Le 21 janvier 2012 était inauguré le nouveau siège de l’Union Africaine à Addis-Abeba, un magnifique bâtiment en verre d’environ 110 mètres de haut, et financé entièrement par la Chine à hauteur de 200 millions de dollars. Un cadeau sans pareil de la part de l’empire du milieu, qui démontrait par là son amitié pour le continent africain. Le haut fonctionnaire chinois Jia Qinglin disait ainsi : «Ce gigantesque complexe en dit long sur notre amitié envers les peuples africains et porte témoignage de notre entière détermination à aider l’Afrique dans son développement ». Un scénario presque trop beau pour être vrai. Cinq ans plus tard, des ingénieurs informaticiens se sont rendus compte que de nombreuses données confidentielles fuitaient vers Shanghai, et par des recherches plus approfondies ont débusqués des micros dans les salles du bâtiment. La RPC a fermement démenti ces allégations, ce qui n’empêche pas que cette affaire « en dit long » sur le cynisme des dirigeants chinois en ce qui concerne leur bonne volonté à l’égard du continent africain et leur réelle volonté à contribuer à son développement.
Tout d’abord, il est important de rappeler que le continent africain a toujours relevé d’une importance particulière pour la république populaire de Chine, car il constitue un soutien diplomatique important de solidarité entre pays du sud. Dans sa quête à la reconnaissance internationale face à Taïwan dans les années 60, la RPC était en effet soutenue par de nombreux pays africains qui n’ont jamais reconnus Taiwan : l’Ethiopie, le Kenya, le Zimbabwe, la Namibie, l’Angola et bien d’autres encore. Avec l’annonce en mai 2018 de la rupture des relations entre le Burkina Faso et Taïwan, désormais seul le Swaziland reconnait la République de Chine.
Par ailleurs, les grandes humiliations subies par la Chine depuis le 19ème siècle par les occidentaux ont laissé un ressentiment encore bien présent au sein de l’élite mais aussi du peuple. Les guerres de l’opium (1839-1942 / 1856-1860) ainsi que la révolte des Boxers, un mouvement populaire durement réprimé, ont parachevé la domination occidentale sur la Chine jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale.
Il ne faut aussi pas oublier la participation active de la Chine à la conférence de Bandung en 1955 visant à établir une troisième voie face au bipolarisme de la guerre froide. Le proche conseiller de Mao Zedung, Zhou Enlai fut en effet l’un des principaux promoteurs de la conférence, et parvint dans cette optique de rapprochement afro-asiatique de redorer le blason de la RPC sur la scène internationale et de fraterniser avec certains pays africains. Ce non-alignement proclamé de la RPC n’eut en revanche plus de sens quand elle démontra au monde sa puissance nucléaire par un essai de bombe A sur le site de Lop Nor en 1964.
Ces deux grandes sphères géographiques et culturelles partagent ainsi cette histoire de dominés, avec les ressentiments qui peuvent en découler à l’égard du dominant. Toutefois, après la seconde guerre mondiale, le continent Africain a continué à être exploité par les pays occidentaux, par ce qui est parfois appelé du néo-colonialisme. On peut penser par exemple à la politique dite de la « Francafrique » qui a longtemps privilégié les intérêts économiques aux intérêts politiques des pays africains, quitte à maintenir des régimes liberticides au pouvoir. Pékin entend ainsi via sa nouvelle influence en Chine jouer le rôle de l’investisseur bienveillant, opposé au colonisateur occidental avare.
Les intérêts chinois en Afrique suscitent parfois des réactions de la part des pays traditionnellement influents sur le continent. Le soutien à certains régimes autoritaires et la vente d’armes illégales qui servent à alimenter les conflits sont également décriées par l’opinion publique internationale. L’exemple du Sud-Soudan est frappant : le pays est en proie à une guerre civile extrêmement rude pour les civils, et pourtant l’approvisionnement en armes provenant de Chine est encore d’actualité, en dépit des embargos sur les armes imposés par les Nations-Unies[1]. Il ne s’agit toutefois pas d’incriminer la RPC en particulier car de nombreux autres pays s’adonnent à ce genre de pratiques comme le Royaume-Uni ou les Etats-Unis.
