Malgré la persistance de fortes oppositions tant au niveau des ressources que des populations entre l’intérieur du pays et la côte, quels sont les versants de la récente volonté de développement économique du Suriname ?
1. Introduction
La République du Suriname est une ancienne colonie néerlandaise située sur la côte Nord-Est de l’Amérique du Sud. Les colons néerlandais s’y installent en 1667 et intègrent le Suriname au commerce triangulaire, faisant du pays une terre d’esclavage qui ne sera aboli qu’en 1863. Le 25 novembre 1975, la République du Suriname est déclarée indépendante, acte qui sera suivi en 1980 par un coup d’Etat militaire perpétré par le sergent Desiré Delano Bouterse dit Desi Bouterse. En 1986, la guerre civile fera rage jusqu’au rétablissement de la démocratie en 1991. Finalement, le très controversé Desi Bouterse issu du Parti National Démocratique (NDP) revient au pouvoir par les urnes en 2010. Il est ensuite réélu président du Suriname en 2015.
Depuis le 23 mai 2008, le pays est membre de l’organisation UNASUR (Union des Nations Sud-Américaines), initiative multilatérale de communauté économique intégrant deux unions douanières présentes en Amérique du Sud : le Marché Commun du Sud (Mercosur) et la Communauté Andine (CAN). Sa monnaie est le dollar surinamien (SR$). Les carences en matière d’éducation et de santé sont révélées par un IDH en 2015 moyen (0,725, 102ème rang sur 186), malgré des progrès accomplis. Avec une superficie de 163 820 km², le Suriname, amazonien géographiquement mais culturellement et historiquement caribéen, est le pays le plus faiblement peuplé d’Amérique du Sud avec une densité de population de 3,58 hab/km2. Avec la Guyana et la Guyane, le Suriname est situé sur le « plateau des Guyanes » où il partage ses frontières avec la Guyane française à l’est, la Guyana anciennement anglaise à l’ouest, le Brésil au sud et l’Océan Atlantique faisant office de frontière au nord.
Le Suriname a également hérité de l’histoire une extrême diversité ethnique. La population de 591919 habitants en 2017 est constituée de deux principaux groupes : les Créoles, descendants d’esclaves noirs et de Blancs qui étaient majoritaires en 1961 et les Hindoustanis, d’origine indienne. Cette proportion s’est inversée au début des années 1970 pour ne plus notablement évoluer par la suite. En 2015, les Hindoustanis représentaient environ 30% de la population totale, les Créoles 19%, les Javanais d’origine indonésienne 16%, les Noirs marrons ou Bosnegers 16%, les Métis 14%, les Amérindiens 4% et les chinois 2% au vu de leurs récents investissements au Suriname. La langue officielle du Suriname est le néerlandais mais l’anglais est très largement parlé. A l’image de cette diversité ethnique, plusieurs dialectes sont pratiqués : le Sranang Tongo, surinamais, parfois appelé Taki-Taki qui est la langue maternelle des créoles, l’antillais des Caraïbes (un dialecte de l’hindi) et le javanais.
La capitale, Paramaribo, est occupée en majorité par les créoles qui ont la main mise sur les emplois administratifs et les chinois qui se chargent du commerce. Les afros-créoles occupent des emplois de travailleurs et chômeurs urbains, de soldats et de policiers. Les euro-créoles forment une strate supérieure de la bureaucratie d’Etat : professions libérales, hauts postes de l’armée et de la police. La hiérarchie économique et sociale est donc étroitement liée à une perception de la société en “castes” ethniques. L’intérieur du pays est quant à lui davantage peuplé d’Améridiens et bénéficie d’une certaine homogénéité culturelle et ethnique (Lezy, 2002).
Les religions sont également très variées : catholicisme, protestantisme, judaïsme, islamisme, hindouisme (avec ses deux branches : traditionalisme Sanatan et réformisme aryen), confucianisme, winti des Bosnegers, cultes des Amérindiens (Graham, 2011).
