À qui appartient l’Arctique?

La région de l’Arctique vient du grec Arktos signifiant « Ours » référence de la constellation « petite ours polaire » qui indique toujours le Nord. Avec le réchauffement climatique, une partie auparavant inaccessible par voie maritime, a réveillé des souvenirs colonialistes. L’arrivée des nouvelles technologies pour l’extraction en zone difficile et la forte demande de carburant des pays émergents a contribué à une course pour la souveraineté de ce territoire riche en ressources et développant de nouveaux espoir d’axes maritimes. Comment une terre découverte au 15ème siècle est-elle devenue un nouvel eldorado ? Comment la départager ? Huit pays se retrouvent aujourd’hui à se partager légitimement et géographiquement le territoire de L’Arctique, circonscrit dans le cercle polaire nord : le Canada, la Norvège, le Danemark (via le Groenland), les États Unis (par l’Alaska), la Russie, l’Islande, la Finlande et la Suède.

Histoire

La question de l’Arctique peut nous sembler extrêmement récente, cependant l’histoire de sa découverte remonte jusqu’à la période néolithique. Tout commence par une importante constante géopolitique : un lieu de passage qui s’est formé lorsque le détroit de Béring devient accessible dû à la formation d’une banquise de glace, soit un pont entre la Sibérie et l’Alaska. Depuis ce jour, plusieurs pays et nationalités ont essayé de trouver leur place dans le cercle polaire nord. Mais c’est seulement dans le 20eme siècle que les demandes de souveraineté et d’extension de territoire sont formellement réalisées.

Enjeux économiques

 

• Réserves énergétiques

« Qui tient la mer tient le commerce du monde ; qui tient le commerce tient la richesse ; qui tient la richesse du monde tient le monde lui-même » – Walter Raleigh
Aujourd’hui, 80% du commerce mondial se fait par voie maritime et 90% des communications internationales empruntent des câbles sous-marins. Avec le réchauffement climatique, la zone Arctique devient un chemin plus enclin aux navigations et l’exploitation des ressources minières. En effet, la région couvrirait près de 13% des ressources de pétrole soit trois ans de consommation mondiale et 30% des ressources gazières non exploitées soit six ans de consommation mondiale. Les ressources en Arctique représenteraient en Russie, selon le Premier ministre Medvedev, 10 % des revenus liés aux hydrocarbures de la Fédération de Russie. De fait, l’Arctique représente 15 % de son territoire, 20 % de son PIB et 25 % de ses exportations (essentiellement du gaz naturel du site de Yamal). Pour les États-Unis, l’Alaska recouvrirait le tiers des 13% des ressources de pétrole mondiale supposées (soit 30 milliards de barils) ainsi que 12% des ressources supposées de gaz. D’après les estimations de l’Agence internationale de l’énergie en 2012, le pays pourrait être autosuffisant en hydrocarbures d’ici 2020 et même être le premier producteur de pétrole devant l’Arabie Saoudite d’ici 2030. En 2012, l’Alaska fournissait déjà 20% du pétrole américain.
On comprend dès lors les enjeux économiques des pays présents dans la zone. Cependant, d’autres pays espèrent obtenir également une part du gâteau notamment les Chinois qui installent dès 2004 un centre de recherche sur l’île norvégienne Spitzberg. Ils concluent également un accord bilatéral de libre-échange en Islande et un partenariat avec la compagnie pétrolière Eykon pour l’extraction des ressources minières. La Chine se montre présente car le Groenland, indépendant mais toujours sous souveraineté Danoise, détient de nombreuses ressources sur la côte Ouest notamment en terres rares, ce qui en fait un concurrent direct pour la Chine. Le Gouvernement islandais a accordé de nombreux permis offshore de compagnies Danoises, Norvégiennes, Canadiennes, Françaises, Écossaises, Américaines en espérant démontrer ainsi son indépendance économique face au Danemark. De plus, des pays comme Singapour ou le Japon, ont fait de la recherche dans la région un objectif important, étant directement menacés par la montée des océans. Enfin, la Corée du Sud était le premier constructeur naval au monde, très intéressée par le développement d’une nouvelle route maritime. L’Inde tout aussi intéressée, en tant que 3ème consommateur d’énergie mondial. Les pays européens comme les Pays-Bas, l’Italie (ENI) ou la France (Total) revendiquent aussi principalement leurs intérêts économiques.

