LA GUERRE JUSTE
Géopolitique – IAE Lyon 3 – G. BLIN
Année Universitaire 2014/2015
Solange MARTINET
« On ne cherche pas la paix pour faire la guerre, mais on fait la guerre pour obtenir la paix. Sois donc pacifique en combattant, afin de conduire ceux que tu connais au bienfait de la paix, en remportant sur eux la victoire. », (Saint Augustin)
La doctrine de la Guerre Juste correspond à un modèle de pensée et un ensemble de règles de conduites morales, conduisant à la définition de conditions à la mise en place d’une guerre dite « juste ». C’est-à-dire une guerre moralement acceptable par l’opinion publique.
En sciences politiques, la Guerre Juste peut être définie comme une doctrine d’action, limitant la mise en œuvre et le déroulement des guerres, à travers certains principes.
Historiquement, la notion la plus précise de « Juste Guerre » provient de la culture Indou, à travers une liste des principaux critères à respecter. Parmi eux, la proportionnalité, l’utilisation de moyens justes, la nécessité d’une cause juste et le traitement équitable des prisonniers et des blessés.
En Occident, cette notion provient essentiellement des pensées de Cicéron (cf. Lexique). Ce dernier intègre les guerres défensives, préventives, ou même de représailles dans la définition des « Guerres Justes ».
Cette interprétation sera ensuite reprise par de nombreux auteurs et philosophes tels que Sénèque (cf. Lexique), qui ajoute une justification de la guerre à travers les interventions humanitaires, appelées « militarisme de l’humanitaire ». Comme par exemple l’opération « Restaure Hope » menée en 1992 par l’ONU en Somalie pour stopper la guerre civile qui rongeait le pays (cf. Annexe 1).
La pensée Chrétienne quand à elle va limiter la notion de « Guerre Juste ». En effet, selon la religion, la paix est un acte de vertu, et la guerre est contraire à la paix. C’est donc un péché. Mais St Augustin (cf. Lexique) va quand même justifier la guerre par l’action de défense des Etats, et à la condition d’une première agression par les envahisseurs/ennemis (qui correspond donc à une violation de la paix). Cette justification sera utilisée à nombreuses reprises au cours de l’histoire, notamment durant la guerre du Golfe : à l’époque, l’Irak convoitait le Koweït pour ses ressources (pétrole). L’invasion en 1990 par l’armée Irakienne a déclenché le conflit (cf. Annexe 2).
Au XIIIe siècle, St Thomas d’Aquin (cf. Lexique) (dans La Somme Théologique) déclare que la guerre n’est pas toujours un pêché, et qu’elle peut être juste, sous trois conditions :
– Auctoritas principis : La guerre est juste si elle est décidée par une autorité légitime qui recherche le bien publique. A contrario de la décision individuelle appelée persona privata ;
– Causa justa : La cause doit être juste ;
– Intentio recta : L’intention doit avoir pour seul but de faire triompher l’intérêt commun, sans causes cachées.
Un peu plus tard, l’école de Salamanque (cf. Lexique) reconnait la guerre préventive comme étant juste, et va poser comme condition que la guerre ne doit être qu’un dernier recours pour éviter « un mal plus grand ». Mais que toutes les formes de dialogues et différents recours devront être mis en place en amont.
En 1648, la fin de la guerre de 30 ans va apporter l’ordre Westphalien (cf. Lexique). L’ordre du monde se composera alors d’Etats Souverains, et l’ONU est créée. La notion de guerre juste évolue alors. La légitimité est déclenchée lorsqu’un état attaque l’un de ses états nations. Par contre les problèmes internes (comme en Chine ou en Syrie) ne suffisent pas à donner légitimité à une intervention dans le conflit par d’autres Etats.
En 1918, W. Wilson (cf. Lexique) crée la doctrine des Sociétés Des Nations (SDN). La suprématie du monde prend alors racine à partir de l’alibi des valeurs : on intervient pour les droits de l’homme exclusivement (ex. : Lybie, on intervient au Moyen orient pour instaurer la démocratie)
A l’époque contemporaine, Michael Walzer divise le principe de Guerre Juste en 3 catégories, les « Laws of War » :
- Le « Jus ad Bellum » : La guerre ne peut avoir comme objectif que la paix et la justice.
Cette notion peut être illustrée par les interventions autorisées en Somalie en 2011(cf. annexe 3).
