Avant d’analyser le terme « guerre juste », faisons un bref rappel des définitions courantes des mots « guerre » et « juste ». On peut définir la guerre comme une « situation conflictuelle entre deux ou plusieurs pays, états, groupes sociaux, individus, avec ou sans lutte armée ». Il faut donc faire la différence entre la lutte armée et non armée ; en effet, contrairement aux idées reçus, une guerre n’est pas toujours synonyme de combats armés (les guerres économiques en sont un exemple). Si on l’oppose à son contraire « la paix », qui se caractérise par une absence de lutte, un état de tranquillité et de calme; alors la guerre est un état d’agitation, de violence et de mouvement. Il s’agit cependant, dans tous les cas, de vouloir défendre ou faire triompher sa cause. Le « juste » se définit communément comme « conforme à une norme (abstraite ou concrète), qui respecte le droit et l’équité ». Avec la définition de ces deux termes, on voit tout de suite à quel point ils paraissent antinomiques. Dès lors, on peut se demander ce qu’est une guerre juste et comment elle peut l’être.
La notion de « juste » étant très subjective, il est difficile de définir ce qu’est une guerre juste, et de nombreux auteurs s’y sont essayés sans parvenir à un accord unanime. Pour avoir une idée plus précise de ce qu’est une guerre juste, nous étudierons tout d’abord la guerre légitime, puis nous aborderons des théories développées par divers auteurs au fil des siècles.
De la difficulté d’une définition unanime
Les notions de « juste », d’éthique ou de morale portent à réfléchir sur le concept du « bien » et du « mal », sur les conditions d’une vie heureuse et sur les règles de conduite à adopter pour rendre le monde humainement habitable. Elles sont une recherche d’idéal de société et de conduite de l’existence. Mais elles sont toutes, très difficiles à définir, car elles reposent sur des coutumes, des traditions et des habitudes de vie propres à une société ou à une époque. Ainsi, ce qui peut être juste ou moral dans une société ou une époque donnée, peut ne pas l’être dans un autre contexte. On essaie de définir des termes, mais cela est compliqué car les mots dépendent de l’interprétation qu’on leur donne. Et sur un même mot ou concept, chacun peut mettre le point de vue qu’il veut. Aussi, la doctrine de la guerre juste est à considérer avec beaucoup de prudence, car elle repose sur des concepts subjectifs et portants à débat. Une guerre qui paraîtra juste pour certains, ne le sera pas forcément pour d’autres, car leur définition du « juste » ne sera pas la même. Et même si on essaie de lui apposer des conditions strictes, ces conditions étant tangibles, il faut la considérer avec tout le recul nécessaire.
Guerre légitime, guerre juste ?
« Une guerre est juste quand elle est nécessaire ». Machiavel. Cette citation de Machiavel nous permet de nous demander si une guerre est juste quand elle est légitime. En effet, si l’on regarde l’histoire, beaucoup ont considéré les guerres qu’ils ont menées comme « justes » parce qu’ils les pensaient légitimes. Si on prend l’exemple des grands empereurs, comme Alexandre Le Grand ou Gengis Khan, à aucun moment leurs guerres ne leur parût injustes, puisqu’elles étaient légitimes à leurs yeux. En fait, la guerre étant une norme, une action sociale, on ne se posait pas la question de savoir si c’était juste ou non. Plus tard, les guerres de religions comme les guerres saintes, furent aussi considérées comme justes par ceux qui les menaient, car cela était légitime et donc bien fondé, selon leur point de vue. Il en va de même des diverses révoltes ou révolutions. En 1789, quel révolutionnaire considérait sa cause comme injuste ? Puisque son action était bien fondée et que tous les révolutionnaires étaient d’accord sur ce point, alors leur action était légitime pour eux et donc juste. Ainsi, on peut se dire que la notion de guerre juste était un peu utilisée à tort et à travers, par quiconque pensait faire quelque chose de légitime. Mais, au vu des actions disproportionnées, des faits sanglants et cruels, et des conséquences immorales de ces guerres « légitimes », des auteurs ont essayé de définir et de codifier la « guerre juste » en fonction de la morale et non plus en fonction du seul critère subjectif de la légitimité. Il y eut une réelle volonté de moraliser et « humaniser » la guerre, on voulait y apporter des valeurs et du respect (pour son adversaire, ses alliés, les tierce personnes, etc.), cela afin de la rendre plus acceptable.
