John Colley en 1965 dans son ouvrage East Wind over Africa : Red China’s African Offensive déclare que « la Chine s’est installée en Afrique et compte bien y rester… Du Caire à Capetown, des îles de l’Océan indien au Golfe de Guinée, traversant les savanes et les montagnes, un vent nouveau venu d’Orient souffle sur l’Afrique ». Cette citation illustre bien que si les relations sino-africaines se sont accrues dans les années 2000 celles-ci sont pour autant nouvelles. En effet, nous pouvons faire remonter le développement de relations étroites à la conférence de Bandung de 1955. Avec cette conférence on a vu naitre l’expression de Tiers Monde sous la plume de l’économiste d’Alfred Sauvy. A cette époque les motivations chinoises sont avant tout idéologiques. Celle-ci va en effet soutenir les différents mouvements de libération nationale africains comme en Angola ou au Mozambique.
La Chine n’est pas la seule à convoiter les potentialités du continent africain. Les critiques à son égard permettent à d’autres Etats asiatiques de s’affirmer sur le continent. Tel fut le cas de l’Inde, le Japon ou encore la Corée du Sud. Nous nous attarderons plus spécifiquement sur le cas indo-japonais. Ainsi de quelle manière l’implantation historique chinoise est-elle de plus en remise en question ? Il s’agira de voir dans un premier temps les outils d’influence de la Chine en Afrique puis dans second temps les critiques de la stratégie chinoise qui ont permis à ses concurrents dans la région de s’implanter.
I. L’Afrique : un partenariat stratégique pour la Chine
De l’essor de la coopération sino-africaine à la volonté d’établissement d’un partenariat « gagnant-gagnant »
Lorsqu’on évoque l’implantation chinoise en Afrique, on constate que celle-ci se définit en contradiction avec celle occidentale. Comme nous l’avons vu précédemment, quand l’aide occidentale, et en l’espèce américaine, est conditionnée, celle chinoise n’est pas assortie à tant de conditions. La Chine s’appuie en effet sur ses liens historiques tissés avec l’Afrique depuis la Conférence de Bandung de 1955.
Ainsi à l’occasion de sa tournée africaine de 1964, le président chinois Zhou Enlai a énoncé les huit principes devant guider l’action chinoise relative à l’aide au développement. Ces derniers étaient l’égalité entre les partenaires, les bénéfices mutuels, le respect de la souveraineté, l’utilisation de dons ou l’utilisation de prêts sans intérêt, l’allégement des charges, le renforcement du bénéficiaire et le respect des obligations.
La Chine a fait de ce partenariat « sud-sud » le leitmotiv de sa politique africaine. Ainsi comme l’explique Julien Wagner, « c’est dans ce nouveau ‘no man’s land’ que Pékin entre en scène, jouant du contraste entre Occident condescendant, colonialiste et sentimentaliste, et une Chine fraternelle, anticolonialiste et ‘business-minded’ ». De ce fait nous retrouvons dans le discours chinois une rhétorique qui se trouve éloignée de celle habituellement employée par les occidentaux. La Chine ne se voit pas comme un « donateur » mais « considère son aide comme une entraide entre pays du Sud[1][2]. »
Le Consensus de Pékin, expression née sous la plume de Joshua Cooper Ramo, renvoie au modèle de développement Chinois. Ce dernier définit ainsi consensus de Pékin comme étant « autant une affaire de changement économique que social. Il utilise l’économie et la gouvernance pour améliorer la société, un objectif original dans l’économie du développement qui avait été d’une certaine manière perdue depuis les années 1990 et l’avènement du consensus de Washington[3] ». Le Consensus de Pékin, amorcé par le gouvernement chinois, essaye donc d’affirmer sur la scène internationale, les conditions favorables au développement des entreprises. La Banque de Développement Chinoise, mieux dotée désormais que la Banque Mondiale, fait donc du pays un acteur majeur auprès des pays en voie de développement.
One Belt, One Road – Les Nouvelles Routes de la Soie comme outil de réaffirmation de la puissance chinoise
La stratégie globale de Pékin sert non seulement à affirmer la puissance du pays sur la planète mais aussi à resserrer l’assise gouvernementale chinoise. L’élément privilégié est un vaste plan de maillage maritime et terrestre qui doit sécuriser l’approvisionnement en ressource et favoriser les exportations. Cette stratégie s’appuie sur son projet intitulé Les Routes de la Soie.
