De nombreux auteurs ont développés des définitions et des théories autour du terme de « puissance ». Pour Weber, la puissance « c’est toute chance de faire triompher au sein d’une relation sociale sa propre volonté ». Pour Hans Morgenthau, la puissance « c’est l’emprise d’un acteur sur l’esprit et les actions des autres ».
En relations internationales, la puissance est un facteur qui procure du pouvoir à un Etat dans sa relation avec d’autres pays. Elle peut être définie par la capacité d’un acteur à obtenir des autres acteurs qu’ils infléchissent leurs actions et leur conduite dans le sens de ses propres intérêts, sans consentir en retour de concessions de mêmes valeurs. On rapporte souvent le terme de puissance à un Etat dans sa relation avec d’autres Etats. Cependant, on peut parler de plus en plus de puissance pour les firmes multinationales ou d’autres acteurs, c’est l’une des conséquences de la révolution numérique et de l’utilisation massive d’internet. De plus, un Etat peut être puissant au niveau mondial, mais on peut parler aussi de puissance régionale.
On peut distinguer les ressources et les modalités de la puissance qui, réunies, forment les facteurs de puissance. Nous pouvons alors nous demander quels sont les facteurs de puissance et comment un Etat peut-il en faire l’utilisation. Nous verrons que certains pays peuvent disposer de ressources nécessaires à la puissance mais ne les maîtrisent pas suffisamment pour qu’on puisse parler de puissance mondiale. Ainsi, dans un premier temps, nous développerons une analyse sur les ressources de puissances : quels sont les éléments indispensables à la mise en place d’une puissance ? Puis, dans un second temps, nous évalueront les modalités liées à ce concept.
Nous pouvons distinguer trois ressources pour définir une puissance. La première est le territoire. L’Etat, délimité par des frontières, doit être capable de maîtriser sa superficie. Pour cela, le territoire doit être recouvert d’une population dynamique ainsi que de structures socio-politiques et d’infrastructures à la mesure de la superficie. Le territoire doit être investi, pour contribuer à l’exploitation de matières premières et des ressources naturelles et à la qualité des infrastructures de transport et d’alimentation en énergie. La Russie possède un grand territoire mais n’a pas la maîtrise de la superficie à travers l’absence d’infrastructures de qualité sur une partie du territoire, ce qui contribue à une puissance limitée. De plus, l’ouverture du territoire sur les océans est un enjeu majeur à la puissance d’un Etat. Cette ouverture lui permet de ne pas être dépendant d’autres pays en termes de voies maritimes, notamment pour l’intégration dans le commerce international ou en termes de puissances militaire.
La seconde ressource correspond aux Hommes présent sur ce territoire. Tout d’abord, le nombre est un point important car il garantit une main d’œuvre disponible et un marché potentiel. Cependant, le nombre ne garantit pas la puissance, et certains Etats comme Singapour ne sont pas significativement peuplés mais sont puissants grâce à d’autres facteurs. Ensuite, il faut prendre en compte l’évolution de la population : taux de natalité, stagnation ? Baisse ? Un vieillissement de la population engendre des problèmes de productivité, de créativité, etc. Et est donc néfaste pour l’économie. Les flux d’immigration sont à étudiés : le niveau de qualification des immigrants, le nombre, l’intégration aux valeurs du pays d’accueil, l’attraction auprès des jeunes, etc. Le niveau de qualification global est un enjeu majeur : un pays qui délaisse l’éducation de sa main d’œuvre perd en compétitivité. L’étude de la part des investissements en recherche et développement dans le PIB est donc primordiale. On peut remarquer que la France essaie de se démarquer de ce point de vue en investissant lourdement dans les filières d’innovation. Il faut s’intéresser aussi aux institutions mises en place dans le pays : sont-elles stables ? Corrompues ? Unifiées ? Poursuivent-elles un objectif commun ? Des institutions stables garantissent une puissance stable, respectée et maintenue.
La troisième ressource à la puissance d’un Etat correspond au désir. C’est le différentiel d’ambition qui fait la différence entre deux pays. Les pays qui n’affichent pas un désir de puissance risquent de se faire dominer par ceux qui affichent leur volonté. La volonté de puissance doit se retrouver au sein des institutions, mais doit aussi être soutenue par le peuple qui attache une importance au rayonnement international. Le désir de puissance se retrouve dans la culture du pays.
