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Les enjeux de la crise politique au Burkina Faso

Le Burkina Faso est un pays d’Afrique de l’Ouest composé de 18 millions d’habitants. C’est un État enclavé par le Mali au Nord, le Niger à l’Est, le Bénin au Sud-Est, le Togo et le Ghana au Sud et la Côte d’Ivoire au Sud-Est. En d’autres termes, le Burkina ne possède aucun accès direct à la mer.

Il est clair que l’enclavement constitue une donnée géopolitique importante qui influe sur la santé économique d’un État. En l’espèce, le Burkina est classé parmi les pays les plus pauvres du monde selon l’indice du développement humain du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), il se classe à la 183e position sur 187.

De plus, l’Histoire du Burkina est intrinsèquement liée à la personne de Blaise Compaoré. En effet, M. Compaoré est porté au sommet de l’Etat le 15 décembre 1987. Cela fait suite à l’assassinat de Thomas Sankara avec qui Blaise Compaoré a pris le pouvoir quatre ans plus tôt à l’issue du quatrième coup d’état militaire intervenu dans ce pays depuis son ascension à la souveraineté nationale le 5 août 1960.

Or, le 28 octobre 2014, un véritable mouvement populaire émerge d’abord dans les rues de Ouagadougou puis s’étend à de nombreuses villes du pays. Cela intervient en réaction à la volonté du président de modifier la Constitution afin de briguer un autre mandat présidentiel malgré ses vingt-sept années déjà passées à la tête du pouvoir. Face à ces manifestations, le Gouvernement et le Parlement sont dissolus dans les jours qui suivent et l’état de siège est déclaré. C’est dans ce contexte particulièrement tendu que Blaise Compaoré décide de démissionner le 31 octobre, laissant le pouvoir à l’armée et au général Honoré Traoré. S’ensuit la nomination de Michel Kafando en tant que Président de transition (avec Isaac Zida comme Premier Ministre) au mois de novembre. Dès lors, il s’agit de s’intéresser à ce moment charnière de la politique du pays, celui de la transition démocratique au Burkina après ce renversement populaire. Il s’agit également de se demander si cet exemple peut constituer un modèle révolutionnaire applicable à d’autres pays en Afrique.

I. La genèse des événements du 28 octobre

1. Une détermination extrêmement forte du peuple d’exister sur le plan politique

Tout d’abord, à la différence du Bénin, le parti unique n’a jamais pu s’installer véritablement au Burkina. Toutes les tentatives menées en ce sens ont échouées et/ou ont été de courte durée (en 1966 déjà un soulèvement populaire avait eu lieu invitant l’armée à prendre le pouvoir).

Il est possible de présenter l’Histoire du Burkina selon trois périodes :

– la période de l’apprentissage de la démocratie libérale léguée aux États francophones d’Afrique par la métropole française (de 1960 à 1983)

– la période révolutionnaire (de 1984 à 1991)

– la période de la « transition démocratique »

De facto, 1984 marque le début de la période révolutionnaire avec l’autorisation exclusive des partis d’obédience marxiste-léniniste. C’est ainsi qu’à la mort du président Sankara, M. Compaoré met en place sa «révolution rectifiée ». On se rend donc compte qu’en réussissant à se maintenir au pouvoir, la transition démocratique est finalement manquée en quelque sorte. Par ailleurs, le décès de M. Sankara en 1987 symbolise la perte d’un avocat du panafricanisme (cette idée qui met en avant la solidarité entre les peuples africains de par le monde). C’est ainsi que beaucoup de soupçons naissent sur Blaise Compaoré suite à la disparition de l’ancien président. Certains observateurs ne manquent pas de critiquer l’existence de liens supposés entre Compaoré et le colonel Kadhafi par le passé. Néanmoins, en 2008, l’affaire du meurtre de M. Sankara est classée et Blaise Compaoré blanchi.

Dans le cas actuel des manifestions du mois d’octobre, le Burkina était déjà en proie à des difficultés économiques et sociales. Sur le plan des finances publiques, l’État fait face à une croissance forte mais non inclusive ne permettant pas à la population de percevoir pleinement les bienfaits de son économie. Il est clair que face au mimétisme présidentiel en vue d’arranger la situation et la cohésion nationale (et ce même après les révoltes de 2011), le peuple s’est décider à prendre les choses en main.

2. La volonté de M. Compaoré de modifier le texte constitutionnel

En outre, c’est véritablement le souhait de Blaise Compaoré de modifier l’article 37 de la Constitution afin de pouvoir briguer un cinquième mandat à la tête de l’État qui a poussé le peuple à manifester son mécontentement et provoquer la destitution de M. Compaoré. En effet, si cette modification avait été effective, Blaise Compaoré aurait pu s’accrocher encore quinze années de plus à la plus haute marche du pouvoir. N’oublions pas qu’il est lui-même arrivé à ce poste par un coup d’État et qu’il a déjà modifié le texte constitutionnel en 1997 et 2000.

