Le monde arabe a depuis bien avant l’ère biblique, suscité des conflits géopolitiques et géostratégiques importants. C’est en effet la région qui en recense le plus. Ces derniers perdurent et menacent le développement économique de cette partie du monde. Il s’agit de conflits religieux mais surtout portés officiellement ou officieusement sur les ressources de ces pays qui deviennent un facteur d’affrontements multiples qui ne font l’objet d’aucune instance de régulation. C’est un monde arabe qui se construit sur les débris de guerres d’intérêts économiques et religieux, et sur de nouvelles révolutions. Un monde dont les ressources sont essentielles à la mondialisation et à une évolution économique certaine de ces pays.
Depuis quelques années et malgré la perduration de ces conflits, on note un réel développement de l’économie arabe notamment grâce au pétrole et plus particulièrement aux pétrodollars. Il est commun d’assimiler ces pays à des États rentiers qui ne vivent que du pétrole et qui inhibe toute autre forme de « business strategy ». La présence de fonds souverains et leur effervescence pousse à se poser la question d’un développement plus ou moins agressif financier et économique de la région arabe, dont les positions géopolitiques et géostratégiques restent occultes vis-à-vis de l’occident.ces fonds suscitent de nombreuses questions quant à leur aspiration, leur contrôle et leur identité. Il s’agit aujourd’hui d’analyser ces vecteurs financiers incontournables et de mesurer leur importance sur un pouvoir qui est autre : la géopolitique mondiale. En effet en partant du postulat qu’un pays économiquement mature et puissant (tel que ceux de la triade) a une assise forte sur la scène géopolitique mondiale, nous pouvons nous poser la question de savoir ce qui pourrait en découler. En effet dans le top dix des fonds souverains les plus importants, apparaissent trois fois des pays du Moyen Orient.
Ce qui nous pousse à nous poser cette question : comment et pourquoi les fonds souverains moyen-orientaux peuvent ils être aussi bien définis comme un outil financier qu’un outil géopolitique ? Doit-on s’en protéger ?
I État des lieux des fonds souverains au Moyen-Orient
a) Définition
Il n’existe aucune définition universelle de ce qu’est un fond souverain mais de façon globale il s’agit d’entités plaçant les avoirs des États. Ce sont des véhicules d’investissement étatiques à long terme, alimentés par des réserves de change autres que des réserves officielles, dont le but n’est pas toujours explicite. Ce type d’investissement se fait dans des actifs étrangers et répond à un but souvent macroéconomique.
Plusieurs caractéristiques sont communes à tous les fonds souverains. Tout d’abord ils se définissent tous par un caractère hybride, en d’autres termes ces fonds d’investissement qui placent leurs liquidités et qui gèrent un certain portefeuille sont TOUS possédés ou contrôlés par un État. C’est pourquoi le critère de souveraineté est le premier d’entre tous. De plus ils gèrent les réserves de change de l’état en question ou de produits manufacturés ou de l’excédent budgétaire, au Moyen Orient ces réserves sont connues sous le nom de pétrodollars (réserves de devises provenant du commerce pétrolier). Cependant il faut bien les distinguer des banques centrales dans le sens ou les réserves investies dans les fonds souverains sont gérées indépendamment et distinctement de celles prises en charge par les autorités monétaires. Par ailleurs et comme précisé précédemment, il s’agit d’investissements à long terme dans des actifs étrangers, ayant un but lié de près au développement macroéconomique du pays d’où sont émis les fonds. Enfin, les engagements des États à investir dans ces fonds restent occultes, ce qui pose aujourd’hui un problème de transparence et qui pousse l’occident à surveiller de plus en plus non seulement les pays émetteurs de fonds souverains mais aussi les pays où ces derniers sont stockés.
b) Les fonds souverains au Moyen orient : naissance et fonctionnement
Nous pouvons constater qu’aujourd’hui les principaux fonds souverains proviennent du moyen-orient. Le plus gros fond d’investissement est “Abu Dhabi Investment Authority (ADIA)” fondé en 1976 gérant une moyenne de 250 à 875 milliards de dollars. Le second fond d’investissement moyen-oriental, et troisième mondial, est la “Saudi Arabia Monetary Agency (SAMA)”, dont le montant investi s’évalue à 400 milliards de dollars. Enfin, et en sixième position sur la scène mondiale, le “Kuwait Investment Authority (KIA)” fondé en 1953, gère un portefeuille de 264 milliards de dollars à travers le monde. Les ressources de ces fonds souverains sont constituées de la rente provenant du commerce de ressources naturelles et de l’exportation ici de pétrole. Il est aisé de remarquer que les principaux exportateurs d’or noir possèdent les principaux fonds d’investissements mondiaux et les plus agressifs. Ces États rentiers n’ont pas diversifié leur activité économique et sont dépendants de leurs ressources en pétrole ce qui affaibli leur croissance. Par ailleurs nous savons aujourd’hui que la question d’épuisement des nappes de pétrole engendre de nombreuses controverses. En effet l’existence d’un pic de production (pic de Hubbert), à partir duquel les ressources en pétrole vont se raréfier, alimente la problématique. Mais les controverses portent davantage sur la date à fixer que sur la théorie en elle-même. Il est donc devenu essentiel pour ces pays exportateurs de pétrole d’adopter une gestion contrôlée de leurs rentes provenant de leur production. C’est ainsi qu’en 1953 le monde assista à la naissance du premier fond souverain au Koweït, dont le but fût de créer un outil de gestion de la rente idéal fonctionnant grâce à des placements internationaux profitables à l’État. On comprend ici le fonctionnement basique d’un fond souverain dont le but essentiel est l’investissement des revenus de la rente (pétrolière) afin de palier à la disparition future des ressources naturelles des États.
