Compte rendu de la conférence « L’armée française : une armée qui s’engage », prononcée le 23 octobre 2014 à l’Université Jean Moulin Lyon 3.
Intervenants :
– Général de corps d’armée Pierre Chavancy, Gouverneur militaire de Lyon et Commandant de la Région Terre Sud-Est.
– Lieutenant Michel Auvert, du 92ème Régiment d’Infanterie de Clermont-Ferrand
En ce jeudi 23 octobre, l’Université Jean Moulin Lyon 3 a su faire preuve de son intérêt pour les questions de défense en faisant salle comble à l’occasion de la venue de ces deux invités venus nous entretenir des types d’engagements auxquels sont confrontées les forces armées françaises.
Le rôle et le cadre d’intervention de l’armée française sur le territoire national
Les engagements opérationnels des armes françaises peuvent être regroupés en trois grands groupes.
– Les opérations de combat durant des conflits armés : il s’agit du cœur du métier de soldat. C’est pour ce type d’opérations que les militaires sont organisés et entrainés.
– Les contributions militaires à l’action de l’Etat : elles regroupent l’ensemble des engagements face à des dangers et périls non spécifiquement militaires, mais dont les enjeux sécuritaires les font rentrer dans le champ de la sécurité nationale. Les armées peuvent être appelées à apporter des contributions dans les domaines de la lutte contre le terrorisme ou les phénomènes criminels transnationaux (trafics de drogues, piraterie…). Il s’agit également des possibilités d’engagement sur le territoire national en soutien de politiques de sécurité intérieure, c’est-à-dire en soutien des forces de police, de gendarmerie ou des pompiers afin de faire face à des situations de crise dans le cadre de plans gouvernementaux nationaux préétablis. C’est le cas du plan Héphaïstos dans le cadre de la lutte contre les feux de forêt, ou du plan Vigipirate en matière de lutte contre le terrorisme. Ces déploiements sont également visibles au niveau de l’action de l’Etat en mer, par exemple durant les épisodes de lutte contre les pollutions maritimes. Il s’agit également des emplois lors des situations catastrophiques d’origine naturelle ou humaine.
– Les postures permanentes de sécurité : il s’agit des opérations de surveillance radar et de détection des intrusions dans l’espace aérien et maritime. Il s’agit également de tout ce qui concerne la dissuasion nucléaire.
Mis à part les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), il n’y a pas dans l’armée française de forces dédiées. Les mêmes troupes sont déployées au Mali et pour le plan Vigipirate. Aucune troupe n’est spécialisée pour l’un des trois types d’interventions. Il existe bien entendu une multitude de spécialités, telles que les parachutistes, les chasseurs alpins, les commandos marine… Mais ces métiers, bien que spécifiques, sont susceptibles d’être utilisés pour tous les types de missions et sur tous les théâtres. L’Armée de Terre n’a pas de troupes dédiées destinées à intervenir sur le territoire national ou à l’extérieur.
Il y a actuellement en métropole, 2500 membres des forces armées qui sont en posture de vigilance, c’est-à-dire qui participent à des missions de surveillance, que ce soit devant un radar d’une base aérienne, en patrouille dans le cadre du plan Vigipirate ou en mission en mer. Les forces déployées dans les possessions d’outre-mer se montent à 7200 hommes et femmes.
Sur le territoire national, il existe une organisation permanente entre le Ministère de la Défense et le Ministère de l’Intérieur en vue du déploiement des troupes. Le Ministère de l’Intérieur est le ministère menant et le Ministère de la Défense est (dans la plupart des cas) le ministère concourant. Ainsi, au niveau du département, le préfet dispose d’un délégué militaire départemental. Celui-ci conseille le préfet pour l’emploi des moyens militaires dans le département relevant de son autorité. Bien souvent, l’échelon du département n’est pas le seul à être concerné en cas de crise, il existe donc une structure similaire au niveau de la région.
A l’échelon national, les deux ministères ont des cellules de crises permanentes en contact étroit. Le Ministère de la Défense dépend de deux personnes, le Ministre de la Défense et le Chef d’Etat-major des Armée (CEMA), qui joue le double rôle de conseiller du Ministre de la Défense (mais aussi du Gouvernement) et de commandant des opérations. Le Ministère de la Défense est systématiquement représenté dans les cellules de crise par ceux-ci ou leurs délégués.
