Le Liban est un pays concentrant sur sa petite surface un très grand nombre de communautés religieuses (18 sont officiellement reconnues). Pour prendre en compte cette réalité, le Liban a mis en place une démocratie consensuelle basée sur le confessionnalisme politique.
Au Moyen-Orient, une zone du monde particulièrement instable, le Liban, était un pays qui faisait exception, avec une véritable démocratie et une population jouissant de grandes libertés. Le pays du Cèdre était considéré comme une terre de refuges pour les minorités depuis des siècles. Pourtant l’histoire et la vie politique du Liban sont marquées par de nombreuses tragédies depuis sa naissance en 1920, notamment durant la guerre civile de 1975 à 1990, et peine depuis à rétablir une stabilité politique.
Nous analyserons donc les liens entre confessionnalisme et stabilité politique au Liban. Est-il temps de dépasser ce système ? Par quoi le remplacer ?
Rappelons tout d’abord quelques faits permettant de mieux appréhender la situation libanaise.
1. Rappels factuels sur le confessionnalisme au Liban :
Le Liban a décidé, lors de son indépendance en 1943, d’inscrire dans sa constitution que le système politique serait de forme confessionnalisme (même si dans le préambule de cette même constitution il est clairement énoncé que la suppression du système confessionnaliste est un but national essentiel). Ce système de gouvernement distribue le pouvoir politique de façon proportionnelle au poids démographique des différentes communautés religieuses présentes dans le pays.
Ce système permet d’un côté de maintenir une paix relative entre les différentes communautés en leur offrant une partie du pouvoir, mais en même temps il doit, en théorie, être régulièrement actualisé pour suivre l’évolution démographique des différentes communautés. Une des autres critiques envers ce système porte sur le fait qu’il privilégie l’appartenance d’une personne à un groupe religieux au détriment d’un sentiment national.
La répartition proportionnelle du pouvoir s’est effectuée sur la base du recensement de 1932 sous le mandat français qui aboutit au résultat suivant :
Total des citoyens libanais : 785 542
Chrétiens
- Maronites: 226 378 soit 28.8 %
- Grecs orthodoxes: 76 522 soit 9.7%
- Grecs catholiques: 46 000 soit 5.9%
- Autres (Arméniens en majorité): 53 463 soit 6.8%
- Total: 402 363 soit 51.2%
Musulmans
- Sunnites: 194 208 soit 27.3%
- Chiites: 135 925 soit 17.4%
- Druzes: 53 047 soit 6.8%
- Total: 383 180 soit 48.8%
A cette époque donc, la population libanaise est globalement divisée en deux avec une légère majorité de chrétiens. Cependant, la répartition du pouvoir ne se fait pas selon la dichotomie chrétien/musulman mais selon un mécanisme plus complexe reconnaissant 18 confessions religieuses appartenant soit au christianisme (maronite, grec orthodoxe, grec catholique, arménien orthodoxe, arménien catholique, protestant, romain catholique, syriaque catholique, syriaque orthodoxe, assyrien, chaldéen, copte), soit à l’islam (chiite, sunnite, druze, alaouite, ismaélite) soit au judaïsme. D’après la constitution, le président est obligatoirement un chrétien maronite, le premier ministre doit être musulman sunnite et enfin le président de l’Assemblée nationale doit être musulman chiite (système de la Troïka).
Comme nous l’avons déjà dit, le système confessionnaliste ne peut continuer à fonctionner efficacement que si les évolutions démographiques sont répercutées au niveau du pouvoir politique, avec une augmentation ou une diminution de celui-ci en fonction des nouvelles données. Ce sujet est naturellement très sensible et c’est pour cela qu’aucun recensement officiel n’a eu lieu au Liban depuis 1932.
Cependant, le Liban compterait actuellement 59,7% de musulmans, 39% de chrétiens et 1,3% d’autres confessions. Cependant ces chiffres sont difficiles à évaluer et chaque communauté cherche à surévaluer ses effectifs (de 65% de musulmans dont 40% de chiites pour le Hezbollah, à 50% de chrétiens pour l’Église maronite). Il est cependant considéré que les chiites ont connu la plus grande progression démographique sur les dernières décennies.
Dans le contexte actuel, deux éléments sont à prendre en compte concernant le poids démographique de chaque communauté.
