Lutte contre le Blanchiment des Capitaux et le Financement du Terrorisme (BC/FT) : les bons points du Groupe d’Action contre le Blanchiment d’Argent en Afrique Centrale (GABAC):
L’organisme communautaire de lutte contre la criminalité financière est depuis octobre 2015, admis comme Membre Associé du Groupe d’Action Financière Internationale (GAFI). Un statut qui fait du GABAC, un Organisme Régional de Type GAFI (ORTG). Après cette reconnaissance par le GAFI, le dispositif de lutte anti-blanchiment de la zone CEMAC fait son entrée dans la cour des grands. Qu’est ce qui va changer et quel est ce régime qui ne sera plus le même ?
Le blanchiment des capitaux (BC) et le financement du terrorisme (FT) dont la recrudescence des actes a porté ces phénomènes au premier chef des agendas et discussions stratégiques et politico-financiers des dirigeants du monde, sont les manifestations d’une somme de comportement humain portant gravement et sévèrement préjudice à la santé de l’économie mondiale, à la solidité du système financier international et causant une insécurité mondiale grandissante. La prise en compte de ces menaces a conduit à rapprocher d’un point de vue normatif et institutionnel ces deux phénomènes distincts dont l’un dissimule l’origine des fonds et l’autre leur destination.
L’Afrique Centrale a répondu présent bien que tardivement, à la guerre déclarée depuis la fin des années 80 et le début des années nonante, contre d’abord le BC et ensuite avec les attentats du 11 septembre 2001, contre le BC et le FT. En effet, les initiatives en la matière ont vu le jour en 1989 à Paris avec la création du GAFI . Depuis cette période, toutes les Régions du monde vont s’associer à ce combat. Pour l’heure, il n’est plus question de contester la nécessité de cette lutte, encore moins sa légitimité. Les organisations internationales classiques telles que les Nations Unies, le FMI, la BM, l’ONUDC, l’UA, l’OCDE…l’ont rappelé de manière unanime. Certains groupes de travail spécialisés et ONG ont fait de cette lutte le mandat de leur action en dénonçant les dérives des activités humaines dans un monde ultra capitaliste où la mondialisation néolibérale a favorisé la monté de la criminalité.
Partout dans le monde, la lutte contre le BC va se traduire par l’institutionnalisation du dispositif de lutte à travers la création des organismes compétents et l’adoption des législations contraignantes. Ainsi, sous l’impulsion du GAFI, des groupes régionaux vont être constitués notamment le Groupes Asie-Pacifique (GAP), le Groupe d’Action Financière des Caraïbes (GAFIC), le Groupe du Conseil de l’Europe-MONEYVAL, le Groupe Eurasie (EAG) et le Groupe d’Action financière d’Amérique Latine (GAFILAT) anciennement appelé GAFISUD.
En ce qui concerne le continent africain, les initiatives anti-blanchiment ont abouti à la création des groupes régionaux tels que, le Groupe anti-blanchiment de l’Afrique orientale et australe (GABAOA) ; le Groupe d’action financière du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (GAFIMOAN) ; le Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest (GIABA) ; le Groupe d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique centrale (GABAC) ; le Comité de Liaison Anti-Blanchiment de la Zone Franc (CLAB), sans y exclure la Banque Africaine de Développement (BAD) qui fait de la lutte contre le BC/FT une priorité dans son intervention. En Afrique Centrale, la riposte certes tardives, trouve sa genèse lors de la conférence des chefs d’Etat de la CEMAC tenue en décembre 2000 à N’Djamena, à l’issue de laquelle, une Déclaration sur la mise sur pieds d’une législation harmonisée et des structures spécialisées dans la lutte contre le BC/FT dans la CEMAC va être adoptée. Alors même que d’aucuns pensaient que la situation socioéconomique sous régional était de nature à exercer un aveuglement et un laxisme des autorités sur la licéité des flux en direction de CEMAC. Bien sur que non !
