C’est l’un des pays les plus conservateur au monde[1] mais le royaume d’Arabie Saoudite souhaite depuis peu, se moderniser. Son nouveau dirigeant, le prince Mohammed ben Salmane Al Saoud (MBS) depuis son arrivée au pouvoir a accordé plusieurs droits révolutionnaires aux citoyens du royaume. Après des décennies d’un islam rigoriste, Riyad entame donc une Révolution mais une révolution qui reste tout de même très encadrée. A la manœuvre, Mohammed ben Salmane, le prince héritier qui prône un islam plus ouvert et extrêmement plébiscité par la jeunesse. En effet, cette popularité est attribuée au fait qu’il ait permis aux femmes de conduire, mais aussi le retour des cinémas et concerts, puisque la police religieuse ne peut plus imposer un islam aussi radical, notamment vis-à-vis du port du voile pour les femmes.
L’Arabie Saoudite alliée des Etats-Unis[2] mais aussi de la France[3], ainsi que plusieurs autres Etats occidentaux, se trouve aujourd’hui sous le feu de plusieurs pressions politiques alors que depuis des décennies, le royaume du roi Salmane ben Abdelaziz Al Saoud imposait son wahhabisme un peu partout en Occident et en Afrique. Cela était possible grâce à leurs multiples alliés mais surtout grâce à leur avantage économique que représente l’exportation de pétrole à travers le monde. Il est reproché depuis peu les nombreux coups de forces extrêmement important se succédant à un rythme effréné : du rapt du premier ministre libanais à la guerre au Yémen en passant par l’élimination d’opposants. La goutte d’eau ayant fait déborder le vase étant la mort du journaliste saoudien Jamal Khashoggi au consulat d’Arabie Saoudite en Turquie.
A partir de cela quelles conséquences peuvent être envisagées pour l’avenir du royaume d’Arabie Saoudite au niveau géopolitique ? Pour répondre à cette problématique, il convient de s’intéresser aux retentissements géopolitiques des différents coups de force perpétrés, dissimulés par la révolution des politiques sociales misent en place par MBS devenu prince héritier grâce à un parcours inédit.
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Vers une modernisation synonyme d’ouverture internationale de l’Arabie Saoudite
L’arrivée de Mohamed Ben Salmane, surnommé MBS au pouvoir
Mohamed Ben Salmane, âgé de 32 ans est le futur roi d’Arabie Saoudite et prendra la suite de son père Salmane ben Abdelaziz Al Saoud âgé de 82 ans affaiblit par la maladie. Mais comment ce jeune prince qui n’était même pas dans l’ordre d’accession au trône en 2015 a-t-il réussi à prendre le pouvoir ?
Depuis 1953, le pouvoir se transmet par succession adelphique c’est à dire de frère en frère. Lorsque Salman est devenu roi, c’est son frère Muqrin qui aurait dû devenir roi mais il a demandé à être relevé de ses fonctions. En l’absence d’autres frères, la succession est revenue au neveu du roi Salman: Mohamed Ben Nayef qui est nommé prince héritier en janvier 2015. Mais le roi a d’autre plan et souhaite que son fils Mohamed Ben Salman lui succède. Celui que l’on surnomme MBS a toujours accompagné son père dans toutes ses fonctions. Au fil des années, il est devenu son fidèle conseiller. Il profite donc de ce moment pour le nommer ministre de la défense. Quelques mois plus tard, le roi Salman élargit les pouvoirs de son fils : il devient chef de planification économique, chef d’Aramco la compagnie pétrolière nationale et vice-prince héritier. Dirigeant les affaires économiques et militaire, MBS n’avait plus qu’à évincer le prince héritier M. Ben Nayef, c’est ce qui se passera en juin 2017.
La royauté saoudienne n’est pas qu’un roi, c’est aussi 2 000 princes qui occupent des postes clés au sein du régime. Autant de personnes qui peuvent contester la légitimité de MBS. Il s’occupera d’eux de façon assez radicale : le 4 novembre 2017 au Ritz Carlton de Riyad, 381 personnes sont arrêtées pour fraude et corruption. Certaines seront mises sous les barreaux. Par cette action, MBS entend passer pour le défenseur du peuple en demandant aux princes, ministres et autres personnalités du pays d’échanger leurs libertés contre de l’argent. MBS récupère par cette manœuvre 15% du PIB national. Mais il ne s’arrête pas là. L’économie du pays est dans le rouge car elle repose uniquement sur l’or noir, le pétrole, dont le cours n’a fait que chuter. La conséquence de cette chute est la fin d’une « ploutocratie où personne ne travaille[4] ». Pour la première fois en 2016, l’Arabie Saoudite doit donc emprunter de l’argent pour assumer ses dépenses et a dû mettre en place des impôts telle que la TVA. Faire reposer toute l’économie sur les ressources pétrolières n’est plus possible et c’est pourquoi MBS a remis au gout du jour, dès avril 2016, un plan pour diversifier l’économie saoudienne autour des services, du divertissement et du tourisme.