II. Le départ de Compaoré de la présidence après vingt sept années à la tête du pouvoir

1. Rupture au sein du cercle de Compaoré : un isolement politique de plus en plus observable

En premier lieu, bien que Blaise Compaoré ait quitté sa fonction de chef d’État et le Burkina par la même occasion le 31 octobre, l’origine de sa destitution est bien plus ancienne. En effet, le 4 janvier 2014 constitue un moment clé. Cette date fait référence aux trois semaines qui viennent de s’écouler depuis que Compaoré a fait part de son souhait de modifier la Constitution dans l’espoir de briguer un nouveau mandat en novembre 2015. C’est ce jour-là que l’équipe qui s’est construite autour de lui se met à le lâcher : Roch Marc Christian Kaboré, Simon Compaoré, Salif Diallo … Dès lors, le cercle présidentiel se restreint autour de son frère François, sa « belle-mère nationale », Alizéta Ouédraogo ainsi que les membres de son parti le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP).

Ainsi, emprunt d’une forme de découragement d’un côté et d’une volonté tenace de s’accrocher au pouvoir de l’autre, alors que certains conseillers du palais de la présidence de Kosyam lui conseillaient de faire preuve de davantage de fermeté et de violence (comme dans les années 1980 et 1990), Blaise Compaoré n’a pas écouté ces conseils.

2. Un événement révolutionnaire sans précédent qui perturbe la sécurité nationale

Par ailleurs, M. Compaoré décide le 21 octobre 2014 de faire passer son projet de loi de modification de la Constitution par la voie parlementaire (préférable selon lui à la voie référendaire). Dès le lendemain, des organisations de la société civile appellent à la désobéissance civile. La finalité est clairement d’interpeller au maximum les services publics et de mettre la pression sur les députés de l’Assemblée Nationale qui doivent se prononcer sur le texte afin que ceux-ci le rejettent. C’est ainsi que le 28 octobre plusieurs dizaines de milliers de manifestants expriment leurs mécontentement dans la rue à travers le pays. C’est dans ce contexte tendu que sont évoquées lors du Conseil des ministres du 29 octobre les limites du système sécuritaire burkinabé : face à un événement d’une ampleur inédite au Burkina, la police et la gendarmerie se trouvent très rapidement dépassés. C’est pour cela que l’armée est rapidement présentée comme étant peut-être la seule institution capable de faire régner l’ordre. Néanmoins, même l’armée a perdu de sa gloire suite aux mutineries de 2011. Le 30 octobre 2014, une foule immense se réunit place de la Nation à Ouagadougou avec des forces de l’ordre débordés. Ces manifestants parviennent à s’infiltrer dans l’Assemblée au moment même où cent vingt-sept députés et autres fonctionnaires étaient présents. Des documents sont volés, du matériel et des bâtiments incendiés. Devant l’urgence de la situation où les manifestants n’arrivent pas à être arrêtés, Compaoré déclare d’abord qu’il décrète l’état de siège. Autrement dit, tous les pouvoirs sont transférés aux mains de l’armée. C’est finalement le 31 octobre que Blaise Compaoré démissionne, remplacé par Honoré Traoré qui se proclame chef de l’État. Alors que le lieutenant-colonel Zida s’autoproclame lui-aussi chef de l’État burkinabé le 1er novembre, une volonté de mettre en place une réelle transition démocratique aux mains du pouvoir civil se diffuse à travers la classe politique. Ainsi, Michel Kafondo est nommé président de transition le 17 novembre et est chargé de la préparation de la nouvelle élection présidentielle.

III. Quid du futur de la Burkina Faso et de l’influence de ce cas sur la transition démocratique en Afrique subsaharienne ?

1. L’importance du poids de l’armée vers une transition sans encombre

De facto, tous les présidents burkinabés sont issus de ses rangs depuis 1969, ils sont arrivés par la force. L’armée est généralement respectée néanmoins.

En l’espèce, le poids de l’armée est primordial dans le cheminement vers un retour à l’ordre constitutionnel normal. L’armée s’est gardée de tirer à balle réelle sur la population : elle doit conserver un rôle important à l’issue du processus de refondation politique, c’est-à-dire du monopole de la gestion des affaires publiques.

Pour se faire, le Burkina peut s’inspirer de l’exemple malien où l’armée a renversé le président avant de confier la gestion de la transition politique à des civils qui sont parvenus à des élections démocratiques.

2. Rôle trouble joué par la France et remise en cause du rôle de l’Union Africaine et de la CEDEAO

Par la suite, il convient aussi de s’interroger sur le positionnement des grandes puissances occidentales (notamment celui de la France) vis-à-vis de ladite situation et d’analyser leur évolution au fil du temps. A cet égard, les positions de l’Union Africaine (UA) et de la CEDEAO sont également intéressante à mettre en exergue. En effet, il est quelque peu regrettable d’observer que ces deux organisations phares dans le domaine du développement et de la démocratie en Afrique ont davantage été dans la réaction que dans l’action. Leur prise de parole (au début du mois de novembre) intervient postérieurement aux événements du mois d’octobre et non antérieurement. C’est le 1er novembre que l’UA s’est officiellement positionnée sur la question en établissant un ultimatum de quinze jours pour affirmer que la passation de pouvoir du militaire au civil soit effective. Il a fallu attendre cinq jours plus tard pour que la CEDEAO se prononce à son tour sur la situation au Burkina : obligation d’établir un moment de transition d’une durée d’un an avec à sa tête une personne civile devant mettre en œuvre des élections présidentielles et législatives d’ici au mois de novembre 2015.

