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La violence est une notion que l’on peut appréhender comme constitutive de l’Humanité à partir du moment où on a pu en constater sa démonstration et son usage à travers les siècles et encore aujourd’hui. Yves Michaud, dans son ouvrage Violence et Politique définit la violence comme suit : « Il y a violence quand, dans une situation d’interaction, un ou plusieurs acteurs agissent de manière directe ou indirecte, en une fois ou progressivement, en portant atteinte à un ou plusieurs autres (individus) à des degrés variables soit dans leur intégrité physique, soit dans leur intégrité morale, soit dans leurs possessions, soit dans leurs participations symboliques et culturelles ». La violence, en tant qu’atteinte, se caractérise de fait, par l’usage de la force, de la brutalité et de l’agressivité. Comme Hobbes l’explique dans son ouvrage Le Léviathan, les formes étatiques et les lois qu’elles instaurent comme consensus (en vertu des principes de justice et d’équité) au sein des citoyens sont nées pour faire office d’autorité supérieure capable de légitimer, comme manière de justifier comme bien fondé ou non certains comportements, notamment l’usage de la violence. Ainsi, comme le décrit Weber dans le Savant et le Politique « un Etat est une communauté humaine qui revendique le monopole de l’usage légitime de la force physique sur un territoire donné ». L’usage de la violence légitime entretient donc une relation ambiguë avec les droits de l’homme : leurs en privé dans une certaine limite et les sauvegarder. Qui détient le monopole de la violence légitime ? Ce monopole est-il soumis à des dérives ? Quelle relation aux droits de l’homme ce monopole instaure-t-il ?

Les dérives caractéristiques du monopole de la violence légitime incombent à l’Etat policier. En effet, est considéré comme légitime ce qui est reconnu par la loi. Or la loi est dépendante de l’organisation étatique. Dès lors que celle-ci devient autoritaire et despotique, le monopole de la violence légitime détenue par l’Etat est soumis à des dérives et ne reconnaît plus les principes de justice et d’équité. A titre d’exemple, on peu citer la dictature militaire qu’a instauré Augusto Pinochet au Chili de 1973 à 1990. Cette période de dictature militaire commença quand les commandants des forces armées et de la police renversèrent par un coup d’État le gouvernement du président démocratiquement élu Salvador Allende. Cette période de dictature a été celle de multiples exactions, caractérisées de crimes contre l’humanité, commises par les forces armées. Suivant le coup d’Etat, les opposants au putsch descendus dans rues ont été impitoyablement frappés, voire exécutés sur place. Des milliers de jeunes ont été parqués dans le stade de Santiago, torturés violés. (« Pinochet, seize ans de dictature », Gérard Thomas, 14/11/1998, Libération). La répression sera féroce : on arrête, on rassemble, on fusille. Au final, jusqu’à la fin de la dictature, en 1990, près de 3200 personnes ont été tuées ou ont disparus et 38.000 ont été torturées, selon les chiffres officiels. S’ajoute à cela la défaillance des institutions judiciaires qui n’ont pas protégé les citoyens ni gardé leur indépendance vis-à-vis de l’Etat : sous la dictature, les tribunaux ont rejeté quelques 5000 demandes de protection pour les personnes détenues illégalement ou pour les personnes qui avaient peur d’être victimes d’atteintes physiques (« Le Chili peine à tourner la page, 40 ans après le putsch de Pinochet », Pauline Maisterra, 10/09/2013, Le Figaro).

Pour que l’Etat détienne effectivement le monopole de la violence légitime, il est nécessaire que le peuple qui y est sujet légitime l’Etat. En effet comme le disait Rousseau : « le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir ». Ainsi il arrive que certains Etats n’exercent plus le monopole de la violence légitime et ne contrôlent plus effectivement le territoire. On les appelle les « failed states » ou « collapsed states ». Dans ces cas la, le monopole est remis en cause par l’existence de guérillas, de bandes armées, groupes paramilitaires, d’organisations criminelles ou terroristes qui imposent leur autorité sur une partie du territoire. Ces organisations provoquent la faillite étatique qui est alors caractérisée par différents symptômes: pression démographique, violences communautaires, émigration chronique et soutenue, inégalités de développement, criminalisation, non respect des droits de l’homme etc. Le Think tank ; le Fund for peace et le magazine Foreign Affairs publient chaque année le Failed states index. Depuis 2008, le Somalie occupe la première place de l’index mondial des Etat défaillants. Le territoire y est éclaté en plusieurs entités qui vivent sous différentes autorités (La géopolitique : Les relations internationales, Pascal Boniface, Eyrolles, 2014).