Moraliser la guerre
Parmi les auteurs occidentaux, Cicéron fût l’un des premiers à écrire au sujet de la guerre juste. Selon lui, elle doit rester dans les limites assignées par le droit et avoir pour fin la recherche de la paix. Elle ne peut donc être entreprise que dans la mesure où il s’est révélé impossible de résoudre le conflit par la négociation, ce qui implique qu’elle ait été déclarée en bonne et due forme afin de permettre à l’ennemi d’ouvrir une voie diplomatique avant de se faire assaillir.
La pensée chrétienne va se pencher sur la question tout au long des siècles et fournir des pistes intéressantes de réflexion. Saint Augustin, qui s’inspire de l’Ancien Testament pour rédiger sa doctrine, théorise la guerre juste au travers de la vision divine et fait de la paix un objectif majeur. La guerre restant une « misère », seule la défense de la justice peut apparaître comme motivation de la guerre juste. Il pose donc certaines conditions où le soldat agit de manière juste dans une guerre : l’obéissance à une autorité légitime, la défense du prochain comme raison suffisante pour recourir à la force, et l’importance de la disposition intérieure, c’est-à-dire agir sans passion ni haine pour son ennemi. Ainsi, il est donc des guerres justes, celles qui s’appuient sur un droit moralement certain et tendent à réprimer une entreprise coupable. A ce titre, il reprend ici l’idée de Cicéron selon laquelle la République peut faire la guerre pour son salut.
Saint Thomas d’Aquin alla un peu plus loin que Saint Augustin dans sa pensée; il démontra en effet que la guerre n’est pas toujours un péché si elle remplit trois critères essentiels. Une guerre peut être juste si elle est décidée par une autorité publique légitime ; elle ne doit pas être le fait d’un individu ou d’un groupe qui défend ses intérêts privés. Ensuite, la cause doit être juste, c’est-à-dire qu’il y ait eu une agression préalable, ou du moins une menace réelle et immédiate. Il s’agit donc d’agir en légitime défense et de ne pas être l’agresseur. Enfin, il faut que l’intention de la guerre soit juste et se fasse dans la défense du bien commun ; elle doit donc promouvoir le bien et limiter le mal, ce qui oblige à rechercher la “proportion” dans la riposte. Ce dernier critère est très important, car on pourrait profiter d’une guerre ayant une juste cause pour s’enrichir par exemple.
Ces thèses apportées par des auteurs chrétiens sont intéressantes mais elles amènent des concepts religieux dans la définition de la guerre juste. Il faut cependant faire la distinction entre « guerre juste » et « guerre sainte ». Ces deux termes sont bien souvent assimilés, or une « guerre sainte » est définit comme une « guerre lancée au nom d’un Dieu ou approuvée par une religion », alors qu’il n’y a aucune référence au religieux ni au sacré dans la notion de « guerre juste », qui fait référence au droit et s’inscrit donc dans un cadre légal.
Des siècles plus tard, influencé par l’École de Salamanque, Grotius fait une synthèse entre les thèses antiques et chrétiennes, et la doctrine de la souveraineté des États. Il laïcise le concept de la guerre juste.
Selon lui, la guerre est licite car elle est un acte de souveraineté, à condition qu’elle réponde à une atteinte aux droits fondamentaux que le droit naturel reconnaît aux États souverains. Ainsi, la guerre ne doit pas être rejetée si elle vise à préserver les droits fondamentaux de l’homme. Pour lui, l’espoir de paix doit passer par une codification des usages et un perfectionnement des conventions entre les nations. Il faut rappeler que les écrits de Grotius se situent dans le contexte des Traités de Westphalie et l’avènement du système Westphalien. Ces traités, signé à Münster en Allemagne, mettent fin à la Guerre de Trente ans en 1648. Ils font de l’État la forme privilégiée d’organisation politique des sociétés et voient la naissance du système interétatique moderne. Ce système est fondé sur les trois principes de la souveraineté externe, de la souveraineté interne et de l’équilibre des puissances. Le monde est alors morcelé entre États, au sein desquels la souveraineté doit être respectée par les états limitrophes en vertu de la conception westphalienne de la frontière. Ainsi, Grotius et les Traités de Westphalie ont en commun de privilégier l’État à toute autre forme d’organisation politique, et d’accorder une importance considérable à sa souveraineté.
Dans une période plus contemporaine, on retiendra la théorie de Michael Walzer, auteur de Guerres justes et injustes (1999), qui affirme qu’il existe des principes moraux en matière de guerre, liés à la reconnaissance de principes moraux universels. Le domaine de la guerre ne peut pas être séparé du champ de la réflexion morale. Il faut ensuite étudier, au cas par cas, la manière d’envisager l’usage de la force qui soit le plus à même de mettre en œuvre ces principes au présent et d’assurer leur maintien pour l’avenir. Il souligne l’importance d’établir des règles pour éviter l’usage excessif de la force. Il soutient le principe de légitime défense puisque cela se justifie moralement ; c’est en effet une manière pour les êtres humains de défendre leurs droits fondamentaux. En ce qui concerne la finalité de la guerre, pour être juste, elle doit être engagée en dernier ressort chaque fois que s’en abstenir mettrait gravement en danger l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique des États.
