L’idéologie
Tout d’abord, qu’est-ce qu’une idéologie ? Le mot est issue du grec qui est la composition de deux mots : idea – l’idée ; logo – la science. Ce serait donc la science des idées ou alors la science et les idées ? Au sens premier, le terme idéologie a été créé par Antoine Destutt de Tracy en 1796 dans son oeuvre “Mémoire sur la faculté de penser” pour désigner une science ayant pour objet l’étude des idées afin de remplacer la métaphysique traditionnelle. Le groupe des Idéologues, constitué autour de Destutt de Tracy, de Cabanis et de Volney voulait démonter les mythes et l’obscurantisme par une analyse scientifique de la pensée et de ses origines, début XIXème siècle.
Au sens courant, le dictionnaire Larousse de 2005 définit le mot idéologie comme étant l’ensemble plus ou moins systématisé de croyance, d’idées, de doctrines influant sur le comportement individuel ou collectif. Une autre définition, sensiblement identique : Une idéologie est un ensemble d’idées, de pensées philosophiques, sociales, politiques, morales, religieuses, propre à un groupe, à une classe sociale ou à une époque. Pour ma part, j’ajouterais que son influence reste limitée en raison de la diversité ethnique, géographique, historiques et politiques des personnes varient d’une civilisation à une autre et elle n’influe pas forcément sur toutes les personnes qui répondent aux mêmes critères, ou du moins avec un degré d’intégrité de l’idéologie variant selon les individus.
L’un des effets pervers de l’idéologie peut être de transformer la culture en nature et l’histoire en essence – théorie menant au sexisme et à la xénophobie, par exemple. D’ailleurs, on peut assimiler la volonté de suivre et d’appliquer son idéologie jusqu’au bout à de l’extrémisme. L’extrémisme c’est une attitude, une doctrine, une idéologie dont les adeptes refusent toutes alternatives et ont souvent recours à des méthodes violentes et agressives pour parvenir à un changement radical. On revient à cette idée plus loin dans les exemples. On va maintenant s’intéresser aux divers définitions qu’on pu donné quelques auteurs.
Parmi les auteurs célèbres qui ont cherché à définir l’idéologie, on retrouve l’un des plus grands penseurs de l’histoire, l’allemand Karl Marx. Pour lui, la notion d’idéologie intervient dans des sociétés où les individus en majorité de classes sociales moyennes sont dominés par une minorité oligarchique qui a le pouvoir et les ressources matérielles pour l’exécuter et appliquer son idéologie. L’idéologie est un système d’opinions qui sert les intérêts des classes sociales et conduit à une perception faussée de la “réalité” sociale, économique et politique, propre à cette classe.
Plus tard, Althusser, un auteur français, va s’intéresser à l’idéologie et moderniser le concept de Marx. Pour lui l’idéologie se confond avec l’ensemble des idées, des concepts et des représentations qui ne se rangent pas sous l’étiquette de la science : « Dans toutes sociétés, on constate (…) l’existence d’une activité économique de base, d’une organisation politique et de formes idéologiques (religion, morale, philosophie, etc.). L’idéologie fait donc organiquement partie, comme telle, de toute la totalité sociale (…). Les sociétés humaines sécrètent l’idéologie comme l’élément et l’atmosphère même indispensable à leur respiration, à leur vie historique. » Je trouve que ce qui est intéressant dans cette définition de l’idéologie, c’est qu’il évoque le côté institutionnel, identitaire qu’elle peut représenter dans une société. Cela n’est pas faux. Chaque société à sa propre identité et souhaite la faire reconnaître par exemple en prenant son indépendance. Cela provoque des conflits dans le monde entier, plus ou moins violents selon le degré d’opposition idéologiques. Exemples récents: L’Ecosse, la Catalogne, Israël/Palestine. Après, on connaît amplement depuis la fin de la Guerre Froide le phénomène de mondialisation, formant des sociétés de plus en plus cosmopolites, aux origines ethniques, culturels et idéologique différentes, et qui prouvent le contraire des pensées d’Althusser qui semblent un peu limitées, non dans l’irrationalité de ses propos mais plutôt dans sa fermeture d’esprit. Peut-être due à son penchant politique d’extrême gauche ? Il dit aussi : « L’idéologie guette la science en chaque point où défaille sa rigueur, mais aussi au point extrême où une recherche actuelle atteint ses limites ». Concrètement la science ne peut pas résoudre tous les problèmes a une limite. Les différences d’idées sont donc la suite du mécanisme, et c’est ici qu’intervient l’idéologie.