Tout d’abord, la question des réfugiés palestiniens qui sont majoritairement sunnites. Ceux-ci représentent plus de 400 000 personnes vivant dans 12 camps répartis au travers du pays. La question de leur naturalisation a été posée mais a rencontré une forte opposition des communautés chrétiennes mais aussi chiites et druzes qui craignent une « dilution » de leur représentation.
La seconde question concerne la diaspora libanaise, évaluée entre 12 et 15 millions de personnes, et composée à 80% de chrétiens. Ceux-ci n’ont actuellement pas le droit de vote, mais ce droit, revendiqué par les communautés chrétiennes pourrait entrainer un changement de balance démographique en faveur des chrétiens.
Répartition géographique des différentes confessions au Liban
Poids économique des différentes confessions au Liban
On peut faire un lien entre appartenance sociale et appartenance communautaire d’une part, et entre les inégalités régionales et la répartition géographique des différentes confessions d’autre part. Ce qui permettra par la suite d’expliquer en partie certaines tensions politiques et certaines revendications.
Les Grecs orthodoxes forment traditionnellement une grande bourgeoisie d’argent, citadine, les maronites correspondent aux classes moyennes et supérieures alors que la communauté chiite est la plus pauvre.
Quant à la répartition des richesses sur le territoire libanais et au niveau de développement par région, on constate que les régions les plus prospères sont celles de Beyrouth et du Mont-Liban, où les classes moyennes sont aussi les mieux représentées. On peut parler de centre économique moderne du Liban. Le Mont-Liban bénéficie notamment des revenus de l’industrie du tourisme, et c’est la communauté maronite qui y est la plus importante. La capitale regroupe un quart de la population libanaise et toutes les communautés y sont représentées, mais se mélangent peu. Si Beyrouth est riche par rapport au reste du pays, les inégalités y sont aussi marquées.Les régions périphériques, plus pauvres, sont en majorité musulmanes. Le Sud en particulier est nettement plus pauvre et marqué par une forte présence chiite. Le taux de pauvreté du Liban est estimé à 28% (en 2007).
Le développement du pays est donc inégal, non seulement en termes de revenu mais aussi d’éducation, d’infrastructures, ou encore de taux d’activité des femmes. En effet, l’économie moderne du Liban (principalement basée sur le tourisme, l’immobilier, et la banque) ne fournit pas assez d’emplois alors que la population connaît une importante croissance démographique. Le chômage est par conséquent assez élevé (17% en 2010), surtout dans la communauté chiite et la polarisation de la société libanaise s’accentue progressivement au détriment des classes moyennes.
Si l’on a précisé que le Sud est nettement plus pauvre, alors qu’au Nord, la situation est plus diversifiée, il faut néanmoins ajouter que le Sud se développe depuis le rééquilibrage politique en faveur des chiites effectué après la guerre civile.
Nous allons voir maintenant comment est né le système confessionnaliste.
2. L’équilibre politique par le pacte national de 1943 : Confessionnalisme et stabilité politique semblent pouvoir aller de paire
Le confessionnalisme politique libanais trouve son origine dans le pacte national de 1943 sellé entre le futur président maronite Bechara-el-Khouri, et le futur premier ministre sunnite Riad-el-Solh. Ce pacte fondateur de la conscience nationale libanaise est fait en réaction à l’arrestation des principaux chefs politiques libanais le 10 novembre 1943 par le délégué général de la France combattante. Cet acte a soulevé une indignation de tous les libanais qui se retrouvent autour d’un sentiment national commun. L’entente ancienne entre les différentes communautés composant le Liban se retrouve formalisée autour de trois grands principes.
– Tout d’abord l’accord reconnait l’indépendance et la souveraineté de la nation libanaise à l’égard de tous les États d’occident (en particulier la France) et d’orient (en particulier la Syrie).
– Ensuite, l’accord consacre l’ « arabité » du Liban.
– Enfin, l’accord instaure un système politique de forme confessionnel. Le pouvoir politique et les postes administratifs se répartissent donc en fonction de l’origine confessionnelle de chacun. La répartition du pouvoir est fonction du poids démographique de chaque communauté. Celui-ci s’effectue selon le recensement de 1932 où les chrétiens sont majoritaires.