D’autres théories avancent un concept de puissance basée sur deux points importants : la puissance militaire et la puissance économique et financière. Au niveau de la première, un Etat détenant une force militaire nombreuse, dotée d’équipement technologiquement sophistiqués, voire de l’arme nucléaire, et capable d’intervenir partout sur le globe rapidement, possède des atouts de taille qui incitent l’Etat désavantagé sur ce plan à accepter l’influence du puissant. Concernant la puissance économique et financière, il s’agit de la puissance combinée de la finance, de la capacité industrielle de production, couplée à l’innovation technologique. Tout pays capable de mobiliser d’immenses ressources pour atteindre ses buts est redoutable. La richesse génère les opportunités. De plus, une intégration forte dans le commerce mondial garantit une puissance commerciale mondiale, liée à la puissance économique. En relations internationales, les Etats calculent souvent leurs choix en termes de gains, de coûts et de risques. La puissance d’un Etat fait varier le poids de chacun de ces facteurs dans sa prise de décision.
Les facteurs de puissance établis précédemment permettent la construction de trois types de puissances. La première est la puissance dure : il s’agit de la capacité de coercition directe et brute. C’est la capacité d’action militaire de l’Etat, ainsi que de sa capacité à infliger de lourds dommages, voire de menacer la survie d’un autre Etat. Ce concept se superpose à celui de puissance militaire, mais la coercition peut prendre une forme économique.
La deuxième est la puissance douce, qui est un concept développé par Joseph Nye et est un « pouvoir intangible de séduction ou de coopération idéologique et culturelle visant à amener autrui à faire les choix que l’on souhaite dans notre propre intérêt »[1]. Ce type de puissance liée à des facteurs culturels est aussi appelée « soft power ». Les Etats-Unis utilisent ce concept de soft power avec Hollywood par exemple et sa capacité à exporter des films de création américaine dans le monde entier. Au niveau régional, le Japon génère un fort soft power dans la région de l’Asie du Sud Est avec des exportations culturelles importantes.
Le troisième type de puissance est la puissance structurelle. Susan Strange a développé ce concept et parle de « capacité d’amener les autres Etats à adopter des pratiques de sécurité, de production, de finance et de commerce qui servent l’intérêt national d’un Etat »[2]. Un Etat puissance peut persuader les autres d’intégrer des alliances militaires, des organisations internationales, alors qu’il en est le principal bénéficiaire. Les Etats-Unis ont su développer cette puissance et faire intégrer de nombreux pays de la planète à leurs organisations internationales.
Pour conclure, nous pouvons dire que les facteurs de puissance sont multiples, complexes et évolutifs. Sur ce dernier point, il est important d’indiquer que les facteurs de puissance d’aujourd’hui liés à la maîtrise de la technologie de guerre par exemple, ne sont pas les mêmes que les facteurs de puissance à la sortie de la seconde guerre mondiale. Durant cette période, deux grandes puissances dominaient le monde à travers leur idéologie et leur capacité à l’imposer sur différentes parties du territoire. Aujourd’hui, le monde fait face à une multipolarité de la puissance, les facteurs évoluent alors avec le temps. La place prise par les nouvelles technologies est de plus en plus important : la maîtrise d’Internet et de l’espionnage qui en découle sera l’un des grands facteurs de puissance de demain, s’il ne l’est pas déjà aujourd’hui. La puissance d’aujourd’hui n’est très probablement pas celle de demain.
Cédric THIJSMAN
[1] Joseph Nye – Soft Power: The Means to Success in World Politics
[2] Susan Strange – States and Markets, Londres, Pinter, 1994
Sources :
- Diploweb – Géopolitique, les nouveaux visages de la puissance. Jean-François Fiorina s’entretient avec Pierre Buhler – 15/04/2012
http://www.diploweb.com/Geopolitique-les-nouveaux-visages.html - Diploweb – Géopolitique – La puissance Quels sont ses fondamentaux ? – Pierre Verluise – 10/11/2013
http://www.diploweb.com/Geopolitique-La-puissance.html - Cours de Bruneau Desjardins – Chargé de cours en relations internationales à l’Université du Québec à Montréal – Département sciences politiques
- MACLEOD, Alex, Evelyne DUFAULT & F. Guillaume DUFOUR (dir.). 2008. Relations internationales; théories et concepts. 3e édition revue et augmentée, Montréal : Athéna éditions.
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