Jeudi 10 mai : Le sommet historique entre le président américain Donald Trump et le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un aura finalement lieu le 12 juin à Singapour, a annoncé le président américain dans un tweet : « La rencontre très attendue entre Kim Jong-un et moi aura lieu à Singapour le 12 juin. Nous allons tous deux essayer d’en faire un moment très important pour la paix dans le monde ! ».
Jeudi 24 mai : Le président américain, Donald Trump, a fait savoir dans une lettre adressée jeudi 24 mai au dirigeant nord-coréen, Kim Jong-un, que leur rencontre prévue à Singapour le 12 juin n’aura pas lieu, en raison de l’« hostilité » montrée par Kim Jong-un dans ses dernières déclarations.
Vendredi 25 mai : Donald Trump a surpris aujourd’hui en affichant son optimisme sur les discussions avec Pyongyang, évoquant le possible maintien de ce rendez-vous. « Nous leur parlons en ce moment », a-t-il déclaré depuis les jardins de la Maison Blanche. « Ils veulent vraiment le faire. Nous aimerions le faire », a-t-il ajouté, interrogé sur la possibilité que cette rencontre se tienne. « Nous verrons ce qui va se passer », a-t-il encore dit, reprenant une formule maintes fois répétée, avant de lancer , sans autre précision, que la rencontre « pourrait même avoir lieu le 12 [juin] ».
S’il y a une cohérence qui se dégage de cet enchaînement d’événements, c’est bien la volatilité et l’instabilité de la politique étrangère américaine sous l’administration Trump. Ce sentiment est d’autant plus renforcé qu’en un an de présidence l’ancienne star de la télévision a entrepris de détricoter les principaux traités conclus sous le mandat de Barack Obama. Renvoyant ainsi une perte de confiance, déjà bien amoindrie, envers la parole américaine. Bien qu’il est difficile de juger une politique étrangère après seulement un an de présidence, quelques traits principaux semblent tout de même se dégager des décisions américaines en la matière. Tout d’abord, il n’est pas, ici, question du style ou de la personnalité du président états-unien, mais de stratégie, de vision politique. La personnalité et le style du président Trump sont assez facilement reconnaissable. Ils s’apparentent à une forme d’affairisme. Donald Trump semble fonctionner aux pressions, aux marchandages, dans un style connu des milieux d’affaires, d’où son goût immodéré pour le terme de « deal », notamment lors des négociations internationales.
Trois grandes orientations semblent guider la politique étrangère des Etats-Unis sous la présidence du magnat de l’immobilier : la volonté de choyer son propre électorat, d’améliorer les profits du complexe militaro-industriel états-unien, et celle de remettre en cause le multilatéralisme.
Entretenir son propre électorat
La volonté première guidant la politique étrangère actuelle des Etats-Unis est celle de maintenir proche de lui son électorat. Ce dernier pourrait être qualifié d’anti-libre échange, pro-Israël, climato-sceptique et, surtout, anti-Obama.
Lutte contre le libre échange
La campagne présidentielle de Donald Trump a été marquée par son fort refus du libre-échange. L’axe de sa campagne était en effet de s’adresser aux « perdants de la mondialisation », les membres de la classe ouvrière blanche du Midwest notamment. Pour eux, le libre-échange a fait fuir les emplois industriels du pays au profit des acteurs émergents comme la Chine. Suivant cette vision, Donald Trump a entreprit de quitter les négociations pour le traité de libre-échange TPP (Trans-Pacific Partenrship Agreement), devant intégrer les économies des zones Asie-Pacifique (sans la Chine) et des Amériques. De plus, il a su se montrer très critique envers le Tafta (ou TTIP) prévoyant la création d’une zone de libre-échange entre l’Union Européenne et les Etats-Unis. Cependant, les négociations sur ce point sont toujours en cours et les états-uniens n’ont pas quitté l’accord. On retrouve aussi, concernant ces deux accords, la logique de se montrer comme l’anti-Obama. Ces deux accords ayant été négocié sous le mandat précédent, Donald Trump les considère comme très mauvais par principe.
Suivant cette logique, le président américain a aussi entamé une « guerre commerciale » a destination de la Chine en taxant plus fortement les importations d’aciers et d’aluminium. Cependant, la semaine dernière, le vice-premier ministre chinois, Liu He, dont les propos ont été rapportés par l’agence officielle Xinhua, affirmait : « Les deux parties sont parvenues à un consensus. Elles ne s’engageront pas dans une guerre commerciale et elles n’augmenteront pas les droits de douane respectifs ». Pour ce cas précis la logique de toujours rechercher le meilleur « deal » semble avoir primé sur les promesses de campagne. En effet, la limitation des sur-excédents chinois en acier et aluminium suffisent à montrer l’image d’un président fin négociateur commercial.
