La violence est un terme universel et présent continuellement dans les relations entre les Hommes. La violence est définie par l’OMS comme « l’utilisation intentionnelle de la force physique, de menaces à l’encontre des autres ou de soi-même, contre un groupe ou une communauté, qui entraîne ou risque fortement d’entraîner un traumatisme, des dommages psychologiques, des problèmes de développement ou un décès » et vient étymologiquement du mot latin vis, signifiant l’emploi de la force sans égard à la légitimité de son usage. Au-delà de cette définition, elle est à la base de notre monde, nos institutions, nos mœurs en découlent. Nous nous intéresserons plus particulièrement à la relation entre la violence et le sacrifice, qui donnera naissance à la Violence Sacrificielle. Le sacrifice « fait de rendre sacré » du latin sacrificium qui désigne une offrande, en particulier de la nourriture, des objets voir des vies humaines ou animales, faite à une ou plusieurs divinités.
Quel rapport la religion entretient-elle avec la violence ? Quelles formes prend la violence sacrificielle ?
Nous allons donc au travers de cette synthèse et des différents écrits traitant du sujet, appréhender le terme de violence sacrificielle et comprendre les liens unifiant la violence et le sacré.
Au début du 21ème siècle, le sacrifice s’apparente à un acte de barbarie pratiqué par des sociétés primitives où des rustres naïfs et cruels tuent des animaux, des êtres humains, pour obtenir les bonnes grâces de divinités. Le problème est que si le sacrifice se résumait effectivement à ce genre de superstition, il n’aurait pas été répété pendant des millénaires partout dans le monde, par autant de sociétés et de religion différentes et sous différentes formes jusqu’à nos jours. Lorsque l’on cherche à comprendre l’évolution des formes que prend la violence en utilisant les théories de la violence, un passage par l’anthropologie religieuse est indispensable. Par la suite, l’analyse des théories passées et récentes sur l’évolution des formes de violence permet de faire le lien entre la vision du sacrifice effectué sous une certaine crainte d’une mauvaise réaction des cieux et le sacrifice vu aujourd’hui comme une menace et une épuration.
L’approche de René Girard et les critiques
La lecture des écrits religieux nous parlent de mythe et tous ces mythes, parlent d’un lynchage, le racontent souvent du point de vue des assassins, donc le masque en le racontant, en le glorifiant. C’était l’un des sujets de recherche de René Girard, anthropologue qui après analyse approfondie de ces écrits avait mis en exergue la théorie du désir mimétique humain. Cette première découverte l’a poussé à étudier l’influence de ce mimétisme sur la violence. Dans la Violence et le sacré paru en 1972 qui sera l’un de nos écrits de référence, Girard prolonge sa réflexion en abordant la violence et son impact sur la naissance et la prospérité de l’ordre culturel, ce qu’il appelle son « hypothèse » : la violence a une fonction réelle dans la société, notamment le sacrifice d’un bouc émissaire, la victime émissaire comme l’appelle Girard par un groupe humain pour qui cet assassinat est le fondement de toutes les cultures humaines. Le groupe, refait son unité sur le sacrifice qui ramène temporairement le calme. Pour appréhender ce mécanisme de victime émissaire il est nécessaire de comprendre la place qu’occupe la violence dans les groupes humains selon Girard. Pour lui le sacrifice, bien que présenté comme une offrande réclamée par les divinités n’est en réalité qu’un canalisateur illusoire et inconscient de la violence des sacrificateurs. Le sacrifice fait office de biais par lequel la violence initialement dirigé vers des êtres que les sacrificateurs souhaitent protéger vers d’autres êtres dont la mort importe moins, il permettrait donc implicitement d’orienter la violence hors du groupe (vers les « autres »). L’analyse de Girard permet de comprendre que les hommes ont utilisé la violence pour apaisé les divinités, mais aussi pour apaisé la violence présente dans les communautés. La désignation de la victime provient d’un besoin d’extérioriser le désir violence, désir contracté par le quotidien contre les proches. Cependant ce désir de violence ne peut avoir d’issue sur les proches puisque cela mènerait à des conflits, la solution réside en la désignation d’une personne extérieure qui ne correspond pas aux valeurs de la communauté, victime qui ne pourra être défendue par personne ou que par un petit nombre puisqu’elle est présentée comme coupable, menace.
