Le catholicisme a ceci de particulier qu’il est la seule religion au monde dont l’autorité spirituelle est dotée d’un véritable pouvoir temporel. C’est en 752 que le Pape obtient des Etats pontificaux sur lesquels il exerce les pleins pouvoirs. A la fin du XIXe siècle, l’unification de l’Italie va considérablement réduire les terres pontificales qui se résumeront à quelques hectares au cœur de Rome. Les accords de Latran passés en 1929 entre l’Etat italien et le Saint-Siège reconnaîtront la souveraineté du Pape sur le Vatican, Etat de plein droit. On constate paradoxalement qu’alors que le Saint-Siège perd une grande part de son autorité territoriale, son influence sur la scène diplomatique internationale ne cesse de croître, comme si la perte de ses terres avait poussé l’autorité catholique à se recentrer sur sa vocation spirituelle mondiale. Cette particularité est toute entière contenue dans cette question de Staline « Le Vatican, combien de divisions ? », pour parler de cet Etat dont l’Armée des gardes suisses est la plus petite armée du monde (110 hommes). Plus surprenant encore, cette capacité d’influence du Saint Père ne se limite pas aux zones catholiques, les dernières années ont montré son pouvoir sur des Etats athées comme lors de la crise de Cuba.
Comment le Vatican joue-t-il et dépasse-t-il la temporalité de son pouvoir de chef d’Etat pour exercer une influence politique et spirituelle à la dimension quasi universelle ?
I. Un pouvoir temporel conféré par le droit public international – la diplomatie du Vatican
A. Un Etat reconnu
Le christianisme est la seule religion au monde disposant d’un véritable pouvoir politique par le fait même que son autorité religieuse est dotée de réels pouvoirs temporels sur un pays, le Vatican (même si dans les faits il ne s’agit que d’un gouvernement), reconnus en droit public international.
Si le Vatican ne s’étend que sur 44 hectares et ne compte que 1000 citoyens temporaires, il possède néanmoins toutes les caractéristiques d’un véritable Etat. Le Saint-Siège est doté d’une représentation diplomatique dans la quasi-totalité des Etats du monde à travers les émissaires pontificaux que sont les nonces apostoliques. Le Saint-Siège cherche à établir des relations avec tous les États, quels que soient leurs régimes politiques ou la conviction religieuse de leurs citoyens (en particulier la Russie et la Chine récemment, mais nous reviendrons sur ce point ultérieurement). Il a une représentation diplomatique également au sein des principales organisations internationales : L’UNESCO, le HCR, l’OMS, l’Union Européenne.
Le pouvoir du Vatican en tant qu’Etat est pleinement reconnu dans le monde. Le nombre d’états représentés au Saint-Siège a en effet considérablement augmenté : 4 sous le règne du Pape Léon XIII au début du siècle, 87 sous Paul VI et 165 actuellement. Les funérailles de Jean-Paul II en 2005, témoignent de l’écho international atteint par la papauté, ne serait-ce que par la foule impressionnante des grands de ce monde venus se recueillir place Saint-Pierre.
B. Quelle place en Italie ?
Le Vatican a donc les caractéristiques d’un Etat et est reconnu comme tel par la communauté internationale. Toutefois, le Vatican se situe à l’intérieur de Rome, la capitale d’un autre Etat : l’Italie. Quel rôle joue le Vatican dans la politique italienne ?