Enfin, toujours dans ce registre anti-libre échangiste, les Etats-Unis cherchent, depuis l’élection de Trump, à renégocier l’ALENA, l’accord de libre échange d’Amérique du nord. Mais cela n’a, pour l’instant, pas été concluant, selon un communiqué envoyé par le représentant au commerce des États-Unis, Robert Lighthizer, jeudi 17mai. Les désaccords resteraient majeurs dans la renégociation de l’accord de libre échange nord-américain et il a évoqué des « divergences profondes sur la propriété intellectuelle, l’accès aux marchés agricoles, les standards minimaux, l’énergie, le travail, les appellations d’origines, et beaucoup de choses encore ».
Pro-Israël
Autre priorité de l’électorat de l’actuel président états-unien, la défense de l’Etat d’Israël. L’influence importante de la partie de ses électeurs évangélistes et traditionalistes, proche des visées messianiques des sionistes religieux, explique la décision de déplacer l’ambassade américaine d’Israël à Jérusalem. Cette décision renvoie aussi à la volonté de se démarquer de son prédécesseur, critique de la politique israélienne, bien qu’assez passif dans ce domaine. Par ailleurs, dans le but de satisfaire cet électorat, les Etats-Unis se sont aussi retiré de l’UNESCO considérée comme pro-palestinienne, soutiennent un rapprochement entre l’Arabie Saoudite et Israël face à l’Iran, et se sont retiré du JCPOA encadrant les activités nucléaires iraniennes. La encore, sur ce point précis du retrait de l’accord sur le nucléaire iranien, la volonté est aussi de détruire les restes de la politique étrangère de Barack Obama.
Climato-sceptique
Donald Trump a aussi su séduire son électorat par un discours climato-sceptique privilégiant l’emploi et le développement économique à la lutte contre le réchauffement climatique. Et cela explique bien un des coups d’éclat du président états-unien sur la scène internationale, le retrait des Etats-Unis de l’Accord sur le climat de Paris. On voit encore ici une logique anti-Obama à l’œuvre. Cependant, malgré la signature de l’Accord de Paris, les Etats-Unis n’ont jamais été un exemple de respect de la biodiversité et de la baisse des émissions de gaz à effet de serre.
Améliorer les profits du complexe militaro-industriel américain
Deuxième constante dans la politique étrangère de Donald Trump, sa volonté de renforcer le complexe militaro-industriel américain (CMI). Ce terme peu digeste renvoie, dans un sens large, à l’ensemble constitué par l’industrie de l’armement, les forces armées et les décideurs publics d’un gouvernement ainsi que le jeu de relations complexes, comme le lobbying, entre ces trois pôles destinés à influencer les choix publics. Le Complexe américain a des origines lointaines. On pourrait en trouver quelques-unes dans la structure du pouvoir américain tel qu’il s’organisa à l’occasion de la Guerre de Sécession, puis la Première Guerre Mondiale. Mais il prit réellement de l’importance et de l’influence à compter de la Seconde Guerre Mondiale et surtout de la Guerre Froide. Le CMI est aujourd’hui particulièrement influent au sein de l’administration de Donald Trump, comme en atteste les nominations du président, sa politique européenne et ses visées au Moyen-Orient.
La forte présence de représentants du CMI due aux difficiles nominations dans l’administration
En arrivant à la Maison Blanche un problème de taille se pose à tous les présidents états-uniens, ils doivent nommer près de 4000 personnes qui composeront leur administration. A ce grand jeu d’influences entre les différents services composant l’administration américaine, Donald Trump ne ressort pas, loin de là, comme le meilleur « nominator ». En effet, près de six mois après son élection, peu de postes se sont vus attribué leurs fonctionnaires. Par ailleurs, certaines nominations doivent être confirmé par le Sénat, et cela prend étonnamment beaucoup plus de temps concernant l’équipe de l’actuel président que pour ses prédécesseurs.
En étudiant les personnes déjà nommées, on remarque que la plupart sont des représentants du CMI. A titre d’exemple, on peut citer John Bolton, l’ex-ambassadeur à l’ONU au franc-parler certain et ne cachant pas son attrait pour la politique interventionniste du président G. W. Bush. De même, bien que défenseur d’une ligne plus diplomatique et conciliante, on peut remarquer l’influence du général Jim Mattis, Secrétaire d’Etat à la Défense.
