La cristallisation des tensions dans le Sud du Caucase issue du conflit du Haut-Karabagh.
La Sud-Caucase, du fait de la pluralité ethnique, des tensions territoriales et des enjeux énergétiques est une région en proie aux conflits. Les tensions très fortes issues de la guerre du Haut-Karabagh fournissent un exemple très actuel des enjeux de puissances qui ont lieu dans cette zone. Le Haut-Karabagh est un territoire ayant appartenu à l’Arménie jusqu’en 1923, date a laquelle elle prit le statut de région autonome et fut rattachée à l’Azerbaïdjan. C’est dans le contexte de la fin du conflit Est-Ouest que débute les hostilités à propos de ce territoire. Le Conseil régional de l’oblast autonome du Haut-Karabagh vote son rattachement à l’Arménie le 20 février 1988. Débute alors une guerre opposant Azerbaïdjanais et Arméniens Karabaghtsi bénéficiant du soutien d’Erevan. Un cessez-le-feu est conclu le 16 mai 1994, sans toutefois que l’hostilité disparaisse. Le conflit causa la mort de 30.000 personnes et engendra des centaines de milliers de réfugiés.
Les Arméniens contrôlent actuellement la quasi-totalité du Haut-Karabagh ainsi que plusieurs districts alentours, districts regroupant environ 9% du territoire azéri[1]. Le statu quo prévaut mais aucun accord diplomatique n’a encore été trouvé. Les négociations conduites sous la direction du Groupe de Minsk de l’OSCE, réunissant notamment la Russie, les Etats-Unis mais aussi la France, butent sur la mise au point d’un règlement pacifique. En novembre 2008, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont signé une déclaration mettant en avant la volonté de trouver une issue pacifique au conflit. Néanmoins les accrochages armés entre les forces arméniennes et azerbaïdjanaises se poursuivent, continuant ainsi à faire de nombreux morts.
Ce conflit latent, très peu médiatisé, se répercute sur le Caucase du fait des enjeux énergétiques et du jeu des alliances entre les Etats de la région. En effet les soutiens apportés à l’Arménie ou à l’Azerbaïdjan résultent du positionnement des puissances régionales vis-à-vis du contrôle des flux d’hydrocarbures. Les répercussions diplomatiques et militaires en découlant ne tendent pas forcement à l’établissement d’une paix durable dans la région.
Le Caucase sud, une zone de tension et d’opposition.
L’Arménie et l’Azerbaïdjan jouissent de soutiens de la part d’Etats puissants et influents dans la région. Ces soutiens cristallisent l’ensemble des oppositions qui déstabilisent depuis de nombreuses années le Sud du Caucase. L’Arménie chrétienne entretient des liens étroits et militaires avec la Russie ainsi qu’avec les Etats d’ Asie central, membres de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective. Elle entretient aussi de bonnes relations avec l’Iran chiite. Ce dernier est très méfiant de l’Azerbaïdjan, bien que chiite, mais très proche de la Turquie sunnite.
L’Azerbaïdjan turcophone est très lié à la Turquie, membre de l’OTAN, ce qui renforce l’opposition de la Russie et de l’Iran. A cela s’ajoute le soutien de plus en plus marqué d’Israël, notamment dans la vente d’armement. Les Etats-Unis soupçonnent Israël d’avoir acheté un aérodrome en Azerbaïdjan pour frapper plus facilement l’Iran si nécessaire, ce qui ne manque pas de raviver les tensions dans la région[2]. Le règlement du conflit du Haut-Karabagh dépend en grande partie des soutiens qu’apportent les Etats à Bakou ou à Erevan. Cependant les intérêts contraires des puissances caucasiennes, voire d’Etats bien plus éloignés comme les Etats Unis, provoquent un blocage des négociations au bénéfice d’une lutte armée discrète mais toujours meurtrière.
L’obtention de drones israéliens par l’Azerbaïdjan, en échange de pétrole, révèle l’un des éléments les plus importants pour la compréhension des tensions régionales à l’origine de la complexité du règlement du conflit pour le Haut-Karabagh. Il s’agit des hydrocarbures.