Ainsi, au fil des siècles, la définition de guerre juste a évolué suivant la plume de nombreux auteurs occidentaux, qui l’étayent et l’affinent de plus en plus; cela, dans un besoin de morale et d’éthique.
Les apports de l’éthique de guerre
Par ailleurs, on ne saurait parler de la guerre juste sans mentionner les apports de l‘éthique militaire (ou éthique de guerre). Tout comme la doctrine de la guerre juste, elle vise à justifier moralement la guerre et l’existence des armées. On distingue pour cela le « Jus ad bellum », le « Jus in bello » et le « Jus post bellum ». Le Jus ad bellum désigne le droit de faire la guerre et dans quelles conditions il est permit de la déclencher. C’est ce qu’on pourrait appeler la « cause juste », le dernier recours. Le Jus in bello implique un « comportement juste », c’est-à-dire le respect d’une bonne conduite. On ne cherchera pas de moyens malins ni de représailles. Enfin, le Jus post bellum concerne la justice de l’après guerre. Il n’est pas tout de faire une guerre qui remplit les deux premiers critères, il faut aussi tenir compte des considérations morales qui font suites au conflit, et réfléchir à la mise en place d’organisations pacifiques. Cela peut se traduire par la signature de traités de paix équitables.
Une notion à considérer avec prudence
A travers les thèses et opinions des auteurs, établies au cours des siècles, on voit bien que la notion de « guerre juste » est une doctrine. Il n’existe pas de définition précise et stricte qui serait acceptée de manière consensuelle. Chaque auteur apporte sa vision, influencée par son environnement personnel, et contribue ainsi à en donner un sens global et plus fourni. La guerre étant considéré pour la plupart comme négative, à travers des principes et des conditions « morales », on a essayé de définir ce qui rend l’usage de la force justifiable. On retiendra les critères du « Jus ad bellum », « Jus in bello » et « Jus post bellum », qui doivent tous être remplis. Ainsi, non seulement la cause doit être juste, mais aussi le comportement et les actions après guerre. Le point commun de toutes les théories est la recherche de la paix, qui est un critère essentiel. Entrer en guerre pour la défendre ou se défendre d’une agression préalable (principe de légitime défense) est considéré comme juste et donc acceptable. A condition que toutes les autres possibilités non-violentes aient été essayées. C’est donc la définition la plus humaniste que l’on peut trouver, puisqu’elle se veut « universelle », du moment qu’on est en accord avec certains principes moraux.
Mots-clés : guerre, juste, doctrine, morale, éthique, violence, droit
« Affrontement armé et sanglant entre des collectivités politiques antagoniques, la guerre et l’hubris [démesure] qu’elle suscite ainsi que les questions relatives à l’emploi de la force ont suscité une réflexion ancrée, dans l’Antiquité et le Moyen Age, sur l’éthique de la violence et les conditions à partir desquelles certaines guerres sont justifiées et d’autres non. Aux yeux de ses inspirateurs, une guerre est dite juste si elle est déclarée par l’autorité politique compétente, menée pour une juste cause et dans une intention juste, en utilisant des moyens proportionnés aux fins et avec un espoir raisonnable de succès, après épuisement des autres recours. Depuis la fin de la guerre froide, le renouveau des stratégies d’action militaires et l’engagement de troupes occidentales sur des théâtres extérieurs ont provoqué un nouvel intérêt philosophique pour la question de la « guerre juste » ».
Michael Walzer, Guerres justes et injustes, Belin, 1999
« La guerre ne doit être entreprise qu’en vue de la paix, et d’une paix qui soit celle non de la servitude mais d’une population libre ». Spinoza
Sources
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http://www.glossaire-international.com/pages/tous-les-termes/systeme-westphalien.html
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http://www.eleves.ens.fr/aumonerie/en_ligne/pentecote03/seneve003.html
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Sources définitions : http://www.larousse.fr/
Bibliographie
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Jean-François Rioux (2008), L’intervention armée peut-elle être juste ? Aspects moraux et éthiques des petites guerres contre le terrorisme et les génocides, Ed. Fides
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Saint Augustin (IVème siècle), La cité de Dieu
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