Une politique européenne et eurasiatique pro-CMI
Cette influence du CMI ressort particulièrement de la politique européenne et eurasiatique de Donald Trump. Bien qu’ayant mené une campagne pro-Poutine et voulant l’apaisement des tensions avec la Russie, le candidat républicain a très vite changé son fusil d’épaule une fois installé à la Maison Blanche. Ce revirement peut être du à plusieurs facteurs. Tout d’abord l’affaire des ingérences russes dans la campagne présidentielle – mais est-ce vraiment une affaire – a , semble-t-il, poussé le président états-unien à durcir son discours vis à vis de Moscou. Ensuite, la culture de l’armée américaine et du Secrétariat d’Etat est fortement hostile à la Russie. Ceci s’explique par l’héritage de nombreuses années de Guerre Froide et la forte présence d’immigrés ou de descendant d’immigrés d’Europe de l’Est au sein du Secrétariat d’Etat, dont les plus célèbres sont H. Kissinger et Z. Brzeziński . A cela s’ajoute la nécessité pour le président Trump de faire avec la majorité républicaine du Congrès, qui, bien que faisant partie du même parti politique, n’a pas soutenu massivement loin de là sa candidature. A titre d’exemple, le très influent John McCain n’a jamais caché son antipathie à l’égard de la Russie.
Un des exemples d’une politique étrangère américaine en Europe bénéficiant au CMI est la pression exercé par l’administration Trump aux Etats de l’UE concernant l’OTAN. En déclarant cette institution obsolète, le président américain a mis la pression sur les Etats européens et surtout l’Allemagne afin que leur participation au budget de l’organisation atlantique soit revue à la hausse. Ceci, eu égard à la faiblesse des industries d’armement européennes en comparaison de leurs homologues états-uniennes pourra permettre l’achat d’armement américain en grande quantité, notamment dans les pays issu de l’ancien bloc communiste. Tout comme la visite et le soutien du président américain à l’Initiative des 3 mers amorcés par le groupe de Visegrad n’ont rien d’anodin. Les Etats-Unis affirment qu’ils défendront ces Etats russophobes, plus prompts à se tourner vers le parapluie américain que vers l’hypothétique ombrelle européenne.
Le suivi de la politique du CMI au Moyen-Orient
Concernant le Moyen-Orient, l’administration du président Trump vient renforcer une ligne classique du Pentagone, quelque peu mise de côté, mais tout de même toujours en vigueur, sous Barack Obama. Ainsi, le Pentagone a depuis 20 ans soutenu l’idée d’une l’alliance des pays arabes sunnites avec Israël face à l’ennemi commun iranien. Ceci dans un but idéologique mais aussi commercial, en atteste les achats massifs d’armements états-uniens par l’Arabie Saoudite et Israël. Par ailleurs, le retrait de l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA en anglais) confirme la ligne de « regime change » de l’administration américaine concernant le régime iranien. Ligne ardemment soutenu par John Bolton, nouveau Secrétaire d’Etat.
La remise en cause du multilatéralisme
Depuis 1945 les Etats-Unis ont mis sur pied un système international entremêlant les réunions, congrès et autre assemblées des Nations Unis, OMC ou FMI ; ceci dans le but de créer des lieux de règlement des conflits entre Etats. Pour Henry Kissinger le projet wilsonien de Franklin Roosevelt des « 4 policiers » dirigeant le monde, inspirateur du CSNU, n’a pu être mis en pleinement en fonction durant les 45 années de Guerre Froide. Ce monde bipolaire empêchait l’émergence de quelques puissances nouvelles pouvant concourir à un monde multipolaire.
Durant les 25 dernières années, les Etats-Unis n’ont eu de cesse de rappeler l’importance de ces réunions multilatérales, tant dans une volonté de stratégie nationale que dans un but moral et idéaliste. Pour autant, cela ne les a pas empêché de contrevenir à leurs engagements pris dans ce cadre multilatéral, par exemple en menant une guerre non soutenue par le CSNU en Irak. Stratégiquement, d’anciens secrétaires d’Etats ont affirmé que devant l’émergence de nouvelles puissances et le ralentissement des Etats-Unis, ces dernier devaient tenter de maintenir leur hégémonie culturelle et politique en préservant les institutions internationale d’essence états-unienne.
Il est possible de remarquer aujourd’hui que Trump prend une autre voie que celle du multilatéralisme. Ce dernier semble privilégier les liens bilatéraux et a entrepris de mettre la pression sur plusieurs instances multilatérales. S’inscrivent dans ce cadre l’annonce du 12 octobre 2017 de quitter l’UNESCO ; les menaces aux dotations de l’ONU et la volonté de réformer l’ONU, le retrait de l’Accord de Paris, ou encore les procès intentés contre les Etats-Unis à l’OMC par certains Etats. Pour autant, le choix de se retirer de toutes les organisations multilatérales ne peut s’affirmer que dans le temps long aux grès des crises et autres événements. Il est tout à fait possible que le président états-unien ne cherche, pour l’instant, qu’à alléger les dépenses américaines en faisant mettre la main à la poche aux autres puissances.