Le choix du confessionnalisme pour système politique est quelque chose de très pragmatique pour maintenir la paix entre les différentes communautés. En effet, celui-ci permet un dialogue et ainsi contribue à une meilleure connaissance des communautés entre elles, ce qui, on pourrait le penser, apaiserai et préviendrai les tensions. Ce système permet la prise en compte de toutes les diversités et sensibilités car il ne se limite pas à une séparation entre chrétiens et musulmans mais prend en compte chaque secte de ceux-ci. Le confessionnalisme permet enfin de faire entendre la voix des minorités, ce qui ne serait pas aussi évident dans un autre système.
Du fait de ce pacte et de l’entente nationale entre tous les libanais, le Liban fût pendant cette période un îlot de paix et de libertés dans un Moyen-Orient troublé. En effet, la liberté d’expression qui y était accordée a permis d’accueillir de nombreux intellectuels des pays voisins ainsi que d’être vue comme une terre d’asile adéquate pour de nombreux réfugiés.
La paix, la stabilité politique et les libertés accordées au Liban ont créées un cercle vertueux qui a permis au Liban de connaitre une prospérité économique sans précédent. En effet, entre les années 50 et 70 le PIB du Liban a plus que quadruplé, et la part du tertiaire est passé de 63% à 70% sur la même période. L’économie libanaise était fortement ouverte sur l’extérieur et avait une influence importante au niveau régional en tant que pôle touristique majeure et en attirant les capitaux de tout le monde arabe dans ses banques.
Cependant l’équilibre d’un pays avec une telle mosaïque de communauté est précaire. Une première brèche dans le pacte national liant les communautés apparaît en 1958. En effet, le président Camille Chamoun refuse de rompre les relations diplomatiques avec la France et le Royaume-Uni lors de la crise de Suez. De plus, une partie de la communauté musulmane souhaite faire entrer le Liban dans la République arabe unie (qui comprend l’Égypte et la Syrie) ce que les communautés chrétiennes refusent. On voit bien qu’à ce moment là chaque communauté est tentée de regarder vers les pays dont elles se sentent le plus culturellement proche, ce qui va à l’encontre de l’esprit du pacte de 1943. Cette crise dégénère en une guérilla entre loyalistes et insurgés, et ne peut être stoppée que par une intervention américano-britannique et la nomination d’un nouveau président respecté au sein de toutes les communautés (Fouad Chehab) et de la nomination au poste de premier ministre du leader de l’insurrection (Rachid Karamé).
L’équilibre retrouvé ne va durer qu’un temps et les motifs de discorde ne vont faire que s’accumuler pour aboutir à la guerre civile de 1975.
3. La guerre civile aboutit à l’idée qu’il faut dépasser ce système (1975-1990)
La guerre du Liban qui a fait, selon les estimations, entre 130 000 et 250 000 victimes civiles commence traditionnellement le 13 avril 1975. C’est à cette date qu’une voiture envoyée par le Parti social nationaliste syrien tente d’assassiner pendant l’inauguration d’une église le chef des phalanges libanaises Pierre Gemayel. Cette attaque suivie de représailles sera le début d’une guerre civile longue de quinze années.
Cependant, l’attaque ne peut pas être considérée comme la seule cause de déclenchement de la guerre civile. Les facteurs déclenchant sont plus profonds et viennent autant d’un dysfonctionnement interne de l’Etat libanais dû au système confessionnel, qu’à des facteurs extérieurs reliés aux tensions géopolitiques du Moyen-Orient.
Parmi ces facteurs, nous pouvons considérer tout d’abord l’évolution démographique des différentes communautés. Comme nous l’avons déjà dit, l’équilibre d’un système confessionnel est étroitement lié au poids démographique de chaque communauté, et doit, en principe, être régulièrement modifié pour suivre leurs évolutions. Le Liban n’a jamais effectué d’autre recensement de sa population que celui de 1932. Pourtant, deux tendances de fonds ont grandement affecté la démographie du Liban. En effet, la forte natalité dans les communautés musulmanes et particulièrement chiites, conjuguée avec une fort émigration des communautés chrétiennes (en particulier vers l’Amérique et l’Afrique) font que le Liban qui était légèrement majoritairement chrétien devient majoritairement musulman.
Le non-suivi de ces tendances démographiques dans la répartition du pouvoir a contribué à attiser le mécontentement des communaut��s musulmanes qui estimaient ne pas être assez représentées compte tenu de leur poids au sein de la population.
