Armin AREFI, journaliste du magazine hebdomadaire Le point, affirme dans l’un de ses articles en 2013 : « On présente souvent à tort la plus grande rivalité du Moyen-Orient comme celle opposant les juifs et les musulmans, mais on a tendance à oublier un conflit millénaire fratricide autrement plus sanglant car pas un jour ne passe sans que sunnites et chiites s’entretuent. »
Ces deux populations sont pourtant de confession identique : l’islam, et invoquent le même Dieu : Allah. La séparation de l’islam en deux branches distinctes vient ainsi amplifier les tensions dans la région du Moyen Orient, zone déjà multi conflictuelle, ravagée par les guerres de religion et les conflits à caractère nationaliste.
Un contexte semblable à celui-ci soulève de nombreuses interrogations. Quelle est la différence entre le Sunnisme et le Chiisme ? Quelle est l’origine de cette séparation ? Quelles sont les conséquences d’une telle situation ?
Le Sunnisme et le Chiisme : Présentation du clivage
Antoine SFEIR, politologue franco-libanais, se penche sur la question du sunnisme et du chiisme dans son ouvrage L’islam contre l’islam. Il est important de préciser que les faits historiques expliquant le clivage entre sunnites et chiites sont présentés sous plusieurs versions, certaines affichant des points communs, d’autres étant beaucoup plus contradictoires. Ainsi, se pencher sur les travaux d’un politologue non musulman semble être le meilleur moyen de fournir une analyse objective, pour éviter tout jugement personnel et proposer une présentation historique de qualité.
Ainsi, A.SFEIR explique que le sunnisme est une branche de la religion musulmane et représente le courent religieux majoritaire, soit 85% de la population musulmane. Les adhérents à cette branche de la religion sont appelés Sunnites. Ces derniers se réfèrent à 3 sources principales pour établir les règles qui les guident pour une pratique irréprochable de l’islam. Ces sources correspondent au Coran, livre sacré de l’islam, où les musulmans trouvent la parole divine d’Allah. D’autre part, nous avons la sunna, qui correspond à l’ensemble des paroles du Prophète Mahomet, dernier prophète de l’islam, ainsi que ses actions et ses jugements, tels qu’ils sont décrit dans les hadiths, c’est-à-dire les discours du prophète et de ses compagnons (définition du dictionnaire LAROUSSE). Enfin, le qiyâs est la troisième source sur laquelle se base les sunnites, qui est une sorte de jurisprudence et fait référence à l’ensemble des interprétations religieuses, établi par des juristes musulmans pour déterminer la solution à un problème de droit non prévu par les textes du Coran et de la Sunna. D’autre part, nous avons le Chiisme. Ce terme fait référence à l’autre branche de l’islam qui représente 15% des musulmans. Les Chiites ont également pour guide les principales sources de l’islam tels le Coran et les hadiths, mais ce qui les singularise réellement, c’est qu’ils sont partisans de Ali, gendre de Mahomet, ce qui n’est pas le cas des Sunnites.
Les chiites sont majoritairement présent en Iran, Irak, Liban et Bahreïn. Les Sunnites, eux, sont présent dans le reste des pays musulmans.
Aspect historique : Les origines du clivage
Le clivage entre Sunnisme et Chiisme trouve son origine dans une « affaire de succession et d’héritage ».En 632, le prophète Mahomet tombe subitement malade et décède peu de temps après. Trop absorbé par la quête des peuples pour assurer son devoir de prédication afin d’étendre l’islam dans le monde entier, le prophète n’a pas pris le soin de désigner au préalable son successeur. Ses fidèles vont alors se déchirer sur son identité. Il est important de préciser que Mahomet n’a pas eu de fils. La succession aurait été alors évidente.