2. Évaluation du risque politique
L’avenir du Suriname est aujourd’hui menacé par l’importance prise par la composante informelle de l’économie (estimée à 30-40% du P.I.B.), qu’il s’agisse de la contrebande liée à l’or, ancrée dans la tradition locale, ou du trafic de drogue dont le pays est devenu une véritable plaque tournante entre les producteurs sud-américains et les consommateurs européens et nord-américains. Les trafiquants bénéficient de complicités actives, particulièrement dans l’armée et dans l’entourage de Desi Bouterse, déjà condamné par Interpol en 2000 sur demande des Pays-Bas à seize ans de prison pour trafic de cocaïne et blanchiment d’argent sale. La part de l’économie informelle dans le PIB représenterait en effet 30% du PIB (COFACE, 2017). Mais durant son mandat entre 2010 et 2014, le président a bénéficié d’une immunité le protégeant et Interpol a retiré son mandat d’arrêt international. Face aux critiques extérieures, Desi Bouterse a nié toute implication dans le trafic de drogue et se dit victime de ceux qui ne chercheraient qu’à le discréditer et à ternir l’image du Suriname (RFI, 2015). Le 5 avril 2012, le Parlement surinamien (où le parti du président est majoritaire) a voté une loi d’amnistie mettant un terme à toutes les poursuites au Suriname contre Bouterse. Cependant, le passé criminel du président ainsi que les récentes accusations contre son fils, Dino Bouterse, n’inspirent pas confiance aux donateurs et investisseurs étrangers (environnement des affaires classé C par la COFACE en 2017).
La Chine fait exception, en augmentant sa présence dans les infrastructures, l’extraction de l’or et l’exploitation du pétrole offshore. Elle s’intéresse aussi à l’extraction de la bauxite, bien que cette ressource se raréfie. Ainsi, afin d’engranger la croissance, de tenter de se diversifier et d’exploiter aux mieux ses ressources, le gouvernement surinamien se tourne désormais vers l’intérieur du pays, riche en or, bauxite et aluminium et multiplie la vente de terrains « de l’intérieur » aux entreprises de prospection étrangères ou surinamiennes. Par ailleurs, le gouvernement tente d’encourager ces entreprises, par exemple dans le cas d’ALCOA, entreprise hydro-électrique qui a bénéficié de conditions favorables à son développement. Par ailleurs, l’accent veut être mis sur l’éco-tourisme. Cette volonté passe par la construction d’aéroports et d’hôtels situés dans l’intérieur du pays, doté d’une biodiversité extraordinaire et abondante. Bien que Desi Bouterse n’ait pas été invité à rejoindre l’Alternative bolivarienne pour l’Amérique (Alba) du président vénézuélien Hugo Chávez, il utilise une rhétorique populiste pour stimuler une plus grande collaboration avec le Venezuela.
Les frontières étant issues de découpages coloniaux remontant à 1975, elles ne sont pas précises et sont à l’origine de conflits avec ses voisins limitrophes qui sont la Guyana et la Guyane française (Annexe 1). Un exemple d’espace maritime contesté entre la Guyana et le Suriname a été celui situé dans la Baie de Guyana, au large de l’estuaire du Corentyne. Dès les années 1950, la répartition des richesses pétrolières de cette zone a créé de nombreuses tensions diplomatiques. La circulation transfrontalière difficile entre ces deux pays est la conséquence directe de ces tensions entre les deux Etats découlant de ces revendications maritimo-territoriales (De Vilhena Silva, 2017).