Les enjeux énergétiques dans le sud Caucase, jeux d’influence dominé par la Russie.
La question de l’énergie dans cette région est absolument capitale pour saisir le comportement des Etats vis-à-vis du conflit opposant l’Arménie et l’Azerbaïdjan a propos du Haut-Karabagh.
La région de la mer Caspienne renferme énormément de pétrole et l’Azerbaïdjan détient une grande part des gisements. En 1993, un consortium pétrolier est créé, l’Azerbaijan International Operating Company comprenant la compagnie nationale azerbaïdjanaise, ainsi que de grandes sociétés occidentales, notamment américaines et britanniques. Le contrat, signé jusqu’en 2025 porte sur l’extraction de 511 millions de tonnes de pétrole, dont 260 millions destinées à l’exportation[3]. Se pose le problème de l’acheminement de ces hydrocarbures de leur lieu d’extraction jusqu’en Europe ou en Amérique. Le tracé de gazoduc ou d’oléoduc nécessite l’installation d’infrastructures sur le territoire de nombreux Etats, mais peuvent aussi servir de moyens de négociation diplomatique. La solution la plus simple était de faire passer les hydrocarbures de l’Azerbaïdjan à la Turquie en passant par l’Arménie. La condition exigée était la rétrocession des territoires occupés par l’Arménie. La solution retenue en 2006 fut le passage par la Géorgie, hostile à Moscou, alliée des Américains et candidate à l’Union Européenne et à l’OTAN. Cela explique le contour régulier de l’Arménie des flux d’hydrocarbures.
Contournement de l’Arménie par les oléoducs et gazoduc[4]
La Russie n’entend pas voir son influence diminuer dans la région du fait de l’alliance entre pays pro-occidentaux à propos des enjeux énergétiques. En attisant les conflits en Géorgie et au Haut-Karabagh, le Kremlin cherche à entretenir une instabilité susceptible de décourager les investisseurs occidentaux nécessaires au financement des installations pétrolières. De ce fait, la Russie peut rester la seule débouchée commerciale et la voie de transit obligée pour l’exportation du pétrole. A ce propose, Alexandre Adler explique qu’ « à plus long terme, Iraniens et Russes, avec l’aide de l’Arménie, sont d’accords pour briser l’indépendance de l’Azerbaïdjan, Etat clé de la région avec son immense potentiel pétrolier en mer Caspienne qui peut être acheminé en Turquie via la Géorgie[5] ». Les alliances classiques demeurent entre Etats pro-russe et pro-occidentaux et les enjeux énergétiques sont un moyen de poursuivre cette lutte d’influence. Le Haut-Karabagh semble alors n’être qu’un prétexte avancé par les deux parties pour la maitrise du sud Caucase. Selon Shahin Abbasov, un expert azerbaïdjanais indépendant, Moscou « détient les clés de la résolution du conflit » mais chercherait à entretenir le statu quo pour conserver son influence sur l’Arménie et l’Azerbaïdjan[6]. Si la Russie prend position trop fortement pour l’un des belligérants au conflit du Haut-Karabagh elle pourrait perdre les liens qu’elle entretient avec eux. L’Arménie, qui a récemment rejoint le projet Vladimir Poutine de l’Union économique eurasiatique, permet à la Russie d’étendre encore plus son influence au sud du Caucase, et ainsi éviter la formation d’une ceinture pro-occidentale reliant la Caspienne à la méditerranée. La Russie ne peut pas non plus perdre ses relations avec Bakou, important client dans la vente d’armes mais aussi fournisseur de pétrole et acteur politique majeur dans la région. Le Kremlin n’a donc aucunement envi d’être obligé de choisir entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
L’opposition entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan à propos du Haut-Karabagh met en lumière les alliances, et les tensions existantes dans le sud Caucase dont la dynamique principale est le contrôle des flux d’hydrocarbures. Le conflit du Haut-Karabagh est en réalité multiscalaire, bien que locale il influe sur toute la région du fait des enjeux énergétiques, et sert à justifier les positions des acteurs influents dans le Caucase du Sud. Ce conflit parait simple, mais en réalité de nombreuses dynamiques entrent en jeu. L’enjeu principal, au niveau régional, n’est pas le retour du Haut-Karabagh à l’Azerbaïdjan mais la stabilité et le contrôle notamment pour la Russie de tout le Sud Caucase. Cependant, au niveau local, les enjeux restent les mêmes qu’en 1994. La politique de défense agressive de Bakou semble démontrer une accélération de la volonté de chasser les Arméniens de ce territoire. L’Azerbaïdjan a depuis 2004 multiplié par 5 son budget de défense. en 2011 celui-ci s’élevait à 2,5 milliard d’euros contre 335 millions pour l’Arménie[7]. Il est alors aisé de comprendre l’empressement d’Erevan à rejoindre les organisations régionales initiées par la Russie justifié par le besoin de s’attacher Moscou comme protecteur face aux volontés belligènes grandissantes de Bakou.