Un autre facteur de mécontentement vient du fait que la vie politique libanaise est entachée d’affaire de corruption, de favoritisme ou népotisme qui obligent parfois les fonctionnaires a démissionner par dizaines. Cette vie politique troublée voit aussi de nombreux désaccords entre les communautés particulièrement sur les questions de politiques extérieurs et sur la question palestinienne.
En effet, les camps de réfugiés palestiniens du sud Liban pose un problème que l’Etat n’arrive pas à régler. Ces camps servent de base pour des opérations contre Israël. Le Liban tente en 1969 de reprendre la main sur ceux-ci mais n’y arrive pas. Un accord signé entre le commandant de l’armée libanaise et celui de l’OLP (Yasser Arafat) sous l’égide de Nasser qui aboutit à une sorte d’Etat dans l’Etat où il est reconnu que les réfugiés palestiniens peuvent mener des attaques contre Israël à partir de leurs camps libanais.
La question palestinienne provoque des tensions à l’intérieur du Liban mais aussi avec ses pays voisins. En effet, les palestiniens n’hésitant pas à attaquer Israël à partir du Liban provoquent des crises diplomatiques et militaire entre les deux pays. La Syrie se sent aussi concernée par cette question du fait que la majorité des réfugiés palestiniens sont des sunnites ; celle-ci, dirigée par Hafez el-Assad, un chiite de la branche alaouite, ne veut pas que ceux-ci prennent plus de poids dans la société libanaise. Nous avons déjà mentionné l’alliance entre les communautés chrétiennes et chiites au sujet de l’opposition à la naturalisation des palestiniens de crainte de se retrouver « dilués ».
Paradoxalement, la liberté d’expression dont jouissait le Liban a été aussi un facteur de déstabilisation. En effet, de nombreux leaders et opposants aux régimes en place au Moyen-Orient trouvèrent refuge au Liban. Ceux-ci ont permis la montée d’idée extrémiste et favorisé l’instrumentalisation des questions religieuses.
Cependant, la guerre civile libanaise ne peut pas être lue selon une division de la population entre chrétiens et musulmans mais met en jeu des rapports de forces complexes entre toutes les sectes de chaque communauté. Chacune cherchant à conserver ou augmenter son pouvoir en s’alliant parfois avec l’adversaire de ses adversaires.
La guerre civile a connu des temps forts et des temps faibles avec parfois l’intervention des forces armées de pays tiers (Syrie en 1976, Israël en 1982…) ou par des tentatives de maintien de la paix par des organisations internationales (Force arabe de dissuasion 1976, FINUL 1978…) mais ce n’est finalement qu’en 1989 que le début d’une solution est trouvée.
Le 22 octobre 1989 est signé l’accord de Taëf entre les députés libanais élus en 1972, sous l’égide de l’Égypte, de l’Algérie et du Maroc.
Cet accord prévoit tout d’abord un rééquilibrage du pouvoir entre les différentes communautés religieuses du pays avec une plus grande place faite aux musulmans.
Ensuite, il est prévu un désarmement de toutes les milices qui ont proliféré durant la période d’instabilité. Ceci est progressivement accompli à l’exception de la milice chiite du Hezbollah créée en 1982 et qui se considère comme une force de résistance à Israël.
Enfin, il est décidé que l’armée et les services de renseignements syriens présents sur le territoire libanais devaient quitter le pays, chose qui ne sera réellement faite qu’en 2005.
L’accord de Taëf met donc fin à une guerre civile qui aura duré quinze ans en rééquilibrant le pouvoir entre les communautés et en essayant de s’affranchir des contraintes extérieures. Malgré cela, le pacte national et le sentiment d’appartenance au Liban par toutes les communautés ne semblent pas avoir été revigoré par cet accord.
4. Période 1990-2011 : le confessionnalisme se maintient, entre instabilité politique et paralysie politique
Depuis la fin de la guerre civile, on peut constater que la vie publique au Liban reste troublée, tant sous l’occupation syrienne que depuis son retrait du sol libanais. Avant le départ de la Syrie, le Liban connait plusieurs vagues de contestation populaire (notamment en 1992, puis en 2000, avec en particulier une forte contestation étudiante). Depuis le retrait de la Syrie règne une forte instabilité politique, malgré la démarche de réconciliation nationale entamée par les politiques libanais (notamment le « dialogue national » souhaité par le président Sleiman). Les gouvernements successifs connaissent des crises et les démissions de membres du gouvernement sont monnaie courante face à l’impossibilité de trouver des consensus. De plus, desassassinats politiques sont perpétrés (Rafic Hariri en 2004, qui donne lieu à la création du Tribunal spécial du Liban) et des affrontements armés éclatent lorsque les tensions sont trop fortes (notamment à Tripoli et à Beyrouth).
