Le pouvoir correspond à l’aptitude de l’homme à agir, et à agir de façon concertée. Le pouvoir n’est jamais une propriété individuelle ; il appartient à un groupe et continue à lui appartenir aussi longtemps que ce groupe n’est pas divisé. Étymologiquement, la puissance est un terme confondu avec la notion de pouvoir. C’en est un synonyme. Cependant tous les acteurs ayant le pouvoir ne sont pas puissants et tous les acteurs dotés d’une certaine puissance n’ont à l’inverse pas forcément le pouvoir au sens régalien du terme.
Raymond Aron définissait la puissance comme « la capacité d’une unité politique d’imposer sa volonté aux autres unités. En bref, la puissance n’est pas un absolu, mais une relation humaine ». Dans les relations internationales, la notion de puissance fait le plus souvent référence à des Etats mais d’autres acteurs sont dotés d’une puissance indéniable, notamment les institutions financières, les firmes transnationales ou les organisations non gouvernementales majeures. Ceci se vérifie aussi en géopolitique. S’inspirant de Aron, Serge Sur écrit : « on définira la puissance comme une capacité – capacité de faire, capacité de faire faire ; capacité d’empêcher de faire ; capacité de refuser de faire ». Par exemple, les Etats-Unis ont réussi à imposer au gouvernement français de Fillon (2007-2012) une participation au système de défense antimissile pour l’Europe alors que la France n’avait rien à y gagner d’après les experts. Washington a donc pu imposer sa capacité de faire faire. Ainsi, la puissance caractérise un acteur du système international à agir sur les autres acteurs et sur le système lui-même pour défendre ce qu’il croît être ses intérêts, atteindre ses objectifs, et préserver voire renforcer sa suprématie. Mais en quoi y-a-t-il eu une évolution du pouvoir et par conséquent de la puissance ?
Les américains Wolfers et Morgenthau ont développé des théories basées à la fois sur l’évolution du vocabulaire géographique avec notamment les super-puissances, et sur la place centrale de la puissance dans les relations internationales. Ainsi, ils ont caractérisé la puissance selon 3 catégories.
Tout d’abord, la puissance peut-être envisagée comme une capacité à agir c’est-à-dire qu’elle implique la volonté de se faire respecter ce qui suppose une efficacité et une autorité dans un champs de volontés contradictoires. Ce type de puissance implique les domaines politique, diplomatique, économique, militaire et médiatique. Spykman a d’ailleurs identifié différents facteurs de puissance depuis ces domaines : la surface du territoire, la nature des frontières, le volume de la population, l’abondance des matières premières, le développement économique et technologique, la force financière, l’homogénéité ethnique, le degré d’intégration sociale, la stabilité politique et “l’esprit national”. Par la suite, les facteurs économiques ont été réévalués alors que l’espace est lui dévalué du fait notamment de la diminution des disputes territoriales entre les états. Il y a donc une évolution au niveau de la compétition économique entre les puissances libérales. Cependant, de nouvelles approches plus synthétiques sont formalisées telles que le passage du “hard power” au “soft power” de Nye (1990) c’est-à-dire de la puissance « dure » à la puissance fondée sur l’attraction d’un modèle. Bläser distingue alors trois modes de pouvoir et donc de puissance : le pouvoir relationnel qui fait référence aux relations personnelles et physiques et met en exergue des “lieux de pouvoir” ; le pouvoir par le savoir qui met en évidence la nécessité de maîtriser l’information ; et le pouvoir de cadrage qui correspond à la capacité des acteurs de penser les thèmes qui mobilisent.
Ensuite, la puissance est aussi vue comme une caractéristique applicable à certains acteurs. Le terme puissance est alors utilisé comme substantif et est synonyme d’Etat. En effet, dans la norme du système international, le pouvoir est aux mains des Etats souverains. Certains sont bien plus influents que d’autres, ce sont les puissances. La notion de puissance marque la hiérarchisation des acteurs du système international à l’intérieur duquel il ne peut y avoir de « puissances » que parce qu’il y a aussi des « faibles ». Ceci relève de la modélisation du système international. Dans une perspective constructiviste, la puissance ne caractérise plus seulement les Etats mais aussi les firmes transnationales dont les capacités financières sont généralement considérables, les Eglises ou d’autres acteurs agissants de façon concertée (lobbies) comme les ONG ou les institutions financières internationales (Bläser, 2005) dans un système mondial multi-centré.
Enfin, on peut envisager la manifestation de la puissance dans l’espace. L’interprétation du global et du local rend difficile la localisation des pôles de puissance et inopérante les distinctions entre l’interne et l’externe. Pour spatialiser la puissance, le système centre/périphérie semble le plus approprié. En effet, les lieux de pouvoir ou centres sont définis de façon plus ou moins restrictive et s’opposent aux périphéries dominées et impuissantes. A l’échelle mondiale, on peut séparer le Nord du Sud ; à l’échelle d’un continent, les régions centrales (« banane bleue européenne ») contre les périphéries (Europe orientale, Balkans, Laponie) ; à l’échelle locale et par exemple dans les villes, les central business district sont des lieux de pouvoir par excellence par rapport aux banlieues.
