Vers une révolution iranienne ?

La république islamique iranienne vit un début d’année 2018 agité. En effet, depuis quelques jours, des manifestations populaires tendent la situation politique interne. Depuis le début de ces mouvements, 21 personnes seraient décédées.

Entre manifestations pro-régime et une opposition provenant de la jeunesse qui revendiquent plus de libertés, l’Iran ne connait-elle pas les mêmes symptômes laissant penser à une révolution sur le modèle syrien ?

Retour sur les raisons de ces contestations et sur les pressions internationales que subit le pays :

Jeune femme iranienne brandissant son voile en guise de protestations contre les restrictions religieuses du pays

L’Iran présente des faiblesses économiques ne permettant pas de satisfaire l’intégralité de son peuple

L’économie iranienne est une économie de rente non développante, contrôlée par de solides réseaux (bazaris et fondations religieuses), comme l’économie saoudienne l’est par la famille royale et les marchands. La rente pétrolière a certes permis de construire des infrastructures et des industries et de mettre en place une administration centralisée au cours du XXème siècle. Mais les exportations industrielles de l’Iran sont presque nulles et le pétrole représente toujours 90 % de ses exportations et 70 % de ses recettes budgétaires.

L’Etat iranien contrôle toujours approximativement 70 % de l’appareil productif du pays à la suite des nationalisations et expropriations du début de la révolution. Ceci profite à de nouveaux corporatismes rentiers, formés au fur et à mesure de l’évolution du régime islamique : les technocrates khodi (intimes), les hauts dignitaires (Aghazade ha), les bazaris conservateurs, et les Pasdarans (armée des Gardiens de la Révolution islamique). La population ne bénéficie donc pas des richesses du pays.


De plus, le problème endémique de l’insécurité alimentaire sévit aussi en Iran : malgré des efforts pour atteindre l’autosuffisance alimentaire, la production agricole iranienne ne couvre que 50 % des besoins de la population. Malgré son rang de premier producteur de certaines denrées comme le safran, les dattes ou les pistaches, il reste tout de même grand importateur de produits agricoles pour répondre à une forte augmentation de la population et à un système agricole pas encore assez modernisé.

Seulement 35 % de la superficie du pays est cultivable, et 25% utilisée : montagnes et déserts occupent une grande partie du pays. De récentes sécheresses ont en outre poussé les petits producteurs à abandonner leurs propriétés pour migrer vers les villes et se sédentariser. Pourtant, l’Iran est excédentaire sur certaines parties de sa production agricole, comme la pêche : 20% du caviar mondial provient d’Iran.

L’Iran bénéficie d’une position stratégique et de considérables ressources qui font parfois défaut au Moyen-Orient

L’Iran occupe d’abord une position stratégique car il constitue un carrefour entre l’Asie centrale et le Proche-Orient, car il peut contrôler le détroit d’Ormuz et donc influer sur le convoyage du pétrole et enfin car il abrite d’importants lieux saints de l’Islam chiite, dont les mosquées de Mashhad et de Qom.

De plus, outre la réputation de son caviar et de ses tapis tissés à la main, les ressources stratégiques de l’Iran comptent parmi les plus importantes du Moyen-Orient : il possède les secondes réserves de gaz naturel mondial, 11 % des réserves mondiales de pétrole, mais il fait aussi partie des 5 pays du Maghreb et du Moyen-Orient qui concentrent 80 % des ressources en eau de la région pour 44 % de la population.

L’Iran effraie donc de nombreux pays du Moyen-Orient :

D’abord, l’Iran souhaite propager la révolution islamique à tout le Moyen-Orient

Conformément à l’article 11 de la Constitution, Khomeiny souhaitait étendre la révolution dans le monde musulman pour bâtir un empire islamique dont l’Iran serait le cœur. Pour l’actuel Guide suprême, Ali Khamenei, « l’exportation de la révolution est une responsabilité constante de la République islamique ». Ainsi en 1982, 1 500 gardiens de la Révolution iraniens ont fourni et organisé le Hezbollah. L’organisation est encore soutenue par l’Iran, tout comme les mouvements chiites en Irak, à Bahreïn, en Arabie saoudite et en Afghanistan.