La création du Forum sur la Coopération Sino-Africaine dans les années 2000 est bien représentative de l’activité diplomatique chinoise intense envers les pays africains, dans une optique de rapprochement, mais également de sécurisation de ses intérêts stratégiques, économiques et financiers. Les présidents chinois ont en effet multipliés les voyages officiels et rencontres avec les élites africaines ces dernières années. Les pays occidentaux étant souvent taxés de « néocolonialisme » en Afrique, une coopération dite « sud-sud » entre l’empire du milieu et le continent africain s’avère être utile et nécessaire. En revanche, il reste à savoir si cette politique chinoise relève aussi du « néocolonialisme » ?
En décembre 2015 s’est tenu le 2ème sommet du Forum sur la Coopération sinoafricaine, un tournant important pour les relations entre les deux ensembles. En effet, le président Xi Jinping a prononcé un discours d’ouverture marquant où il a exposé les 5 piliers sur lesquelles devra reposer les relations sino-africaines : l’égalité entre les partenaires et la non-ingérence, la coopération gagnant-gagnant, le renforcement des liens culturels, la solidarité et enfin la convergence des intérêts chinois et africains en ce qui concerne les affaires diplomatiques. Toutefois, certaines études, dont celle de l’institut Thomas More, démontre que ce prétendu nouvel intérêt chinois en Afrique reste marginal et que ces deux acteurs restent tournés vers leurs partenaires « historiques » : l’Europe et les Etats-Unis[2]. A court terme, cette affirmation est probablement vérifiable : l’exemple des échanges universitaires est frappant, car les étudiants étrangers chinois et africains vont en très grande partie en Europe ou en Amérique du Nord. Elle ne l’est pourtant pas dans la perspective du long terme. Les efforts diplomatiques et économiques de la Chine sur le continent pourraient être extrêmement bénéfiques dans plusieurs années, quand la raréfaction des hydrocarbures sera une réalité ou quand le boom démographique fera du continent afriain l’un des endroits le plus peuplé de la planète. La sécurisation de ses intérêts stratégiques à cet endroit du monde parait donc indispensable.
Par ailleurs, le potentiel économique du continent africain n’a échappé à aucun Etat dans le monde : ses terres sont extrêmement riches mais malheureusement mal exploitées. Ses ressources naturelles sont donc convoitées par les entreprises et pays étrangers, notamment la Chine qui est passé en 2017 premier importateur de pétrole brut mondial. Une économie donc très dépendante de ses fournisseurs en hydrocarbures. C’est pourquoi la mainmise sur des lieux d’extraction en Afrique est indispensable pour la RPC afin de sécuriser ses acheminements. Les Chinois investissent donc massivement dans le pétrole africain avec l’aval du gouvernement de Pékin. Les principaux investissements pétroliers chinois sont donc en Angola, au Soudan et Soudan du sud, sans oublier les investissements massifs dans le secteur minier notamment en République Démocratique de Congo où sont exploités le cuivre et le cobalt. En 2014, la part des investissements dans les secteurs pétroliers et miniers représentait 83% de tous les investissements chinois en Afrique ce qui est considérable3. Toutefois, la RPC a fait le pari de concrètement dynamiser les secteurs dans lesquelles elle investit, notamment au Soudan où la construction d’un oléoducs et de raffineries à permis au pays de se doter d’une industrie pétrolière propre. Tout cela contrairement à certaines compagnies occidentales telles que la Royal Dutch Shell, qui a investi massivement au Nigéria sans pour autant construire de raffinerie, ce qui réduit le pays à importer de l’essence raffinée, un comble pour cet immense producteur de pétrole brut qui est à la 9ème position mondiale des réserves prouvées de pétrole, devant les Etats-Unis.
Ce système d’import/export entre les deux sphères est pourtant présenté par Pékin comme une politique dite de « gagnant-gagnant », mais il n’a échappé à personne que cette relation est réellement déséquilibrée car les économies de certains pays africains exportateurs de pétrole ou de terres rares peuvent être totalement dépendantes de la Chine. De plus, les bénéfices des investissements chinois sont rarement réinvestis dans l’économie du pays d’accueil, et contribuent peu à l’emploi de main d’oeuvre locale car elle provient généralement directement de Chine. Une relation économique où l’un des deux partenaires exporte uniquement des matières premières et l’autre des produits manufacturés ne peut être saine et équilibrée. L’Inde par exemple qui investi également beaucoup en Afrique, s’approvisionne de façon bien plus diversifiée en Afrique ce qui contribue davantage à l’économie du continent, telle que l’importation de fruits et légumes africains. Si la Chine avait réellement pour objectif d’aider le continent africain à son développement, elle adopterait une politique commerciale moins rentière. Enfin, l’exploitation des ressources africaines par les entreprises chinoises ont un impact considérable sur l’environnement. La Chine est encore considérée comme « un pays en développement », et continue à se présenter en tant que tel car cela joue en sa faveur. Pourtant, de nombreux indicateurs pourraient désormais classer la Chine en tant que pays développé, sachant notamment que c’est la deuxième économie mondiale. Cela lui permet ainsi de disposer de ses ressources naturelles, et celles des autres pays comme bon lui semble en n’étant pas contraint par le protocole de Kyoto par exemple. L’exploitation des ressources y est donc parfois intensive, notamment en ce qui concerne la déforestation. L’exploitation d’autres ressources issues de la biodiversité est également alarmante, car les marchés chinois sont friands de produits tels que la corne de rhinocéros qui a des vertus aphrodisiaque ou l’ivoire d’éléphant, ce qui contribue à augmenter le braconnage illégal, donc accélérer la disparition de ces espèces déjà grandement menacées.