Si la modalité la plus classique est retenue, la puissance correspond au nombre de divisions, au produit intérieur brut (PIB), à la démographie, à la superficie du territoire, aux ressources du sous-sol… Mais la révolution numérique a produit une « grande transformation », d’après Karl Polanyi, qui ouvre certaines des conditions d’exercice de la puissance à des entités infra-étatiques telles que les entreprises multinationales, notamment financières, les organisations non gouvernementales (ONG), et les « internationales de la nuisance » que sont par exemple les organisations terroristes.
« Au fur et à mesure que la complexité des acteurs et des questions s’accroît, écrivent Keohane et Nye, l’utilité de la force décroît et les lignes de partage entre politique intérieure et politique extérieure s’estompent. » Ces deux auteurs définissent donc le concept d’interdépendance complexe comme un entre-lac d’échanges et d’interactions entre des Etats, des individus, des entreprises, et des organisations de toute nature. Entre ces différents acteurs, il existe des notions d’asymétrie qui expriment des relations de dépendance. De ces asymétries se dégagent des rapports de force qui associent la puissance au pouvoir de négociation et à la capacité d’obtenir un résultat par la pression, l’intimidation, le chantage, la séduction, ou encore par la coalition des Etats poursuivant le même objectif. La mondialisation, c’est simplement l’accroissement des relations d’interdépendance entre les États et l’apparition d’asymétries de moins en moins marquées par la crainte pour sa sécurité et de plus en plus marquées par d’autres formes d’interactions.
Il existe une autre dimension, celle des acteurs qui ne sont pas dans une logique marchande mais qui trouvent un intérêt à s’engager dans une action collective. Hannah Arendt définit l’essence du pouvoir comme « la capacité humaine à ne pas simplement agir, mais à agir de concert ». En donnant à des individus le pouvoir de s’agréger pour produire une action collective, la révolution numérique transforme l’exercice du pouvoir et, dans une certaine mesure, l’exercice de la puissance. Ceux qui savent utiliser des technologies de plus en plus performantes pour diffuser des enregistrements, des photos, etc., peuvent exercer un pouvoir au détriment des États. Des spécialistes d’Al-Qaïda ont montré que cette organisation formait une sorte de toile d’araignée mondiale connectant des djihadistes, diffusant des communiqués, revendiquant des attentats et démultipliant ainsi l’impact de ces actes. Ceci se retrouve aussi dans les dernières décapitations diffusées par les médias.
Ainsi, le jeu de la puissance est transformé car cela modifie de façon très profonde les paramètres de l’interdépendance. La révolution numérique est loin d’avoir produit tous ses effets, son impact pourrait être comparable à celui de la révolution de l’imprimerie.
Les rapports de force entre les États sont donc moins marqués par le primat absolu de la sécurité. D’autres déterminants ont un poids croissant, qu’il s’agisse des stratégies d’influence, des rapports de forces économiques ou encore du rapport à l’innovation. Ces paramètres deviennent plus importants que la comptabilité des missiles et autres ressources militaires dont dispose chaque camp (bean counting). En effet, les déterminants de la puissance que sont les moyens militaires tendent à perdre en poids relatif. D’autres marqueurs de puissance sont de nature civile dont l’un des plus classiques est la conquête spatiale.
En conclusion, la puissance et le pouvoir sont difficilement différentiables de part leur définition mais la relation entre les deux termes évolue. En effet, lors de la considération du niveau spatial de la puissance, le pouvoir peut qualifier les rapports de force interne à l’Etat et la puissance les relations internationales. Il y a donc une volonté de différencier les deux termes.
Par ailleurs, la révolution du numérique a conduit à une modification des interdépendances entre les Etats. Celles-ci ne sont plus mesurées par des facteurs militaires mais principalement par des facteurs économiques. Les rapports de force évoluent ce qui se traduit par un recours accru de la violence (pression, intimidation…) pour asseoir la puissance d’un Etat et son autorité. C’est ainsi que se développent des pouvoirs infra-étatiques. Ainsi, il y a une diversification des acteurs qui détiennent la puissance, les états n’en sont plus les seuls dépositaires.
Enfin, les rapports de force évoluent au niveau mondial. Les Etats asiatiques veulent participer à la gouvernance mondiale en cherchant notamment à augmenter leur influence au sein du Fonds Monétaire International ou de la Banque Mondiale. Les Etats-Unis ont par conséquent modifiés leur stratégie tout comme l’Europe afin de se réorienter vers l’Asie. Il y a donc un déplacement des pôles de puissance. Ainsi malgré un renouvellement des acteurs, les Etats restent de grands détenteurs de puissance mais sont-ils toujours prédominants ?
Bibliographie
http://blogs.mediapart.fr/blog/vivre-est-un-village/031010/une-reflexion-sur-les-mots-pouvoir-puissance-force-autorite-et-finalement-violence-12
https://sites.google.com/site/rauwiller67/la-nouvelle-grammaire-de-la-puissance
http://www.hypergeo.eu/spip.php?article391
http://www.diploweb.com/Geopolitique-La-puissance.html
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