• Routes commerciales maritimes

Selon la CNUCED le vecteur de commerce concernant la part du transport maritime dans le commerce international est en constante augmentation. En effet, il est lié à la croissance économique des pays développés et des pays émergents, et aussi poussé par la globalisation des marchés. Le commerce maritime international a ainsi atteint 8,17 milliards de tonnes en 2009 (quantité de marchandises transportées).
Les routes du Nord, qui avaient des conditions déplorables de navigation dans l’époque des grandes emprises maritimes, aujourd’hui cependant, ne sont pas les mêmes. De façon inédite, l’Agence spatiale européenne déclare la pleine navigabilité de ces eaux pendant l’été 2007. Désormais, sont recensées au Nord-Ouest cinq des différentes routes qui varient en fonction du local d’entrée, de la direction de transit et de la période de l’année. Les voies du Nord-Ouest permettent de raccourcir d’au moins 4 000 kilomètres l’actuelle trajectoire entre l’Europe et l’Extrême-Orient en passant par le canal de Suez. La route du Nord-Est (qui part de l’Atlantique nord et longe la côte sibérienne jusqu’au Pacifique) était plutôt explorée par des autochtones et par des pécheurs, devient désormais aussi importante que la route Nord-Ouest. À partir de 2008, la route était ouverte et navigable à des fins commerciales. Le pont arctique se limite à lier la Russie au Canada, mais cela renforce les forts positionnements des deux pays dans l’Arctique.
L’enjeu principal de ces routes maritimes alternatives consiste en un gain de temps et d’argent. Les dépenses de combustibles sur une durée plus courte permettent d’économiser aux commerçants plusieurs barils de pétrole. Au-delà de ces avantages, ces nouveaux itinéraires libèrent les plus grands bateaux des contraintes physiques imposées par les canaux de Panama, de Suez et de Malacca.
L’intérêt pour ces voies maritimes ne se limite pas aux pays circonscrit dans le cercle polaire nord, l’Asie aussi s’intéresse fortement à ces routes commerciales. La Chine, l’une des puissances asiatiques la plus présentes sur l’échiquier mondial, se fixe des objectifs comme la création de centres de recherche en Arctique. La Corée du Sud et le Japon aussi sont fortement intéressés et ont déjà un pied dans la région. Pendant que d’autres pays externes se précipitent pour conquérir une place dans les eaux glaciales du Nord, la Russie et le Canada se battent pour prouver que les passages maritimes, si convoités par les autres pays du monde, proviennent de leurs propres eaux intérieures afin de pouvoir imposer leurs règles sur les routes maritimes du Nord-Ouest et du Nord-Est.

Enjeux politiques

• La souveraineté dans les eaux

La mer est au centre de nombreux enjeux géopolitiques. Les deux enjeux principaux concernent la circulation des embarcations étrangères et l’exploitation des fonds marins. Pour preuve, les États-Unis, l’un des rares pays à n’avoir pas ratifié la Convention de Droit des Mers, envisagent désormais d’asseoir sa position en Arctique et en Mer de Chine. Les enjeux concernent l’exploitation des ressources (pêche, exploitation minière et pétrolière offshore…), le droit de navigation, la protection de certaines zones, etc. Si l’on considère que les États sont souverains dans certaines eaux territoriales (à condition de laisser un droit de passage inoffensif aux navires étrangers), cette souveraineté diminue fortement dans la Zone Économique exclusive (ZEE).
Afin d’obtenir le contrôle total des droits de circulation maritime en Arctique, la Russie et le Canada ont défini des lignes de base droites le long de l’archipel arctique canadien pour le Canada, et le long des îles sibériennes pour la Russie, très éloignées de la délimitation de basse mer décrite par la Convention en 1982.