De plus, la guerre civile et le gouvernement miliaire de Bourterse ont entraîné une détérioration rapide de la situation économique et sociale du Suriname et l’écart de développement avec la Guyane voisine n’a fait qu’augmenter. Ainsi, grand nombre de surinamiens tentent d’accéder à l’UE via la Guyane française : 13000 personnes demandent chaque année un titre de séjour valable dans toute la zone Schengen (Courrier International, 2011). La frontière floue du fleuve Maroni n’est pas considérée par les populations locales et occasionne toute une palette de problèmes : un commerce informel s’est installé et la criminalité s’est développée. L’isolement culturel et géographique du pays a renforcé la détermination du Suriname à affirmer sa réclamation concernant les zones contestées. Les réclamations sont ainsi devenues une partie intégrante de la culture nationale même si elles donnent davantage l’impression d’une contestation « de fond » concernant l’existence même des Etats, mais ayant renoncé à régler le différend. Les conflits qui résultent des frontières sont donc rarement violents mais entretiennent dans la région une situation de non-droit (Lezy, 2002).
Enfin, l’exploitation de l’intérieur du pays, induite par la volonté de développement de l’économie surinamienne est à l’origine de deux véritables enjeux pour le pays : celui du conflit avec les populations locales amérindiennes qui y vivent et celui de la préservation de l’environnement. Le vide juridique concernant le pays intérieur, issu de l’hésitation des gouvernements entre intégration nationale et reconnaissance d’une certaine autonomie amérindienne, est en fait comblé par une exploitation plus ou moins officielle des ressources naturelles, aux dépens d’un milieu naturel. Le risque de perte de souveraineté que certains organismes font peser sur l’autonomie des amérindiens est en fait un écran de fumée autorisant le pillage des richesses du milieu naturel et humain (Lezy, 2000).
D’abord, on assiste à une véritable ruée vers l’or de la part des brésiliens (appelés les garimpeiros) venant de la frontière sud du Suriname et des chinois. Cette immigration soudaine et pour l’essentielle illégale opère un changement dans la structure culturelle et sociale de l’intérieur, originellement composée de Marrons et de peuples indigènes. Ces flux impactent sérieusement sur la cohésion sociale et engendre des conflits violents entre les communautés surinamiennes traditionnelles et les groupes d’immigrants. Les autorités surinamiennes n’exercent aucun contrôle sur cette immigration, ni sur ses conséquences. A ce titre, l’exemple du conflit ayant lieu à Papatam montre à quel point les tensions sont exacerbées. En effet, en décembre 2009, le meurtre d’un Marron par un Brésilien a engendré des conflits incluant incendies, agressions, viols et vols (Menke, 2012).
Par ailleurs, la vente des terres par le gouvernement à des entreprises privées ou la construction d’aéroports et d’hôtels engendrent le déplacement forcé des populations indigènes locales, déplacement qui se heurte à leurs croyances et traditions qui veulent que l’on vive et meurt sur la terre de ses ancêtres. Le concept de propriété individuelle leur est totalement hostile et ils s’opposent à l’achat de terrains individuels ou au fait de quitter leurs terres natales. D’autre part, il s’avère que le gouvernement, corrompu par les pots-de vin, fasse preuve de favoritisme quant aux droits de propriété, accordant davantage de concessions d’exploitation minière aux entreprises étrangères et Surinamiennes plutôt qu’aux populations locales. Par exemple, pour favoriser le développement de l’entreprise d’aluminine SURALCO, le gouvernement lui a accordé des droits de propriété et d’utilisation d’eau, au détriment des populations y vivant, les contraignant à changer de lieu d’habitation. Ce favoritisme contribue à augmenter les inégalités économiques et sociales dont souffrent les populations indigènes. A titre d’exemple, ces tensions se sont cristallisées au sein du village de Maripaston en octobre 2011 où de violents conflits ont éclatés. La situation a complètement dégénérée, les employés d’une entreprise de sécurité tirant sur des chercheurs d’or illégaux qui refusaient de quitter une mine d’or (Menke, 2012).