- Le « Jus in Bello » ou « droit international humanitaire » : La légitimité d’entrer en guerre est régie par 2 critères : la discrimination (on ne fait pas subir les répercussions de la guerre au peuple innocent), et la proportionnalité (les dégâts infligés ne doivent pas dépasser un certain niveau. On met l’accent sur l’importance de la politique des droits de la guerre, l’Etat décide seul de la justesse et la justice de la cause de la guerre
- Le « Jus post Bellum » : concerne la phase terminale et les accords de paix qui doivent être équitables pour toutes les parties.
En se basant sur ces différentes définitions, apportées à travers le temps, on peut se poser la problématique suivante : « Une guerre peut-elle être réellement juste ? »
Tout d’abord, les différents principes de Walzer ne sont souvent pas respectés.
En effet, dans un premier temps les conséquences de la guerre sont souvent désastreuses (destructions, victimes, injustices, etc.) le « Jus post Bellum » n’est donc pas souvent respecté, (cf. Annexe 4)
Ensuite, la théorie du « Jus in Bello » oublie que les Etat qui décident de la légitimité de leurs actes sont conduits par des Hommes de pouvoir. Ces derniers sont au dessus des lois, et agissent pour leur propre intérêt (gagner du territoire, du pouvoir…etc.), pour agrandir leur puissance. Cela se retrouve dans la théorie des Réalistes (cf. Lexique) qui démontre que la morale est faite pour les personnes et les situations « ordinaires ». Donc la morale est totalement incompatible avec une situation d’urgence, exceptionnelle, telle que la guerre. Elle est donc incompatible avec l’aspect politique des guerres (Machiavel, dans son traité Le Prince).
Toujours dans la même idée, la théorie de la discrimination est contestée par Rothbard (cf. Lexique) par le fait que l’entrée dans la guerre d’un gouvernement induit des conséquences sur ses citoyens, telles que : une augmentation des impôts (et donc une certaine forme de violation des droits de propriété), ainsi que des dégâts collatéraux sur des personnes innocentes. L’implication des Etats dans le conflit n’est donc finalement pas juste, du moins pas pour tout le monde.
Depuis la seconde guerre mondiale, il existe de nombreux problèmes concernant le « Jus in Bello », à travers l’utilisation d’armes à longue portée, ou encore le recours à l’arme nucléaire par les Américains en 1945 par le Japon. Car cela touche la population innocente.
Finalement, la notion de « Guerre Juste » contredit la pensée Chrétienne qui dit que la guerre en elle-même est un péché.
Ainsi, le terme de « Guerre Juste » est mal définit en lui-même, car une guerre ne peut être considérée comme « Juste », même si la cause est légitime. En effet, cette dernière peut être réellement “Juste” (cause humanitaire par exemple), mais la façon de la mener peut ne pas l’être (destruction, tortures, etc.).
Le terme de « Guerre Juste » indique donc en réalité que la cause d’une des parties en conflit puisse être légitime, à partir d’un certain point de vue et de certains critères.
Mais il existe une certaine difficulté pour définir une cause juste ainsi que la moralité d’une guerre.
En effet, le « Jus Ad Bellum », la définition de « cause juste », reste vague et est souvent mise en avant par les Etats de façon à servir leurs intérêts. Ainsi, en plus de revendiquer une cause comme étant basée sur l’aspect matériel (bombardements de villes, destruction de biens, de territoire.. etc.), les Etats intègrent parfois les causes morales et psychologiques (honneur, sentiment d’être menacé, sentiment d’injustice sociale …etc.), afin de justifier une cause qui n’est souvent pas légitime.
Par exemple, quand les Islamistes font la guerre Sainte (la Jihad), on peut se demander s’ils la font pour leur honneur, pour venger une injustice ou pour imposer leurs idéaux au reste du monde.
Finalement, une cause revendiquée par un Etat est souvent difficile à contester car les dirigeants transforment la nature de cette cause afin de la rendre totalement légitime. Par exemple les guerres menées par Hitler ou Saddam Hussen sont injustes car elles servent leur propre intérêt, dans le but d’agrandir leur territoire, mais ces derniers ont toujours prétendu récupérer un territoire leur appartenant de droit.
Ensuite, il existe une grande variété de points de vue éthiques qui sont souvent en contradiction sur l’aspect moral de la guerre: Par exemple :
– Pour les Conséquencialistes seul le résultat compte (par exemple, libérer un peuple d’une dictature ; cf. l’exemple de la Lybie en Annexe 5).
– Pour les Déontologues, seul les règles comptent.
– Les Réalistes défendent les intérêts de la nation et peuvent considérer que tous les moyens sont bons pour atteindre leurs objectifs
– Les Pacifistes condamnent toute forme de guerre et pensent qu’il n’y a pas de guerre juste ;
– De la même façon, les pensées des stratèges et de ceux qui se soucient plus des normes humanitaires s’affrontent.
