Pourquoi la Chine n’est pas réellement intéressée par les Îles Senkaku ?

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« Why China doesn’t really want the Senkaku Islands»

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Présentation de l’article

 

L’auteur est Michael Kelly, un professeur de droit de l’Université de Creighton au Nebraska. Il fut anciennement président de l’Association des Écoles de Droit américaines sur la Sécurité nationale de 2009 à 2010. L’article est récent, il a été écrit le 7 décembre 2013.

Traduction de l’article

 

Pourquoi la Chine n’est pas réellement intéressée par les Îles Senkaku ?

 

La semaine dernière, deux bombardiers B-52 américains ont survolé l’archipel inhabité et isolé des Îles Senkaku dans une démonstration de force à l’attention d’une seule personne. Qu’il ait apprécié le spectacle de son siège à Pékin ou pas, le président chinois Xi Jinping devait sans doute avoir le sourire. Les Américains ont enfin pris au sérieux le conflit entre la Chine et le Japon à propos des Îles Senkaku. Il aura fallu que la Chine étende sa « zone de défense aérienne » (ADIZ) à l’archipel en plus d’une menace de riposte militaire contre tout appareil qui désobéirait pour y arriver. Mais la provocation a porté ses fruits.

Situées entre 123 et 125 degrés longitude et 25-26 latitude, au carrefour maritime d’Okinawa, Taiwan et de la Chine, les Îles Senkaku, ou Diaoyu en chinois, ont un enjeu aussi important que Taiwan pour le continent. Néanmoins, historiquement, elles étaient associées à l’archipel des îles Ryukyu, qui a été rattaché au Japon au XIXe siècle. Dans ce genre de conflits, les adversaires ont tendance à brandir cartes et traités pour asseoir leurs revendications. Conséquemment, pendant que les garde-côtes et les bateaux de pêche chinois et japonais jouaient au chat et à la souris dans cette partie est de la mer de Chine ces trois dernières années, les gouvernements à Tokyo et Pékin ont préparé leurs arguments.

Le Japon a dans son arsenal un traité de 1895 mettant fin à la guerre sino-japonaise dans lequel la Chine lui cède ces îles. La Chine réplique que ce document est rendu caduc par le traité de San Francisco mettant fin à la Deuxième Guerre mondiale dans le Pacifique qui stipule que le Japon a recédé les Îles. Les États-Unis ont pris possession des îles après la guerre, mais les ont rendus au Japon en 1972. Privatisé par une famille japonaise, le maire conservateur de Tokyo a cherché à les acheter en 2012 pour empêcher les Chinois de mettre la main dessus et soutenir sa basse politique nationaliste. Mais le gouvernement japonais a anticipé ce coup en en rachetant la plupart lui-même. Comme il fallait s’y attendre, la Chine fut tout simplement outrée. Les tensions n’ont fait que s’accroître depuis.

Pourquoi ce conflit de longue date sur les Îles Senkaku atteint-il maintenant son paroxysme, en 2013 ? Parce que M. Xi pressent un accord. Non pas par respect pour les Îles Senkaku, ou pour l’est de la mer de la Chine d’ailleurs. En réalité, son attention se porte sur le sud de la mer de Chine où les forces navales américaines sont moins présentes et leurs alliés moins nombreux et plus faibles. La Chine joue la montre pour servir ses ambitions maritimes. Elle cherche à faire une affaire, et nous, tout comme le Japon, sommes en train de rentrer dans son jeu.

Le conflit au sud de la mer de Chine inclut des revendications de la part de la Chine, du Vietnam, de la Malaisie et des Philippines. Le pays qui revendique le plus est de loin la Chine, qui, en vertu de sa « nine dash line » englobe pratiquement 80% des eaux entre le territoire chinois et Bornéo. Ce n’est pas seulement parce que cette zone est riche pour la pêche, cela représente aussi la plus grande réserve pétrolière offshore d’Asie, approximativement égale à la taille des réserves d’Arabie Saoudite. De plus, la Chine qui développe sa « blue water navy » a donc besoin de posséder des espaces maritimes. Cerné par le Japon et les États-Unis dans l’est de la mer de Chine, le sud de la mer de Chine est un endroit bien plus prometteur dans lequel la marine chinoise peut faire fonctionner ses nouveaux sous-marins et porte-avions.