Le sinologue Jean-Pierre Cabestan réfute ainsi la thèse de l’institut Thomas More sur ce désintéressement mutuel entre l’Afrique et la Chine. Selon lui, la présence chinoise en Afrique relèverait davantage de l’impérialisme que du néocolonialisme, car l’ingérence dans les affaires intérieures est privilégiée, plutôt que la mainmise directe sur les affaires nationales, à l’instar de la France pendant la Françafrique[3]. Les externalités négatives de la présence économique chinoise en Afrique pourraient pourtant être limitées, notamment par des décisions multilatérales au sein de l’Union Africaine, qui serait en mesure de légiférer sur l’impact environnemental par exemple. Il est toutefois désormais compliqué pour certaines économies dépendantes de s’opposer diplomatiquement à leur puissance presque « tutélaire ».
Enfin, les intérêts chinois en Afrique rélèvent de considérations purement stratégiques. En effet, les nouvelles politiques dite des « nouvelles routes de la soie » et du « collier de perle » trouvent leurs intérêts en Afrique. C’est la Belt and Road Initiative. En plus de sécuriser leurs approvisionnements, les chinois cherchent également à faciliter et augmenter leurs exportations, vers l’Europe mais aussi vers l’Afrique. La très grande diaspora chinoise en Afrique (environ 1 million) qui ne cesse d’augmenter, constitue aussi un objectif stratégique car elle se doit d’être protégée en cas de problème majeur. Mais bien au-delà de l’aspect économique, la stratégie militaire chinoise en Afrique répond à des considérations sécuritaires, notamment dans l’océan indien face à son rival régional indien.
Malgré ses 15 000 kilomètres de côte, et contrairement aux apparences, la Chine est un pays qui est presque enclavé maritimement : la ceinture d’îles autour de ses côtes l’empêche d’avoir un accès direct aux eaux internationales, ce qui est un problème majeur notamment pour le déplacement de ses 4 sous marins nucléaires lanceurs d’engins. En effet, deux chaînes d’îles, la première composée par Okinawa, Taïwan et les Philippines et la deuxième par les îles Mariannes et Guam, contraignent la RPC dans sa stratégie de puissance à long terme. Le désenclavement peut donc passer par des alliés de la Chine, qui se trouvent en partie autour de l’océan indien : c’est là que le « collier de perles » a son importance.
Un port sur l’océan indien, plus particulièrement sur le détroit du Bab-El-Mandeb a retenu l’attention ces dernières années : la base navale de Djibouti. Historiquement tributaire de la France, ce petit pays a ouvert une concession portuaire au géant chinois, présent officiellement pour lutter contre la piraterie autour du détroit et au large de la corne de l’Afrique. Et pour cause, cet endroit stratégique représente environ 20% de toutes les exportations mondiales, ce qui nécessite une surveillance accrue. La guerre au Yémen menée par l’Arabie Saoudite contribue également à la déstabilisation de cette région stratégique. Cette toute première base militaire chinoise en dehors de son territoire national est donc une aubaine, car elle prolonge le « collier de perles » du port de Gwadar au Pakistan jusqu’aux côtes africaines, lui assurant une présence dans l’océan indien toujours plus accrue[4]. De plus, la présence militaire des Etats-Unis, de la France et du Japon dans ce petit Etat lui permet également de « surveiller » plus facilement les activités de ses rivaux à l’étranger et réciproquement. Cela rompt indéniablement avec la stratégie chinoise officielle qui jusqu’alors prônait la non-ingérence et surtout qui interdisait la construction de bases militaires à l’étranger. Un peu plus loin sur la mer rouge, PortSoudan peut être considéré comme une autre « perle » du collier, mais ne possède pas de bases militaires.