En cas de crise, cette organisation permanente interministérielle entre la Défense et l’Intérieur constitue une cellule de crise ad hoc qui siège normalement Place Beauvau, dans la mesure où le Ministère de l’Intérieur est menant. Ce Ministère mobilise alors trois organismes, à savoir la police, la gendarmerie et la sécurité civile, tandis que le Ministère de la Défense implique le Cabinet du Ministre et le CEMA afin d’assurer une réactivité maximale face à la situation de crise. L’échelon politique prend les décisions, l’échelon militaire conseille le politique durant le processus de discussion et exécute les choix opérés. Dès la décision prise, celle-ci est transmise à travers la chaine de commandement jusqu’aux échelons les plus subordonnés. D’autres ministères sont systématiquement associés à cette action au sein de la cellule de crise ad hoc. On compte parmi ceux-ci le Ministère des Transports, ceux de la Santé, des Finances ou encore des Affaires Etrangères. En pratique, n’importe quel ministère peut être adjoint au processus décisionnel et d’action en cas de crise dès lors que la situation le nécessite.
Cette association des différents ministères se fait en fonction d’une typologie des crises décrite dans le Livre Blanc de la Défense Nationale. Les crises locales ne mobiliseront que les échelons départementaux ou régionaux, tandis que les crises majeures ou majeures renforcées entraineront systématiquement la création d’une cellule de crise ad hoc. Le Premier Ministre, par le biais de son Secrétariat Général de la Défense, de la Sûreté et de la Sécurité Nationale prend alors les décisions en considérant les positions de chaque ministère.
En cas de crise majeure ou majeure renforcée, le Livre Blanc de la Défense Nationale prévoit notamment que l’armée soit en mesure de mettre à disposition en quelques jours 10 000 hommes sur le terrain. Dans le cas de crises hors cadres, c’est-à-dire lorsque la continuité du fonctionnement de l’Etat est mise en danger (en cas de rupture totale des communications, d’approvisionnement en électricité et vivres, etc.), les armées viennent directement à l’appui de l’Etat afin d’assurer la continuité des services. Le dispositif de réserve de sécurité nationale est alors mis en œuvre.
Afin de permettre ces actions des forces armées, le maitre mot est la planification. Le travail en amont des crises permet de passer outre les effets de surprise lorsque les crises surviennent et de réagir rapidement et efficacement. Survient alors la question de la prévisibilité des crises. Les grands évènements, du type du G8, les jeux olympiques ou les grandes crues annuelles sont relativement prévisibles et permettent donc une préparation et une anticipation conséquentes. Il existe en revanche des évènements moins probables, telles les crises sécuritaires ou les catastrophes naturelles inopinées, plus difficiles à prévoir, mais pour lesquels des scénarii probables et des plans d’action sont néanmoins établis. Les structures permanentes de l’Intérieur et de la Défense travaillent en permanence à la planification d’évènement plus ou moins probables et à la mise à jour des plans afin d’être réactifs en cas de survenance d’une crise.
Pour autant, les trois composantes des forces armées, à savoir la Marine Nationale, l’Armée de l’Air et l’Armée de Terre, ne sont pas tout à fait placées dans la même logique. L’Armée de l’Air et la Marine Nationale sont, sur le territoire national, en situation de primo-intervenants, et même de solo-intervenants en ce qui concerne l’Armée de l’Air. En effet, les délais de réaction lorsqu’une intrusion sur le territoire national est détectée sont tellement courts (de l’ordre de 15 à 20 secondes, entre la détection et l’ordre d’utilisation de la force donnée par le Cabinet du Premier Ministre) qu’il est nécessaire d’obtenir une autorisation d’intervention ministérielle le plus vite possible. L’informatisation, la planification et la rapidité de transmission des informations à l’échelon politique sont ici primordiaux. La situation est sensiblement la même en ce qui concerne la Marine Nationale, où les préfets maritimes, par délégation d’autorité du Premier Ministre s’occupent de la coordination des moyens.
En ce qui concerne l’Armée de Terre, l’organisation est sensiblement différente. Les unités de sécurité intérieure et civile font face à un certain nombre de menaces et de risques, qu’ils ressortent du terrorisme ou des catastrophes naturelles. Le rôle des armées est différent de celui des autres composantes, car la primo-intervention est ici le domaine de professionnels dédiés, à savoir la police, la gendarmerie et les pompiers. Les forces terrestres ne constituent qu’un appui à ces intervenants. Le cadre juridique qui s’applique ici est celui de la réquisition ordonnée par le préfet, en fonction des décisions prises par les cellules de crise décrites précédemment. L’intervention des forces terrestres survient lors de cas précis et limitatifs, à savoir lorsque lors les moyens civils pour répondre à une situation de crise sont inexistants, en nombre insuffisant, indisponibles, ou inadaptés. Le principe fondamental légal est que les armées ne constituent pas un service déconcentré de l’Etat. Le préfet exerce son autorité sur la police, la gendarmerie et les pompiers, mais les forces armées restent en permanence sous les ordres du CEMA ou de son délégué.
