The end of the Nation-State? La fin de l’Etat-Nation?

Posted By Parag Khanna - The New York Times | October 13, 2013

La traduction suivante porte sur un article du New York Times, intitulé The end of the Nation-State ? et rédigé par Parag Khanna.

Il fut fondé en 1851 à New York, et est devenu en quelques années un quotidien de référence, aux Etats-Unis, mais aussi dans le monde de par ses articles de qualité couvrant tous les sujets d’actualité. Il est contrôlé par The New York Times Company distributrice de 18 autres journaux. Sa circulation journalière (sans compter le dimanche) est d’environ 1 800 000 exemplaires. Le directeur en chef de la rédaction est Jill Ambramson depuis 2011, première femme à occuper ce poste. Le « Times » soutien traditionnellement les candidats démocrates aux élections, en faisant un journal plus « à gauche » aux Etats-Unis.

 

Texte original

L’auteur, Parag Khanna est un géopoliticien Indo-Américain, et un chercheur à la New America Foundation (association non partisane qui se focalise sur l’actualité ainsi que sur les problèmes et les tendances du monde actuel), titulaire d’un doctorat en relations internationales de la London School of Economics. Il est l’auteur de “The Second World: How Emerging Powers Are Redefining Global Competition in the 21st Century” et de “How to Run the World: Charting a Course to the Next Renaissance”. Il intervient régulièrement dans différent médias internationaux tels que CNN, la BBC, ou le New York Times.

Son orientation politique est radicale centriste, une idéologie présente surtout aux Royaume-Uni et aux Etats-Unis, qui prône des changements radicaux positifs progressistes pour le futur en prenant en compte les problèmes mondiaux. Ce texte a été publié le 12 Octobre 2013.

Texte original en annexe

Traduction

 

La fin de l’Etat-Nation ?

 

Singapour – Tous les cinq ans, le United States National Intelligence Council, qui conseille le directeur de la CIA, publie un rapport prédisant les implications à long terme des tendances mondiales. Plus tôt cette année, est sorti son dernier rapport, « Alternative Worlds » (Mondes Alternatifs), qui inclut des scénarios imaginant à quoi ressemblerait le monde d’ici à une génération.

Un scénario, « Nonstate Wolrd » (Monde Non-état) imaginait une planète dans laquelle l’urbanisation, la technologie et l’accumulation de capital avaient abouti à un paysage dans lequel les gouvernements ont abandonné les vraies réformes et sous-traité de nombreuses responsabilités à des tierces parties, qui avaient ensuite formé des enclaves régies par leurs propres lois.

La date imaginée pour les scénarios du rapport est 2030, mais pour « Monde Non-Etat », cela pourrait aussi bien être 2010 : bien que la plupart d’entre nous ne le réalise pas, « Monde Non-Etat » décrit en grande partie comment la société globale fonctionne déjà. Ce n’est pas pour dire que les états ont disparu, ou vont disparaitre. Mais ils deviennent simplement une forme de gouvernance parmi tant d’autres.

Une rapide analyse du monde révèle que là où la croissance et l’innovation ont rencontré le plus de succès, un nœud hybride public-privé, domestique-étranger est à la source du miracle. Ce ne sont pas des états, ce sont des « para-états » – ou pour reprendre un terme plus courant, des « zones spéciales économiques ».

A travers l’Afrique, le Moyen Orient et l’Asie, des centaines de zones comme cela sont sorties de terre lors des dernières décennies. En 1980, Shenzen est devenue la première de Chine ; maintenant elle couvre la Chine, qui est devenue la deuxième économie mondiale.

Le monde arabe en compte plus de 300, bien que plus de la moitié soient concentrées dans une ville : Dubaï. A commencer par la Jebel Ali Free Zone, qui est aujourd’hui l’un des plus grands et l’un des plus efficaces ports du monde, et qui comprend maintenant de la finance, des médias, de l’éducation, de la santé et de la logistique. Dubaï est autant un ensemble de hubs commerciaux régulés internationalement que c’est l’émirat le plus populeux d’une fédération souveraine Arabe.

Cette couche complexe d’autorité territoriale, légale et commerciale va de pair avec la deuxième grande tendance politique de l’époque : la dévolution.

Face à l’urbanisation rapide, chaque ville, chaque état ou province veut prendre ses propres décisions. Et elles le peuvent, du fait que les nations dépendent de leurs plus grandes villes plus que l’inverse.

Le maire de New York, Michael R. Bloomberg aime dire à qui veut l’entendre : « Je n’écoute pas beaucoup Washington ». Mais il est clair que Washington l’écoute. La même chose se vérifie pour d’autres maires dans le monde, ce qui explique pourquoi au moins huit ex-maires sont maintenant chefs d’état.