Les routes de la Soie sont un véritable outil de projection dans le monde. Ce projet vise à assoir l’influence et l’intégration régionale et interrégional de la Chine. En 2013, Xi Jinping évoque pour la première fois le projet de mettre en évidence le maillage nouveau dont la Chine serait le centre et le grand ordonnateur. C’est la stratégie One Belt, One Road (OBOR). Elle implique une soixantaine de pays étrangers.
L’Afrique se trouve au cœur de ce projet. Récemment, le Sénégal a récemment rejoint l’initiative suite à la visite en juillet 2018 de Xi Jinping à Dakar. Le pays rejoint ainsi le Kenya, l’Ethiopie, l’Egypte, Djibouti et le Maroc sur le parcours de ces Nouvelles Routes de la Soie.
Depuis 2013, « les investissements directs cumulés du géant asiatique dans les pays concernés dépassent 60 milliards de dollars et la valeur des projets signés par des entreprises chinoises atteint plus de 500 milliards, selon Pékin[4] »
Toutefois, le projet est de plus en plus critiqué du fait du surendettement qu’il implique vis-à-vis de certains Etats. En effet par exemple, « à Djibouti, la dette publique extérieure a bondi de 50 à 85% du PIB en deux ans selon le FMI, en raison des créances dues à l’Exim Bank.[5] »
II.La remise en cause de la domination chinoise par ses concurrents asiatiques
Une lutte de modèles
Tout d’abord, La présence chinoise en Afrique fait l’objet de nombreuses critiques. Ainsi comme l’explique, Adama Gaye, journaliste sénégalais et auteur de Chine-Afrique : le dragon et l’autruche, ces critiques portent « notamment la tentation d’une captation, par elle, des ressources naturelles du continent, le non-respect des normes environnementales et de travail par beaucoup d’entreprises chinoises, la centralité des États dans ce dialogue, les différences de vue sur les questions démocratiques ou encore les maigres retombées de l’intervention de Pékin pour les populations africaines. Parfois, le racisme de certains Chinois, les conditions draconiennes de leurs employés africains, le mépris affiché par rapport aux règles locales, le mauvais traitement infligé à des immigrés africains en terre chinoise ou la violation des engagements contractuels sont aussi des obstacles sur la voie d’un vrai rapprochement sinoafricain ».[6]
L’Afrique est principalement considérée quant à ses matières premières et ressources énergétiques. La Chine ne fait pas exception en la matière. Lamido Sanusi, gouverneur de la Banque centrale du Nigeria, déplorait la nature des liens noués entre l’Afrique et la Chine en disant que « la Chine prend nos matières premières et nous vend des produits manufacturés »[7] Le déséquilibre de la relation sino-africaine nous invite à nous interroger sur « le syndrome hollandais » aussi appelé « malédiction des matières premières » dont serait victime l’Afrique. Cette théorie a été développée dans les années 1960 après que les Pays-Bas ont enregistré une nette hausse de leur revenu après la découverte d’énormes dépôts de gaz naturels en mer du nord. Le gonflement soudain de leur exportation tira vers le haut le taux de change de la devise néerlandaise, réduisant d’autant la compétitivité internationale des produits locaux.
C’est sur la base de ces reproches que des Etats comme le Japon, l’Inde et la Corée du Sud, tentent d’accroitre leur présence afin de se poser en opposants du modèle chinois. Tout d’abord si nous comparons les modèles de ces trois Etats nous pouvons remarquer ainsi que l’explique Xavier Auregan, docteur en géopolitique et spécialiste des relations sino-africaines, que le modèle de la Chine « s’est structuré par le secteur public et une approche top-down ».
Le modèle indien « s’est tout d’abord développé par son secteur privé et les investissements afférents ». Le Japon quant à lui « met en avant le transfert de savoir-faire, le dynamisme de son secteur privé performant et la transparence de son aide »7.
