INTRODUCTION
Le mythe de Prométhée, l’empire perdu des Khazars, les voyages de Tolstoï et Dumas nourrissent des imaginaires multiples du Caucase, pont entre l’Europe et l’Asie, la Chrétienté et l’Islam, les mondes turc, persan et slave. Carrefour d’empires traditionnel, mosaïque de peuples, la région doit son nom à la grande barrière de montagnes qui, de cœur de cet espace, en est devenue aujourd’hui la frontière septentrionale physique et juridique. C’est pourquoi privé de son nord, le Sud Caucase se laisse difficilement enfermé dans une définition géographique, physique et humaine.
En effet, le Caucase est une chaîne de montagnes qui s’étend sur 1250km allant du détroit de Kertch (mer Noire) à la presqu’île d’Apchéron (mer Caspienne). Le Caucase est l’une des chaînes les plus élevées, les moins franchissables, et les plus mystérieuses de l’ex-Union soviétique ; une barre culminant à plus de 5 600 m, s’étirant de la mer Noire à la Caspienne.
Le Caucase est partagé entre le Caucase du Sud, aussi appelé Transcaucasie, englobant la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan et le Caucase du Nord, appelé Ciscaucasie, situé en Russie (incluant les républiques de Karatchaïévo-Tcherkessie, de Kabardino-Balkarie, d’Ossétie du Nord, d’Ingouchie, de Tchétchénie et du Daguestan)..
Au delà d’une chaîne de montagne, le Caucase est une des régions les plus composites du monde sur le plan ethnique. Des dizaines de peuples y cohabitent, les uns présents depuis des milliers d’années, d’autres depuis quelques siècles comme les Russes, et au moins six religions y sont pratiquées : juive, orthodoxe, monophysite (christianisme schismatique professant que le Christ n’a qu’une nature divine), sunnite, chiite et bouddhiste.
Sur le plan religieux, si on fait abstraction des minorités juive et bouddhiste, le Caucase peut être sommairement divisé en une moitié musulmane et une moitié chrétienne. Si on se place dans la perspective du « choc des civilisations » énoncé par Samuel Huntington, on peut alors considérer qu’il s’agit d’une ligne de fracture particulièrement forte entre ces deux grandes religions. Les musulmans sunnites résident en Ciscaucasie, au Nord et à l’Ouest de la Transcaucasie, tandis que l’Azerbaïdjan est majoritairement chiite en raison de son ancienne appartenance à l’empire perse. Les arméniens sont chrétiens monophysites, tandis que les Russes, les Géorgiens et les Abkhaze sont orthodoxes ; quelques communautés juives ancestrales subsistent.
Cette incroyable mosaïque de peuples et de cultures aux fortes traditions est donc en partie à l’origine des nombreux conflits qui existent dans cette région. Mais le fait que le Caucase possède des gisements de métaux non ferreux et des réserves de pétrole (Azerbaïdjan et les régions de Maïkop et de Groznyï) jouent également un rôle important.
→ Quels sont donc les enjeux au Caucase qui expliquent une telle multitude de conflits et existe-t-il une issue à cet espace récemment devenu nouveau voisinage de l’Europe ?
Nous allons donc rappeler dans un premier temps ce qui se passe dans les régions du Caucase, puis nous verrons les véritables enjeux qui sont à l’origine des conflits, et enfin nous tenterons d’en dégager les perspectives à la fois positives mais aussi négatives qui ont lieu au Caucase.
ÉTATS DES LIEUX
Situé à la charnière de l’Europe et de l’Asie, entre la Russie au nord, la Turquie et l’Iran au sud, le Caucase, de par sa complexité ethnique et religieuse et son passé riche en évènements et retournements, a toujours constitué un espace sensible au cœur de l’Eurasie.