Quant à la France, elle a contribué « sans y participer » (selon les mots de François Hollande) à la fuite de M. Compaoré vers la Côte d’Ivoire. Il ne faut pas oublier que les Français constituent la communauté étrangère majoritaire dans ce pays et que le Burkina demeure un élément important dans le dispositif militaire de la lutte antiterroriste au Sahel. Ainsi, la protection des intérêts géopolitiques français au Burkina est à prendre en compte dans l’analyse de la réaction française au vu des événements politiques récents.

3. La question de la possibilité d’un « printemps noir » étendu au reste de l’Afrique

Cette idée de « printemps noir » fait évidemment écho à l’ensemble de contestations populaires se produisant au sein de nombreux Etats du Maghreb jusqu’au Proche-Orient à partir de la fin de l’année 2010 dénommée le « printemps arabe ». Dès lors, la question qui se pose est de savoir si le modèle révolutionnaire burkinabé peut se diffuser à d’autres pays du continent africain. En effet, Blaise Compaoré tenait les reines du pouvoir depuis vingt sept ans : il contrôlait aussi bien l’armée que son parti politique majoritaire au Burkina (le Congrès pour la démocratie et le progrès) et le pouvoir administratif. Le fait qu’un homme politique d’une telle envergure historique nationale soit forcé de quitter le pouvoir suite à une contestation révolutionnaire de la part du peuple burkinabé devrait encourager bien des peuples d’Afrique à faire de même. De plus, force est de constater que la population en Afrique bénéficie également d’une certaine urbanisation et d’une jeunesse motivée ainsi que des réseaux sociaux, des chaînes de radio et de télévision.

Néanmoins, rien ne permet d’assurer que les hommes d’États dans des capitales telles que Kinshasa (RDC), Kigali (Rwanda), Bujumbura (Burundi) ou encore Brazzaville (Congo) connaîtront le même sort. Au Burkina, le facteur ethnique n’occupe pas la même place que dans lesdits pays cités. C’est cette « homogénéité » qui a permis l’apparition et le développement d’un mouvement syndiqué et l’émergence d’une société civile. A l’heure actuelle, il n’est pas encore possible d’affirmer que certains États, notamment en Afrique centrale, soient prêts à passer outre leur différences ethniques et autres éléments nécessaires à toute cohésion nationale.

Avec un peu de recul, il est clair que l’élan révolutionnaire qui s’est déroulé au Burkina Faso durant le mois d’octobre 2014 et la volonté d’établir une véritable transition démocratique au travers de la passation du pouvoir du militaire au civil constitue en soi un bel exemple de souveraineté populaire en Afrique de l’Ouest. Dans l’absolu, Blaise Compaoré n’a pas réussi à prévoir cette mobilisation populaire extraordinaire et encore moins sa chute en dépit des alertes de 2008 avec les émeutes de la faim et surtout des mutineries/manifestations de 2011.

En outre, il semble évident qu’après s’être longtemps abstenu de commenter toute modification constitutionnelle permettant un cumul des mandats à de nombreux chefs d’États africains (en Algérie, au Tchad, au Cameroun et en Angola), les Occidentaux paraissent déterminer à ne plus tolérer aucun écart de ce type.

Finalement, chaque État possédant sa propre spécificité et une histoire particulière, en conséquent il serait trop risqué de se prononcer sur la diffusion de l’exemple burkinabé à d’autres États africains. Cela est d’autant plus vrai qu’il est encore trop tôt pour se prononcer sur la pérennité de la transition démocratique au Burkina. Le Burundi, où Pierre Nkurunziza souhaite lui aussi réinterpréter le texte constitutionnel afin de prolonger son mandat présidentiel en août 2015, constituera le premier véritable test vis-à-vis de ce questionnement.

Sitographie:

http://www.franceinter.fr/emission-geopolitique-printemps-noir-a-ouagadougou

http://www.franceinfo.fr/emission/expliquez-nous/2014-2015/expliquez-nous-le-burkina-faso-03-11-2014-07-35

http://www.lemonde.fr/afrique/article/2014/11/04/burkina-faso-la-france-a-aide-a-evacuer-blaise-compaore_4517437_3212.html

http://www.lemonde.fr/afrique/article/2014/10/31/ce-que-l-on-sait-de-la-situation-au-burkina-faso_4516227_3212.html

Bibliographie :

Nouvelles démocraties et socialisation politique, Dorothé Sossa, Collection L’Harmattan

« Le Burkina Faso, pilier de la Françafrique », B. Jaffré, Le Monde Diplomatique, janvier 2010

Jeune Afrique, du 9 au 15 novembre 2014

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