• Points stratégiques militaires

Contrôler militairement une zone maritime permet un rapport de force face aux autres puissances mondiales en s’imposant sur la scène internationale. Le Canada, les États-Unis, le Danemark, la Norvège et la Russie utilisent la zone comme camp d’entrainement pour former des troupes au combat. Depuis 2008, les pays circumpolaires ont montré une volonté de renforcer leur pouvoir dans la région : augmentation de l’effectif sur le terrain, construction de brise-glaces (la Russie possède un avantage numérique avec 37 brise-glaces dont 4 nucléaires) et course aux armements de pointe technologique. Depuis 2008, le plan de stratégie Russe en Arctique prévoit la restauration de 7 aérodromes militaires abandonnés dans les années 1990.
Le cercle polaire arctique met en évidence des conflits comme celui qui oppose Washington et Moscou. Les États-Unis ont mis en place des sites de défense anti-missiles en Alaska comme forme de protection contre les puissances montantes asiatiques.

Enjeux environnementaux

Déchetterie nucléaire

La marine Russe est accusée depuis plusieurs années de déverser des déchets radioactifs et nucléaires en mer. On estime à 200 millions des litres de liquide radioactifs, 14 réacteurs nucléaires, 3 anciens sous-marins soviétiques avec missiles nucléaires et uranium enrichi qui sont de véritables bombes à retardement avec des réactions nucléaires incontrôlables. Bien que les dangers soient démentis par les autorités russes, un rapport écrit lors de leur accident prévoyait de les renflouer au plus tard avant 2014 afin d’éviter une catastrophe environnementale. Le renforcement des troupes militaires des différents pays dans la zone, les essais nucléaires et le développement des partenariats économiques quant à l’extraction des ressources minières ne font qu’accroitre les risques d’un non contrôle de marée noire et d’un rejet des déchets dans l’océan Arctique.

Les écosystèmes

Les écosystèmes pourraient souffrir dans les prochaines années. L’augmentation de 2°C se rapprochera de 5°C dans la zone Arctique ce qui se répercutera sur la fonte des banquises. Cependant, ce n’est pas la fonte des banquises mais la fonte de la glace d’eau douce qui fait monter le niveau des océans. 70% de cette eau douce se trouve en Antarctique. Toutefois, on estime que si 10 % de l’inlandsis groenlandais venait à fondre, le danger serait conséquent. On peut ajouter le schéma de migration des rennes et des baleines qui se trouvera affecté par l’augmentation du trafic maritime, les activités sismiques et la rupture de la glace.

• Quelles instances pour gérer le conflit ?

À l’instar de l’Antarctique, l’Arctique est un océan d’eau et de glace, ainsi délimiter son territoire est bien plus complexe. L’ONU a le pouvoir de délimiter les frontières pour les pays circumpolaires et reçoit régulièrement depuis 2001 des demandes d’agrandissement des territoires. L’ONU a essentiellement une politique territoriale.
Depuis sa création en 1996, le Conseil de l’Arctique qui réunit les huit pays de la région, n’a pas le pouvoir d’édicter des normes. Cependant, il présente l’originalité de donner la parole aux peuples autochtones de l’Arctique mais laisse peu d’ouverture aux puissances étrangères. En 2013, le Conseil s’est élargi avec l’arrivée de 5 nouveaux membres « observateurs » et ne disposant pas du droit de vote : la Chine, le Japon, Singapour, l’Italie et la Corée du Sud. Le Conseil est dirigé par un des 8 membres initiaux pour un mandat de 2 ans afin d’assurer une juste répartition des pouvoirs et traitement des enjeux globaux pour la région. L’ancien premier ministre canadien Steven Harper était centré sur le développement au service des peuples du Nord mais ne se montrait pas positif à l’arrivée des nouveaux observateurs ni à la candidature de l’Union Européenne comme observateur permanent : la relation avec celle-ci est polluée par deux sujets : l’embargo européen sur les produits dérivés du phoque et le refus par l’Union européenne d’accepter les sables bitumineux. L’arrivée de Justin Trudeau (parti libéral) depuis le 4 novembre 2015 risque de changer la politique du Canada sur l’Arctique. Le Premier Ministre envisage d’investir massivement dans l’éducation pour les peuples autochtones, pour améliorer la condition de vie des habitants (nourritures, eau, électricité, infrastructures) et la réduction des émissions de gaz à effet de serre sont devenues une de ses priorités.
Le code polaire a été adopté par l’Organisation Maritime Internationale en 2014 et entrera en vigueur en janvier 2017. Il régule tous les aspects de la navigation dans les latitudes extrêmes de l’Arctique et de l’Antarctique en termes de sécurité des équipages et les mesures liées à la prévention de la pollution. Un certificat sera notamment nécessaire pour pouvoir naviguer dans les eaux polaires en fonction de leurs capacités à évoluer dans différentes épaisseurs de glace.
La Commission des limites du plateau continental s’occupe des demandes d’extension concernant le plateau continental au-delà des 200 milles marins, pendant que l’Autorité internationale des fonds marins est l’intermédiaire légal par laquelle les États concernés passent pour mener des activités d’exploitation dans la Zone.

