Les câbles sous-marins: la guerre invisible de l’information

Résumé :

Environ 430 câbles sous-marins sont déployés dans le monde sur plus de 550.000 miles, soit environ 800.000 km, ce qui représente plus de 20 fois le tour de notre planète. En 2016, plus de 90% des échanges intercontinentaux, comprenant les liaisons téléphoniques et de données (internet), passaient par les océans. La problématique des câbles sous-marins prend donc tout son sens dans notre monde de l’information. L’intérêt stratégique évident qui découle du contrôle de ces liaisons, que ce soit pour un Etat ou pour une entreprise, doit être pris en compte pour comprendre une scène internationale future composée de puissances, d’acteurs, de flux et d’intérêts. Voici un petit état des lieux, 20 milles lieues sous les mers.

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En cette nouvelle année 2018, peut-être avez vous entendu parler de l’entrée en fonction de Marea, un nouveau câble sous-marin en fibre optique reliant le vieux continent aux Etats-Unis. Microsoft et Facebook sont les heureux propriétaires de ce câble de 6.600 km de long qui relie Virginia Beach aux États-Unis à Bilbao en Espagne. L’intérêt stratégique de cette liaison est d’autant plus important qu’il est question d’un « super câble », d’une puissance de 160 térabits par secondes. Cette particularité permet, selon Microsoft, une utilisation de navigation de « 71 millions de vidéos HD lues en streaming au même moment […] et de 16 millions de fois notre connexion à la maison ». Il a été produit en l’espace de 48 mois, un record. De son coté, Google, avec l’aide de cinq autres entreprises, soutient en ce moment Faster, un projet visant à relier le Japon (Chikura et Shima) et les Etats-Unis (Los Angeles, San Francisco, Portland et Seattle) en très haut débit. L’intérêt des géants du numériques pour ces câbles sous-marins est de plus en plus important. Mais il ne s’explique pas uniquement par des considérations économiques. Ces liaisons intègrent des buts stratégiques très divers, notamment lorsqu’il est question de sanctionner un ennemi étatique ou une entreprise privée, de collecter des données ou de donner un pouvoir de négociation aux Etats.

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Historiquement, ces câbles avaient pour but d’établir un réseau électrique dans des zones reculées telles que les îles. Entre 1850 et 1956, ces câbles ont intégré les télécommunications, notamment pour l’envoi de télégraphes. La toute dernière génération est apparue en 1988, avec l’intégration de la fibre optique. Désormais, cette interconnexion concerne aussi bien internet que le téléphone ou la télévision. La grande majorité de la population pense qu’internet passe davantage par un réseau de satellites que par des câble matériel. Pourtant, c’est tout le contraire, comme le rappel Jean-Luc Vuillemin, directeur des réseaux internationaux d’Orange : « Grâce à la fibre optique, les capacités de ces câbles sont des millions de fois supérieures à ce que nous savons faire avec les satellites ».

Source https://www.submarinecablemap.com/ – cartographie interactive des câbles sous-marins

Il est donc important de comprendre que les menaces pesant sur la technologie de demain ne sont pas que cyber. Il y a deux dimensions dans Internet. La première est matérielle, avec des infrastructures, des câbles, des serveurs, des unités centrales, des routeurs. L’autre dimension d’internet est immatérielle, avec les protocoles comme HTTP, les langages comme HTML, les applications diverses telle que la messagerie, des services tels que le web. Bien entendu, la dimension immatérielle n’existe pas sans la dimension matérielle. Il convient donc de s’y pencher.

La rupture des communications, surtout la coupure internet, est catastrophique pour un Etat du 21ème siècle. Les coupures de câbles sous-marins peuvent avoir plusieurs origines : les chalutiers de pêche, le mouillage des navires, les courants de turbidité (avalanches sous-marines), les morsures de requin et même des jaillissements brûlants en provenance des dorsales volcaniques. En 2015, c’est une ancre qui fût à l’origine d’une section de câble qui priva presque toute l’Algérie d’Internet pendant deux semaines. Autre illustration, c’est une grande partie de Madagascar qui n’a plus eu accès à Internet après l’endommagement, fin janvier 2017, d’un câble sous-marin reliant l’île à l’Afrique du Sud et au Soudan. Cette gigantesque coupure de réseau a duré douze jours.