Les opérations extérieures
Actuellement, 8300 soldats sont déployés dans le cadre des opérations extérieures. Il existe également un dispositif de forces de présence composé d’environ 4000 hommes (tout comme il existe un dispositif de forces de souveraineté dans les possessions d’outre-mer), essentiellement situé en Afrique de l’Ouest et en Afrique Centrale ainsi qu’aux Emirats Arabes Unis. Ce dispositif est décidé et géré à l’échelon politique.
Ainsi, si par exemple une tentative de coup d’état se produit dans un pays avec lequel la France est liée par accord de défense, l’information est transmise au Centre de Planification et de Conduite des Opérations(CPCO). Dès lors le CEMA analyse la situation, émet des hypothèses d’intervention, et fait remonter ses propositions à l’échelon politique aux ministères concernés, au Cabinet du Premier Ministre ainsi qu’au chef des armées, le Président de la République. Ce dernier convoque alors un conseil restreint composé des ministères concernés et des principaux conseillers en matière de défense et de renseignement. Dans le cas où le Président de la République décide du déclenchement d’une opération, l’information est transmise directement au CEMA qui met en œuvre les options choisies et conduit les opérations par l’intermédiaire du CPCO. Au-delà d’une durée d’intervention supérieure à 4 mois, une autorisation du parlement est nécessaire. Ce délai existe afin de permettre une réactivité importante qui n’est pas toujours possible au vu des aléas du processus parlementaire démocratique classique.
Une série de principes encadre l’intervention des forces armées lors des opérations extérieures, à savoir :
– la légitimité démocratique : l’intervention se doit d’être légitime aux yeux de l’opinion publique française, mais également aux yeux des populations locales et de leurs gouvernants ainsi qu’à ceux de la communauté internationale. Il s’agit ici de la bataille des perceptions, où les média jouent un rôle primordial. Il faut dès lors impliquer les partenaires locaux mais également les différentes organisations internationales et, dans certains cas, les organisations non-gouvernementales.
– le respect du droit international : l’engagement des troupes françaises doit être sanctionné au minimum par une résolution du Conseil de de Sécurité des Nations Unies. Il s’agit du minimum acceptable.
– l’autonomie permanente d’appréciation et d’engagement : la France tient toujours à garder la maitrise nationale de l’emploi de ses forces, quand bien même elle agirait au sein d’une coalition. Ainsi, la chaine de commandement française sanctionne toujours les ordres donnés par le commandant de la coalition, comme cela a pu être le cas en Afghanistan. La logistique et le renseignement sont donc assurés par des moyens français. Cela permet également d’assurer sa propre opinion et de vérifier la conformité de l’emploi des forces déployées par rapport aux missions prévues.
– La logique de concentration des moyens : tous les moyens, ressources et personnels sont concentrés au sein d’une même zone, sous un commandement français.
– La visibilité nationale : il s’agit, entre autres, ici d’assurer la visibilité de la France lors d’une intervention.
Les opérations extérieures sont menées selon une approche globale, ce qui signifie que les combats ne représentent qu’une partie de l’action des troupes. Cette part du travail est même relativement marginale. Il s’agit en fait, au sein d’une zone donnée, qu’un seul commandant mène des actions de combat, mais assure également la bonne gouvernance. Cela signifie que la population locale doit pouvoir disposer de représentants civils et militaires qu’elle juge crédibles. Le commandant doit également assurer le développement de sa zone, afin d’assurer la paix et la reconstruction. Trois obligations incombent donc au commandant de la zone : la sécurité, la bonne gouvernance et le développement.
Le chef a cependant à sa disposition toute une série d’acteurs qui l’aident à mener à bien sa mission, qu’il s’agisse de diplomates, de conseillers techniques ou culturels.