Après l’unification de l’Italie en 1846, la question romaine pèse sur la politique du pays. Le pouvoir souhaite installer la capitale italienne à Rome, dont les terres appartiennent pourtant alors à l’Eglise. L’enjeu est grand pour l’unité du nouveau pays, car le peuple italien est très attaché à la religion catholique. L’opinion publique suit le pape et la question romaine pourrait la rendre hostile au pouvoir en place. Les négociations seront longues et difficiles pour le gouvernement italien. En 1871, la Loi des Garanties reconnait au Vatican la jouissance exclusive des terres qui correspondent à sa surface actuelle. Toutefois, Pie IX refuse cet accord et se déclare « prisonnier du Vatican ». C’est en 1929 avec les accords de Latran que la question romaine sera résolue. Les négociations sont menées avec le gouvernement fasciste de Mussolini, alors au pouvoir. L’Eglise voit dans le fascisme italien un gouvernement moins libéral et plus rassurant pour le maintien de ses valeurs que le gouvernement du Risorgimento. Par les accords de Latran, le Vatican accepte de réduire ses terres à une portion symbolique, pour concentrer son action sur le rayonnement spirituel de l’Eglise. En contrepartie, l’Etat italien verse des compensations financières au Saint-Siège et reconnait la place de l’Eglise en Italie. Le catholicisme devient la religion officielle et l’enseignement religieux est obligatoire à l’école.
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, l’Eglise est un refuge de stabilité pour la société italienne. Au sortir de cette guerre, Alcide de Gasperi fonde le parti de la Démocratie Chrétienne. La Démocratie Chrétienne et le Parti Communiste rédigent conjointement la Constitution italienne. La place de l’Eglise dans la société italienne et la montée de la Démocratie Chrétienne permettent au Saint-Siège de maintenir les accords de Latran. Puis, lors des élections du nouveau gouvernement, l’Eglise s’implique fortement auprès de la Démocratie Chrétienne. L’Eglise entame une période de reprise d’influence sur la société italienne, qu’elle peut maintenant atteindre au niveau politique.
La nomination de Jean Paul II en 1978 marque un tournant pour la position de l’Eglise en Italie. Le nouveau pape n’étant pas italien, le Saint-Siège se détache du sentiment de possession de l’Italie qui avait prévalu jusqu’alors. Les intentions du nouveau Pape sont plus universelles.
La révision des accords du Latran en 1984 marquent la sécularisation de la société italienne. En 1994, la Démocratie Chrétienne disparaît. L’Eglise diminue donc de plus en plus son influence visible sur la société italienne.
II. Du temporel au spirituel : La diplomatie du Saint Siège – le soft power
A. La défense des catholiques
Avant Latran, une grande partie de l’action pontificale se concentrait dans la sauvegarde des états pontificaux. Paradoxalement, avec la réduction des états pontificaux à un Etat de quelques hectares, le Saint-Siège a pu recentrer son pouvoir d’influence dans le monde. Si le Saint-Siège s’est auparavant attaché à la sauvegarde de ses Etats comme une fin, il a retrouvé sa vocation première en ne les voyant plus que comme un moyen dont il fait largement usage. On parle de « temporalisme rénové ». Ainsi, Jean-Paul II a défini l’Etat du Vatican comme « garantie de l’exercice de la liberté spirituelle du Siège apostolique, et donc comme moyen d’en assurer l’indépendance réelle et visible dans son activité de gouvernement en faveur de l’Église universelle ». Ou autrement formulé par Pie XI, c’est « un petit lopin de terre bien utile au Saint-Siège ». Le Vatican, en tant qu’Etat indépendant est le symbole de l’indépendance de l’autorité de la foi catholique.
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, la défense des catholiques par le Pape donnera lieu à des controverses quant à la dénonciation du nazisme par l’Eglise. Par volonté de préserver les communautés catholiques d’Europe et notamment d’Allemagne et de Pologne, l’Eglise a modéré ses prises de position et n’a pas joué de son aura pour dénoncer le nazisme.
Après-guerre, la vision diplomatique s’élargit à l’Europe de l’Est et au monde. Jean Paul II étant polonais, il jouera un rôle important dans la défense des communautés catholiques des pays sous contrôle soviétique pendant la Guerre Froide. L’ « Eglise du Silence » retrouve une voix par les visites de Jean Paul II en Pologne. Ces actions ont contribué à l’implosion du régime communiste.
B. Les instruments du soft power
Le Vatican s’est doté d’instruments de propagation de son influence : il a sa propre banque qui peut frapper des euros à l’effigie du souverain pontife, ou encore une poste qui édite des timbres. A cela s’ajoute une imprimerie qui publie les écrits pontificaux en 94 langues, une station de radio diffusé en 33 langues et un journal quotidien, l’Observateur Romano. Tous ces instruments sont autant de moyens de diffuser la pensée catholique dans le monde.