Durant la période soviétique, Moscou a pu maintenir dans cette région un semblant de stabilité en appliquant une politique de découpage territorial, souvent aberrante, et de divisions subtiles au prix parfois de déplacements de populations. Mais, dès la période Gorbatchev, des conflits violents ont éclaté, conflits qui ont pris de plus en plus d’ampleur à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique. En effet, après 1989, la disparition de l’URSS a permis la création de trois nouveaux États : l’Arménie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan.
Guerre du Haut-Karabakh, conflit abkhaze et intervention massive des forces armées russes en Tchétchénie ont placé le Caucase au centre des préoccupations de la communauté internationale.
Donc, au fond, trois conflits à retenir pour comprendre ce qui se passe dans le Caucase : entre la Géorgie et les ossètes, la Géorgie et les abkhaze et des conflits entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ; tout se passe comme si c’étaient eux qui rythmaient la vie politique et économique de ces pays récemment indépendants.
Le conflit ossète
Au moment de la proclamation d’indépendance en I99I, les régions de l’Abkhazie et de l’Ossétie du sud entrent en conflit avec le pouvoir de Tbilissi. L’Ossétie du sud demande son rattachement à l’Ossétie du nord, c’est à dire à la Russie, ce qui conduit à des affrontements militaires violents, calmés ensuite par l’arrivée, après un accord de la Géorgie, de troupes russes en Ossétie du sud.
Le conflit abkhaze
Les abkhazes réclament leur indépendance en 1992, et entrent pour cela en guerre avec les Géorgiens. Ce conflit en Abkhazie ferme la principale route de passage et de commerce entre la Géorgie et la Russie et condamne le tourisme. Ajoutons que les Abkhaze, minoritaires en Abkhazie, sont soutenus militairement par la Russie. Depuis l’indépendance, la vie politique géorgienne est conditionnée par ces nationalismes ossètes et abkhaze qui pèsent sur la réorganisation du pays, et qui sont une opportunité de manœuvre pour la Russie.
Le conflit du Haut Karabakh.
L’Arménie et l’Azerbaïdjan se disputent le Haut-Karabakh, région de l’Azerbaïdjan, réclamée et occupée par l’Arménie.
La petite Arménie a évidemment servi de refuge aux Arméniens fuyant la 1ère guerre mondiale, aux rescapés du génocide arménien mis en œuvre par les Turcs en 1915 et aujourd’hui aux populations qui fuient le conflit du Haut Karabakh. Le Haut Karabakh est une région au cœur de l’Azerbaïdjan, où vit une majorité d’arméniens et, de ce fait, revendiqué par l’Arménie qui y occupe. Un si étrange découpage territorial remonte en fait aux Britanniques en 1919 et fut ensuite confirmé par Staline, le but, des uns comme des autres, étant évidemment de diviser.
Par ailleurs, l’arrivée au pouvoir à Moscou de M. Vladimir Poutine a coïncidé avec un tournant géostratégique décisif pour le Caucase. L’ouverture, le 17 avril 1999, de l’oléoduc reliant Bakou (Azerbaïdjan) au port de Soupsa (Géorgie), sur la mer Noire, met fin à l’hégémonie russe sur l’exportation des hydrocarbures de la Caspienne. Deux séries d’événements – au Caucase sud et en Russie – en démultiplient les effets.
ENJEUX ACTUELS
L’effondrement de l’Union soviétique a été très vite interprété comme un vide géopolitique dans le Caucase et en Asie centrale, incitant certains États à le combler.
