L’enjeu géopolitique des ressources naturelles pour Israël

Introduction :

Le problème de l’eau occupe une place de plus en plus importante sur le devant de la scène du Proche-Orient. Cette préoccupation croissante est censée répondre à deux problèmes majeurs partagés par l’ensemble des pays de cette région : une croissance démographique importante et une insuffisance en terres cultivables pour assurer l’alimentation de cette population pour cause d’aridité. La problématique de l’eau recouvre deux caractéristiques : un climat aride et désertique qui fait de l’eau une ressource rare et prisée et une délimitation conflictuelle des frontières entre les états.

L’ensemble de ces paramètres rend l’étude du problème de l’eau dans cette partie du monde complexe et sensible. Il existe actuellement trois conflits majeurs concernant le partage des eaux :

– dans le bassin nilotique entre l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie

– en Mésopotamie, la Turquie, la Syrie et l’Irak

– dans le bassin du Jourdain, tous les états limitrophes sont concernés : Israël, le Liban, la Syrie, la Jordanie et l’Autorité palestinienne.

La première partie de notre étude se portera sur le conflit de la gestion de l’eau entre Israël et ses voisins. L’eau est bien au cœur du projet israélien depuis toujours et fait l’objet d’une guerre secrète entre les Palestiniens, les Libanais, les Syriens et les Israéliens. Rappelons cette expression de Maurice Gemayel, un aménageur libanais dans les années 1950 «  le Sud-Liban est comme un verre d’eau disposé à proximité d’un assoiffé ».

Parallèlement au conflit de l’eau qui oppose Israël et les pays du Proche Orient depuis 1948 (année de la répartition des terres et de la création d’Israël), un énorme gisement de gaz naturel a été découvert en 2010 à -2000 mètres sous la mer Méditerranée, à 135 km au large des côtes, et en pleine zone de partage des frontières entre le Liban et Israël. Une découverte qui a toutes les raisons de se transformer en nouveau conflit. Nous nous intéresserons donc à ce nouvel enjeu au cours de notre deuxième partie.

Notre étude tentera de répondre à la problématique suivante : Quelles sont les méthodes déployées par Israël pour accumuler davantage de ressources naturelles et en quoi ces dernières mettent en cause la stabilité du Proche Orient ?

I : La Géopolitique de l’eau au Proche-Orient

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Source : http://www.monde-diplomatique.fr/cartes/israeleau2000

Le contexte

L’eau est un enjeu géopolitique majeur pour cette région du Proche-Orient. En effet cette région en est très peu pourvue alors que l’accès à cette ressource est vitale pour ses populations et l’agriculture. Ainsi dès la création de l’Etat d’Israël, Chaïm Weizmann,  le président de l’organisation Sioniste Mondiale, écrit une lettre au Premier ministre britannique, à propos de la frontière nord de la Palestine : “Tout l’avenir économique de la Palestine dépend de son approvisionnement en eau pour l’irrigation et pour la production d’électricité ; et l’alimentation en eau doit essentiellement provenir des pentes du Mont Hermon, des sources du Jourdain et du fleuve Litani (au Liban). Nous considérons qu’il est essentiel que la frontière nord de la Palestine englobe la vallée du Litani sur une distance de près de 25 miles (40,2 km environ) en amont du coude, ainsi que les flancs ouest et sud du Mont Hermon.” Les frontières proposées englobent ainsi non seulement tout Israël, mais aussi Gaza, la Cisjordanie, les hauteurs du Golan, des portions du Liban, de la Syrie et de la Jordanie. La France, puissance mandataire au Liban à l’époque, s’est opposée à ce projet Sioniste. N’ayant pas eu gain de cause, Israël a donc très tôt cherché à contrôler les accès en eau de cette région.

Les enjeux et parties prenantes :

En 1958 Israël cherche ainsi à s’assurer la totalité du débit du fleuve du Jourdain en asséchant le lac Houley. Des canaux sont ainsi construits afin d’ériger le futur Aqueduc national, destiné à transporter l’eau du Jourdain vers les terres agricoles du Sud et du Néguev. Cette manipulation a attisé la colère des états frontaliers, et devant des tensions naissantes, les Etats-Unis envoient un émissaire afin de proposer un plan de partage des eaux du Jourdain. C’est le plan Johnston. Mais il ne fut jamais appliqué et accepté par les différentes parties, et Israël continue la construction de son aqueduc. Cette démarche pousse le Liban, la Syrie et la Jordanie à détourner, en 1967, le Jourdain à leur profit exclusif et à s’emparer des ressources du Hasbani, du Banias et du Yarmurk qui alimentent le Jourdain. Mais Israël réplique immédiatement lors de la guerre des Six Jours, ce qui lui permet d’annexer des territoires hydrologiquement stratégiques tels que le plateau du Golan et les nappes de Cisjordanie.