Conclusion

• A qui l’Arctique appartient- il ?

Après de telles réflexions, il est encore difficile de définir qui est le vrai propriétaire de l’Arctique aussi légitime qu’il soit. Est-ce que l’Arctique appartient au premier pays à proclamer sa souveraineté sur ses terres? Dans ce cas-là, le Canada serait-elle la puissance arctique légitime? Ou même la Norvège? Pourrions-nous dire qu’en dépit de toutes les forces majeures exercées par des pays comme la Russie, le Canada ou les États-Unis, que la plus légitime de toutes les présences en Arctique serait celle des peuples autochtones, ceux qui sont venus en premier par le détroit de Béring, soit les Inuits, Naskapi, Koyukon, Yukaghir? Ou faudrait-il considérer comme propriétaire de l’Arctique celui qui possède les terres où se trouvent les plus grandes concentrations de réserves énergétiques, soit la Russie ? La seule certitude à laquelle on peut s’accorder, c’est que les enjeux qui se posent sont si importants que ce thème ne tombera jamais dans l’oubli par un manque d’intérêt, économiques ou politiques : c’est un vrai dilemme géopolitique qui mettra en lumière le grand acteur du moment.

Cyrielle Meilland et Rebecca Previtera Barros

Sources :

DUPUIS, Jonathan, Le développement du trafic maritime arctique et ses impacts environnementaux, 2010,
ENCEL Frédéric, Comprendre la géopolitique, Points Essais, 2011, 256 pages.
FOUCHER Michel, L’Arctique, la nouvelle frontière, Biblis, 2014, 182 pages.
GARRIC Audrey (2012), « Arctique : terre promise pour les compagnies pétrolières?», Le Mondehttp://www.lemonde.fr/planete/article/2012/09/07/l-arctique-terre-promise-pour-les-compagnies-petrolieres_1755976_3244.html
GATTOLIN André, Arctique : préoccupations européennes pour un enjeu global, Rapport du Sénat, 2014.
KOLLEWETERRY MACALISTE Julia (2012), « Arctique : fourrage il est urgent d’attendre », Courrier international, http://www.courrierinternational.com/article/2012/08/16/forages-il-est-urgent-d-attendre
LASSERRE Frédéric (dir.), Passages et mers arctiques. Géopolitique d’une région en mutation, coll. Géographie contemporaine, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2010, 492 pages.
« Les Etats-Unis bientôt premier producteur mondial de pétrole selon l’Agence internationale de l’énergie », Le Monde, 2012 http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/11/12/les-etats-unis-bientot-premier-producteur-mondial-de-petrole-selon-l-agence-internationale-de-l-energie_1789198_3244.html
MARE Cyril, RAHER Rémi, Géopolitique de l’Arctique, la terre des ours face à l’appétit des nations, L’Harmattan, 2014, 214 pages.
ORTOLLAND Didier, PIRAT Jean-Pierre, Atlas géopolitique des espaces maritimes, Editions TECHNIP, 2008, 352 pages.
ROYER Pierre, Géopolitique des mers et des océans, Major, 2014, 208 pages.
TAITHE Alexandre, Arctique : perspectives stratégiques et militaires, Rapport de la Fondation pour la Recherche, 2013.

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