Vers de nouvelles libertés ?
Baptisé « Vision 2030 » et élaboré avec le soutien de grands cabinets de conseils américains (McKinsey, BCG…)[5], le nouveau plan économique de MBS s’articule autour de plusieurs axes : Dans un premier temps des privatisations notamment celle partielle du géant du pétrole Aramco. « Ces privatisations ainsi que l’ouverture de la Bourse de Riyad aux investisseurs étrangers illustrent ce virage libéral clairement assumé par la nouvelle équipe »[6]. Dans un deuxième temps des encouragements à l’entreprenariat et l’investissement : « L’objectif est d’apporter à l’horizon 2030 des recettes budgétaires pratiquement équivalentes à celles tirées du pétrole. Le Royaume ambitionne en effet de devenir un géant mondial dans le secteur des énergies renouvelables, de se classer parmi les 25 premières industries de défense et d’être une destination touristique attractive »[7]. Dans un troisième temps l’ouverture de plus de professions aux femmes. Une façon de préparer au royaume l’avenir le plus stable possible en émancipant le pays de l’or noir. Sur 15 ans MBS s’est donné pour objectif de diversifier l’économie du pays actuellement dépendant à plus de 90% du pétrole[8].
Cette Vision 2030 propose aussi une évolution importante de la
société saoudienne. En effet,
« MBS », comme le
désigne la presse internationale, compte précisément sur les femmes et la
jeunesse (70 % de la population a moins de 30 ans) pour créer une classe
moyenne favorable aux changements dont ils seront les premiers bénéficiaires.
Dans cette nouvelle Arabie saoudite, MBS réserve donc une place de choix aux
femmes. Elles, qui représentent 55 % de la population saoudienne, vont avoir accès librement au marché du
travail[9]
et dans ce but le prince héritier leur a donné le droit de conduire depuis
septembre 2017. Ce développement de l’emploi, MBS le souhaite à l’échelle du
royaume qui se veut aussi une terre d’accueil pour les étudiants du monde
entier, à l’image de l’université des sciences et technologies King Abdallah
(Kaust), à l’architecture moderniste, située au bord de la mer, non loin de la
capitale économique, Djeddah[10].
L’industrie des loisirs et de la culture figure en bonne place dans les secteurs à développer – de nombreux cinémas devraient ouvrir et des concerts sont organisés depuis l’annonce du prince. Les secteurs du tourisme et de la culture seront des composantes importantes de l’Arabie saoudite de demain, si l’on se réfère aux objectifs fixés par MBS. Le projet « Neom », cité futuriste au nord-ouest du royaume, qui coûtera 500 milliards de dollars, et se veut une référence en matière technologique et environnementale, symbolise cette volonté. Mais il y a aussi « Qiddiya », au sud de Riyad, sorte d’eldorado des parcs d’attractions presque aussi grand que Las Vegas, et le projet Red Sea, prévoyant de transformer une cinquantaine d’îles au large de la côte ouest du pays en destination touristique haut de gamme[11]. Ainsi au lieu d’aller à l’étranger pour se divertir, les saoudiens dépensent maintenant dans leur pays.
« MBS est convaincu que le conservatisme de la société saoudienne, sa gouvernance et sa bureaucratie constituent un frein majeur aux réformes et à l’essor d’une société dynamique. Fort du soutien indéfectible de son père qui bénéficie d’une forte légitimité auprès de la famille royale et de l’establishment religieux, MBS cherche à redéfinir le rôle et la place du clergé wahhabite, à limiter son emprise sur le terrain social et à faire émerger une nouvelle élite plus en phase avec sa vision réformatrice tout en réaffirmant l’attachement de l’Arabie aux valeurs de l’islam »[12] précise Jules ROBERT.