Cette guerre des Six Jours sera directement suivie d’une politique de colonisation qui permettra à Israël de pouvoir contrôler directement l’utilisation de l’eau par les Palestiniens. Ces derniers se verront imposés des quotas d’eau durant certaines heures, l’interdiction de construire de nouvelles installations ainsi que la confiscation de certains puits. Ainsi, depuis l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza, 70 à 80% des villes et villages palestiniens ne reçoivent que quelques heures d’eau par semaine, les forçant à faire des réserves alors que les postes israéliens en sont pourvus 24 heures sur 24.

Israël parvient donc à occuper la Cisjordanie, Gaza et le plateau du Golan ce qui lui permet d’avoir accès aux principaux points d’eau de la région et d’irriguer ses terres. Le plateau du Golan fournit ainsi 770 millions de mètres cubes d’eau par an à Israël, soit un tiers de sa consommation annuelle.

Israël a ensuite largement convoité le château d’eau libanais en cherchant à pomper davantage les eaux du Litani et du Wazzani, deux fleuves qui traversent le Liban. Israël déclencha ainsi plusieurs guerres dont le but ouvert était de débarrasser le pays du Hezbollah, force armée Palestinienne installée au Sud Liban ou au moins de les repousser vers le Nord. Mais le but officieux, non moins important, de ces guerres était la main mise par l’Etat d’Israël de territoires du Liban placés sur le passage stratégique des principaux cours d’eaux tels que le Litani et le Wazzani.

Sous ce prétexte sécuritaire, Israël étend ainsi de plus en plus cette zone dite tampon et de sécurité entre le Liban et lui. Ainsi cette zone s’approche de plus en plus du fleuve Litani et la frontière de la zone n’est plus qu’à 70 kilomètres du fleuve. Or l’accès à ce fleuve permettrait à Israël d’augmenter annuellement de 800 millions de mètres cubes ses ressources hydrauliques.

Mais toujours sous ce prétexte, Israël déclencha surtout en 1978 l’opération « Litani » contre le Liban, suivi en 1982, de l’opération « Paix en Galilée », afin de prendre le contrôle des régions où coulent les deux fleuves. Israël a en effet envahi le Liban jusqu’à Beyrouth, mais s’est ensuite retiré dans le Sud du Liban, région qu’il a occupé pendant près de 20 ans, avant d’en être chassé en 2000 par la résistance du Hezbollah. Durant ces 20 années, Israël a pompé les eaux des deux fleuves. En effet des ingénieurs, des enquêteurs, et des soldats des casques bleus de l’ONU, ont fait état de cas de pompage des eaux du Litani et de la rivière Ouasani par les Israéliens ou de détournement d’eau via des canalisations souterraines.

Israël se livrerais enfin a des actions de sabotage, plus clairement affichées, des principaux lieux de pompages ou d’installations nécessaires à l’irrigation de grandes étendues de terres cultivées. Ce fut le cas autour du barrage de Qaraoun, dont les installations et les canalisations furent l’objet de sabotages systématiques pendant l’occupation par Israël du Sud Liban.

Enfin Israël chercha à accéder aux points d’eau du Liban par l’annexion des fermes du Chebaa. Ces fermes sont en effet situées sur les flancs du mont Hermon et surplombent un important réservoir d’eau. Lors du retrait de Tsahal, après l’opération « Paix en Galilée », les Israéliens ont essayé de s’approprier cette région. Cela aurait permis à Israël d’une part de contrôler deux sources d’eau alimentant plusieurs fleuves et rivières tels que le Banias, le Dan et le Wazzani, dont les eaux se jettent dans le Jourdain, et d’autre part cela d’avoir accès à la nappe aquifère du mont Hermon, très convoitée, puisque la qualité de ses eaux favorise le refroidissement et le dessalement du lac de Tibériade. Enfin la proximité entre ce mont et le plateau du Golan aurait permis à l’armée israélienne de surveiller et de protéger son infrastructure militaire au Golan.

Les risques :

Nous avons donc pu constater que les principales guerres qui se sont déroulées ces 50 dernières années au Proche-Orient ont été déclenchées principalement par Israël pour des motifs d’accès à des ressources naturelles, ici l’accès à l’eau, enjeu vital pour le développement d’un pays et de sa population. Cette quête de l’eau par Israël a été a l’origine de modifications des frontières et a attisé la haine entre les pays voisins, justifiant parfois l’intervention internationale afin de délimiter les frontières et de partager les ressources. Mais la conquête des ressources en eau est un enjeu qui se fait de plus en plus pressant pour ces pays, ce qui pourrait conduire dans les années futures à des changements géopolitiques dans cette région.

II – La géopolitique du gaz et du pétrole

Le contexte

Le pétrole et le gaz sont un autre point faible d’Israël qui vient s’ajouter au problème de l’eau décrit dans la partie précédente. Israël importe plus de 3000 barils par jour (principalement en provenance d’Egypte). Par ailleurs, sa production de gaz destinée à la consommation nationale reste très faible.