Néanmoins la grande question n’est pas ces accidents mineurs mais plutôt le contrôle de ces câbles. Nous retrouvons dans cette stratégie deux questions qui s’entrecroisent, celle de l’espionnage et celle de la sanction internationale. Le pouvoir géopolitique émanant de ces câbles est important puisqu’il affecte l’ensemble de la communication humaine dans le monde. Il faut savoir qu’à eux seuls, les Etats-Unis et la Grande Bretagne sont en position de lire au moins un quart des échanges transatlantiques. Les inégalités demeurent très présentes, puisque 20 pays restent entièrement sans connexion à une fibre, alors que 16 – dont 10 en Afrique – ne sont connectés qu’à une seule. Le positionnement de ces câbles est primordial dans le théâtre politico-économique. Mais ils intègrent également des considérations plus géographiques et géopolitiques. C’est ainsi, par exemple, que le Sénégal est le troisième pays le plus central du réseau mondial parce que la plupart des câbles du sud de l’Atlantique y émergent.

Géographie des câbles sous-marins

Source ARTE « dessous des cartes ». Le continent africain semble être délaissé avec seulement 7% de sa population connectée. Le réseau de câbles Eastern Africa Submarine System (en jaune sur la carte), long de près de 10 000 Km, est une initiative du Nepad, le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique.

Pour le moment, ces câbles sous-marins sont davantage centralisés sur les pays occidentaux. Ils suivent ainsi les grands pôles économiques. Cette centralisation pénalise énormément le continent Africain ; déjà exclu des grands flux mondiaux. Cependant, la construction de la fibre sous-marine Seabras-1 en 2014, liant Etats-Unis et Brésil, montre la volonté de décentraliser les “nœuds” de câbles, principalement situés en Europe et aux Etats-Unis, en incluant les BRICS.

De plus, ce projet illustre l’absence de monopole des Etats sur ce réseau. Ils n’ont pas tous le contrôle sur les destinations des câbles sous-marins. Cette fibre optique sous-marine Seabras-1 a été lancée par des entreprises de télécoms telles que le français Alcatel-Lucent.

Soyez ainsi certains que les informations transportées par vos emails et autres communications passent à un moment ou un autre par l’un de ces “tuyaux” de l’internet, propriétés de géants comme Vodafone, Verizon ou Orange.

Mais depuis quelques années, les opérateurs télécoms ne sont plus les seuls à investir dans les câbles sous-marins. Tous les géants du numérique rêvent désormais de mettre la main sur ces artères mondiales. Grand dévoreur de bande passante, le géant de Mountain View, Google, a notamment investi dans Faster, un câble de 12 000 km qui relie la côte Ouest des États-Unis au Japon. Cela soulève la problématique de la liberté d’accès à internet pour le client et pour le propriétaire d’un site internet.

Le réseau, qui avait été pensé et distribué selon des considérations de puissances coloniales, est donc désormais dépendant des web-centers que sont les fermes de serveurs de Google ou de Facebook, certes disséminées dans le monde entier, mais cependant bien matérielles et localisées. On comprend mieux, dès lors, l’inquiétude qui peut émerger lors de l’arrivé de Google, Facebook, voire Microsoft, dans les activités de câblage sous-marin. Ces entreprises sont susceptibles, à terme, de devenir les autorités qui décident des routes des câbles, en fonction de la localisation de leurs fermes de serveurs avant toute chose.