3. Évaluation des risques économiques et financiers
2014 | 2015 | 2016 | |
PIB par habitant (USD) | 9539 | 9360 | 9230 |
Croissance du PIB (%) | 0,4 | -2,7 | -10,5 |
Taux d’inflation (moyenne annuelle) | 3,4 | 6,8 | 67,1 |
Solde budgétaire (en % du PIB) | -6,8 | -7,5 | -10,3 |
Solde courant (en % du PIB) | -3,9 | -7,4 | -9,4 |
Dette publique (en % du PIB) | 30,8 | 29,3 | 40,7 |
L’économie au Suriname est fortement dépendante de ses exportations d’or, de bauxite, du pétrole qui représenteraient près du tiers du PIB et des recettes fiscales du pays. En 2016, l’activité économique s’est fortement contractée en raison de la faiblesse du prix des matières premières et d’un ensemble de mesures budgétaires et monétaires qui ont affecté la demande interne. Après une dévaluation de la monnaie de 20% fin 2015, la banque centrale a décidé d’abandonner l’ancrage flottant de la monnaie au dollar ce qui a contribué à une baisse de la demande interne avec une forte croissance du taux d’inflation et la hausse des prix des biens de consommation importés en 2016.
De plus, de nombreuses mesures d’austérité ont été menées par le gouvernement depuis la réélection du président Bouterse telles que la hausse des taxes sur les carburants et l’élimination progressive des subventions sur l’eau et l’électricité. Ces mesures gouvernementales ont également contribué à la baisse de demande interne et notamment de la consommation des ménages affectés par la baisse de leur pouvoir d’achat. Ces mesures d’austérité demeurent donc très impopulaires et affectent l’image du gouvernement auprès de la population. Le Suriname n’appartient cependant plus à la catégorie des pays à revenus faible puisqu’il affiche en 2017 un revenu par habitant d’environ 9 230 USD (augmentation d’un tiers par rapport à 2006) et devenant ainsi un pays à revenu moyen.
Les performances du secteur agricole, qui s’appuient fortement sur la culture du riz et de la banane, devraient bénéficier de la dissipation de l’effet climatique El Nino. Ce secteur représente 12% du PIB et occupe 11,2% de la population active mais ne couvre pas la totalité des besoins alimentaires du pays. La structure agraire est largement déséquilibrée par le morcellement des petites exploitations. Le riz constitue la principale culture commerciale : il occupe 50% des terres cultivées, en particulier dans les polders de l’Ouest. Parmi les autres ressources agricoles figurent les bananes, le sucre, les fruits tropicaux ainsi que les produits de la pêche, tels que les poissons et crevettes, et les dérivés du bois, qui sont massivement exportés et représentaient 1,449 milliard de dollars en 2016. Cependant, la forte dépendance du pays à l’égard des importations de produits alimentaires (environ 70% des besoins alimentaires importés) requiert la mise en place d’une stratégie agricole.
L’économie du Suriname est dominée par l’industrie minière (31% du PIB), les exportations de pétrole et d’or représentant environ 85% des exportations et 27% des recettes publiques ce qui rend l’économie très vulnérable à la volatilité des prix des minéraux. La baisse mondiale des prix des produits de base et l’arrêt de l’extraction d’alumine au Suriname ont considérablement réduit les recettes publiques et le revenu national au cours des dernières années. Après 99 ans d’activité, une importante société américaine d’aluminium a récemment cessé ses activités au Suriname (CIA, 2017).
Les gisements sont exploités depuis 1915 principalement par des compagnies américaines, néerlandaises et canadiennes. Le développement industriel est également fondé sur le barrage hydroélectrique de Brokopondo, qui a permis l’implantation d’usines de déroulage du bois et surtout la transformation de la bauxite en alumine et en aluminium. Ainsi, le manque de diversification et la dépendance excessive du gouvernement vis-à-vis des revenus du secteur extractif influence les perspectives économiques du Suriname. Ainsi, la Banque Centrale a dévalué la monnaie surinamienne de plus de 20% en 2015 suit à la forte baisse des prix du pétrole et de l’or, ressource caractéristique du Suriname. Cependant, la mise en production de la mine d’or de Merian, en octobre 2016, et la fin des travaux d’expansion de la raffinerie de Staatsolie devraient contribuer à la hausse des exportations (COFACE, 2017).