L’Iran voit dans le territoire syrien un prolongement méditerranéen. Jusqu’au Liban, la République islamique a des pions à jouer contre Israël sur le littoral méditerranéen. En 2003, les Etats-Unis lui ont servi l’Irak sur un plateau d’argent. Ce qui fait que l’Iran peut actuellement se targuer d’influencer voire contrôler quatre capitales arabes : Beyrouth, Damas, Bagdad, et pas encore tout à fait Bahreïn. La guerre d’Irak menée par les Etats-Unis a presque exclusivement laissé le pouvoir aux chiites.

Pour la guerre civile en Syrie, l’Iran a engagé moins de troupes qu’en Irak. Ce sont davantage des troupes d’encadrement, comme dans la bataille d’Alep où se sont engagés des gardiens de la Révolution. L’Iran y a également envoyé des soldats pakistanais et afghans chiites (hazaras), via la brigade al-Fatimiounes. Des lignes de crédit ont été accordées à Bachar el Assad dès le début du conflit, à hauteur d’environ 4 milliards de dollars par an, surtout en nature avec du pétrole et du blé. L’Iran parvient ainsi à prolonger sa profondeur continentale et stratégique jusqu’à la Méditerranée.

Contre l’hégémonie de l’Arabie Saoudite dans le monde musulman, l’Iran se rapprocherait plus de la Russie que du bloc sunnite pour faire coïncider volontés politiques et économiques. Selon Ali Larijani, président du parlement iranien13, Téhéran aspire à un rapprochement stratégique avec la Russie, dont les positions coïncideraient sur la manière de traiter le conflit syrien. En effet, l’Iran et la Russie soutiennent pour des raisons diverses mais convergentes Bachar el Assad : l’accès à la Méditerranée et la domination chiite sont en jeu dans les deux cas.

13 https://fr.sputniknews.com/international/201702191030153610-iran-russie-alliance/

A Istanbul fin décembre 2016, un réfugié syrien exhibe les portraits de Poutine et al-Assad entourant Ali Khamenei, l’Ayatollah iranien qui porte le titre de leader suprême du pays• Crédits : OZAN KOSE – AFP

Cependant, les visées hégémoniques de l’Iran sur le Moyen-Orient déplaisent aux gouvernements sunnites à Israël et aux USA, qui le soupçonnent de vouloir constituer un arc chiite

Evoqué par le roi Abdallah, l’arc chiite qui traverserait l’Iran, l’Irak, la Syrie et le Liban, inquiète notamment la Jordanie, l’Egypte et la Turquie. La popularité de cette expression n’est pas pour déplaire à l’Iran, car elle souligne sa puissance au Moyen-Orient. Mais elle englobe des réalités très différentes : les Houthis yéménites ne sont pas des chiites duodécimains ; les Alaouites syriens sont souvent considérés comme des mécréants par d’autres musulmans. L’arc n’est donc pas tant chiite qu’iranien, puisqu’il est entretenu par la diplomatie iranienne. Il se rapproche davantage des principes de la Révolution islamique que du chiisme.

Ainsi même si l’arc chiite est une image trompeuse, les sunnites du Moyen-Orient la considèrent comme une réalité géopolitique. Les dirigeants sunnites voulaient contrer, auprès des opinions publiques du Moyen-Orient, la popularité du discours populiste et anti-américain de l’ancien président Ahmadinejad. Néanmoins, il n’était pas considéré par ces peuples comme un Iranien chiite mais comme un musulman qui avait le courage de tenir tête aux Etats-Unis et à Israël. Les visées hégémoniques iraniennes sur le Moyen-Orient se heurtent en outre à celles de l’Arabie saoudite et de la Turquie (influence de l’Iran en Asie centrale et au Caucase).

Enfin, il ne faut pas oublier la récente crise nucléaire qui a opposé l’Iran aux Etats-Unis. Dans sa conquête politique, Donald Trump qualifia le traité de Genève censé réduire les ambitions nucléaires iraniennes tout en réduisant les sanctions occidentales de “pire accord jamais signé”. Depuis son élection, l’Iran est donc reconsidéré par l’exécutif américain de “Rogue State” (Etat voyou).