La personne particulièrement charismatique de Jean-Paul II a largement contribué au rayonnement de la foi catholique dans le monde. Il s’est fait le brillant messager des valeurs chrétiennes. Le pape Jean-Paul II a visité 117 pays durant les 26 années de son pontificat.
Les Journées Mondiales de la Jeunesse rassemblent tous les ans les jeunesses catholiques du monde à Rome et dans d’autres villes. Ces événements réunissent des millions de fidèles et offrent un rayonnement médiatique de grande ampleur à l’Eglise et au Vatican.
Ces différents instruments permettent de diffuser la religion catholique dans le monde et de fédérer la communauté des catholiques. Un des objectifs de la diplomatie du Vatican est en effet de défendre les catholiques dans le monde. Son action diplomatique après le Seconde Guerre Mondiale est marquée par cette volonté.
L’État symbolique est devenue l’arme d’une conscience morale catholique certes mais de plus en plus universelle.
III. Vers une déconfessionnalisation de l’action diplomatique
La diplomatie vaticane se détache peu à peu de son statut d’autorité théocratique. En même temps que le Saint-Siège a élargi sa diplomatie au niveau international, ses actions se sont orientées vers les domaines politiques et sociaux. L’Eglise souhaite défendre des valeurs universelles au-delà de la communauté des croyants. Le principe de paix guide ses prises de positions au niveau international.
L’engagement du Vatican pour des valeurs universelles se détachant de l’aspect religieux date d’avant la Seconde Guerre Mondiale. Notamment, la rédaction du « rerum novarum » en 1891 par le Pape Leon XIII plaidait pour la défense des conditions de travail des ouvriers dans le cadre de l’industrialisation en Europe. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, le Vatican a eu une position controversée quant à la dénonciation du nazisme et de l’antisémitisme. Une encyclique rédigée en 1937 par le Pape Pie XI mettait en garde contre le nazisme les persécutions des juifs. Toutefois, les actions menées par son successeur Pie XII sont ambivalentes. Ses prises de position ont été jugées très timides, car le Pape craignait les représailles du régime nazi.
Toutefois, c’est l’après guerre, et plus encore l’après Guerre Froide, qui ont marqué l’universalisation de la politique extérieure du Vatican. Jean Paul II a été le plus grand instigateur de ce tournant et a orienté la politique extérieure du Vatican vers la lutte contre les conflits et la défense des droits de l’homme. Le Pape a dénoncé la course aux armements et prôné le droit d’intervention humanitaire. Ses nombreux voyages ont été un instrument fort de la politique étrangère du Vatican. Notamment le voyage historique à Cuba en 1998 a réaffirmé la volonté de l’Eglise de maintenir des relations avec des pays athées après la Guerre Froide. Le Pape avait alors pris position contre l’embargo pratiqué par les Etats-Unis. En Israël, le Pape a demandé pardon pour les souffrances imposées aux Juifs par les communautés chrétiennes et a plaidé pour un « statut spécial internationalement garanti » pour Jérusalem et ses lieux saints. Le voyage au Maroc en 1985 est la première visite d’un Pape dans un pays musulman.
Aujourd’hui, n’importe quel pays peut nouer des relations diplomatiques avec le Vatican, quelle que soit la religion officielle ou pratiquée dans ce pays. Le Vatican souhaite actuellement nouer des relations diplomatiques avec la Chine et la Russie. Les négociations sont en cours : en échange d’un voyage diplomatique en Chine le Saint-Siège romprait ses relations avec Taiwan.
On voit donc que la politique extérieure du Vatican s’oriente vers la promotion de valeurs universelle plus que vers la défense de la religion catholique. De plus, le Vatican est sollicité pour prendre position sur des questions de société telles que la mondialisation. Le Vatican prend la parole lors de conférences internationales pour défendre des positions sur des sujets de société. Par exemple, le Pape est intervenu dans la conférence sur la population et le développement au Caire en 1994 et dans la conférence sur les femmes à Pékin en 2005.