Les questions en suspends
La Corée du Nord
Les imprévus, crises et événements sont le propre de la politique étrangère. Donald Trump a peu parlé de la Corée du Nord lors de sa campagne, et alors que le sommet prévu le 12 juin avait été annulé, tout reste possible dans ce dossier. Les discussions ont déjà repris et le sommet lui même devrait avoir finalement lieu. Mais ces discussions pourraient aussi cesser immédiatement, comme cela s’est déjà vu par le passé, notamment sous G. W. Bush. Au mieux, il semblerait que D. Trump puisse obtenir une dénucléarisation de l’ensemble de la péninsule coréenne, hypothèse soutenue par la Russie et la Chine. Cependant, l’idée d’un changement de régime semble peu probable sans le soutien chinois, ce qui ne risque pas de se présenter, vu les réticences chinoises de voir un régime calqué sur le modèle sud-coréen, donc pro-américain, s’installer à sa frontière. Dans ce dossier, la volonté chinoise sera principale en vue de la résolution du conflit.
Conflit Israélo-palestinien
Selon le compte Twitter du président états-unien, le « deal du siècle » concernant ce conflit serait en préparation, sous l’égide de son gendre J. Kushner. Une réduction du territoire palestinien semble inéluctable tant la colonisation a prospéré ces deux dernières décennies. Dans cette logique il semble y avoir une volonté de l’administration américain d’obtenir le consentement des pays arabes sunnites et au premier chef de l’Arabie Saoudite, en échange d’un soutien sans failles face au rival iranien.
Au Moyen-Orient
La volonté d’en finir « rapidement » avec Daech était l’une des promesse phares du candidat Donald Trump. Ceci semble en bonne voie. Oui et après ? S’attirant les foudres de ses alliés européens, le président états-uniens à réitéré sa volonté de se retirer rapidement de la région. Mais ce processus paraît délicat eu égard à l’état de la région et au souvenir du départ précipité de l’Irak en 2011 ayant permis l’avènement de l’Etat Islamique. En Syrie, les frappes occidentales (états-uniennes, anglaises et françaises) montre la volonté de maintenir le Droit International (DI) concernant l’interdiction des armes chimiques, bien que le DI ne soit pas nécessairement bien vu par Donald Trump. Encore une fois, ces frappes ont aussi une visée électorale anti-Obama, permettant au président actuel de prouver que lui ne cède pas devant les agissements de Bachar Al-Assad.
Vis à vis de la Chine
Donald Trump a-t-il une volonté d’endiguement de la République Populaire de Chine (RPC) ? Cela est probable vu le soutien à l’agrandissement de la base japonaise d’Okinawa et la volonté d’attirer l’Inde dans l’orbite américaine surtout vis à vis du Pakistan, devenu allié de la Chine. La volonté serait ainsi de former une alliance avec la Corée du Sud, le Japon et les anglo-saxons d’Océanie que sont l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Par ailleurs, concernant la guerre commerciale avec la RPC, comme dit plus haut, celle-ci semble s’estomper.
Conclusion
La cohérence stratégique de Donald Trump peut donc être définie par une doctrine réaliste-nationaliste. D’une part nationaliste car même si tous les Etats défendent avant tout leurs intérêts nationaux en politique étrangère, certains tentent de les faire coïncider avec un semblant d’intérêt général régional ou mondial, or ceci ne semble pas être le cas de Donald Trump. D’autre part, réaliste, car il ne porte pas une volonté idéaliste de paix et de concorde porté par le multilatéralisme. La politique étrangère de Trump semble, pour l’instant, s’inscrire dans un cadre réaliste, nationaliste, anti-multilatéralisme et le tout dans un style affairiste de négociations. S’il y a un consensus aujourd’hui à Washington, c’est le suivant : la période post-guerre froide se termine, nous assistons au retour de la géopolitique, une manière de décrire un monde où les grandes puissances règnent sur leurs sphères d’influence, vision hobbesienne qui est celle de Trump et avait été mise en avant par son conseiller à la Sécurité nationale dans un éditorial du Wall Street Journal en mai dernier.
Sources
Grasset Philippe. Le complexe militaro-industriel américain : dimension mythique et crise de l’armement. In: Revue Française d’Etudes Américaines, N°63, février 1995. Lobbying et lobbyists. pp. 129-143; doi : https://doi.org/10.3406/rfea.1995.1948 https://www.persee.fr/doc/rfea_0397-7870_1995_num_63_1_1948
Kissinger Henry (trad. Marie-France de Paloméra), Diplomatie, Paris, Fayard, 1996 (ISBN 978-2-213-59720-1)
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