Il existe donc plusieurs interprétations et courants de pensées basés sur les causes émises qui justifient la guerre. (Par exemple « la liberté », ou encore « l’humanitaire », sont des notions qui ne sont pas définie de la même façon en termes de politique, ou d’économie).
Enfin, d’après St Thomas d’Aquin, l’issue d’une guerre ne justifie pas la justesse, et seul Dieu est capable de juger la légitimité de la guerre en question. Mais dans notre société de plus en plus laïque, les institutions et personnalités pouvant définir ou non la « justesse » d’une guerre sont nombreuses (Etat, Organisations internationales, Président, peuple victime d’une injustice …etc.) et il n’y as aucun moyen de connaitre la valeur accordée a chacune d’elle pour tenir ce rôle de « juge ». De plus, plusieurs normes créées par le Conseil de Sécurité de l’ONU, et la mise en place de tribunaux pénaux internationaux (par exemple pour le cas de l’ancienne Yougoslavie ou du Rwanda, cf. Annexe 6) a eu des répercussions sur la conduite des relations internationales (querelles, modifications et interprétations).
En conclusion, il s’avère que le terme de « Guerre Juste » ne peut pas être vrai. Une guerre, d’un point de vue éthique n’est jamais « Juste ».
De plus cette notion reste ouverte à un grand nombre d’interprétations.
La Guerre Juste se présente en réalité come un véritable outil de guerre. Elle permet de faire jouer les mécanismes de légitimation et donc d’avoir un impact psychologique positif sur la population des pays concernés. En stratégie, légitimer la guerre est très important, car l’opinion publique est un outil clefs pour les dirigeants, pour appuyer leur démocratie ou leur dictature.
Aujourd’hui, avec l’avancée et l’utilisation des armes de destruction massives (arme nucléaire, guerres chimiques) il est difficile de définir la notion de Guerre juste comme étant encore pertinente. Michael Walzer (cf. Glossaire) a pu écrire que « les armes nucléaires pulvérisent la théorie de la guerre juste » (Guerres justes ou injustes). Au contraire, on peut se demander si l’arrivée de nouvelles technologies (telles que les drones ou les armées robotisées) apporterons des guerres sans injustices.
BIBLIOGRAPHIE
Justifier la guerre ? , ouvrage de Gilles Andréani et Pierre Hassner
Cours Master 1 Géopolitique de M. Patrick LOUIS
La notion de Guerre Juste : un point de vue critique, par Bertrand Lemennicier
22-23 Mars 2003, Libertarian International Spring Convention, Krakow, Poland.
Ministère de l’éducation Nationale, Guerre Juste
Sites internet :
Guerre Juste :
http://etudesgeostrategiques.com/2013/11/02/quelle-pertinence-pour-la-notion-de-la-guerre-juste/
http://zenon59.free.fr/Guerres%20justes.htm
Cas de la Somalie :
Guerre Juste et les Drones :
http://blog.mondediplo.net/2013-11-23-La-guerre-juste-d-Obama-avec-ses-drones
http://www.humanoides.fr/2014/01/22/larmee-americaine-veut-remplacer-ses-soldats-par-des-robots/
Ordre Westphalien :
Lexique
Cicéron : (3 janvier 106 av. J.-C. – 7 décembre 43 av. J.-C). , philosophe romain, homme d’État et auteur Latin.
Sénèque : (4 av. J.-C. – 12 avril 65 après J.-C.), est un philosophe, un dramaturge et un homme d’État Romain du Ier siècle de l’ère chrétienne.
St Augustin : (le 13 novembre 354 – le 28 août 430), un philosophe et théologien chrétien d’origine Berbère.
St Thomas d’Aquin : (1224/1225 – 7 mars 1274), religieux de l’ordre dominicain, l’un des principaux maîtres de la philosophie scolastique et de la théologie Catholique.
L’école de Salamanque : (ou « Escuela de Salamanca ») est le nom donné au XXe siècle à un groupe de théologiens et de juristes espagnols du XVIe siècle, liés à l’ancienne université de Salamanque.
Jean-Jacques Rousseau : (28 juin 1712 – 2 juillet 1778), est un écrivain, philosophe et musicien Genevois.
Emmanuel Kant : (22 avril 1724 – 12 février 1804), philosophe allemand, fondateur de « l’idéalisme transcendantal ».