Thomas URQUIJO
Bibliographie
Ouvrage
– ZAJEC Olivier, Introduction à l’analyse géopolitique, Paris, Argos, 2013, 140 p.
Article de presse
– Agence France-Presse, « Le conflit du Haut-Karabakh s’invite à l’Élysée », France 24, publié le 21/10/2014, consulté le 10/02/2015, http://www.france24.com/fr/20141027-haut-karabakh-conflit-sommet-elysee-armenie-azerbaidjan-hollande/.
– DELVECH Bastien, « Le Haut-Karabagh, une mainmise sur des terres azerbaidjanaises », Le Journal international.fr, publié le 30/09/2014, consulté le 11/02/2015, http://www.lejournalinternational.fr/Le-Haut-Karabagh-une-mainmise-armenienne-sur-des-terres-azerbaidjanaises_a2046.html.
– DESCAMP Philippe, «Etat de guerre permanent dans le Haut-Karabagh », Le monde diplomatique, décembre 2012, consulté le 03/02/2015, http://www.monde-diplomatique.fr/2012/12/DESCAMPS/48479.
– DOMITILLE, « Les conflits au Caucase », Géolinks, consulté le 01/02/2015, /geopolitique/russie-caucase/les-conflits-au-caucase/.
– VANER Semih, « La Caspienne : enjeu pour l’Azerbaïdjan, et l’Azerbaïdjan comme enjeu », Cahiers d’études sur la Méditerranée orientale et le monde Turco-iranien, publié le 2 mars 2005, consulté le 11/02/2015, http://cemoti.revues.org/117#tocto2n8.
– SAUVAIN Nicolas, « Arménie Azerbaïdjan, la tension monte au haut-Karabagh », Classe international, publié le 16/12/2014, consulté le 02/02/2015, http://classe-internationale.com/2014/12/16/armenie-azerbaidjan-la-tension-monte-au-haut-karabagh/.
[1] SAUVAIN Nicolas, « Arménie Azerbaïdjan, la tension monte au Haut-Karabagh », Classe international, publié le 16/12/2014, consulté le 02/02/2015, http://classe-internationale.com/2014/12/16/armenie-azerbaidjan-la-tension-monte-au-haut-karabagh/.
[2] DESCAMP Philippe, «Etat de guerre permanent dans le Haut-Karabagh », Le monde diplomatique, décembre 2012, consulté le 03/02/2015, http://www.monde-diplomatique.fr/2012/12/DESCAMPS/48479.
[3] VANER Semih, « La Caspienne : enjeu pour l’Azerbaïdjan, et l’Azerbaïdjan comme enjeu », Cahiers d’études sur la Méditerranée orientale et le monde Turco-iranien, publié le 2 mars 2005, consulté le 11/02/2015, http://cemoti.revues.org/117#tocto2n8.
[4]DOMITILLE, « Les conflits au Caucase », Géolinks, consulté le 01/02/2015, /geopolitique/russie-caucase/les-conflits-au-caucase/.
[5] Ibid.
[6] Agence France-Presse, « Le conflit du Haut-Karabagh s’invite à l’Élysée », France 24, publié le 21/10/2014, consulté le 10/02/2015, http://www.france24.com/fr/20141027-haut-karabakh-conflit-sommet-elysee-armenie-azerbaidjan-hollande/.
[7] SAUVAIN Nicolas, Art. Cit.