Des faux pas menant à une crise géopolitique d’envergure non sans conséquence pour l’Arabie Saoudite
Les multiples erreurs du prince héritier déstabilisant l’image internationale et le cœur du royaume
MBS répond donc aux aspirations de l’écrasante majorité de la population saoudienne pour qui une grande partie des interdits religieux n’ont plus lieu d’être. Mais pour autant, il n’est pas question de laisser aux activistes ou aux militants la chance d’appeler aux reformes. Cela s’est notamment vu dans l’arrestation de plusieurs militantes féministes en mai 2018. A côté de cela, s’appuyant sur l’urgence économique, MBS continue de verrouiller les contre-pouvoirs en Arabie saoudite. Sous le prétexte de l’économie, il s’attaque aussi aux oulémas et au contrôle qu’ils ont sur la société saoudienne. Dans un premier temps, en 2017, il a interdit, dans un but de limitation de ses droits, à la police religieuse de pouvoir arrêter des citoyens. Ce qui la rend inutile et favorise l’arrivée des touristes. En somme, MBS a construit son pouvoir en s’affranchissant des piliers traditionnels de la légitimité en Arabie saoudite. Tour à tour, il a brisé le « pacte » familial, puis la dépendance au pétrole, tout en mettant sous tutelle les oulémas. En répondant à la jeunesse, MBS a trouvé le soutien qu’il lui fallait pour concentrer tous les pouvoirs entre ses mains.
Avec des responsabilités, une puissance et une influence croissantes depuis qu’il est devenu prince héritier en 2017, les dérapages se sont multipliés. Dans un premier temps, sa stratégie au Yémen est catastrophique puisque la guerre qui s’y passe est perçue par les différentes presses internationales comme une « catastrophe humanitaire et une guerre non avérée impossible à gagner digne de la guerre du Vietnam pour les Etats-Unis »[13]. Ensuite, l’isolement du Qatar que l’Arabie Saoudite accuse de soutenir le terrorisme. Refus des Frères musulmans soutenus par l’Egypte, les Emirats Arabes Unis et le Bahreïn alors que l’Iran, l’ennemi juré du Royaume est de fait au centre de ce mouvement géopolitique[14]. Puis vient la frasque visant l’enlèvement du Premier ministre libanais Hariri qui aurait été forcé de démissionner devant les caméras à Riyad[15]. Un événement sur lequel le prince héritier a blagué lors du « Davos du désert », le forum économique de 2018 en Arabie Saoudite[16]. Pour continuer, l’un des autres mouvements de MBS ayant mis à mal la position géopolitique de son pays serait son boycott du Canada à la suite des commentaires d’Ottawa sur le bilan du royaume en matière de droits de l’homme[17], montrent que la personnalité de MBS est devenue un obstacle à la stabilité régionale[18]. Pour finir, l’affaire de trop qui aurait fait « déborder le vase » à l’international par ses détails sordide notamment, fut l’affaire Khashoggi. Une erreur de plus ou peut être de trop pour le prince héritier MBS.
Le faux pas de trop : l’affaire Khashoggi
Si le prince héritier de l’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane comptait sur la deuxième édition du Forum sur l’investissement en Arabie Saoudite, le « Davos du désert », qui s’est ouverte ce mardi, pour vanter les projets pharaoniques et coûteux de sa « Vision 2030 », c’est raté. Depuis le scandale provoqué par l’assassinat en Turquie de l’un de ses opposants, le journaliste Jamal Khashoggi, il est sur la sellette. A tel point que la majorité des nombreux leaders internationaux de la politique et des affaires ont décidé de boycotter l’événement[19].
Le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi est d’autant plus choquant pour la scène internationale puisque l’action s’est déroulée au consulat saoudien à Istanbul. Un mauvais coup joué par MBS dont le président Recep Tayyip Erdogan, allié du Qatar d’une part, compte bien profiter pour tenter de se placer à la tête du monde sunnite, une ambition partagée avec l’Arabie Saoudite d’autre part. En effet, la diffusion des informations sordides liées à la mort de ce journaliste saoudien donne un avantage considérable à la Turquie, de même qu’à l’Iran, ennemi juré du royaume. A côté de cette perte de vitesse de l’Arabie Saoudite face à la Turquie provoquée par la mort du journaliste, le royaume est aussi de plus en plus contesté vis-à-vis de la guerre du Yémen. Les multiples pressions de son allié américains mais aussi des autres puissances occidentales qui considèrent cette guerre comme immorale et contraire aux droits de l’Hommes n’y sont pas pour rien. Des voix s’élèvent, et elles sont de plus en plus fortes, pour dénoncer MBS comme un homme impulsif, ne se rendant pas compte des conséquences que ses actes engendrent sur l’image de son pays.
La réputation des saoudiens est donc assez compromise. Notamment depuis que la directrice de l’agence a livré ses éléments à des sénateurs américains, qui, à rebours de la Maison-Blanche, concluent à la responsabilité de MBS[20]. Mais l’émotion que provoque cette affaire finira par retomber en raison des intérêts stratégiques qui lient les grandes puissances au royaume[21].