Un rapide rappel des faits nous permet d’illustrer ce constat : en 2004, une manipulation de la Syrie pour maintenir le président Emile Lahoud au pouvoir alors que son mandat s’achèvent et ne peut être prolongé selon la loi, provoque la démission de Rafic Hariri. Peu après, Rafic Hariri est assassiné ainsi que 22 autres personnes. C’est l’évènement déclencheur de la « Révolution du Cèdre » (ou « printemps de Beyrouth »), mouvement qui aboutira au retrait des troupes syriennes. En 2008, la fin du mandat du président Emile Lahoud, remplacé par Michel Sleiman, ouvre une période de crise durant laquelle le Liban reste sans gouvernement jusqu’à l’intervention armée du Hezbollah. La fin du conflit est marquée par la signature des accords de Doha entre la majorité et l’opposition. En janvier 2011, le gouvernement de coalition dirigé par Saad Hariri s’effondre après la démission de plusieurs ministres proches du Hezbollah à propos de la coopération avec le Tribunal spécial du Liban. En juin 2011, le premier ministre Najib Mikati parvient à mettre en place un gouvernement (incluant 18 ministres alliés du Hezbollah). Les objectifs du nouveau gouvernement sont d’améliorer la situation économique et sociale, ainsi que de préserver la stabilité et l’unité du pays et enfin de respecter les résolutions des nations unies et les obligations internationales du Liban (notamment concernant le TSL).
Face à ce constat, on peut se demander dans quelle mesure le maintien du système confessionnaliste permet d’expliquer cette instabilité. En effet, si la guerre civile avait aboutit à l’accord de Taëf et à l’idée qu’il fallait dépasser le confessionnalisme politique, progressivement, hormis les réformes citées précédemment, la démarche n’est pas poursuivie. Pourtant, suite à la révision de 1990, est inscrit dans le Préambule de la Constitution le principe selon lequel « Abolition du Confessionnalisme Politique : abolir le confessionnalisme politique est un objectif fondamental national. Pour se faire, il est nécessaire que des efforts soient réalisés selon un plan progressif. La Chambre des Députés élue sur la base d’un partage égal entre Chrétiens et Musulmans devrait adopter les mesures nécessaires pour atteindre cet objectif et former un Conseil National […] La tâche du Conseil sera d’examiner et de proposer les moyens permettant d’abolir le confessionnalisme, de les présenter à la Chambre des Députés et au cabinet, et de surveiller l’application du plan progressif. »
On peut considérer que le confessionnalisme a maintenu le réflexe du vote communautaire et a donc continué d’entretenir des tensions, en particulier en sunnites et chiites. En effet, les sunnites votent majoritairement pour la coalition du 14 mars (les loyalistes) alors que les chiites votent pour celle du 8 mars (l’opposition).
Cependant, au-delà de la question du confessionnalisme, c’est aussi la question des relations avec la Syrie qui reste centrale, comme le prouvent les coalitions qui se sont formées suite à la révolution du Cèdre, phénomène qu’on appelle parfois le « schisme libanais » entre pro-syriens et anti-syriens.
En effet, le 8 mars 2005, un mouvement faisant suite à un appel lancé par le Hezbollah rassemble 800 000 personnes. Ce mouvement est en faveur de la Syrie. Le 14 mars, 1 million de manifestants, soit environ un quart de la population, se rassemblent et réclament le départ de la Syrie, l’indépendance, la liberté, et l’unité du Liban. Ces deux positions qui divisent depuis longtemps la population libanaise donnent naissance à deux coalitions politiques (respectivement du 8 et du 14 mars). Finalement, la « révolution du Cèdre » aboutit au retrait des troupes syriennes mais la naissance de ces deux mouvements opposés met en question l’unité du Liban et son désir d’indépendance.