Ce fut là, le signant fort de la « volonté commune et solennelle » des Chefs d’Etat de la zone CEMAC, à combattre la criminalité économique et financière dont l’ampleur commençait à devenir inquiétante pour l’économique mondiale. Le FMI à cette époque avançait les chiffres de 1 200 à 3 000 milliards USD (600 000 à 1 500 000 milliards de XAF ), soit près de 2 à 5% du PIB mondial. Aujourd’hui, c’est près de 15% du commerce mondiale et 10% du PIB mondial, la part du crime financier dans l’économie d’après le PNUD et certaines estimations récentes. La véritable ampleur de l’économie de l’ombre et souterraine est aujourd’hui difficile à connaitre. Ceci en raison de l’opacité qui est consubstantielle au mode opératoire du phénomène.
Les nombreux procédés utilisés et employés pour blanchir les capitaux et/ou soutenir les terroristes ne facilitent pas leur traçabilité. Ces procédés allant des plus simplistes et archaïques aux plus alambiqués et sophistiqués, sont devenu quelque peu intrinsèques à la financiarisation et la marchandisation de l’économie mondiale. Les montages techniques et juridiques des transactions financières et commerciales sont à la pointe de l’ingénierie financière, informatique et de l’opacification des flux financiers illicites. Les activités criminelles génèrent donc des revenus important qu’il faut blanchir de sorte qu’ils puissent être réinjectés dans le système financier sans éveiller le moindre soupçon de leur origine criminelle.
Avec la dématérialisation et l’anonymat des transactions, et en présence d’une économie mondiale façonnée par l’emprise du capitalisme et du laxisme des autorités face aux territoires à juridictions de complaises communément appelés paradis fiscaux, bancaires et judiciaires, l’on va assister à l’émerge d’un monde criminogène. Son éradication exige que l’on neutralise les moyens et subterfuges qui servent de paravent et permettent aux criminels de tout bord de dissimuler ou de déguiser l’origine délictueuse des fonds qu’ils possèdent. Aussi, il faut pouvoir s’attaquer aux bourses des organisations criminelles et les empêcher de disposer de ressources nécessaires pour la continuité de leur activité. Voilà le mandat dont va hériter le GABAC dans l’Afrique Centrale en décembre 2000. En réalité, le GABAC dont la mission principale est « la promotion des normes, instruments et standards de lutte contre le blanchiment en Afrique Centrale » a déployé de sérieux efforts pour rendre effectif le dispositif de lutte de la sous région. Sa reconnaissance auprès du GAFI comme membre Associé avait longtemps été handicapée par des contraintes endogènes et exogènes (structurelles et sectorielles).
Concernant les contraintes endogènes, elles faisaient référence au fonctionnement interne du GABAC, notamment; l’adoption timide de ses propres procédures administratives, comptables et financières. S’agissant des contraintes exogènes, l’admission du GABAC comme ORTG, était paralysée par plusieurs facteurs parmi lesquels : le chômage massif des jeunes et la pauvreté alarmante des populations, citadelle pour l’infiltration criminelle ; la non effectivité de la mise en place des Agences Nationales d’Investigations Financières (ANIF) dans tous les six Etats de la CEMAC ; l’application non exhaustive du règlement CEMAC 02/10/CEMAC/UMAC/CM du 10 octobre 2010 modifiant la Règlement N°01/03/CEMAC/UMAC/CM du 04 avril 2003; l’absence du dispositif du gel des avoirs; absence des condamnations pour BC/FT par aucune juridiction des 06 Etats alors rien que pour l’ANIF du Cameroun on dénombrait en 2013, 315 déclarations de soupçon, 45 dossiers transmis à la justice pour un montant évalué à 130 450 932 638 F; la non soumission des opérateurs de mobile money/messagerie financière au règlement COBAC ; la cybercriminalité (scamming); manque de soutient actifs des autorités de la sous région pour allouer au GABAC et aux ANIFs, les moyens humains, financiers et techniques nécessaires pour leur fonctionnement efficace et efficient; faible coopération de tous les assujettis secteur financier et non financier ; faible bancarisation de l’économie sous régionale ; la piraterie dans le Golfe de Guinée ; le braconnage et l’exploitation abuse des forets ; l’omniprésence du Cash (les espèces) dans les transactions financières ; la prédominance du secteur informel notamment dans le secteur du change manuel ; la non incrimination de certains délits primaires ou sous-jacents ; la vulnérabilité des Etablissements de Micro finance, des Assurances et opérateurs de mobile money, des opérateurs du secteur immobilier et automobile, des organismes à but non lucratif …Voilà non exhaustifs, les goulots d’étranglements qui entrainaient les pertes d’efficience fonctionnel et opérationnel du dispositif et contre lesquels ils fallait s’attaquer .