En conclusion, que ce soit sur le territoire national ou dans les opérations extérieures, des processus complexes sont en œuvre en matière de décision de l’emploi des forces armées ainsi que dans leur action sur le terrain. Il est absolument nécessaire que les officiers supérieurs soient parfaitement au fait des tenants, les problématiques de cabinet à Paris, et des aboutissants, c’est-à-dire de la situation sur le terrain au niveau des troupes et des populations locales. La maitrise des langues étrangères est également primordiale.
Témoignage du lieutenant Auvert au niveau opérationnel, participant à l’opération Serval au Mali
Une opération extérieure au plan opérationnel se divise en trois phases, la première consistant en la préparation. La seconde phase concerne le déroulement de l’opération sur le terrain. Enfin, la dernière phase est constituée par le retour à la vie normale.
Afin que l’opération se déroule dans les meilleurs conditions possibles, la section, composée d’une trentaine d’hommes, doit être un ensemble homogène, bien que constitué de multiples postes spécialisés (chauffeur, mitrailleur, tireur d’élite, chef de section etc.). La première difficulté est que les soldats sont souvent très jeunes lors de leur premier déploiement en opération extérieure. La moyenne d’âge est d’environ vingt ans pour les soldats alors qu’officiers et sous-officiers sont généralement plus âgés et expérimentés. Il s’écoule une année de service entre l’engagement et le premier départ en opération. Pour autant, la jeunesse des soldats ne veut pas dire que leur niveau intellectuel laisse à désirer. En effet, 50% d’entre eux disposent au moins d’un baccalauréat. Cela permet d’évoluer rapidement, de devenir sous-officier. 70% des sous-officiers proviennent du rang, et 50% des officiers sont issus du corps de sous-officiers.
Il est nécessaire que les maitres mots au sein de la section soient polyvalence et complémentarité. Elle doit être capable d’évoluer dans différents contextes, différents milieux, faire preuve d’adaptation. La formation au secourisme est également un élément déterminant. Il importe donc de s’entrainer à tous les types de combats et à tous les types d’environnements. Si tous les soldats ont une fonction précise, ils partagent le socle de leur formation. Les postes sont interchangeables, c’est-à-dire qu’en cas de blessure ou de décès d’un spécialiste, un autre homme doit pouvoir le remplacer à son poste immédiatement. Ce principe vaut également pour les sous-officiers et officiers qui doivent être capables d’occuper les fonctions de leur supérieur hiérarchique direct.
La préparation préalable au déploiement comporte également un volet de formation à la culture du pays ciblé et à la géopolitique. Il est en effet nécessaire pour les hommes de savoir comment agir et réagir, quelles sont les règles d’engagement, quels sont les enjeux locaux et les enjeux de l’intervention. Un comportement exemplaire vis-à-vis des populations locales est exigé afin de renforcer la légitimité de l’intervention.
Une fois le déploiement ordonné, il importe de se conformer aux enseignements reçus, autant en matière de gestion de la tension que de résistance à la fatigue ou à un mode de vie austère et rustique. La polyvalence de la section est ici mise à l’épreuve, par la mise en œuvre de tous les types de combats appris à l’entrainement. Le bon fonctionnement de la section et son succès au combat sont en outre tributaires d’un ravitaillement logistique sans faille (surtout dans des conditions climatiques et environnementales extrêmes) et d’un service de santé compétent et réactif. Les opérations de gouvernance constituent en outre une part importante de l’opération extérieure. Il faut par exemple réinstaller les dépositaires locaux des pouvoirs civils et militaires dans leurs fonctions, permettre un retour à la vie normale des populations afin de s’assurer de leur soutien. Au Mali, cela passait notamment par la réouverture des marchés, lieux traditionnels d’échanges culturels et économiques.
La fin du déploiement en opération extérieure est caractérisée par une phase de réadaptation à la vie normale et de décompression dans un environnement calme et sécurisé où les soldats peuvent se ressourcer et discuter de leur déploiement avec des psychologues afin de gérer leur retour d’expérience post-combat. C’est également durant cette phase que les rapports de situation et d’opération sont communiqués à la hiérarchie. Le retour en métropole donne lieu à l’octroi d’une permission permettant de se réaccoutumer à une vie normale, avant que les soldats ne soient envoyés remplir un autre type de mission, comme la participation au plan Vigipirate.
Pour aller plus loin :
LOI n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 http://legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000028338825&categorieLien=id
Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale
http://www.livreblancdefenseetsecurite.gouv.fr/
Arthur Cabanetos
Étiquettes : Armée, France, Militaires, Opérations extérieures