René Girard examine avec finesse les textes bibliques dans lesquels il voit la preuve du fondement sacrificiel par une violence extrême, mais il constate que la violence pratiquée n’est plus parfaitement relié à l’idée d’offrande aux divinités, il introduit de ce fait la notion de crise sacrificielle comme la perte du but sacrificiel de la violence, laissant place à une violence impure et contagieuse. La cause de ce décalage se fonde dans le désir mimétique : le sujet ne désire pas l’objet pour l’objet mais parce qu’un modèle identifié le désigne comme désirable. S’installe alors une rivalité et la force du désir s’oppose à celle du modèle, la montée en puissance de la rivalité mène à la violence. Par phénomène de propagation, la communauté se retrouve dans un cas de violence réciproque, pour y échapper et éviter les conflits, il va falloir extérioriser cette violence.
René Girard donne beaucoup de crédit au mythe, fondateur de l’ordre culturel et tout spécialement le mythe d’Œdipe. Il se sert de ce mythe pour expliquer comme la communauté est sortie du cercle vicieux ce la violence réciproque, Œdipe est selon René Girard montré du doigt pour ses actes transgressifs dont il est le seul coupable, par ce biais le groupe se libère de l’ensemble des maux de la communauté, son expulsion sert de remède. Girard extrait de cet exemple le mécanisme de la victime émissaire, le principe repose sur la désignation unanime du groupe d’un seul coupable, et c’est pour Girard par cette unanimité que la paix va revenir dans le groupe, on pourrait utiliser le proverbe « l’ennemi de mon ennemi est mon ami » pour exprimer cette idée. Le coupable désigné comme ne partageant pas les valeurs du groupe et donc n’en faisant plus partie, permet de dévier la violence. La rivalité mimétique laisse place à l’unanimité violence, la réconciliation par le meurtre. Girard précise que ce mécanisme doit rester inconnu, le groupe ne doutant pas de la culpabilité de la victime et étant inconscient de sa violence afin que le groupe voit cette violence comme extérieur à chacun, qu’il la sacralise. De fait la victime est à la fois responsable de la violence et cause du retour de la paix par sa disparition, comme une forme qualifiée de surnaturelle, que seule la violence peut anéantir, elle en devient sacrée.
Prenant en compte les différents principes et mécanismes mis en avant, René Girard perçoit le caractère fondateur et paradoxalement apaisant de la violence. L’unité sociale se fait par l’expulsion de la victime émissaire, restant fragile devant un possible retour de la violence réciproque. Le groupe va alors cherché à maintenir cette violence sacrée en dehors du groupe. Le maintien à distance de la violence va s’articuler autour de la mise en place de règles essentielles qui forment l’ordre culturel. Selon René Girard toute forme culturelle, de rites religieux découlerait de cette volonté de maintenir la violence en dehors du groupe. Les interdits sont le moyen d’empêcher le retour de la violence mimétique, d’ailleurs Girard définit la fonction des interdits, des règles : « ils réservent au cœur des communautés humaines une zone protégée, un minimum de non-violence absolument indispensable […] à tout ce qui fait l’humanité de l’Homme ». René Girard en conclut que le rituel sacrificiel prend un rôle préventif pour éviter le retour de la crise sacrificielle que le groupe n’aurait pas vu naitre et conserver l’ordre culturel. Le rite s’organise alors autour de l’unanimité violente par le sacrifice d’une nouvelle victime substituée mais ayant les mêmes caractéristiques que la victime émissaire, c’est-à-dire que l’on peut sacrifier, ne faisant pas partie de la communauté. C’est donc par les rites religieux et les interdits que la violence sacrée est maintenu en dehors des sociétés primitives.
Les travaux de Girard n’ont pas laissé indifférents, au contraire les théories que l’auteur mettait en avant on conduit d’autres experts à se pencher sur la place de la violence dans la religion. Catherine Coquio notamment qui dans son livre Violence sacrificielle et violence génocidaire, cherche à observer la présence de violences génocidaires durant le 20ème siècle mise en avant par Girard. Cependant elle va aussi aller plus loin, en s’interrogeant sur les approches antagonistes qui sont faite par les institutions religieuse, et anthropologique concernant l’énonciation du sujet. Elle remet par la même occasion les propos de Girard en pointant du doigt le déni du politique et l’impensé du génocidaire dans la théorie de René Girard. Le nouvel angle pris sur un même sujet permet de concevoir autrement les liens entre religion et violence et amène de nouvelles indications sur les causes et conséquences des crises génocidaires.