Qu’est ce qui a changé depuis lors ? Depuis quelques temps déjà, le Secrétariat Permanent du GABAC a décidé de passer des paroles aux actes. L’on a observé une contre-attaque, véritable offensive des autorités du GABAC. En réponse à la première contrainte relative à son fonctionnement interne, le Secrétariat Permanent sous l’impulsion de son patron, M. MBOCK GEOFFROY Désiré, et du Directeur des affaires Administratives et Financières M. BOUSSENGUI Jean Baptiste, va élaborer un Manuel de Procédures Administratives, comptables et Financières. Ceci en bénéficiant du concours financier et technique de la Banque Mondiale et du Célèbre Cabinet KPMG. Pour ce qui relevaient des contraintes exogènes, plus que par le passé, le GABAC a supporté et encouragé les formations et les renforcements des capacités du personnel des ANIFS dans les méthodes et techniques innovantes qu’empruntent les criminels, et aussi dans les analyses financières et techniques des dossiers de déclarations de soupçon.
En outre, le GABAC sous l’action efficace de son Directeur des Etudes et le Prospectives M. TABI MBANG Etienne a conduit des Evaluations Mutuelles dans les différents pays et à procéder à un diagnostic approfondi des tendances criminelles et des exercices de typologie. Concernant les critiques sur la caducité du cadre législatif, le Directeur des Affaires juridiques et Contentieuses du GABAC M. BITSY Saturnin a intensifié les campagnes et a bénéficié des travaux Techniques faits au niveau de la CAC (Conférences des ANIFs de la CEMAC), pour améliorer le dispositif préventif et répressif de LAB/CFT. Par ailleurs il convient de noter pour le préciser que les éléments essentiels du volet préventif reposent beaucoup plus sur le devoir de vigilance et l’obligation de déclaration de soupçon, la transmission et l’analyses de celles-ci par les ANIFs (recommandations 5, 8, 11, 12, 16, 24, 29 du GAFI), alors que l’efficacité de tout régime répressif repose sur le nombre de condamnations prononcées, l’entraide et la coopération judiciaire, les sanctions sévères des assujettis qui protègent les criminels (non délation, secret/discrétion) notamment les avocats, le notaire, le banquier, l’assureur…
Qu’est ce qui change désormais ? En étant ORTG, le GABAC non seulement assainit le climat des affaires de la zone CEMAC en abandonnant le titre tristement célèbre de seul organisme régional à ne pas être Membre Associé du GAFI (titre qui évinçait les investisseurs), mais également traduit la conformité de son cadre de lutte aux normes et standards internationaux.