De façon plus détaillée le fond souverain au moyen orient est un fond dont le but est la stabilisation des revenus de l’état. Ce sont des « stabilization funds » servant à lutter contre la volatilité des prix des matières premières et à stabiliser les revenus de leur exportation. On note aujourd’hui que le marché des matières premières, et notamment celui du pétrole est soumis à nombre de fluctuations brutales des cours ce qui a pour conséquence l’irrégularité des revenus des pays exportateurs. Le mode opératoire est simple : substituer un revenu stable et régulier malgré des recettes qui varient énormément selon les cours du marché. Les recettes des exportations sont fructifiées lorsque les cours du marché sont élevés grâce à des placements dans des instruments n’ayant rien à voir avec ceux utilisés pour le marché des matières premières. Les chutes futures des cours sont donc absorbées par le rendement des placements, et les besoins en financement du gouvernement sont assurés en période de baisse sur le marché.
Le second but des fonds souverains moyen-orientaux est l’épargne intergénérationnelle, c’est-à-dire pérenniser les revenus de la rente pétrolière, dont les États sont complètement dépendants, afin de pallier aux besoins des futures générations. Il s’agit en d’autres termes de la conversion d’actifs non renouvelables en actifs financiers pérennes.
Enfin le troisième but concerne la diversification de l’économie, c’est-à-dire d’après le FMI, « financer des projets socio-économiques ou promouvoir des politiques industrielles propres à stimuler la croissance de la production potentielle d’un pays ». Il s’agit plus simplement de partenariats industriels, de financement d’infrastructures…pour le développement du pays concerné. C’est ainsi que le Qatar a créé des joint-ventures avec Total afin de gérer les gazoducs Qatar Émirat.
De façon plus brève et globale, il s’agit aujourd’hui de sortir du « tout pétrole » en investissant de manière stratégique.
c) Participation des fonds souverains dans les pays développés, stock des flux
Il est difficile de ne pas remarquer que ces placements moyen-orientaux se font dans les pays développés. Les flux des fonds souverains arabes sont stockés en occident, ce qui alarme ce dernier d’autant plus que les États d’où proviennent les fonds souverains ne s’expriment pas sur leur intention profonde et ont, géopolitiquement parlant, une position généralement opposée à celles des pays dans lesquels ils investissent.
On peut noter que le premier marché concerné par les fonds souverains moyen-orientaux est le marché financier. En effet, c’est au moment de la crise des subprimes que les fonds souverains ont pris des proportions de plus en plus importantes. Les fonds souverains ont injecté plus de 92 milliards dollars américains dont deux tiers ont été placé dans des banques de Wall Street et le reste dans des banques européennes. C’est ainsi que 10.1% du capital de Citigroup a été récupéré par des fonds du Koweït et d’Abu Dhabi, que le capital de Barclays en Angleterre à hauteur de 15% a été acheté par des fonds chinois et du Qatar et que 2% du capital de la Deutsch Bank fut récupéré par un fond de Dubaï.
Le deuxième secteur de prédilection des fonds souverains est l’immobilier. Cet engouement pour le secteur de l’immobilier se reflète dans le rachat par le fond d’investissement du Koweït et du Qatar, de l’immeuble General Motors à New York pour un peu plus de 2 milliards de dollars américains, dans celui du centre d’affaire avenue Kléber à Paris par le QIA.
II) Enjeux stratégiques, géopolitiques et réaction de l’occident
a) Richesse des fonds souverains
Nous venons précédemment de décrire la montée en puissance des fonds souverains moyen-orientaux, ces même fonds qui aujourd’hui peuvent s’offrir Total, BNP Paribas, Michelin, L’Oréal…sont la raison pour laquelle ils inquiètent l’Occident. Un Occident dont le fleuron de l’économie et de la finance pourrait tomber sous le joug des puissances arabes. nous assistons à une affirmation de ces fonds en tant qu’acteurs de la finance mondiale avec des pays émergents exportateurs qui passent du rang de créanciers des pays de l’Occident au rang de propriétaires d’actifs.