L’Iran et la Turquie ont été les plus prompts à se lancer dans cette entreprise. Historiquement et ethniquement proches des peuples de ces régions, ces deux États ont caressé le rêve de retrouver l’influence qu’ils y exerçaient autrefois. Néanmoins, il s’est très vite avéré que ces puissances régionales n’avaient ni le modèle satisfaisant – « panislamisme » pour l’une, « panturquisme » pour l’autre – ni même les moyens adéquats leur permettant d’attirer les peuples de ces régions et de « remplacer » l’URSS. Sans se départir, toutefois, de leur objectif, ces deux pays ont dû composer avec l’irruption d’autres États sur cette nouvelle scène de confrontation internationale. Indubitablement, l’importance stratégique et économique de ces régions ne pouvait laisser les grandes puissances dans une posture d’attente prolongée. Après avoir été, en raison de l’anarchie post-soviétique, à la marge de ce « jeu », la Russie s’est repositionnée sur l’échiquier ; elle a affirmé ses ambitions dans ces régions situées de part et d’autre de la mer Caspienne en les présentant en tant que sa « chasse gardée ».
D’un autre côté, la question pétrolière a aiguisé l’appétit des États-Unis, tout en leur fournissant l’occasion de définir un certain référent pour leur politique dans cette partie du monde. En effet, les « compagnies pétrolières américaines se sont intéressées à la mer Caspienne bien avant que le département d’État soit à même d’articuler une politique cohérente dans cette région ». Misant, dans un premier temps, « sur l’exportation du ‘modèle turc ’ afin de bloquer la possible expansion de l’influence iranienne », le retour de la Russie et l’incapacité d’Ankara « de présenter la moindre solution aux problèmes des nouvelles Républiques indépendantes », ont poussé les États-Unis à agir sans intermédiaire : « Avec le Caucase et les enjeux pétroliers de la mer Caspienne
Les peuples du Caucase et de l’Asie centrale pratiquent, en grande majorité, des langues et dialectes appartenant à la famille des langues turques. Néanmoins, durant des siècles, ces territoires ont fait partie de l’empire perse ou bien se trouvaient dans son giron et sous son influence directe ; d’où la présence, dans des zones peuplées de turcophones, d’importants centres persanophones : Samarkand, Boukhara (Ouzbékistan), Achkhabad (Turkménistan), etc.
Dès lors, les enjeux pétroliers se présentent comme la trame majeure de l’instabilité du Caucase avec, pour toile de fond, les rivalités des multiples acteurs de ce désordre.
Mais les richesses en hydrocarbures ne constituent pas le seul enjeu du nouveau « Grand jeu » entre puissances pour le contrôle des marges méridionales de l’ancienne URSS. Une des raisons pour lesquelles la Russie a fait la guerre en Tchétchénie est de conserver son influence dans l’ensemble du Caucase. Cette stratégie a en partie échoué avec la défaite russe de 1996, qui a démontré la faiblesse de l’armée russe : elle n’est pas parvenue à récupérer le contrôle du territoire.
Et chaque crise économique ou politique dans la région ne trouve sa signification, en réalité, que dans une compétition de bien plus grande dimension mettant en cause la répartition des zones d’influence dans cette partie du monde qui va des confins de l’Inde et de la Chine jusqu’à la mer Noire, du monde slave jusqu’à l’océan Indien. Un « remake » du « grand jeu » dont parlait le romancier anglais Rudyard Kipling quand il évoquait la concurrence entre puissances coloniales au début du XXe siècle.
PERSPECTIVES
Les perspectives du Caucase existent mais les contraintes les occultent parfois.
Nous y trouvons depuis le XIXe plusieurs lignes de communication importantes : le chemin de fer entre la Russie et l’Iran passe par les trois capitales du Caucase, une autre ligne longe la mer noire. Mais toutes ces lignes ne sont plus exploitées actuellement ou ne peuvent l’être en raison des conflits. Reste TRACECA, projet intéressant. Il faut donc admettre qu’il est actuellement difficile de traverser le Caucase. En effet, une route longe la mer Noire mais c’est la seule et le chemin le plus court, qui traverse l’Arménie, n’est plus ouvert depuis 1990.