Pour Raymond Aron, « Le mot idéologie s’impose au XIXème siècle parce qu’il décrit une réalité sociale nouvelle, à savoir la tentation de plus en plus communément répandue de fonder l’ordre social et l’action politique sur des analyses de type scientifique. En même temps, le caractère péjoratif du mot marque les limites de cet effort et les risques de glissement auxquels il est exposé. » L’auteur fait une approche davantage politique de la notion. Il met en avant le lien de proximité en l’idéologie et la politique dans les sociétés. On peut émettre l’hypothèse que la fin du XIXème et début XXème seraient à l’origine de l’éternel distinction idéologique politique entre la droite et la gauche.
Dans le livre « L’idéologie, ou l’origine des idées reçues », Raymond Boudon, sociologue français propose une histoire critique du concept de l’idéologie qui a été défini par plusieurs grands penseurs historiques tels que Marx, Pareto, Popper ou Aron. Il commence donc son œuvre par présenter les définitions de ces derniers et montrer les limites de ces définitions. Pour lui, la croyance en des idées non fondées est le produit du facteur de la pensée puisqu’elle est basée sur des a priori, difficilement discutable. Il met l’accent sur les idées fausses, qui sont fondées sur une argumentation acceptable mais dont l’esprit résiste malgré tout. Il va surtout développer le fait que l’idéologie se base sur des idées reçues puisqu’elles restent avec le temps, évoluent et se modernisent. Par exemple, la considération des homosexuels dans la société en 2014 n’a strictement rien à voir avec celle des années 30 en France. L’idéologie évolue. Evidemment l’évolutions des idées reçues coïncident avec l’influence de la politique, des évolutions sociales car les gens ont plusieurs raison d’y croire mais pas d’en être sûre. C’est pour cela que l’idéologie se base sur des théories, que l’on ne contredit plus et qui peuvent se baser sur des a priori, des banalités. Voici l’intérêt de la science. Mai ce mécanisme de penser peut amener à des croyances absurdes, et c’est que beaucoup de sociologues, psychologues, d’anthropologues s’échinent à trouver des explications.
D’autre part l’idéologie est un concept omniprésent dans notre société qui se retrouve dans diverses approches et qui prend ses racines avec l’histoire et l ‘évolution des civilisations. Il est bien connu que l’histoire appartient à ce qu’ils ont écrits, indirectement par ceux qu’ils l’ont construites. On peut donc logiquement reconnaître que l’idéologie dominante règne parce qu’elle est l’idéologie de ceux qui sont parvenus à imposer leur idée, qui consiste historiquement depuis trois millénaires à gagner la guerre. En effet, l’histoire a connu de nombreux individus aux ambitions expansionnistes. L’expansionnisme a deux finalités : l’agrandissement du territoire et la soumission du peuple conquis passant par l’imposition d’une idéologie (politique, religieuse, culturelle). Pour en citer quelques uns dans un ordre chronologique, on peut penser à Alexandre le Grand et ses volontés de fusionner les cultures orientales et grecques par ses nombreuse conquêtes dans le monde perse ; l’empire Romain qui dominait l’Europe et qui a imposé ses règles de vie pendant plus d’un demi millénaire ; les conquistadors espagnol en Amérique Latine, notamment Christophe Colomb par sa découverte de l’Amérique Latine et qui par ses nombreuses conquêtes a dû pour commencer semer la terreur dans ces civilisations jusqu’alors inconnus du monde, les a rendu esclaves et les a forcé à l’évangélisation comme source d’une idéologie imposée. D’ailleurs, aujourd’hui c’est sans doute le continent le plus pratiquant du catholicisme, et les idéologies, les civilisations incas, mayas ne font plus partie de ce monde. Ces perpétuelles impositions d’idées, ont certes fait grandir certaines idéologies, mais en ont annihilé beaucoup.