Comme nous l’avons déjà évoqué, il y a derrière ces deux coalitions, des réalités communautaires, si bien que le schisme libanais ne correspond pas seulement à une position vis-à-vis de la Syrie. D’une part, la coalition du 14 mars regroupe les « loyalistes », anti-syriens, chapeautée par les sunnites. Elle est composée des sunnites du Courant du futur, de Saad Hariri et de plusieurs partis chrétiens.D’autre part, la coalition du 8 mars ou l’ « opposition », pro-syrienne, est chapotée par les chiites ; elle inclue les partis chiites Amal et Hezbollah et des partisans de l’ex-général chrétien Michel Aoun.
Nous allons à présent nous demander comment le système politique pourrait évoluer.
5. Vers quel autre système ?
Comme expliqué précédemment, l’article 95 de la Constitution de 1926 reconnaissait le caractère transitoire du système confessionnaliste, l’accord de Taëf réaffirme l’idée qu’il faut dépasser ce système : ” l’abolition du confessionnalisme politique est un objectif national primordial qui sera réalisé, par étapes, selon un plan “.
Enfin, d’après différents sondages, les libanais sont encore très partagés sur cette question de l’abolition du confessionnalisme. Il convient en effet de savoir si le moment est bien choisi mais aussi de considérer quel nouveau système le Liban mettrait en place.
Vers une démocratie laïque ?
Afin de déconfessionnaliser la vie publique, on peut pertinemment envisager pour le Liban le passage d’une démocratie consensuelle à une démocratie laïque, suivant l’exemple turc. Ce système repose sur le principe de la liberté de croyance et de culte et la séparation des domaines politiques et religieux. Le choix d’une démocratie laïque pose plusieurs questions et nous pouvons évoquer quelques problèmes pratiques, qui révèlent par ailleurs les questions théoriques.
Mais nous ferons remarquer tout d’abord que le vote reste majoritairement communautaire et que le parti de gauche laïque, ne remporte pas de succès électoral, il n’a que très peu de députés au parlement.
Appartenance communautaire et nationale
Il faut considérer que le Liban, avec ses frontières actuelles – bien que remises en causes à la fois par la Syrie et par Israël-, est un pays jeune (1920), et l’indépendance du Liban est encore plus récente (1943). Les positions des libanais vis-à-vis de la Syrie prouvent que le désir d’indépendance et le sentiment d’appartenance nationale ne sont pas partagés par tous les libanais. Par contre, les communautés religieuses sont des réalités bien plus anciennes. Les appartenances communautaires sont donc très profondément ancrées dans l’esprit des libanais, et sans doute priment-elles encore pour beaucoup sur le sentiment d’appartenance nationale. Se profile alors le risque de voir certains politiques continuer d’agir dans l’intérêt d’une communauté plutôt que dans celui du Liban, sous quelque prétexte que ce soit, et qu’en conséquence d’autres communautés se retrouvent marginalisées. Finalement n’est-il pas encore trop tôt pour faire du Liban une démocratie laïque ?
Le risque de la marginalisation
Toujours est-il que la crainte de la marginalisation est bien réelle chez certaines communautés et notamment chez les chrétiens maronites, qui est pourtant une des trois communautés les plus importantes par le nombre (mais dont la population décroît en raison de l’émigration). Le patriarche maronite ne s’est pas en principe hostile à la fin du confessionnalisme mais a précisé que les réflexes d’appartenance communautaire ne disparaîtraient pas avant plusieurs générations.
La question de l’émigration des chrétiens
Le phénomène d’émigration des chrétiens du Liban, et par extension du Moyen-Orient fait par ailleurs disparaître une certaine diversité, une richesse culturelle ainsi que la nécessité du dialogue inter-religieux. Plus précisément, pour le Liban, si on considère les conflits violents qui opposent les communautés sunnites et chiites dans le reste du Moyen-Orient, on peut craindre la perte d’importance de la communauté maronite, qui a sans doute un rôle à jouer pour maintenir un équilibre au sein du pays et éviter la reproduction au Liban d’une opposition sunnites-chiites comme dans certains pays voisins.
La question du statut personnel des libanais
La fin du confessionnalisme et l’éventuelle mise en place d’une démocratie laïque poserait de nouveau la question du champ du droit et impliquerait a priori des modifications du droit civil.