Le terrorisme (considéré comme une progression dans la négociation par des actes radicaux) peut être une forme de légitimation de la violence par ses détracteurs au nom de la volonté de dieu. La violence est légitimée d’abord par la nécessité de sauver la « vraie foi ». Cette nécessité impose de défendre des valeurs morales que seule la religion a su préserver, et que l’Etat moderne laïc n’a pas su sauvegarder, voire qu’il a « violé ». Les valeurs religieuses traditionnelles sont considérées comme étant attaquées, légitimant par là même l’usage de la violence. Le discours prétend « défendre la communauté des croyants » pour justifier de frapper « les autres ». Or les textes sacrés prohibent tous le meurtre. C’est en fait l’homme qui utilise, ou même construit le sacré pour justifier, légitimer, réguler sa propre violence. Les guerres saintes n’ont d’autre but que de mobiliser les ressources du sacré pour une prétendue noble cause. «Gott mit uns» («Dieu avec nous»), écrivaient les soldats nazis sur leur ceinturon, alors que l’idéologie nazie était fondamentalement athée. Pour légitimer une guerre, un sacrifice, un attentat-suicide, on cherche une interprétation dans une tradition religieuse ou dans des textes sacrés. (« Que dit le Coran et que ne dit-il pas sur la violence? », Henri Tincq, 26/09/2014, slate.fr). C’est notamment ce à quoi on assiste avec la montée en puissance de l’Etat Islamique, mouvement djihadiste et salafiste qui a pour objectif le rétablissement du Califat des Abbassides au moyen de l’ultra-violence.

 

On a donc d’abord vu comment le monopole de la violence légitime pouvait s’opposer aux droits de l’homme. Mais, dans un contexte de multi polarisation et de quête vers une gouvernance mondiale, comment s’articulent monopole de la violence légitime et défense des droits de l’homme ?

 

L’ONU est une organisation internationale qui regroupe, à quelques exceptions près, tous les pays de la planète. Ayant pour objectif la sécurité internationale, le développement économique mondial et la préservation des droits de l’homme, peut-on considérer que l’ONU a le monopole de la violence légitime sur tous les pays ? Ce droit ce s’exerce-t-il de façon objective ? Les pays membres de l’ONU respecte-t-il ses recommandations ?

Le droit d’ingérence est la reconnaissance du droit des États de violer la souveraineté nationale d’un autre État, en cas de violation massive des droits de la personne (Devoir et droit d’ingérence, Réseau de recherche sur les opérations de paix.fr). Ainsi, l’ONU se dote du monopole de la violence légitime dans le but de préserver les droits de l’homme. Le droit d’ingérence qu’elle s’octroi est régi par plusieurs précautions (droit de véto) censés éviter les abus et dérives. C’est donc à elle que revient l’arbitrage entre intervention ou non au sein d’un Etat. Le problème est que ce droit s’observe particulièrement dans les relations nord/ sud et jamais sud/nord. De plus, il s’avère que certains Etats puissants se passent souvent de l’accord de l’ONU et interviennent au sein d’Etat souverain sans mandat. On peut prendre l’exemple de l’intervention de l’OTAN au Kossovo. La guerre menée par l’Otan, dont la charte indique pourtant qu’ « aucune action coercitive ne sera entreprise en vertu d’accords régionaux ou par des organismes régionaux sans l’autorisation du Conseil de sécurité » a engagé jusqu’à 600 avions de 13 pays dans le bombardement quotidien de cibles militaires au Kosovo, en Serbie et au Monténégro. Suite à cette intervention, le 10 juin 1999, les forces serbes ont entamé leur retrait du Kosovo. Bruno Simma a déclaré « il ne faut pas changer les règles simplement pour obéir à des reflexes humanitaires; il ne faut pas créer de nouveaux standards uniquement pour bien agir dans un cas particulier. Les problèmes légaux que soulève la crise au Kosovo prouvent de façon particulièrement évidente que les cas difficiles ne sauraient produire de bonnes règles générales. » (« L’intervention de l’OTAN au Kosovo : le contexte légal », Albert Legault, Revue militaire canadienne, Printemps 2000). Pourtant la possibilité d’une intervention militaire en Syrie inspirée du scénario kosovar a été soulevée et étudiée. Ainsi le droit posé par les traités internationaux est remis en cause à partir du moment où la possibilité de moduler son application existe. L’ONU, en tant qu’organisation supra-étatique est donc censé disposer du monopole de la violence légitime qu’il n’exerce qu’en cas de violation des droits de l’homme. Pourtant ce monopole est contesté ou du moins contourné par les organisations puissantes type OTAN.