Il est vrai que les fonds souverains représentent en termes absolus un nombre très important d’investisseurs. Cependant ce nombre rapporté à l’univers financier devient aisément petit. Mais malgré la relativité de la richesse des fonds souverains, ils disposent d’une capacité à rassembler de gigantesques sommes de liquidité en un temps record. Ces fonds ont une capacité d’investissement bien supérieure aux acteurs occidentaux d’aujourd’hui. Il est important de préciser que cette richesse est appelée à croître grâce à la hausse des cours des matières premières.
La question est de savoir s’il faut redouter ces fonds ou les promouvoir ? Sont-ils bénéfiques à l’Occident ou représentent-ils une menace ?
b) Le critère de souveraineté, opacité et contrôle public
Les fonds souverains sont des liquidités appartenant à des états, mais la proximité entre État et pouvoir public suscite la crainte que l’agenda politique du gouvernement du pays d’origine se cache derrière ces nouveaux acteurs de la finance mondiale. Il est important de rappeler que les fonds souverains donnent accès au pays d’origine au statut de propriétaire d’actifs. Donc, lorsqu’un fond souverain saoudien achète des parts d’une banque américaine par exemple, l’État d’Arabie Saoudite devient actionnaire de cette banque. Ce statut lui confère le droit d’avoir accès à des informations sur la banque en question ou encore un droit de vote aux assemblées générales. Il peut donc influer sur les décisions stratégiques de cette banque et le choix de ses dirigeants.
Le problème majeur concerne la motivation de ces États lorsqu’ils investissent dans des sociétés occidentales. Ces motivations peuvent être autres que financière, et le fond souverain ne demeure dans ce cas qu’un outil pour arriver à ses fins. Il est d’autant plus important de mettre en avant la capacité d’intimidation d’un État comparée à celle d’un simple investisseur. De plus les secteurs dans lesquels ces fonds sont investis sont toujours stratégiques : défense, technologie, communication… Des secteurs sensibles, qui peuvent servir (grâce aux informations récupérées de droit et leur exploitation) à des fins géopolitiques ou géostratégiques. Cependant on note aujourd’hui la retenue des pays d’origine des fonds souverains dans la gouvernance d’entreprises stratégiques, cela étant surement lié au fait que les parts des capitaux rachetées ne soient pas assez importantes. Mais qu’en sera-t-il le jour où la part des capitaux rachetées arrivera à hauteur de 20% ou encore 30% ? L’opacité qui entoure certains fonds souverains, notamment ceux d’Arabie Saoudite, ne nous permet pas aujourd’hui de cerner les réelles motivations et stratégies sous-jacentes des États.
En effet les fonds souverains du moyen orient évoluent dans des environnements géopolitiques plus qu’instables : course à l’armement nucléaire en Iran, guerre en Irak, terrorisme, montée de l’extrémisme, conflit entre sunnites et chiites ou encore le conflit Israélo-palestinien. De plus les systèmes démocratiques sont plus ou moins absents dû à l’hégémonie des monarchies et à l’absence de parlements à proprement parler.
c) Des fonds souverains agressifs
La croissance des participations et acquisitions des fonds souverains alerte de plus en plus l’Occident. Nous pouvons prendre l’exemple de l’ADIA (Abu Dhabi) qui est aujourd’hui le fond souverain le plus important et qui en plus de ses investissements dans des entreprises stratégiques et connues de tous, acquiert des participations minoritaires dans des entreprises non cotées en bourse. Ces prises de participations restent bien souvent quasi-indétectables et difficilement mesurables car en deçà de 5% d’achat de capital, l’anonymat de l’investisseur peut être gardé. D’après un rapport datant de décembre 2007 et réalisé par l’école de guerre économique, les investissements se font de manière discrète et très réfléchis et les politiques d’acquisitions sont de plus en plus agressives. Les États du moyen-orient sont en recherche de profits de plus en plus élevés, Dubai en est l’exemple parfait avec plusieurs machines d’investissements comme “Mubadala development company” ou encore “Istithmar” dont le montant des actifs s’élève à plus de 10milliards de dollars américains en 2008, plus agressif encore, l’exemple du DIC (Dubai International Capital) qui a en 2007 acquis l’OMX, le marché boursier d’Europe du nord.
d) Réactions protectionnistes de l’Occident
Comme déjà vu précédemment, le manque de transparence nous laisse démuni de toute donnée exacte concernant les montants investis par les fonds souverains arabes et le lieu où les flux sont stockés. Néanmoins, il est indéniable que ces fonds sont nécessaires au bon fonctionnement du marché financier international et que cet argent frais ne représente pas pour l’instant une menace avérée.
