Formes de violence entre Etat et population

annexe 2

–        Annexe 3 : Carte du terrorisme et de la violence politique en Europe

Annexe 3

Définition :

Violence politique : Actes de désorganisation, destruction, blessures, dont l’objet, le choix des cibles ou des victimes, les circonstances, l’exécution, et/ou les effets acquièrent une signification politique, c’est-à-dire tendent à modifier le comportement d’autrui dans une situation de marchandage qui a des conséquences sur le système social (Nieburg, 1969).

Contrôle social : Ensemble des dispositifs, établis en termes de règles et de sanctions, qui fixe les conduites sociales à l’intérieur de certaines limites pour en assurer une manifestation satisfaisante et une adaptation acceptable pour les individus.

Etat terroriste : Etat qui non seulement commandite des actions de terrorisme international, mais surtout celui qui utilise massivement la violence à l’intérieur de son propre territoire. Cette utilisation systématique de la violence a pour but de faire régner la terreur non seulement chez tous les opposants potentiels mais aussi à l’égard de tous ceux que le régime en place considère comme dangereux.

Source :

http://www.thecanadianencyclopedia.com/

Bibliographie :

Cyril Torquinio, «La violence politique», Les cahiers psychologie politique

Philippe Braud, « La violence politique : repères et problèmes », Cultures & Conflits

Rosière Stéphane et Richard Yann « Géographie des conflits armés et des violences politiques »

 

TEBOUL DAVID

N°:3109222

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