INTRODUCTION
Occupant l’une des premières places financières mondiales, aux côtés du pétrole et de la vente d’armes, le trafic de drogues fait l’objet d’une attention et de mesures dissuasives particulières depuis relativement peu longtemps. En effet, avant l’adoption de la Convention de 1912, la situation mondiale en matière de drogues était catastrophique. Ainsi, le commerce des drogues n’était pas réglementé à peu près partout et l’usage illicite de substances était largement répandu. Par exemple aux USA, environ 90 % des stupéfiants consommés n’étaient pas destinés à des fins médicales.
On estime que la quantité moyenne d’opiacés consommés en Chine au début du XXe siècle était supérieure à 3 000 tonnes équivalent morphine par an, soit bien plus que la consommation mondiale (licite et illicite) aujourd’hui. La signature de la Convention de 1912 traduit une prise de conscience de la nécessité de coopérer au niveau international pour assurer ce contrôle, comme nous l’explique le Rapport Annuel de l’Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies (OFDT).
Ce sont les ONG qui sont parvenues à rassembler des pays, tout d’abord à Shanghai (treize pays en 1909 pour le contrôle de la production d’opium) puis à La Haye (en 1912 même contrôle pour la coca), et à leur faire entendre que la protection des particuliers et des communautés contre le mésusage de drogues devait devenir une priorité.
En 1925 une dizaine d’états ont signé à Genève deux conventions : l’une tendant à la suppression du commerce et de l’usage de l’opium préparé, l’autre plaçant sous surveillance internationale le commerce de l’opium brut, de la coca, du cannabis et de leurs dérivés. Plusieurs autres conventions ont ensuite suivies.
Enfin, la prohibition générale des drogues à des fins autres que thérapeutiques ou scientifiques a été instaurée par trois conventions élaborées dans le cadre des Nations Unies :
– La Convention unique sur les stupéfiants de 1961 ratifiée ou appliquée par la plupart des états de la terre et dont quelques dispositions ont été renforcées par le protocole de Genève de 1972, vise 99 plantes et substances.
– La Convention de 1971 sur les substances psychotropes ratifiée par plus de la moitié des États de la planète, s’applique à 103 hallucinogènes, amphétamines, barbituriques et tranquillisants.
– La Convention de 1988 contre le trafic illicite des stupéfiants et des substances psychotropes organise la lutte contre le trafic et place sous contrôles 22 substances appelées “précurseurs” utilisées dans la fabrication illicite des drogues.
Mais c’est véritablement grâce à la mise en place de l’Organe International de Contrôle des Stupéfiants (OICS) dès 1961 que le contrôle a pu obtenir une certaine effectivité: En effet, cet organe est indépendant de l’ONU, il surveille l’application des traités internationaux relatifs au contrôle des drogues (des prédécesseurs ont existé dès l’époque de la Société des Nations, ils fusionnent en 1961 pour créer l’OICS). Ses fonctions sont énoncées dans les différentes Conventions. Composé de treize membres élus par le Conseil économique et social, ils siègent à titre personnel et non en qualité de représentants de leur pays choisi pour leurs compétences personnelles (médecine, impartialité…). Il coopère avec d’autres institutions de l’ONU (OMS) mais aussi avec l’Organisation internationale de police criminelle (INTERPOL) et l’Organisation mondiale des douanes par exemple.
En effet c’est l’ONUDC, Office des Nations-Unies contre la drogue et le crime, qui est l’Office onusien dédié à cette thématique. Créé en 1997, suite à la fusion de deux programmes, il siège à Vienne pour remplir sa mission d’assistance envers les États membres dans leur lutte contre criminalité, drogues et terrorisme.
Rappelons ici les quatre objectifs du contrôle international des drogues que l’ONUDC s’est imposé:
• Limiter l’usage des stupéfiants et des substances psychotropes à des fins médicales et scientifiques légitimes.
• Assurer que stupéfiants et substances psychotropes soient disponibles à des fins médicales et scientifiques.
• Combattre la production et le trafic illicite ainsi que le blanchiment de l’argent de la drogue.
• Répondre efficacement au développement de l’usage non médical et de la toxicomanie, la loi ne constituant qu’un moyen parmi d’autres aux côtés de la prévention, du traitement et de la réhabilitation.
En décembre 2010, le Secrétaire général a réitéré son appel à la communauté internationale pour qu’elle renforce son soutien aux efforts régionaux visant à combattre les menaces contre la paix et la sécurité posées par le trafic de drogues et la criminalité transnationale. C’est dans cette lignée que s’inscrit l’Union Européenne qui encourage ses membres à se mobiliser pour mettre en place toutes ces recommandations pour faire face au trafic. Ceci est en effet nécessaire puisque le continent européen s’avère être le premier marché de consommation mondiale. Pour l’y aider l’Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies (OEDT), est créé en 1993 et refondu par un règlement de 2006 qui souligne l’importance des échanges d’information. Il a surtout un rôle statistique, documentaire et technique pour fournir aux pays membres une vue globale de la situation des drogues en Europe. Ceci pour les éclairer lorsqu’ils prennent des mesures ou définissent des actions dans leurs domaines de compétences respectifs.