L’acquisition de ports et de concessions à l’étranger ne s’arrêtera donc pas là : la Belt and road Initiative peut encore être étendue et améliorée notamment autour des côtes africaines. Il y quelques jours, une information encore non vérifiée a fait état que la Chine était en mesure de s’emparer de la concession du port de Mombassa au Kenya pour rembourser sa dette d’environ 4.3 milliards d’euros. Bien que la Chine ait démenti cette information, ce scénario est probable car cela est déjà arrivé au Sri Lanka. L’ancien président Rajapaksa avait contracté une énorme dette envers la Chine, ce qui avait permis à cette dernière de s’emparer pour une durée de 99 ans du port Hambantota car elle en avait financé la construction à environ 85%. Une rude nouvelle pour New Dehli qui voyait son premier rival acquérir une position stratégique à quelques kilomètres de ses côtes. Cette expansion diplomatique est donc un exemple marquant de la stratégie chinoise dans l’océan indien, qui pourrait bien un jour concerner directement le continent africain, en tout cas toute sa façade maritime orientale.
Les intérêts de la RPC en Afrique
sont multiples : militaires, économiques, financiers, politiques… Sa stratégie
a changé et rompt avec ses principes traditionnels de noningérence, notamment
entre pays du sud. Mais c’est justement cette proximité affichée entre pays «
en développement » qui a permis à la RPC de s’immiscer dans les affaires
africaines sans pour autant s’attirer l’animosité des élites. Le ressentiment
commun envers l’Europe et le désir d’autonomie sont des ciments qui ont
rapprochés ces deux grandes sphères culturelles. A long terme, la présence
chinoise en Afrique est indispensable pour sa toute nouvelle stratégie de
puissance, qui est désormais affichée au grand jour et qui passe notamment par
la Belt and road Initiative. Et
l’exploitation des ressources naturelles africaines peut être à la fois une
aubaine ou une tare pour les populations locales, qui voient l’économie de leur
pays dynamisée mais ne ressentent aucun changement concret dans leur mode de
vie : tout cela profite en effet soit aux élites africaines, soit aux hommes
d’affaires chinois.On ne peut en
revanche difficilement parler de néocolonialisme, en tout cas pas dans le sens
classique du terme qui découle du mot « colonisation » : la présence chinoise
en Afrique n’a rien à voir avec la mainmise sur le continent noir par l’Europe
avant ou après la seconde guerre mondiale. La RPC abat ses cartes stratégiques,
et dispose en Afrique d’une plus grande marge de main d’oeuvre qu’autre part
dans le monde et en profite, comme l’aurait fait toute autre puissance
occidentale ou non si elle en avait les moyens.
[1] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/09/07/la-chine-ferme-les-yeux-sur-ses-ventes-d-armesen-afrique_4748028_3212.html
[2] DUBOIS DE PRISQUE Emmanuel, Chine-Afrique, Au delà des intérêts économiques, l’indifférence réciproque, Institut Thomas More, Septembre 2018 3 http://www.lesdepechesdebrazzaville.fr/node/37602
[3] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/09/03/sommet–chine–afrique–pekin–n–est–pasneocolonialiste–mais–hegemonique_5349720_3212.html
[4] AMELOT Laurent. « La stratégie chinoise du « collier de perles » », Outre-Terre, vol. 25-26, no. 2, 2010, pp. 187-198.
Bibliographie
Articles :
Amelot, Laurent. « La stratégie chinoise du « collier de perles » », Outre-Terre, vol. 2526, no. 2, 2010, pp. 187-198.
Le Gouriellec Sonia, « Djibouti dans le jeu international », Esprit, 2016/10 (Octobre), p. 13-16. DOI : 10.3917/espri.1610.0013.
Meidan, Michal. « Le pétrole et la Chine-Afrique : plus qu’une relation commerciale », Afrique contemporaine, vol. 228, no. 4, 2008, pp. 95-104.
Niquet-Cabestan, Valérie. « La stratégie africaine de la Chine », Politique étrangère, vol. Été, no. 2, 2006, pp. 361-374.
Ouvrages :
MBABIA Olivier, La Chine en Afrique, Ellipses, Paris, 2012
N’DIAYE Tidiane, Le jaune et le noir, enquête historique, Gallimard, Paris, 2013
TOURRE Brian, De la « Francafrique » à la « Chinafrique », l’Harmattan, Paris, 2012