En effet, la Chine a investi beaucoup plus dans ses revendications concernant le sud de la mer de Chine plutôt que sur celles pour l’Est. L’île de Yongxing dans l’archipel des Paracels , qui fait seulement un mile carré, a été construite avec une piste d’atterrissage par lequel la Chine continentale envoie de la nourriture, de l’eau et d’autres ressources pour les 1000 résidents que le pays a installés là-bas pour ancrer ses revendications. Située 220 miles au sud de l’île Hainan, Yongxing est présentée par la Chine comme la capitale de la nouvelle région administrative qui comprend toutes les autres îles de l’archipel. Aussi, les Chinois patrouillent régulièrement vers les autres îles et récifs disant qu’ils doivent se sécuriser pour que ses revendications maritimes deviennent légitimes selon les règles de la convention « Law of the Sea » de 1982, de laquelle les États-Unis ne font pas partie.

La Chine s’est intéressée au sud de la mer de Chine une décennie avant l’est de la mer de Chine. Pékin a en effet revendiqué des îles du Sud en 1958 puis celles de l’Est en 1970. L’origine des récentes revendications concernant les Îles Senkaku découle de la découverte d’énergies fossiles en 1968 par une étude hydrographique des Nations Unies. Comme le montre un rapport secret de 1971, la CIA a découvert que les priorités du gouvernement chinois et ses cartes militaires suite à cette découverte n’incluaient pas les Îles Senkaku. Cependant, juste après la découverte, de nouvelles éditions des cartes issues de la Chinese National Petroleum Corporation les incluaient.

Peu importe l’origine des revendications pour les Senkaku 43 ans auparavant, M. Xi sait qu’il peut obtenir bien plus d’énergies fossiles pour subvenir aux besoins monstrueux de son économie par les gisements du sud de la mer de Chine que par ceux de l’Est qui semblent maigres lorsque l’on compare. Sa stratégie est de créer la plus grosse agitation possible par la stratégie de la corde raide concernant les Îles Senkaku, pour rendre le Japon peureux et nerveux à la table des négociations, avec les États-Unis en arrière-plan qui tenteront nerveusement de chercher la paix. C’est alors qu’il présentera son grand compromis. En échange du retrait des revendications concernant les Îles Senkaku, M. Xi voudrait que le Japon accepte celles concernant le sud de la mer de Chine. Politiquement, les Japonais repartiront avec une grande victoire qui dans l’absolu est peu coûteuse pour la Chine. Mais bien sûr, ce que le Japon cède dans ce grand marchandage est bien plus précieux pour la Chine qu’une poignée de cailloux près d’Okinawa.

Avec le Japon lâchant prise au Sud et les États-Unis prenant de la distance, la Chine sera en position idéale pour traiter les revendications concernant les petits États. Dans l’impossibilité de résister au pouvoir politique, économique et militaire de leur voisin bien plus important, les revendications du Vietnam, de la Malaisie et des Philippines finiront par s’effondrer par l’alternance entrer corruption, intimidation et bienveillance de la part de la Chine. Longtemps les grands marchandages entre l’Europe et le Japon ont découpé le territoire chinois et asservi son peuple, l’Empire du Milieu cherche a présent à mettre en place son propre grand marchandage. M. Xi comprend bien que son pays a le potentiel d’en mettre un en place et fait le pari que sa feinte des Îles Senkaku lui permettra d’obtenir le soutien des autres grands pouvoirs pour le faire.

La présidence Obama, dont le second mandat tend à se dégonfler, distraite par la Syrie et l’Afghanistan, a été incapable de remplir les objectifs de sa stratégie de « pivot » en Asie dans le cadre de sa politique extérieure. Si la Chine obtient la main libre qu’elle recherche dans le Sud de la mer de Chine en échange d’une paix à court terme et de la stabilité des relations économiques, alors M. Xi aura réussi puissamment à placer son pays au nouveau centre gravitationnel des relations internationales. La Chine ne sera dorénavant plus un pouvoir grandissant. Elle sera un grand pouvoir.

 

Commentaire

 

            Michael Kelly expose sa vision du conflit sino-japonais concernant les Îles Senkaku. Pour lui, la Chine revendique l’archipel afin de pouvoir négocier in fine l’espace maritime du Sud de la Mer de Chine, qui lui sera bien plus utile pour asseoir son pouvoir en Asie. Ce conflit dont l’intensité ne fait que s’accroître ne serait donc en fait rien de plus qu’une manipulation stratégique.

 

 

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