Le G7 pointe du doigt le manque de transparence des pays à l’origine de ces fonds et le FMI réclame ainsi, en raison de sa légitimité à analyser tout fond d’investissement représentant la moindre opacité. Mais aucune solution n’est trouvée au problème de l’Occident dont les États se trouvent de ce fait en manque de légitimité. Il est intéressant également de souligner que l’idée de parier sur le rôle parallèle de ces fonds suscite un protectionnisme qui peut être une menace plus importante. D’après Simon Johnson, directeur du département d’études du FMI, « il n’y a pas de raison apparente de considérer l’existence de ces fonds comme déstabilisante ou inquiétante. En fait, le FMI a fortement encouragé les exportateurs de ressources non renouvelables à constituer précisément ce type de fonds en prévision des « mauvais jours » ». On remarque ici une dimension paradoxale dans le discours que tient le FMI.
Le réel acteur dans cette polémique de transparence des fonds souverains arabes reste l’OCDE, qui émet un discours plus engagé à ce sujet comparé à ceux d’autres organisations internationales. Elle ne manque pas de pointer du doigt la légitimité de l’occident de se sentir menacé. Elle souligne en effet que la suspicion d’une coïncidence entre la stratégie financière des pays du Moyen-Orient et leur stratégie géopolitique est plus qu’inquiétante aujourd’hui. C’est pourquoi elle demande à soumettre ces fonds souverains aux mêmes règles de transparence et pourquoi pas aux mêmes lois de régulation financière que tous les autres acteurs clés du marché globalisé.
e) Réaction de la France
Touchée par le même souci que ses partenaires occidentaux, une délégation de la Commission des Finances du Sénat français a été envoyée en 2007 dans trois pays du Golfe persique afin d’étudier la situation de près. D’après le rapport émis par cette délégation « Le nouvel âge d’or des fonds souverains au Moyen Orient », la réaction de ces pays face à l’épuisement futur des matières premières semble plus que normal. La menace tant redoutée par nos amis Américains (par exemple) est relativisée par cette commission. Il a notamment été précisé que cette zone du monde détient la plus grande réserve de liquidité au monde non affectée ce qui explique ce besoin de la répartir stratégiquement et de la façon la plus efficace. On note en France une absence de conception offensive ou défensive face à ces fonds. Les fonds souverains perçoivent la France comme un pays plus ou moins réticent à accueillir leurs investissements. Ces fonds souverains sont en effet soumis à une procédure d’autorisation préalable (décret anti OPA 2005) si leur but est d’acquérir plus d’un tiers du capital d’une société française dont l’activité serait considérée comme sensible. Mais le régime français reste pourtant l’un des moins contraignants, et offrant à ces fonds une plus grande sécurité.
CONCLUSION
La montée en puissance des fonds souverains reflète la redistribution de la richesse mondiale des pays industrialisés vers les pays émergents et l’inversion des rapports de force économique au profit notamment du Moyen-Orient. Les fonds souverains prospèrent sur les déficits des pays occidentaux et sont le symptôme de leur affaiblissement. Si l’on peut déplorer cet état de fait, nos besoins en financement sont tels qu’il n’est pas possible de se passer des fonds souverains devenus indispensables aux marchés internationaux. La méfiance face à l’agenda géopolitique occulte de ces pays est légitime mais pour l’instant aucune menace concrète justifiant l’établissement de barrières à l’investissement n’a été constatée. La crise actuelle a révélé le besoin d’investisseurs de long terme capables de satisfaire en fonds propres les besoins de financement de l’économie. La France en particulier, à qui la culture du risque fait cruellement défaut et qui souffre de l’absence structurelle d’investisseurs de longue durée, se doit de drainer vers elle ces gisements d’épargne stable. Il convient donc de trouver le juste équilibre entre contrôle des investissements dans les secteurs stratégiques et ouverture des marchés. La meilleure réponse aux défis posés par les fonds souverains est de favoriser les situations mutuellement avantageuses, en encourageant la transparence, pour renforcer la confiance et en faire des partenaires pour participer ensemble à la construction du futur. Il convient également de tenir compte des faiblesses des fonds souverains. En effet, ceux-ci sont créés dans une logique inverse à la logique habituelle: l’accumulation de liquidité précède la vision stratégique. Ils doivent rendre des comptes à l’opinion publique des pays qui les détiennent mais manquent d’une réelle expertise financière. En témoigne la fureur chinoise après l’effondrement de Blackstone dans lequel “China Investment Corporation” avait acquis 10% du capital. Ces faiblesses ne peuvent être mises de côté puisque : « Qui ne connaît pas l’autre mais se connaît lui-même, pour chaque victoire, connaîtra une défaite » (Sun Tzu).
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