Les câbles sous-marins sont aussi perçus par les gouvernements comme des actifs éminemment stratégiques. Aujourd’hui, les scandales des « écoutes », grâce à la technique du « tapping » (consistant à se brancher directement aux câbles pour récupérer les informations y transitant), démontrent la valeur de la maîtrise de l’information. Le plus connu de ces programmes d’écoutes est bien entendu PRISM, qui aurait donné accès à la NSA à des données présentes sur les serveurs de Facebook, Microsoft ou encore Google. Le câble sous-marin devient ainsi l’objet de prédilection pour l’espionnage à grande échelle. Les Etats (occidentaux) se penchent de plus en plus sur cette diplomatie sous-marine.

La preuve que la gestion des données représente un réel enjeu géostratégique pour les puissances actuelles est la création de la Federal Communications Commission (FCC). Les Etats-Unis ont mis en place cette « team telecom » dans le but de veiller à ce que les câbles restent sous contrôle américain. La Federal Communications Commission (FCC) s’assure par exemple qu’à chaque fois qu’une entreprise étrangère souhaite racheter une infrastructure précédemment gérée par une société américaine, elle devra posséder obligatoirement un « Network Operations Center » sur le sol américain, capable de répondre en un maximum de 30 minutes aux requêtes émanant des agences nationales. C’est à cause de cette législation que l’entreprise électronique chinoise Huawei a dû renoncer à la construction de son propre câble liant le vieux continent à l’Amérique du nord. Jugée trop proche du gouvernement chinois, l’entreprise risquait, selon les Américains, d’espionner ce nouveau câble New York-Londres pour le compte de Pékin. La cybersurveillance s’attaque donc directement au « backbone », la colonne vertébrale de l’Internet, mais empêche également d’autres concurrents publics ou privés de mettre la main sur ces métadonnées.

En Grande-Bretagne, nous retrouvons le programme « Tempora », qui autorise l’agence de renseignement électronique britannique, le GHCQ, à surveiller l’ensemble des communications transitant par les câbles de sept grands opérateurs télécoms mondiaux, parmi lesquels British Telecom, Verizon, Vodafone ou Level 3. De plus, grâce à une disposition obscure d’une loi (Regulation of Investigatory Powers Act) datant de 2000, les opérateurs télécoms sollicités par le gouvernement britannique sont forcés de coopérer à la surveillance et empêchés d’en parler publiquement.

Des systèmes de « tapping » sont donc installés proche des côtes, à l’arrivé des câbles, comme c’est le cas à Bude. La station d’atterrissage de Bude, sur la côte occidentale du Royaume-Uni, accueille pas moins de 6 câbles, d’une bande passante supérieure à 7 téraoctets par seconde, soit un peu moins de 10 % du trafic international. Bien entendu, cette station est secrète et aurait subi un « réaménagement » grâce à une subvention de 15,5 millions de livres (17,8 millions d’euros) accordée par la NSA.

Les 71 stations britanniques d’atterrissage des câbles ne soulèvent pas uniquement la problématique du jeu flou de surveillance. La grande majorité des câbles sous-marins d’Europe passant par la Grande-Bretagne, cela pose ainsi la question des conséquences du Brexit sur l’internet du continent. Qui va le gérer et à quel prix ? La Grande-Bretagne pourrait-elle faire du chantage sur les flux européens ? L’ère post-Brexit voit ainsi naître une première initiative alternative visant à contourner Londres comme noeud de communications télécoms. Il s’agit du projet de câble haut débit sous-marin intitulé Brexit-1, qui vise à relier directement l’Europe continentale aux États-Unis en empruntant la route du Sud, via Marseille et Gibraltar. L’entrepreneur indien derrière ce projet évoque le risque de voir naître des taxes nouvelles sur les télécoms décidées par le gouvernement anglais à l’issue du Brexit. Le câble disposera également d’un point d’atterrage au Portugal, offrant une connectivité vers l’Afrique de l’Ouest et du Sud. Il est donc là encore question d’un jeu stratégique multiscalaire.