Pour en revenir aux exemples de l’expansionnisme qui a mon sens englobe la volonté d’imposer son idéologie, l’histoire a retenu biens d’autres individus.
On peut penser au XVIIIème siècle en France, dits « Le siècle des Lumières », mouvement culturel, philosophique, littéraire et intellectuel qui était déjà apparu au XVIIème siècle en Europe grâce à de nombreux personnages historiques tels que Spinoza, Newton, Locke. En France, les nombreux acteurs ont été Diderot, Voltaire, Rousseau, etc. et ont tenté de contrer le système idéologique en place et notamment le comportement abusif et non tolérant du pouvoir. Rousseau dît : « Ma plume est mon épée »
Pour le coup, cette notion est à la fois un contre-exemple de l’idée que toute tentative pour contrer l’idéologie la conforte, notamment dans le recours à la guerre pour construire l’histoire. Cependant, elle a engendré le début des remises en question de la monarchie absolue, en place en France depuis des siècles, et a amené tout droit à la Révolution Française et la naissance de la République, une nouvelle forme politique et idéologique.
Par la suite, le XXème siècle est vraisemblablement le siècle ultime des combats idéologiques. Le déclenchement de la première Guerre Mondiale illustre bien le problème de l’affrontement de plusieurs idéologies. Chaque pays connaît des montées en flèche de nationalisme, toujours plus d’ambitions coloniales et notamment d’étendre son idéologie. Résultat : 9 millions de morts, 7,5 millions de disparus, 20 millions de blessés, des infrastructures et des villes à reconstruire et un monde bouleversé.
Si la Première a surtout été des affrontements militaire, la seconde Guerre Mondiale a été beaucoup plus idéologique. Hitler, expose aux yeux du monde son idéologie avec la publication de « Mein kampf ». On verra par la suite ce qu’entraine l’application radicale de son idéologie… Une fois le nazisme éradiqué, nous avons assisté à la bipolarisation idéologique du monde entre l’Ouest libérale et l’Est socialiste-communiste. Ces deux concepts idéologiques, avec le nazisme, sont sans doute ceux qui parlent le plus au gens actuellement. Fort heureusement, cela s’est terminé suite à la chute du mur de Berlin. Pour avoir été quelques fois à Berlin, on sent le passé douloureux et notamment dûe aux folies des dictateurs qui sont venus imposer les idéologies. Cette photo ci-dessous, illustrant les présidents américains et soviétiques de l’époque le 6 novembre 1989, (Reagan & Gorbatchev), tagguée sur le mur de Berlin, est la preuve symbolique que les idéologies ont leur limite d’influence dans le temps, qu’elles évoluent, mais qu’elles ne s’effacent pas.
Aujourd’hui en France, nous vivons dans un Etat laïque. La laïcité c’est la séparation de l’Etat et de la religion. Pour la France c’est donc la séparation du pouvoir politique et de l’Eglise catholique acceptant donc toute forme religieuse. Peut-on qualifier la laïcité d’idéologie ? En quelque sorte oui, puisque c’est croire que notre société et que les politiques peuvent fonctionner sans que chaque citoyen n’ait les mêmes croyances ! Ce principe a été mis en place parce que l’on pointe toujours du doigt l’influence que la religion peut avoir sur l’Etat, et est souvent critiquée. Paradoxalement, on ne regarde jamais dans l’autre sens, lorsque l’Etat prend des mesures contre la religion.
Auteur :
Edouard Chapuis
Sources:
Ouvrage : “L’idéologie ou L’origine des idées reçues.” Paris, Fayard, 1986 (en poche : Seuil/Points, 1992). Raymond Boudon
Larousse 2005
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