Ecosse et Pays de Galles en Grande-Bretagne, le pays Basque et la Catalogne en Espagne, la Colombie Britannique au Canada, l’Australie de l’Ouest et presque chaque état Indien – tous sont des endroits cherchant à obtenir une autonomie fiscale et politique maximale de la part de leurs capitales respectives.

Le phénomène de dévolution se produit même en Chine. Les villes ont reçu une grande liberté d’action pour développer des modèles économiques innovants, et Pékin dépend de leur croissance. Un adage populaire parmi les observateurs de la Chine est aujourd’hui : « Les collines sont hautes, et l’empereur est loin. » Nos cartes révèlent un monde d’environ 200 pays, mais le nombre d’autorités effectives est plus élevé de plusieurs centaines.

La conséquence plus large de ce phénomène est que l’on devrait penser au-delà des nations clairement définies et de la « création de nations » pour se tourner vers l’intégration de la population d’un monde qui s’urbanise rapidement, directement dans des marchés régionaux ou internationaux. Ceci, plutôt que de passer par le niveau intermédiaire des gouvernements centraux, est le chemin le plus sûr pour améliorer l’accès aux biens et services de base, réduisant la pauvreté, stimulant la croissance, et augmentant la qualité de vie globale.

Les sociétés connectées sont en meilleur position que celles isolées. A mesure que le taux de conflits internationaux diminue, encore plus de pays construisent des routes, des voies de chemin de fer, des pipelines, ponts et câbles internet à travers les frontières, forgeant un réseau de centres urbains qui dépendent l’un de l’autre pour les échanges, les investissements et la création d’emploi.

Le Burundi, le Kenya, le Rwanda, la Tanzanie et l’Ouganda ont formé la Communauté Est Africaine pour coordonner tout depuis les douanes aux investissements au maintien de la paix. S’ils peuvent financer une infrastructure élaborée par les Chinois pour passer outre les frontières politiques arbitraires, (les omniprésentes et suspicieuses lignes droites sur la carte), ils pourraient être une Union Européenne d’Afrique naissante.

NULLE PART ailleurs plus qu’au Moyen Orient, faut-il repenser « l’état ». Il y a une triste futilité aux nombreuses analyses quotidiennes sur la Syrie et l’Irak, qui n’arrivent pas à comprendre qu’aucun état n’a un droit divin d’exister. Un siècle après que les diplomates Français et Britanniques aient divisé les territoires de l’est de l’Empire Ottoman en de piètres (et au final courts) mandats, les états qui en ont résulté, s’écroulent sans espoir de reconstruction.

Le monde Arabe ne retrouvera pas sa gloire d’antan tant que sa carte n’est pas redessinée pour ressembler à une flopée d’oasis nationaux autonomes reliés entre eux par les routes de la soie du commerce. Les communautés ethniques, linguistiques, et sectaires peuvent continuer à réclamer leur indépendance. Et il ne fait aucun doute que les Palestiniens et les Kurdes la méritent.

Et cependant, plus de division, de fragmentation, même de nouveaux états souverains, sont une étape cruciale dans un long processus pour la stabilité transnationale entre voisins.

 

Analyse

Comme on a pu le comprendre à la lecture de ce texte, Parag Khanna ne croit plus beaucoup en l’idée de nation à l’échelle d’un pays, mais à la montée en autonomie de grandes métropoles qui seraient reliée entre elles et dépendantes l’une de l’autre, au travers d’un réseau d’échange de marchandises et d’informations. On retrouve aussi cette théorie dans son livre How to run the world ? publié en 2011, où il prédit la création de micro-états, expliquant que le nombre de pays devrait passer à court d’environ 200 à plus de 300, par la remise en cause des accords diplomatiques qui ont décidé de la partition du Proche-Orient (accords Sykes- Picot de 1916) et de l’Afrique (traité de Berlin de 1884). De la nouvelle carte du monde devraient disparaître les États artificiels au profit de territoires uniformes d’un point de vue ethnique ou religieux.

Sa thèse reflète la tendance actuelle selon laquelle les minorités et les communautés revendiquent de plus en plus leurs différences, que ce soit ethnique, religieuse, territoriale, et poussent pour plus d’autonomie, voire même l’indépendance.

Les raisons à cela sont multiples. Dans certains cas, comme souvent au Moyen-Orient ou en Afrique, l’origine des conflits remonte au tracé arbitraire des frontières. La scission du Soudan en 2011 est un exemple typique. A la colonisation en 1898, les Britanniques n’administrent pas le Soudan et le Sud Soudan de la même façon (politique de « closed districts »), laissant le Sud aux mains des chefs tribaux. Résultat, un fossé culturel et économique va se créer et n’est toujours pas comblé à ce jour. Le Sud étant anglophile et chrétien, la cohabitation avec le Nord arabe et musulman était devenue impossible.

On peut bien sûr aussi citer le cas de la Palestine, ou encore de la Catalogne, qui réclame son indépendance du fait notamment de sa supériorité économique sur le reste de l’Espagne.

