Avant de parler des gesticulations politique d’un président américain survolté, il me semble prioritaire de traiter l’histoire d’un peuple qui souffre, aujourd’hui encore, des persécutions religieuses et ethniques. Ceux qui ont et vont, concentré cette année toute l’attention sont la minorité musulmane des Rohingyas dans l’ouest de la Birmanie.
Située en Asie du Sud-Est, la Birmanie est un pays de plus de 53 millions d’habitants qui possède comme capital Rangoon. Elle est à une très grande majorité de bouddhistes sur son territoire (90% de la population)[1]. Après avoir connu à partir de 1962, un régime socialiste et autoritaire, le pays tombe sous le joug d’une junte militaire qui a cherché à pérenniser son pouvoir. Depuis 2011 et surtout depuis 2015, le pays fait naitre l’espoir international d’une démocratisation avec la présence d’élections et d’une révision constitutionnelle. La politique birmane s’est alors diversifiée, notamment grâce à une opposition personnifiée par Aung San Suu Kyi du parti de la Ligue nationale, pour la démocratie. Prix Nobel de la Paix en 1991, elle est actuellement ministre des affaires étrangères et de l’Éducation depuis la victoire de son parti aux dernières législatives. Mais aujourd’hui elle fait aussi l’objet de critiques à travers le monde pour sa passivité face aux exactions de l’armée birmane envers les Rohingyas.
Portrait de Aung San Suu Kyi
Pourtant le pays peine à se stabiliser malgré une croissance économique depuis 2000 de 8 à 9 % du PIB par an, surtout tiré par les échanges inter-asiatiques (membre de l’ASEAN depuis 1997). Au-delà des problèmes de pauvreté, de soin ou encore d’infrastructures, une véritable purge ethnique a lieu contre les Rohingyas. Ces derniers sont comme les Kurdes, un peuple sans Etat. Dès le 17ème siècle ils ont été déplacés de l’actuel Bangladesh par l’empire Mongol, la colonie portugaise de Chittagong et les anglais. Ils vont être progressivement séparés principalement entre le Bangladesh et la Birmanie. La frontière séparant ces deux pays a été créée artificiellement par l’empire britannique pour la gestion de ses colonies. Cette frontière, c’est la rivière Naf, hier librement traversé par les peuples et aujourd’hui servant de lieu de fuite contrainte. A aucun moment il a été question de tenir compte de cette minorité. De plus, des mouvements de populations (Birmans et Indiens) nécessaires à l’exploitation des colonies chamboulent un peu plus la carte ethnique régionale.
Les tensions ethniques contemporaines découlent comme très souvent de cette longue histoire de déracinement et de lutte de pouvoir. Les Rohingyas tentent désormais de vivre dans l’Arakan, une bande de terre côtière baignée par le Golfe du Bengale et séparée du reste de l’actuel territoire birman par une haute chaîne montagneuse. Cette bande de terre fait partie d’une des 7 régions de la Birmanie et a pris le nom d’état du Rakhine (document 1)
La population musulmane de cette région côtière, représentée par les Rohingyas, a explosé à partir des années 90 atteignant aujourd’hui selon les estimations 1,2 millions de personnes. Mais il faut souligner que depuis l’indépendance de la Birmanie en 1948, cette minorité n’a pas de poids au sein du pays, pire depuis 1982 ils n’ont plus la citoyenneté birmane. Apatrides dans leur pays, ils ne peuvent accéder au marché du travail et sont persécutés. En 1978, environ 200.000 Rohingyas se réfugient au Bangladesh. En 1992, plus de 230.000 supplémentaires franchissent le fleuve Naf. En 2012, après des violences communautaires, 140.000 prennent la fuite. Cet exil se poursuit au cours des années suivantes. Certains embarquent dans des navires de fortune, abandonnés par des passeurs peu scrupuleux, et se retrouvent ballottés entre divers pays, aucun État de la région ne souhaitant les accueillir.
Une nouvelle vague de migration est en cours depuis le 25 août 2017, après l’attaque de postes frontières birmans par des rebelles Rohingyas (l’Armée du salut des Rohingyas de l’Arakan – ARSA) qui a fait 110 morts. En réalité selon des témoignages les exactions contre cette minorité avaient commencé dès la fin 2016 avec près de 30 000 déplacés. On estime cette fois qu’à la mi-octobre près de 500.000 personnes ont déjà passé la frontière en direction du Nord suite à une sévère répression. L’islam fait donc figure de chasse aux sorcières en Birmanie et surtout par l’ethnie Arakanais partageant son territoire avec cette confession alors qu’ils sont bouddhistes. Il faut noter que ce sentiment d’exclusion est largement orchestré par la communauté des moines bouddhistes appelée le sangha. Après avoir été réduit au silence pendant des décennies par la junte militaire, ces derniers s’attribuent un nouveau rôle moral et politique. Une partie de moines extrémistes défendent farouchement l’utilisation de la violence contre tous ceux qui s’opposent à leur croyance. Un ensemble de politiques publiques ont été ainsi établies pour réduire la démographie de cette minorité religieuse. En Birmanie croire en l’Islam est une malédiction.
La minorité Rohingyas fuit par des bateaux souvent impropres à la navigation vers des pays voisins à forte proportion musulman tel que le Bangladesh, la Malaisie ou l’Indonésie. Selon le Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies, entre janvier 2015 et mars 2015, plus de 25 000 migrants issus du Bangladesh, en majorité des Rohingyas, ont pris la mer pour tenter d’atteindre la Malaisie ou l’Indonésie. Ce nombre a doublé par rapport à la même période en 2014 et les chiffres de 2016-2017 ne s’annoncent pas meilleurs. Mais ces pays ne peuvent pas accueillir un flot si important de réfugiés. La communauté internationale se heurte à un problème de logistique, de suivi ou encore de sécurité sur cette zone. Différents bateaux ont été secourus mais tant qu’aucune mesure n’aura était prise contre le gouvernement Birman ou contre les réseaux de trafiquants le nombre de mort continuera à grimper.
Il y aussi aujourd’hui, comme c’est souvent le cas pour les génocides, un problème de conscience et donc de reconnaissance. Si depuis deux mois les efforts médiatique des ONG spécialisées ont portés leur fruit ce n’a pas toujours été le cas comme nous avons pu l’étudier précédemment. Les grandes puissances, notamment les membres du Conseil de Sécurité de l’ONU, n’ont pas vraiment d’intérêt à se saisir de cette question. De plus même si des sanctions devaient être prises �� l’encontre de la Birmanie, la Chine protégerait son allier régional en déposant des vétos. De par les questions ethniques, politiques, religieuses et historiques que posent ce génocide, les Rohingyas ne sont pas prêt de mettre fin à leur exil.
Pour les plus curieux d’entre vous, voici un article très clair et complet sur « la question Rohingya » d’où sont issues la carte et le tableau récapitulatif ci-dessus :
Auteur de l’article : Alexandre LAPARRA
- Collectif, Atlas socio-économique des pays du monde 2017, édition 2017, s. l., Larousse, 2016 ↑
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