Ainsi, deux hypothèses s’établissent. La première serait de désigner un membre de la famille du prophète. Le candidat visé est Ali, cumulant le statut de cousin, gendre et fils spirituel de Mahomet. La deuxième hypothèse serait de désigner le plus digne, le plus fidèle et le plus courageux de ses compagnons et plaide un retour des traditions tribales, c’est-à-dire basé sur une domination des tribus. Le candidat visé est Abou Bakr, considéré comme l’ami le plus proche du prophète. Apres maints débats, la deuxième option est considérée comme la plus envisageable et Abou Bakr est désigné premier Calife (successeur du prophète). Il devient ainsi le chef de tous les musulmans du territoire allant de l’Arabie Saoudite à l’Egypte. Ali et ses partisans, révoltés de cette décision, n’interviennent pourtant pas et acceptent de se soumettre à la domination d’Abou Bakr, espérant par la suite acquérir le statut de deuxième Calife après la mort de ce dernier. Pourtant, après la mort de Abou Bakr, deux autres Calife, Omar Ibn Khattab et Othman Ibn Affan, lui succèderons jusqu’en 646. Le quatrième Calife était censée être Mo’awya, porche du troisième Calife Othman Ibn Affan et gouverneur de Damas. Mais avant que ce dernier ne nomme officiellement son successeur, il sera assassiné par Ali, qui attend toujours son titre de succession. Cet épisode permettra à Ali d’acquérir le statut de quatrième Calife, position qu’il a longuement souhaitée, ainsi que ses fidèles depuis 24 ans. Il restera chef des musulmans pendant 5 ans. Mais Moa’wya, ayant toujours refusé de se soumettre au règne de Ali, déclare la guerre à ce dernier en 657. Aussi surprenant que cela puisse paraitre, Ali sera assassiné non pas par Moa’wya, mais par des opposants radicaux au principe même de succession du prophète et de califat, les kharidjistes, qui formerons par la suite une troisième branche de l’islam mais restera jusqu’à aujourd’hui très minoritaire. Après la mort de Ali, Moa’wya accède au pouvoir, et n’ayant jamais reconnu le règne de ce dernier, se considère comme 4ème Calife. Le 5ème Calife sera son fils prénommé Yazid et prendra la succession de son père en 680. C’est le début de la dynastie des Omeyyades. Mais le fils de Ali, Hussein, veut venger son père et reprendre le pouvoir, qui selon lui, lui revient exclusivement du fait de son lien de parenté avec le prophète Mahomet. Hussein débute une bataille contre Yazid dans la ville de Koufa en Irak, mais il perd et doit se rendre. Yazid décide alors d’exécuter Hussein ainsi que l’ensemble de sa famille et de ses hommes pour ne plus risquer une rébellion pour la succession.
Depuis ces événements, le clivage entre Sunnites et Chiites n’a cessé de s’amplifier au fil du temps, laissant les deux populations se faire une guerre sans répit et la haine monter entre eux.
Les conséquences de ce clivage aujourd’hui
Les conséquences de ce clivage n’est un secret pour personne : Sunnites et Chiites ne s’apprécient pas et n’hésitent pas à recourir à la violence pour imposer aux autres leur idéologie religieuse respective. Cette situation influence la géopolitique du Moyen Orient, surtout dans des pays comme l’Irak et le Liban ou les tensions pèsent sur les populations. Depuis quelques années seulement, on constate l’émergence d’un arc Chiite allant du Liban à l’Iran. Ce phénomène suscite l’inquiétude grandissante des pays à majorité Sunnite, comme l’Arabie Saoudite, la Jordanie et l’Egypte, qui constituent alors un « triangle arabo-sunnite » afin de contrer l’influence de plus en plus importante du Chiisme sur les populations arabes. Ainsi, on voit que plus d’un millénaire après, le clivage Sunnisme Chiisme continue à avoir des conséquences sur la région arabo-musulmane du Moyen-Orient. Se pose alors la question de savoir si aujourd’hui, les dirigeants arabes n’utilisent pas ce clivage à des fins politiques.
Rana Daraoucheh
Sources :
SFEIR Antoine, L’islam contre l’islam : l’interminable guerre des sunnites et des chiites, éditions Grasset, 2011,190p.
‘Abd Allah AL-JUNAYD, dialogue constructif entre sunnites et chiites, La maison de la sagesse, 2013