Le droit civil libanais concerne aujourd’hui le droit patrimonial de la famille et la succession des biens, mais pas le mariage. Concernant le mariage, les musulmans sont soumis à la Charia avec quelques différences suivant qu’ils soient chiites, sunnites ou druzes, et les chrétiens au droit canon. Les libanais sont très divisés sur la question du mariage. Les chiites par exemple, y sont en général défavorables.
Par ailleurs ceux qui sont favorables à la suppression de la répartition des fonctions politiques en fonction des confessions ne sont pas nécessairement les mêmes qui sont favorables au mariage civil (cf. annexe). Par exemple, les chiites sont en majorité favorables à la première réforme mais défavorables au mariage civil (alors qu’ils sont pourtant en majorité favorables à la fin du confessionnalisme pour ce qui concerne le gouvernement). Les chrétiens eux sont en général favorables au mariage civil.
La montée en puissance du Hezbollah
Le Hezbollah créé en 1982, participe au parlement pour la première fois en 1992. Il entre au gouvernement libanais en 2005, avec un ministère sur 24 et 14 députés sur 128. Depuis juin 2011, la coalition du 8 mars, pro syrienne, incluant le Hezbollah, est au pouvoir. Le gouvernement Mikati comprend 18 ministres alliés du Hezbollah (sur 30 ministres) et notamment à la tête des ministères de la justice et de la défense. L’influence du Hezbollah est indéniable et s’est amplifiée ces dernières années. Or le Hezbollah étant la première force militaire au Liban, devant l’Etat libanais, on peut interroger la légitimité du pouvoir acquis par le Hezbollah. La question des libertés (liberté d’expression, liberté de vote, etc) est en jeu dans un pays marqué par la présence de milices, où l’Etat n’a pas le monopole de la violence. L’ONU a voté en 2004 une résolution exigeant le désarmement des forces non-gouvernementales au Liban. Les accords de Doha en mai 2008 n’ont pas abordé le désarmement du Hezbollah, alors que celui-ci venait les employer pour hâter la formation d’un gouvernement.
Sur le plan politique, le Hezbollah prônait jusqu’en 1990 l’établissement d’une République islamique, puis a reconnu dans un texte l’impossibilité d’un tel projet dans la situation particulière du Liban et l’a repoussé à un avenir hypothétique. Est-ce un risque pour la démocratie libanaise ? Néanmoins, plus son influence augmente, plus le Hezbollah s’ouvre au dialogue et on peut considérer que son ouverture et l’assouplissement de son discours sont nécessaires s’il veut maintenir son pouvoir.
Conclusion :
Le confessionnalisme est un système qui a le mérite de prendre en compte les réalités communautaires du Liban. On peut considérer que le système exacerbe les tensions communautaires, ou alors considérer qu’il essaie de prendre en compte cette réalité centrale du pluralisme religieux au Liban et d’inciter au dialogue.
Par contre le choix d’un tel système révèle la difficulté d’atteindre un consensus, lorsque les enjeux sont économiques, politiques, et idéologiques. Si la vie politique au Liban est souvent instable, les causes sont multiples et le système confessionnaliste n’en est pas nécessairement la cause principale, néanmoins sans doute entretient-il certaines difficultés. Néanmoins, le manque de courage politique et les manipulations des réflexes communautaires sont aussi en cause.
D’autre part, si le confessionnalisme est considéré comme un système qui a terme doit disparaître, « l’envie de changement » ne doit pas conduire à une situation qui serait pire pour les populations, que ce soit par le renforcement d’un pourvoir illégitime au détriment de la démocratie et des libertés, ou par désir d’appliquer une démocratie laïque qui ne conviendrait pas nécessairement, ou pas encore au pays.
Sources
Les cycles du Moyen Orient, Novembre 2013
L’espace politique , Novembre 2013
Courrier international, Novembre 2013
Rapport de la CCI de Paris sur l’économie libanaise, Novembre 2013
Presses de l’Ifpo, Novembre 2013
France diplomatie , Novembre 2013
Institute for the Study of Secularism in Society and Culture, Novembre 2013
Sénat , Novembre 2013
Thèse, université Lyon 3, Novembre 2013
Le Liban: itinéraires dans une guerre incivile ; par Ahmad Beydoun, Novembre 2013
Bilan des guerres du Liban, 1975-1990, par Boutros Labaki,Khalil Abou Rjeily, Novembre 2013
Monde diplomatique , Novembre 2013
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