Par ailleurs cela ouvre un champ élargi aux activités du GABAC qui non seulement va se prononcer sur les rapports des évaluations mutuelles des dispositifs des autres ORTG, mais aussi doit soumettre son dispositif aux critiques de ses confrères. Dit autrement, « le GABAC devra désormais soumettre les projets des rapports d’évaluation mutuelle et de suivi évaluation à l’examen de tous les membres et observateurs du GAFI et à tous les organismes régionaux de type GAFI dont il devra intégrer les remarques et observations avant transmission à la plénière de sa Commission Technique. En d’autres termes, comme jamais par le passé, le processus d’évaluation mutuelle et de suivi évaluation des Etats de la CEMAC sera scruté par la communauté internationale qui le cas échéant, ne manquera pas dans le cadre du Groupe de revue de la coopération internationale, de tirer les sonnettes d’alarme dans le cas où, le GABAC ne parvenait pas à leur faire prendre les mesures correctrices nécessaires pour la mise en conformité de leurs dispositifs juridiques et institutionnels avec les normes en vigueur en matière de lutte anti blanchiment et contre le financement du terrorisme ».
D’après le Secrétaire Permanent du GABAC, M. MBOCK, Qu’est ce qui reste à faire ? D’abord et surtout améliorer les niveaux des vies des populations et créer des niches d’emplois décents aux jeunes sans quoi toutes les autres mesures resteront abstraites et sans réel effet. Y faisant suite, le combat efficace et efficient contre ces pathologies doit revêtir une coloration réglementaire. Les autorités monétaires se doivent d’adopter de manière urgente un règlement rigide et harmonisé sur la circulation des espèces et la limitation de paiement en espèces dans les économies de la CEMAC. En effet le règlement d’une transaction en espèce a ceci de particulier qu’il ne laisse de traces ni sur l’identité des acteurs, ni sur l’origine des fonds. Bien plus encore, il fait prospérer le secteur informel et nourrit le secteur de change manuel. En outre, un autre règlement de même nature doit être adopté pour soumettre les EMF aux mêmes devoirs de vigilance et obligations déclaratives que les établissements de crédit. Par ailleurs la fourniture des services de mobile money doit être soumise à la délivrance d’un Agrément de la COBAC et des autorités monétaires.
La réponse institutionnelle est aussi nécessaire. Il s’agit en effet de mettre sur pieds une structure de coordination de l’ensemble des organes internes qui participent à la lutte contre la criminalité financière dans chaque Etat. En l’absence d’une telle rationalisation institutionnelle, la prolifération actuelle des structures internes exercera plutôt un effet amplificateur des phénomènes décriés. En outre, il faut élargir la compétence du GABAC au niveau du contrôle sur pièce et sur place de tous les assujettis sur leur conformité aux normes anti-blanchiment. Une autre réponse urgente est attendue sur le contrôle d’activité des organismes de charité, du secteur immobilier, forestier, pétrolier et minier, du secteur de vente des véhicules d’occasions, des pièces précieuses et des marchés publics (open contracting). Sans oublier d’associer les avocats, commissaires aux comptes, notaires, et conseillers fiscaux et financiers à l’obligation déclarative. Les condamnations pour corruption et détournements de fonds doivent être entendues comme condamnations pour blanchiment des fonds car l’un et l’autre sont des infractions primaires du blanchiment. La coopération judiciaire doit être rapide et les multinationales doivent être contraintes à une traçabilité de leur activité par filiale. De même, le rapatriement des recettes d’exportations doivent se faire par le canal de la banque de domiciliation des exportations.
Bien entendu, le ton de cet arsenal de contre mesure doit être donné par les Chefs d’Etats qui doivent chacun procéder dans le droit interne de son pays, à l’entrée en vigueur effective d’une législation sur la déclaration des biens. Allusion est faite par exemple au Cameroun sur la Décret d’application de l’article 66 de la loi Constitution révisée de 1996 qui reste attendu. Une autre réponse pas la dernière consistera à introduire un parcours en criminalité financière ou du moins les unités d’enseignement concernant l’analyse des dossiers relatifs à la criminalité économiques dans les universités et Ecoles de commerce de la sous région, y compris dans la formation des Magistrats. Pour finir, on se réjouit certes du passage du GABAC comme ORTG, mais l’essentiel n’est pas de se réjouir pour s’en contenter encore faut s’y maintenir au risque de prendre le chemin inverse.
Adamou PETOUONHI