L’ordre Westphalien : ou « le système Westphalien », signé en 1648, instaure les concepts directeurs des relations internationales modernes :
- L’équilibre des puissances, c’est-à-dire que tout Etat, petit ou grand, à la même importance sur la scène internationale
- L’inviolabilité de la souveraineté nationale
- Le principe de non-ingérence dans les affaires d’autrui
Thomas Woodrow Wilson : (1856 – 1924), est le vingt-huitième président des États-Unis. Il est élu pour deux mandats de 1913 à 1921.
Michael Walzer : (13 mars 1935 – ) est un philosophe, théoricien de la société qui a beaucoup travaillé sur des domaines tels que la politique, l’éthique, mais aussi la justice. Il est professeur de « l’Institute for Advanced Study » à Princeton.
Murray Newton Rothbard (2 mars 1926 – 7 janvier 1995) économiste et philosophe politique américain.
ANNEXES
Annexe 1 : Intervention Humanitaire en SOMALIE, 1992 : Opération « Restaure Hope »
- Contexte : Guerre civile en Somalie depuis 1978
- Conséquences : Famine, Misère, Enfants soldats
- 1993 : Intervention par l’ONU, conduite par les Etats-Unis : avec l’objectif de pacifier la Somalie, désarmer les milices, protéger les plus faibles et sauver la population de la famine
Annexe 2 : La Guerre du Golfe
- Irak convoite le Koweït
- 1990 : Irak envahit le Koweït
- 1990-1991 : Coalition de 34 pays (soutenue par l’ONU) qui interviennent dans le conflit pour rétablir la souveraineté du Koweït
Annexe 3 : En 2011 : intervention du Kenya en Somalie – opération Linda Nchi (« protéger le pays »)
- Intervention des armées du Kenya, avec l’objectif de Stopper la guerre civile Somalienne
- Armée Kenya a apporté son support à l’armée Somalienne dans la guerre civile
Annexe 4 : Bilan des guerres ; exemple de la 2ème Guerre Mondiale
Bilan Humain :
Militaires Européens morts | 17 877 000 |
Coté alliés | 10 774 000 |
Coté forces de l’Axe | 7 103 000 |
Pertes militaires du conflit Germano-Soviétique | 13 876 400 |
Bilan Matériel/Autre :
Villes partiellement détruites | Berlin / Varsovie/Londres/Rotterdam/Hiroshima, Nagasaki, Tokyo, Manille, Hambourg, Stalingrad, Léningrad, Sébastopol, Kiev, Kharkov, Budapest. |
Montant reconstruction en France | 4 milliards 900 millions de francs |
Nombres d’habitations détruites (France) | 300 000 |
Villes Françaises détruites | Brest, Caen, Le Havre, Lorient, Saint-Nazaire, Saint-Lô, Évreux, Saint-Malo, Rouen. |
Dommages infrastructures | routes, ponts, voies ferrées et ports provoque l’isolement de nombreux villages. |
Autres conséquences | Famine (Hollande), sans abris, …etc. |
Bilan psychologiques | Traumatismes causés par pertes et par les prisonniers des camps de concentration et par les soldats |
Bilan économique | Niveau production bas |
Endettement
Echanges commerciaux restreints
Inflation
Annexe 5 : Libérer un peuple d’une dictature : l’exemple de la Lybie en 2011
- Les puissances occidentales, sous couvert de l’OTAN se sont engagées dans une intervention militaire, censée aider le peuple Libyen à se libérer de la dictature du colonel Kadhafi
- L’intervention a eu lieu suite à un mouvement de protestation de la dictature par le peuple
- L’objectif était alors de restaurer la démocratie et la paix en Lybie
Annexe 6 : Mise en place de tribunal pénal international, exemples de l’ex-Yougoslavie et du Rwanda
Cas de l’ex-Yougoslavie :
– Tribunal pénal international instauré en 1993 ;
– Affiliée à l’ONU ;
– Objectif : poursuivre et juger les personnes coupables de violation grave du droit international humanitaire sur le territoire de l’ex-Yougoslavie, à partir de janvier 1991, durant les différentes guerres de Yougoslavie (Guerre de Croatie, Guerre de Bosnie-Herzégovine et Guerre du Kosovo) ;
– Son siège est situé à La Haye (Pays-Bas).
Cas du Rwanda :
Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR)
– A été créé en 1994 par le Conseil de Sécurité des Nations Unies suite au génocide des Tutsi par les Hutus, au Rwanda ;
– Objectif : juger les personnes responsables d’actes de génocide et d’autres violations graves du droit international humanitaire, commis sur le territoire du Rwanda, ou sur les territoires voisins ;
– Siège à Arusha en Tanzanie.