Un société de l’information pas si globale

Source ARTE « les dessous des cartes ». Les principaux flux internet dans le monde. Une société de l’information pas si globale. Le monde où nous vivons est loin d’être complètement connecté, la géographie d’Internet étant la copie conforme de la géographie de l’économie mondiale

Et la France dans tout ça ? Il y a encore quelques années, le leader mondial des télécoms et des réseaux sous-marins était français : le géant Alcatel-Lucent. Mais hélas, ce dernier s’est fait racheter et absorber en 2016 par le finlandais Nokia. Sa branche spécialisée dans les câbles et les systèmes optiques sous-marins, devenue Submarine Network Solutions (SNS), représente actuellement 47% de part de marché. Nous avons donc ici affaire à un contrôle sur internet invisible et dicté par des considérations d’acteurs privés.

Pour rappel, en 2013, Fleur Pellerin déclarait que « le savoir-faire d’Alcatel Submarine Networks est en effet unique ; il couvre la production, l’installation et la maintenance des câbles sous-marins. C’est une activité stratégique… ». Stratégique, vraiment ? Notre ancien ministre de l’économie, Emmanuel Macron, a pourtant autorisé le rachat de l’intégralité des actions d’Alcatel-Lucent par le groupe Nokia. Ancien numéro un mondial des téléphones portables, une activité qu’il a cédée au géant américain du logiciel Microsoft, Nokia est très présent dans les réseaux en Europe, où Alcatel-Lucent est un acteur modeste. A l’inverse, le groupe franco-américain a de bonnes positions en Amérique du Nord, où les activités du finlandais sont plus limitées. C’est une opération économique mûrement réfléchie mais qui visiblement n’a pas vocation à durer. Seulement un an après ce rachat, Nokia préparerait, selon les informations de l’agence Reuters, qui s’appuie sur des sources gouvernementales et syndicales, la cession de Submarine Network Solutions (SNS).

Tout comme durant la guerre économique qui a visé la branche énergie d’Alstom, l’indépendance stratégique française semble scellée par les décisions d’acteurs privées. Désormais la question qui va se poser dans les mois qui viennent est qui va racheter le réseau Alcaltel-Lucent et pour en faire quoi ? Avec la présence des géants américains et anglais dans le contrôle des câbles sous-marins, la petite dizaine d’entreprises construisant leurs câbles et les nouveaux acteurs chinois et indiens, la France a-t-elle encore réellement les moyens de s’assurer une indépendance informationnelle totale ?

Auteur : Alexandre LAPARRA

Bibliographie :

http://blog-espion.fr/cables-sous-marins/

https://fr.wikipedia.org/wiki/C%C3%A2ble_sous-marin

http://www.slate.fr/monde/85607/carte-cables-sous-marins-plan-metro-internet

http://ddc.arte.tv/nos-cartes/l-internet-est-il-geopolitique-1-2

https://www.universfreebox.com/article/37831/Le-saviez-vous-99-8-du-trafic-internet-intercontinental-transite-via-366-cables-sous-marins

http://www.zdnet.fr/blogs/infra-net/animation-les-cables-sous-marins-qui-font-internet-39852116.htm

http://www.cnetfrance.fr/news/internet-facebook-et-microsoft-viennent-de-terminer-la-pose-du-cable-sous-marin-le-plus-puissant-au-monde-39857808.htm

https://atelier.bnpparibas/life-work/article/cables-sous-marins-enjeu-strategique-big-data

https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2014-3-page-149.html

https://www.latribune.fr/technos-medias/internet/les-cables-sous-marins-autoroutes-vitales-de-l-internet-mondial-759055.html

https://www.nextinpact.com/news/81075-comment-etats-unis-securisent-leur-acces-aux-donnees-mondiales.htm

http://www.lemonde.fr/technologies/article/2013/08/23/les-cables-sous-marins-cle-de-voute-de-la-cybersurveillance_3465101_651865.html

http://www.zdnet.fr/blogs/infra-net/brexit-1-un-cable-transatlantique-reliera-directement-new-york-a-marseille-39846868.htm

http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/10/21/la-france-autorise-nokia-a-racheter-alcatel-lucent_4794079_3234.html

https://www.submarinecablemap.com/

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