En effet, l’Arabie Saoudite est aujourd’hui un acteur géopolitique important notamment grâce au pétrole. Face au manque de cette ressource, les pays occidentaux se doivent de maintenir une politique diplomatique favorable au royaume quitte à faire abstraction des erreurs du prince héritier.
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Bien que les intérêts énergétiques des pays occidentaux soient en faveur de l’Arabie Saoudite, le meurtre de Khashoggi est surement la « goutte d’eau ayant fait déborder le vase ». Aujourd’hui des sanctions contre le royaume sont mises en place par certains pays mais les intérêts économiques de chacun fait qu’à l’heure actuelle personne n’a demandé d’enquête internationale indépendante (par l’ONU). L’enquête est actuellement uniquement sous la responsabilité de la Turquie, qui a elle-même des intérêts avec l’Arabie Saoudite, si bien que des arrangements pourront être trouvés, etle public n’en saura jamais rien.
Pour autant, à cause de cette bavure, il pourrait y avoir un changement fondamental de géopolitique c’est-à-dire la remise en cause du pacte du Quincy[22]. Ce pacte garantissant la protection de l’Arabie Saoudite par les Etats-Unis d’Amérique renouvelé en 2005 pour 60 ans.
L’image de modernisation que souhaitait donner MBS par son arrivée au pouvoir en prend donc un coup mais il faut rappeler que le problème pourrait s’étendre au niveau géopolitique. En effet, MBS n’est pas encore roi et s’il venait à être désigné illégitime au trône, sa famille pourrait résolument être rejetée par les autres tribus composant le royaume, qui ont le pouvoir de lui permettre de gouverner. Si une telle chose venait à se produire alors cela signerait un changement considérable au niveau géopolitique, avec la possibilité de l’arrêt de la guerre au Yémen et la fin de l’isolement international iranien.
Par Charlène RANCHON
[1] SAOUD Maherzi, « Un « millenial » à la tête de l’Arabie saoudite, le pays le plus conservateur au monde », Le Journal de Montréal, 17/04/2018
[2] AFP, « L’Arabie saoudite et les Etats-Unis, une relation basée sur la sécurité et le pétrole », Le Point, 21/10/2018
[3] BEYLAUD Pierre, « L’Arabie saoudite, indispensable alliée de la France », Le Point, 06/01/16
[4] OCKRENT Christine, « le prince mystère de l’Arabie », édition Robert Laffont, 11/10/2018
[5] ROBERT Jules, « Arabie saoudite: La voie royale », La Tribune Hebdo • no. N° 254 • p. 18, 07/06/2018
[6] ROBERT Jules interview François-Aïssa TOUAZI ancien diplomate, cofondateur du think tank capmena, « MBS veut transformer en profondeur un système hostile à tout changement », La Tribune Hebdo • no. N° 254 • p. 24,25, 07/06/18
[7] Ibid
[8] Ibid
[9] ROBERT Jules, « Arabie saoudite: La voie royale », La Tribune Hebdo • no. N° 254 • p. 18, 07/06/2018
[10] Ibid
[11] Ibid
[12] ROBERT Jules interview François-Aïssa TOUAZI ancien diplomate, cofondateur du think tank capmena, « MBS veut transformer en profondeur un système hostile à tout changement », La Tribune Hebdo • no. N° 254 • p. 24,25, 07/06/18
[13] SOUMIER Stéphane, ANCEL Frédéric, « L’Arabie Saoudite fait-elle face à une crise géopolitique? », Video BFM
[14] KODMANI Hala, « Isolement du Qatar : l’Arabie Saoudite joue avec le Golfe », Liberation, 05/06/2017
[15] AFP, « La démission du Premier ministre libanais Saad Hariri cachait-elle un enlèvement? », L’Expresse, 11/11/2017
[16] Le JDD, « L’étrange blague du prince héritier saoudien Mohammed ben Salman », Le Journal du Dimanche, 25/10/2018
[17] BOUSSOIS Sebastien, « MBS peut-il encore sauver sa tête? avec Andreas Krieg (King’s College Londres) », Médiapart, 19/10/2018
[18] Ibid
[19] ROBERT Jules, « AFFAIRE KHASHOGGI : LA FIN DES AMBITIONS DE MBS ? », La Tribune, Edition quotidienne, rubrique économie, 24/10/2018
[20] AREFI Armin, « Meurtre de Khashoggi : la CIA a parlé », Le point, 05/12/2018
[21] LASSERRE Isabelle, « Affaire Khashoggi : quelles conséquences géopolitiques ? », Le Figaro, 03/12/2018, p. 19
[22] Pacte conclu entre Roosevelt et Ibn Saoud en 1945