I.Des conflits multiples modelés par des représentations du passé
Les possibilités de coopération et de circulation sont affectées par des conflits. On pourrait penser que ce sont les conséquences de l’éclatement de l’URSS ou des velléités de puissance de la Fédération de Russie. Pourtant, il faut noter que des conflits du début des années 90 ou de la fin des années 80 ont aussi débuté dans les pays baltes, en Crimée ou en Transnistrie, cette partie de la Moldavie qui a déclaré son indépendance. Ces conflits se sont apaisés et on ne peut pas dire que les régions concernées étaient moins importantes que le Caucase. Néanmoins, au Caucase, les conflits perdurent et ne sont pas en voie de règlement.
Il semble en fait que les acteurs sur place transposent des problèmes historiques dans la situation actuelle. Après la fin de l’URSS, l’histoire a redémarré là où elle s’était arrêtée. Il semble que l’histoire, dans le Caucase, ait repris en 1917-1921. La représentation du Caucase est liée à cette idée de frontière méridionale et à la résistance du peuple à l’avancée russe. Or quelles que soient les réalités actuelles, cette représentation que se faisaient les uns et les autres doit se retrouver aujourd’hui. Le lourd passé entre l’Arménie et la Turquie resurgit, par exemple : cette dernière est considérée comme la menace majeure. Est-ce pourtant la réalité ? A l’inverse, quand la Turquie regarde vers l’Asie Centrale, l’Arménie est-elle un obstacle ? Ce n’est pas certain.
Dès qu’un problème se pose, les représentations reprennent le dessus et les acteurs réagissent selon ces anciennes représentations.
II. Les coopérations envisagées ou en cours
La coopération économique de la Mer Noire a démarré en 1990, répondant à une volonté politique menée par la Turquie. Les problèmes entre les pays du Caucase et les autres pays de la région ont retardé l’évolution de cette coopération. Mais l’évolution actuelle de l’Union européenne (avec notamment la candidature de la Turquie) permet d’être optimiste : la Grèce est disposée à jouer un rôle actif dans cette coopération, elle se positionne comme le lien entre les institutions européenne et caucasienne.
Après une gestation difficile, la Banque pour le Commerce et le Développement de la Mer Noire fonctionne. Le Business Council de la CEMN s’est lui aussi réuni récemment. Toutes ces initiatives sont donc encourageantes pour la coopération au Caucase.
Les réserves des hydrocarbures sont limitées dans la région, certes, mais les conflits sont bien souvent liés à la construction de différents oléoducs et à des représentations passées.
CONCLUSION
La disparition de l’ U.R.S.S. en 1991 a eu pour conséquence une véritable “balkanisation” du Caucase. Les guerres interethniques et les guerres civiles se multiplient sur fond de catastrophe économique. Si le bras de fer pétrolier prend une telle importance, c’est bien sûr que l’envol des cours du brut rend toute nouvelle zone de production particulièrement précieuse. Le retour à la paix implique donc de véritables négociations politiques, afin que le Caucase puisse retrouver sa prospérité d’autrefois. L’opposition montante entre un axe est-ouest (Azerbaïdjan, Géorgie, Turquie, États-Unis) et un axe nord-sud (Iran, Arménie, Russie) ne lui est guère plus favorable que l’enfermement d’hier dans une Union soviétique qui verrouillait sa frontière sud. Pour intégrer ces deux axes, il faut renoncer aux stratégies visant à exclure l’un des acteurs – quel qu’il soit – du fameux « grand jeu ».
La fin de l’URSS a ainsi constitué un véritable séisme géopolitique qui s’est accompagné d’un réveil douloureux des identités nationales. La Caucase a été redécouvert à travers le prisme de conflits complexes.
Sources :
– Encyclopédie Universalis sur Internet
– www.diplomatie.gouv.fr/…/annuaire-francais-relations-internationales_3123/IMG/pdf/FD001348.pdf
– http://fr.wikipedia.org/wiki/Caucase
– Dictionnaire (le Petit Larousse)
– Atlas, encyclopédie Universalis
– Livres sur : la Russie, le Caucase, les enjeux européens