En 2004, Israël demande à la société américaine Noble Energy Company de faire des explorations au large des côtes israéliennes. Les résultats sont plus qu’inespérés : trois principaux gisements sont alors découverts : le Tamar, le Dalit et le Léviathan. Les deux premiers contiennent à eux deux 160 milliards de mètres cubes de gaz ; soit de quoi satisfaire les besoins d’Israël pendant deux décennies. Le gisement du Léviathan représente à lui seul 450 milliards de mètres cubes. Ce site comporte également des réserves en pétrole. La carte ci-dessous représente les différents gisements et les zones de tensions.
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Source: L’Expansion (qui fait remarquer que l’échelle n’est pas de 500km mais de 50km)

Le problème qui se pose aujourd’hui vient du fait que ces gisements soient off-shore. La conférence de Montego Bay définit deux types de frontières : la mer territoriale qui s’étend à 12 miles marins des côtes et la zone économique exclusive (ZEE) s’étend à 200 miles marins des côtes. Les gisements Dalit ne sont pas problématiques et leur exploitation devrait commencer dès 2012. Le problème réside dans le fait que les gisements du Léviathan et du Tamar sont situés dans une zone où plusieurs ZEE se rencontrent (israélienne, libanaise et chypriote). Par ailleurs, un autre problème vient s’ajouter : les frontières maritimes entre Israël et le Liban n’ont jamais été définies par l’ONU.

Les parties prenantes

Israël et le Liban, depuis, sont entrées dans un discours d’échange de menaces. Le Liban accuse Israël de vouloir voler son gaz et de continuer illégalement ses explorations alors que les frontières maritimes entre les deux pays n’ont pas encore été fixées. Les enjeux pour ces deux pays sont de taille :

– Pour Israël : comme nous l’avons dit précédemment, Israël est fortement dépendant de l’Egypte en matière de ressources énergétiques. Cette découverte permettrait à Israël d’être à la fois indépendante en gaz naturel mais devenir un exportateur important notamment en direction de l’Europe.

– Pour le Liban : le pays a un système de production d’électricité encore très archaïque. Le pays souffre de coupures permanentes, ce qui affecte l’activité économique du pays. Par ailleurs, les économies/bénéfices liés à une éventuelle autosuffisance énergétique ou à l’exportation de ressources permettrait au Liban de réduire significativement son déficit public qui s’élève à environ 50 milliards de dollars, soit 150% de son PIB.

Pour défendre ses intérêts, le ministre des affaires étrangères libanais Ali al-Shami et le premier ministre Saad al-Hariri ont fait appel à l’ONU pour définir une frontière maritime avec Israël. “Nous vous demandons de faire tout le possible pour garantir qu’Israël n’exploite pas les ressources d’hydrocarbures du Liban, qui se trouvent dans la ZEE du Liban telle que déterminée dans les cartes du ministère des Affaires étrangères soumises au Nations Unies en 2010” proteste Ali Shami. L’ONU a accepté d’aider le Liban et Israël étudie la proposition, cependant les risques sous-jacents sont très importants. L’ONU a, par ailleurs, recommandé au Liban de s’accorder avec Chypre et la Syrie en parallèle.

De son côté, Israël a déjà signé un accord en décembre 2010 avec Chypre sur les limites de leurs ZEE qui a réveillé les intérêts d’autres parties prenantes. L’Egypte tient à s’assurer que cet accord entre les deux pays n’empiète pas sur sa propre ZEE. Par ailleurs, la Turquie a aussi contesté cet accord. En effet, la Turquie est en conflit avec Chypre depuis plusieurs années et désapprouve la démarche israélienne, étant donné les négociations actuelles entre la Turquie et Israël afin de normaliser leurs relations, après un incident en mai 2010 entrainant la mort de neuf Turcs par un commando israélien.

Les risques

Suite à la décision du parlement libanais, en août 2010, d’autoriser le forage et l’exploitation de champs de gaz et de pétrole au large de ses côtes, Israël a mis en place un plan pour défendre ses ressources. Les navires israéliens auraient pour objectif de sécuriser une zone maritime afin d’empêcher le Liban d’explorer un gisement qu’Israël estime être situé dans sa ZEE. Cette intervention est estimée à un coût de 40 à 70 millions de dollars. Côté libanais, le Hezbollah assure qu’il défendra les intérêts libanais contre Israël, qu’il accuse de vouloir voler les ressources au Liban.
Conclusion :

La solution du problème de la gestion de l’eau, du gaz et du pétrole ne peut s’imaginer que sous la forme d’une coopération régionale. Il est cependant bien utopique de penser cette coopération dans le contexte conflictuel actuel. Pourtant, il existe des exemples de coopération régionale qui se sont déroulés avec succès. L’Europe d’après-guerre a réussi une coopération avec ses voisins sur des matières premières avec la CECA. Pouvons-nous imaginer une comparaison de ce succès historique avec le Proche-Orient ? Le besoin de paix dans cette région est une question d’ordre international car elle est le cœur énergétique de la planète.

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