La Corée du Sud fait aussi partie des concurrents chinois. « Cela se reflète dans la qualité de ses échanges, principalement dans les ventes de matériel ferroviaire, secteur dans lequel la
Corée est le premier partenaire de l’Afrique, largement devant l’UE ou la Chine. Les exportations coréennes de véhicules et d’équipement de télécommunications vers les pays africains ont également fortement progressé »8. Le géant sud-coréen Samsung illustre également cette dynamique. Il est très implanté en Afrique avec une stratégie commerciale adaptée (aux problèmes d’électricité du continent par exemple). La Corée du Sud entend bien s’appuyer sur ce que certains économistes appellent « le miracle sud-coréen » pour renforcer sa coopération avec les Etats africains. « La Corée du Sud est le seul Etat au monde à être passé du statut de pays bénéficiaire de l’aide internationale au milieu du siècle dernier à celui de donateur en 2009. Il est aujourd’hui l’un des plus importants contributeurs de l’aide publique au développement ». Ainsi le ministre des affaires étrangères Yun Byung Se expliquait que « comme l’Afrique, la Corée du Sud a traversé des moments difficiles. Mais nous avons su surmonter nos difficultés et nous saurons être un partenaire essentiel de l’Afrique »[8].
L’Inde parie sur la diversité de ses investissements. Ainsi ces derniers se tournent principalement vers les télécommunications, les énergies renouvelables mais également l’automobile comme en témoigne l’implantation du groupe Tata Motors. Les projets indiens sur le continent ne manquent pas. En effet ces derniers prévoient par la création de bourse d’affaires panafricaine et d’établissements d’enseignement supérieur. « L’Inde développe aussi depuis 2004 le Pan-African e-Network, qui sera étendu à terme à tous les pays africains. Ce réseau électronique, qui relie les grandes villes d’Afrique aux universités et aux hôpitaux ultraspécialisés du sous-continent indien, s’inscrit dans un projet de télémédecine et de téléenseignement. (…) des pourparlers sont en cours entre l’UA et le gouvernement indien pour la création d’une Silicon Valley africaine. Ce projet, dont la localisation n’a pas encore été déterminée, vise à promouvoir la recherche et la création dans le domaine des hautes technologies »[9]
Les relations nippo-africaines quant à elles se sont affirmées dans les années 1990 notamment avec la création en 1993 de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (Tokyo International Conference on African Development– TICAD). Yoshifumi Okamura, ambassadeur de la TICAD expliquait dans un entretien que « l’Asie a accédé à la stabilité, à la démocratie et à la prospérité économique, mais pourquoi estce plus compliqué en Afrique ? C’est une question que les Japonais se posent. Notre ambition est d’appliquer sur ce continent ce qui a pu fonctionner chez nous. »11
L’Asia-Africa Growth Corridor comme alternative aux Nouvelles Routes de la Soie
Le Japon et l’Inde souhaitent faire contrepoids à la domination globale chinoise. La stratégie de développement et d’implantation indo-japonaise s’appuie sur le développement d’infrastructures.
Cette volonté de réduire la domination chinoise sur le continent s’illustre par le projet de la « Route de la liberté » des indiens et des japonais. Celui-ci n’est pas sans rappeler le projet de la « Nouvelle Route de la soie » chinois. Ce « corridor de la croissance Asie Afrique », Asia Africa Growth Corridor, ambitionne de créer une région Indo-Pacifique « libre et ouverte » en redynamisant d’anciennes routes maritimes reliant l’Afrique au Pacifique, en passant par l’Asie du Sud et l’Asie du Sud-Est. (…). Il met l’accent sur le « développement durable » plutôt que sur le commerce, et s’appuie exclusivement sur les voies maritimes à « bas coût » avec une « faible empreinte carbone » [10]
Selon Céline Pajon et Isabelle Saint Mézard, ce projet est « animé par des logiques à la fois bottom-up et top-down, l’intérêt des entreprises japonaises à utiliser l’Inde comme un tremplin vers l’Afrique se doublant d’une volonté politique de proposer une alternative géopolitique à l’initiative chinoise des nouvelles routes de la soie, cela en améliorant la connectivité entre l’Asie et l’Afrique13. »
En conclusion, si la Chine, l’Inde et le Japon sont les principales puissances asiatiques à convoiter les potentialités du continent africain, il faut noter le retour de la Russie dans cette lutte d’influence. Si la priorité du pays en matière de politique étrangère n’est pas l’Afrique on peut toutefois remarquer son regain d’intérêt croissant. La Centrafrique semble, en ce sens, avoir été la tête de pont des ambitions russes en Afrique. En effet depuis le début de l’année 2018 des instructeurs militaires se sont installés à Bangui. Cette installation a ouvert la voie à d’autres coopérations militaires sur le continent comme avec le Burkina Faso et la République Démocratique du Congo. La voie militaire apparaissant comme la porte d’entrée au développement des partenariats économiques voire culturels.