Un des objectifs du Vatican est qu’il existe une communauté de nations. La justice est la base de ses relations internationales, et le Saint-Siège prône le respect de la charte de l’ONU et du droit international.
La diplomatie du Vatican rencontre parfois des contradictions dans son désir de défense de valeurs à vocation universelle. Ainsi la position du Vatican sur la contraception et en particulier l’usage du préservatif contre la propagation du SIDA en Afrique a soulevé de nombreuses polémiques.
Quelques dates récentes de la diplomatie :
1979 : médiation entre l’Argentine et le Chili à propos du Canal de Beagle
2 octobre 1979 : discours à l’assemblée générale de l’ONU à New York
2 juin 1980 : discours à l’UNESCO à Paris
15 janvier 1981 : audience à une délégation de Solidarność
1982 : médiation lors de la guerre des Malouines entre l’Argentine et le Royaume-Uni
1982, 1984, 1989, 1997 : interventions pour la paix en Moyen-Orient et au Liban
13 janvier 1987 : audience au général Jaruzelski
1er décembre 1989 : visite officielle de Mikhaïl Gorbatchev
15 janvier 1991 : lettres à George Bush et Saddam Hussein
5 février 1991 : visite officielle de Lech Wałęsa, président polonais
30 décembre 1993 : signature d’un accord entre le Saint-Siège et Israël
1994-1995 : intervention pour la paix dans les Balkans
5 octobre 1995 : discours à l’assemblée générale de l’ONU à New York
15 février 2000 : signature d’un accord entre le Saint-Siège et l’OLP
2003 : prise de position ferme contre l’intervention américaine en Irak
Conclusion
Le Vatican, Etat minuscule à l���intérieur de Rome et de l’Italie, a paradoxalement puisé son influence politique par la réduction de ses frontières. Ses ambitions ont évolué avec le temps. D’abord consacré au maintien de ses terres, puis à son influence en Italie, le Vatican s’est peu à peu ouvert au monde. La sécularisation de la société italienne, et le détachement du Vatican de la vie politique italienne a marqué cette internationalisation. Ce sont les années 1960 qui ont appuyé ce tournant, lorsque le Vatican a usé de sa diplomatie pour défendre les populations catholiques, notamment en contexte de Guerre Froide. De cette dimension surtout religieuse, l’action de l’Eglise a évolué pour défendre des valeurs universelles telles que la paix et la justice. Le règne de Jean Paul II a été particulièrement important dans cette évolution.
Ainsi, le Vatican est passé en cent ans d’une politique en partie temporelle à un rayonnement international centré sur la spiritualité, puis à une diplomatie défendant des valeurs universelles.
Sources :
La Croix, Un siècle dans les coulisses de la diplomatie vaticane – article du 29/10/2010 disponible en ligne : http://www.la-croix.com/Religion/S-informer/Actualite/Un-siecle-dans-les-coulisses-de-la-diplomatie-vaticane-_NG_-2010-10-29-558031
Sergio Romano, La foi et le pouvoir. Le Vatican et l’Italie de Pie IX à Benoît XVI, 2007, p. 191-321 – résumé disponible en ligne : http://assr.revues.org/15923
Slate, Les croyants et la chute du mur – article du 07/11/2009 disponible en ligne : http://www.slate.fr/story/12697/les-croyants-et-la-chute-du-mur
Le Monde Diplomatique, Les nouvelles armes du Vatican – archive de janvier 1998 disponible en ligne : http://www.monde-diplomatique.fr/1998/01/ZIZOLA/9794
Diplomatie, Dossier « La politique étrangère du Vatican » – numéro 4, juillet-août 2003
Arte, Le dessous des cartes : Vatican- le plus petit Etat du monde – documentaire de 2006
Jean-Michel Meurice, Le vrai pouvoir du Vatican – documentaire de 2010 diffusé par Arte