Même s’il est vrai que l’identité nationale tend à s’effriter dans de nombreux pays, la théorie de l’auteur de métropoles interconnectées est vraie, mais dans le monde occidental, il est difficile d’imaginer celles-ci former de micro-états autonomes dans un futur proche. En revanche au Moyen-Orient et en Afrique, sa théorie pourrait être une solution pour éviter de futurs conflits si certaines grandes villes parviennent à se développer assez en ayant le regard tourné vers leurs voisines.

 

Annexe

Texte original

 

Source : http://www.nytimes.com/2013/10/13/opinion/sunday/the-end-of-the-nation-state.html?ref=economy

The End of the Nation-State?

By PARAG KHANNA

SINGAPORE — EVERY five years, the United States National Intelligence Council, which advises the director of the Central Intelligence Agency, publishes a report forecasting the long-term implications of global trends. Earlier this year it released its latest report, “Alternative Worlds,” which included scenarios for how the world would look a generation from now.

One scenario, “Nonstate World,” imagined a planet in which urbanization, technology and capital accumulation had brought about a landscape where governments had given up on real reforms and had subcontracted many responsibilities to outside parties, which then set up enclaves operating under their own laws.

The imagined date for the report’s scenarios is 2030, but at least for “Nonstate World,” it might as well be 2010: though most of us might not realize it, “nonstate world” describes much of how global society already operates. This isn’t to say that states have disappeared, or will. But they are becoming just one form of governance among many.

A quick scan across the world reveals that where growth and innovation have been most successful, a hybrid public-private, domestic-foreign nexus lies beneath the miracle. These aren’t states; they’re “para-states” — or, in one common parlance, “special economic zones.”

Across Africa, the Middle East and Asia, hundreds of such zones have sprung up in recent decades. In 1980, Shenzhen became China’s first; now they blanket China, which has become the world’s second largest economy.

The Arab world has more than 300 of them, though more than half are concentrated in one city: Dubai. Beginning with Jebel Ali Free Zone, which is today one of the world’s largest and most efficient ports, and now encompasses finance, media, education, health care and logistics, Dubai is as much a dense set of internationally regulated commercial hubs as it is the most populous emirate of a sovereign Arab federation.

This complex layering of territorial, legal and commercial authority goes hand in hand with the second great political trend of the age: devolution.

In the face of rapid urbanization, every city, state or province wants to call its own shots. And they can, as nations depend on their largest cities more than the reverse.

Mayor Michael R. Bloomberg of New York City is fond of saying, “I don’t listen to Washington much.” But it’s clear that Washington listens to him. The same is true for mayors elsewhere in the world, which is why at least eight former mayors are now heads of state.

Scotland and Wales in Britain, the Basque Country and Catalonia in Spain, British Columbia in Canada, Western Australia and just about every Indian state — all are places seeking maximum fiscal and policy autonomy from their national capitals.

Devolution is even happening in China. Cities have been given a long leash to develop innovative economic models, and Beijing depends on their growth. One of the most popular adages among China watchers today is: “The hills are high, and the emperor is far away.” Our maps show a world of about 200 countries, but the number of effective authorities is hundreds more.

The broader consequence of these phenomena is that we should think beyond clearly defined nations and “nation building” toward integrating a rapidly urbanizing world population directly into regional and international markets. That, rather than going through the mediating level of central governments, is the surest path to improving access to basic goods and services, reducing poverty, stimulating growth and raising the overall quality of life.

Connected societies are better off than isolated ones. As the incidence of international conflict diminishes, ever more countries are building roads, railways, pipelines, bridges and Internet cables across borders, forging networks of urban centers that depend on one another for trade, investment and job creation.

Burundi, Kenya, Rwanda, Tanzania and Uganda have formed the East African Community to coordinate everything from customs to investment promotion to peacekeeping. If they can leverage Chinese-built infrastructure to overcome arbitrary political borders, (the ubiquitous and suspicious straight lines on the map), they could become a nascent European Union for Africa.

NOWHERE is a rethinking of “the state” more necessary than in the Middle East. There is a sad futility to the reams of daily analysis on Syria and Iraq that fail to grasp that no state has a divine right to exist. A century after British and French diplomats divided the Ottoman Empire’s eastern territories into feeble (and ultimately short-lived) mandates, the resulting states are crumbling beyond repair.

The Arab world will not be resurrected to its old glory until its map is redrawn to resemble a collection of autonomous national oases linked by Silk Roads of commerce. Ethnic, linguistic and sectarian communities may continue to press for independence, and no doubt the Palestinians and Kurds deserve it.

And yet more fragmentation and division, even new sovereign states, are a crucial step in a longer process toward building transnational stability among neighbors.

A propos Thomas Muller 1 Article
TD Géopolitique 205 avec Mr. Blevarque

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