Par Sokhna Maïmouna NDIAYE
Photo de couverture : Le Nigérian Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développement, et le premier ministre indien Narendra Modi lors du sommet annuel de la BAD à Ahmedabad, en Inde, le 23 mai 2017. Amit Dave/REUTERS
[1] Chaponnière Jean-Raphaël, « L’aide chinoise à l’Afrique : origines, modalités et enjeux », L’Économie politique,
[2] /2 (n°38), p. 7-28. DOI : 10.3917/leco.038.0007. URL : https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique2008-2-page-7.htm
[3] André, Paul. « Conclusion. Le consensus de Pékin : modèle d’économie confucéenne ou modèle ad hoc ? » In La Chine aujourd’hui : Dynamiques domestiques et internationales, 191-216. Histoire et civilisations. Villeneuve d’Ascq: Presses universitaires du Septentrion, 2016. http://books.openedition.org/septentrion/8226.
[4] Nouvelles routes de la soie : le piège chinois de la dette pourrait se refermer sur de nombreux pays. (2018, 3 septembre). Consulté le 30 décembre, 2019, de https://www.capital.fr/economie-politique/routes-de-la-soie-lepiege-de-la-dette-guette-les-amis-de-la-chine-1305177
[5] Ibid
[6] GAYE Adama, « Un siècle sino-africain », CETRI, [en ligne] in La Chine en Afrique. Menace ou opportunité pour le développement ?, publié en mars 2011, URL : http://www.cetri.be/IMG/pdf/09.pdf, consulté le 26 décembre 2018
[7] STIJNS Jean-Philippe et TRAORE Bakary, « De nouveaux concurrents pour la Chine ? », [en ligne], publié en 2013, http://observateurocde.org/news/fullstory.php/aid/3486/De_nouveaux_concurrents_pour_la_Chine___.html, consulté lé 26 décembre novembre 2018
[8] LE BELZIC Sébastien, « La Corée du Sud confirme son intérêt pour l’Afrique », [en ligne], Le Monde, publié le 6 juin 2016, URL : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/06/06/la-coree-du-sud-confirme-son-interet-pourl-afrique_4938773_3212.html, consulté le 26 décembre 2018.
[9] « Afrique – Inde : un autre modèle ? » [en ligne], Jeune Afrique, publié le 18 mai 2011, URL : http://www.jeuneafrique.com/32206/economie/afrique–inde–un–autre–mod–le/, consulté le 25 novembre 2018 11 « Japon-Afrique : les dessous d’une coopération discrète », [en ligne] Le Point Afrique, Publié le 13/07/2017 – Modifié le 14/07/2017, URL : http://afrique.lepoint.fr/economie/yoshifumi–okamura–il–n–est–pas–juste–deseulement–donner–13–07–2017–2142919_2258.php, consulté le 25 novembre 2018
[10] BOUISSOU Julien, « La ‘’route de la liberté’’, contre-projet de l’Inde face à la ‘’route de la soie’’ » [en ligne], Le Monde, publié le 9 août 2017, URL : http://www.lemonde.fr/international/article/2017/08/09/la–route–de–laliberte–contre–projet–de–l–inde–face–a–la–route–de–la–soie_5170391_3210.html, consulté le 21 novembre 2018 13 Céline Pajon, & Isabelle Saint Mézard, Le partenariat économique Japon-Inde : un processus politique. Consulté 30 décembre, 2018, de https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/asie-visions/partenariat-economiquejapon-inde-un-processus-politique