De sorte que l’Iran vit actuellement des mois cruciaux quant à l’avenir de ses relations avec le reste du MO

L’Iran s’inquiète des évolutions politiques des pays du Moyen-Orient

L’influence de l’Iran sur les autres gouvernements chiites relève plus du soft power que d’une véritable emprise car l’appartenance nationale et l’identité arabe priment la communauté chiite transnationale. Ainsi pendant la guerre Iran-Irak, beaucoup de soldats irakiens étaient chiites. L’Iran se méfie d’ailleurs du gouvernement chiite irakien, qui constitue un potentiel rival. De plus, l’Iran s’inquiète de l’autonomie des provinces kurdes irakiennes et peut-être syriennes, car elle pourrait inciter les Kurdes iraniens à exprimer des revendications. D’un autre côté, le Kurdistan autonome peut être un allié de l’Iran contre la Turquie. L’Iran est de même préoccupé par la situation en Afghanistan et par la présence de bases américaines et de forces de l’OTAN à proximité de son territoire.

La politique internationale du président Donald Trump semble porter un coup supplémentaire à la situation de l’Iran au Moyen-Orient : contre Téhéran, l’administration Trump souhaiterait former une coalition arabe, sorte d’OTAN dans lequel l’Etat hébreu jouerait un rôle important. Le but est de contenir l’influence que porte l’Iran sur la région, d’autant que l’Arabie saoudite et les Emirats Arabes Unis ont encore des cartes à jouer avec les Etats-Unis. Ces éléments rassemblés complexifient le jeu diplomatique de l’Iran en tant que puissance régionale.

CONCLUSION

L’Iran est une puissance incontestée, mais fragile au sein de la région du Moyen-Orient. Remise en cause dans son influence sur l’Arc chiite par l’hégémonie grandissante des puissances sunnites, menacée par les puissances occidentales, l’Iran a encore une place à négocier face à la récente accession au trône américain de Donald Trump.

Bien que les sources soient positionnées, certains observateurs pensent même que les manifestations actuelles sont organisées grâce à des inducteurs américains et saoudiens.

L’étau se resserre sur l’Iran, le régime devant aller vers une ouverture internationale permettant un développement économique pour garantir un avenir à sa jeunesse et surtout, éviter de mener une politique nationaliste d’ingérences régionales qui attirerait les foudres de ses voisins sunnites et de l’administration américaine.

Réelle contestation populaire ou “Uranium Gate” dirigé par les Etats-Unis et ses alliés arabes pour réduire le soft et le hard-power iranien, les conclusions sont nombreuses. Il faudra donc être attentif lors des prochaines semaines pour apercevoir l’issue de ces manifestations.

 

Bibliographie

http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/07/14/nucleaire-iranien-pour-obama-l-accor d-montre-l-efficacite-de-la-diplomatie_4682718_3218.html#BDvm464y81P21PZF.99

Thierry Garcin et Eric Laurent, “Iran. L’ampleur des contestations populaires et la marge de manoeuvre du régime”, Les Enjeux internationaux. 16/10/2012, France Culture

Thierry Garcin, “Syrie. Le rôle politique et militaire de l’Iran dans la guerre civile”, Les Enjeux internationaux. 13/03/2017, France Culture

HOURCADE, « IRAN - Géographie », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 11 mars 2017. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/iran-geographie/

La Rente en République islamique d’Iran, “Les mésaventures d’une économie confisquée”,

Djamchid Assadi, L’Harmattan, 2012

https://www.challenges.fr/entreprise/le-constructeur-iran-khodro-obtient-427-millions-d-eurosde-peugeot_40816

https://www.forbes.com/sites/energysource/2013/05/13/irans-car-industry-a-big-sanctions-bu ster/#43008e3c2d15

https://fr.sputniknews.com/international/201801031034599816-iran-manifestation-rohani/

Devoir de géopolitique : L’Iran, enjeu du Moyen-Orient, par Sarah Letemplier Thérèse de Gourcuff

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