L’approche Contemporaine
En ayant une approche plus récente que celle des temps bibliques, on constate que l’analyse de la violence ne mène plus forcément à la religion mais qu’elle emprunte toujours les mêmes principes. En d’autre terme on assiste depuis des siècles à un changement de cible des actes sacrificiels, la violence ne vise plus maintenant un individu coupable de plus ne partager les valeurs des persécuteurs mais d’autres communautés n’ayant pas forcément commis des interdits. Ce constat s’applique à de plus en plus de domaine, en politique on pourrait citer les conflits perpétuels entre gauche et droite politique, « anti » contre « pro ». Ce que l’on nomme l’esprit partisan n’est en fait qu’une évolution du choix du même bouc émissaire que ses voisins, « sa communauté ».
En conséquence le but du sacrifice aussi change, les hommes effectuaient ces rituels dans une démarche d’offrande pour satisfaire les divinités, désormais le but est punitif, voir génocidaire dans certains cas en réponse à des activités politiques. Le principal constat que l’on peut faire sur l’évolution de la violence sacrificielle prend forme dans la relation que la violence entretient avec la religion mais aussi désormais avec la politique, l’évolution de la société s’est immiscée dans la crise sacrificielle et en est depuis de nombreux siècles la principale cause, donnant naissance en 1798 au terme Terrorisme.
Notre société moderne connait une succession de crises de plus en plus intenses qui ne peuvent plus être justifiées par le mécanisme du bouc émissaire. Alors que l’analyse des écrits bibliques parlait d’une violence inconsciente, la violence sacrée contemporaine est-elle bien différente, en effet les persécuteurs sont bien conscients et rationnels dans leur démarche violente et pire, leurs croyances vont les amener à être à la fois auteur et victime de la violence par sacrifice, c’est l’apparition des attentats suicide. La différence provient donc de la juxtaposition temporelle, du sacrifice de l’auteur qui par ce geste pense obtenir le salut et le sacrifice d’individus lambda présents autour de l’auteur au moment de son geste, afin de montrer à la communauté le désaccord de l’auteur suicidaire avec la communauté. L’attentat suicide prend des formes variés, entre tactique militaire lors de la guerre du pacifique avec les kamikazes, mais aussi une forme de fait social, une vengeance, en d’autre terme, un choix justifié dans certaines communautés en réponse à l’injustice religieuse ou non. Cependant les motivations et les raisons de cette forme de sacrifice sont complexes et souvent propres à l’auteur. Les experts tentent d’expliquer ces gestes par des concepts de fanatisme et d’endoctrinement. Ainsi les attentats du 11 Septembre 2001 revêtent un caractère sacré puisqu’ils avaient pour but de toucher en plein cœur la puissance américaine et de la remettre en question sur ses positions géopolitiques.
Conclusion
Notre analyse nous a montré que si la violence sacrificielle existe depuis les fondements des communautés et qu’elle participe à la structuration, la stabilité de ses communautés par sa relation avec la religion ; elle est aussi responsable des conflits entre les communautés. De plus l’analyse de son évolution, relie la violence non plus seulement à la religion mais aussi à la politique.
L’actualité met souvent en avant des violences à caractère sacrificiel qu’on voulait croire dépassées. Il semble que les mêmes principes sont en fait toujours à l’œuvre sous des aspects cachés. Si le sacrifice est décrit comme une des formes de la violence du religieux, son influence semble de plus en plus diminuer dans des sociétés prônant la laïcité au profit du politique. Dès lors la place de la religion dans l’acte sacrificiel moderne semble primordiale.
Quel rôle joue la religion dans la décision du persécuteur moderne ? Puisqu’on a pu voir lors de revendications d’attentats au Moyen-Orient ou ailleurs par des organisations terroristes islamiques, que le fait de tuer des individus innocents et musulmans avait moins d’importance que le fait de tuer des « mécréants ».
Luc Prévost
Annexe
Sources
http://www.ieccc.org/spip.php?article116
http://agora.qc.ca/thematiques/mort/documents/les_attentats_suicides
http://bibliobs.nouvelobs.com/essais/20100813.BIB5497/rene-girard-penseur-de-la-violence.html
http://www.cnrtl.fr/definition/sacrificiel
http://www.revue-quasimodo.org/PDFs/8%20-%20CoquioCatherine.pdf
https://galmaril.wordpress.com/tag/crise-sacrificielle/
Bibliographie
René Girard – La Violence et le sacré (1972) (ISBN 2-01-278897-1)
Catherine Coquio – Violence Sacrificielle et violence génocidaire
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