Par ailleurs, on peut se demander, sous quelles conditions est régie le cas de légitime défense qui fait usage de la violence ? L’article 51 de la Charte (chapitre VII) américaine reconnaît à un Etat objet d’une agression armée la possibilité d’invoquer un droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires.. Ainsi, le recours à la violence est justifié par la volonté d’éviter une violence encore plus grande. G. W. Bush en a ainsi appelé à la guerre du « Bien contre le Mal » et justifié la guerre contre l’Irak pour prémunir les Etats-Unis d’un hypothétique risque d’utilisation d’armes de destruction massives. Dans la théorie américaine, la guerre juste doit condenser quatre principaux critères. D’abord, le critère de la juste cause : la guerre devient légitime parce qu’elle s’adresse à un régime prédateur envers son peuple, menaçant la stabilité régionale et soutenant le terrorisme. Ensuite, le critère de l’autorité juste : la guerre doit être menée par une autorité insoupçonnable, légitime et suprême à l’image des Etats-Unis. S’y ajoute le critère de la juste fin : la guerre n’est pas une fin en soi mais sert au rétablissement de la paix et à l’ancrage régional de la démocratie. Enfin, la guerre juste doit remplir le critère du comportement juste : la guerre doit respecter des règles civiles d’engagement qui impliquent par dessus tout de ne pas prendre comme cible des non-combattants. La guerre juste deviendrait ainsi le propre de l’Etat démocratique. Mais cette dénomination soulève un concept dangereux qui est celui de la « guerre préventive » selon lequel la menace même virtuelle pouvait suffire à faire usage de la violence. L’Irak n’a pas été attaqué pour ce qu’il fait mais pour ce qu’il aurait pu faire, à l’image des menaces qui pèsent sur l’Iran actuellement (Les formes de la violence, Xavier Crettiez, 2008).

En définitive, dans le monde actuel, le recours au monopole de la violence légitime en vue de rétablir les droits de l’homme ou de les sauvegarder est surtout un moyen d’asseoir l’hégémonie de certains Etats.

Annexe:

Sources :

• Devoir et droit d’ingérence, Réseau de recherche sur les opérations de paix.fr

• La géopolitique : Les relations internationales, Pascal Boniface, Eyrolles, 2014

• « Le Chili peine à tourner la page, 40 ans après le putsch de Pinochet », Pauline Maisterra, 10/09/2013, Le Figaro

• Les formes de la violence, Xavier Crettiez, 2008

• « L’intervention de l’OTAN au Kosovo : le contexte légal », Albert Legault, Revue militaire canadienne, Printemps 2000

• « Que dit le Coran et que ne dit-il pas sur la violence? », Henri Tincq, 26/09/2014, slate.fr

• « Pinochet, seize ans de dictature », Gérard Thomas, 14/11/1998, Libération • Violence et Politique, Yves Michaud, 1978


Catégorie : Dictionnaire de Géopolitique