Les sources du trafic sont nombreuses mais certaines d’entre elles ont un poids plus déterminant c’est pourquoi nous avons choisi de concentrer notre étude sur des zones géographiques précises (qui donnent lieu à l’exploitation de drogues spécifiques) afin de délimiter ce sujet immensément vaste. Il s’agit ici, de savoir dans quelle mesure les pays membres de l’Union Européenne tentent-ils d’agir face à l’offre d’héroïne et de cocaïne en provenance d’Afghanistan et des Andines. C’est donc à travers ces deux cas que nous expliciterons la nature du trafic et ses menaces (I) pour ensuite illustrer la position de l’UE face aux problèmes collatéraux de ce trafic (II).
I] Les berceaux de l’héroïne et de la cocaïne: Focus sur l’Afghanistan et la Colombie
A/ Le contrôle du territoire grâce à la culture de l’opium en Afghanistan
– Chiffres clés et état des lieux
Pour bien comprendre le fonctionnement des pratiques autour de la drogue dans ce pays, il faut regarder son histoire. En effet ces échanges étaient déjà bien ancrés pendant la guerre froide. Le retrait des «protecteurs» n’ayant fait que perdre un peu plus leur contrôle.
Les conflits qui ont suivis, affaiblissant les États, ont également contribué à ce développement du trafic. Aujourd’hui, le commerce afghan des opiacés constitue une grande part des revenus annuels à l’échelle mondiale des narcotiques.
Ainsi, avant 2001, des représentants de l’ONU ont estimé que 2 800 tonnes d’opium transformables en 280 tonnes d’héroïne se trouvaient entre les mains des Talibans, du réseau Al-Qaeda et d’autres caïds de la drogue afghans et pakistanais. Sur le marché de gros au Pakistan, cette récolte mortelle pouvait valoir 1,4 milliard de dollars. Interpol et des représentants de l’ONU estiment que sa valeur, dans les capitales européennes, était entre 40 et 80 milliards de dollars une fois transformée en poudre blanche (sachant que le chiffre d’affaires du commerce de détail de l’héroïne en Europe s’élevait à 20 milliards de dollars par an).
A cette époque les réserves afghanes étaient alors suffisantes pour approvisionner chaque toxicomane d’Europe pendant trois ans! Et elles suffisaient pour permettre aux Talibans et à leurs alliés de dominer les marchés européens, russe et une grande partie du marché asiatique.
Aujourd’hui la consommation mondiale d’opiacés reste stable d’une manière générale après avoir encore augmenté cette dernière décennie. L’UNODC estime qu’il y a entre 12 et 21 millions consommateurs d’opiacés dans le monde (¾ d’héroïne). En 2009, environ 375 tonnes d’héroïne ont été consommées par 12 à 14 millions de personnes dans le monde. L’Europe et l’Asie restent les principaux marchés de consommation, l’opium afghan constituant leur principale source d’approvisionnement.
On observe une stabilisation du côté des saisies d’opium et d’héroïne (653 et 76 tonnes sur un volume mondial compris entre 460 et 480 tonnes en 2009). La nouvelle menace est l’utilisation par les trafiquants des moyens de transport et des ports maritimes, plus difficiles à contrôler.
Le marché mondial des opiacés a été évalué à 68 milliards de dollars en 2009 (61 milliards pour l’héroïne). Les prix varient: Malgré l’augmentation intervenue en 2010, un gramme d’héroïne coûte moins de 4 dollars en Afghanistan alors que le prix payé par les usagers va de 40 à 100 dollars le gramme en Europe de l’Ouest et Centrale et de 170 à 200 dollars aux États-Unis et en Europe du Nord. Le problème est que ce ne sont pas les agriculteurs afghans, dont les gains ne se sont élevés qu’à hauteur de 440 millions de dollars en 2010, qui réalisent les plus grands profits; mais bien les groupes criminels organisés dans les principaux pays consommateurs.
– Comment en est-on arrivé à cette situation?
Il est pertinent de s’arrêter ici et de mentionner l’histoire du trafic de drogue dans le Croissant d’or, liée aux opérations clandestines de la CIA dans la région. En effet, avant la guerre soviético-afghane (1979-1989), la production d’opium dans le pays était pratiquement inexistante et, selon Alfred McCoy, professeur d’Histoire américain, il n’y avait aucune production locale d’héroïne. Alors comment celle-ci a-t-elle pris les proportions actuelles? Michel Chossudovsky, économiste canadien, professeur et consultant des Nations-Unies explique que l’économie afghane de la drogue fut un projet minutieusement conçu par la CIA, avec l’assistance de la politique étrangère américaine.
Les scandales de l’Iran-Contras et de la Banque de Commerce et de Crédit international (BCCI) ont révélés que les opérations clandestines de la CIA pour aider les moujahidins (militants religieux) furent financées grâce au blanchiment de l’argent de la drogue.
C’est ensuite au tour de l’hebdomadaire Time de révéler en 1991 que « parce que les États-Unis voulaient fournir aux rebelles moujahidins en Afghanistan des missiles Stinger et d’autres équipements militaires, ils avaient besoin de l’entière coopération du Pakistan.» Il faut noter qu’à partir du milieu des années 1980, la présence de la CIA à Islamabad était l’une des plus importantes dans le monde. Ils ne pouvaient ignorer l’ampleur du trafic.
Alfred McCoy confirme dans son étude qu’en l’espace de deux ans après le déclenchement des opérations clandestines de la CIA en Afghanistan, en 1979, « les régions frontalières entre le Pakistan et l’Afghanistan devinrent la première source mondiale d’héroïne, fournissant 60 % de la demande américaine. » Selon lui, ce trafic était contrôlé en sous-main par la CIA. Au fur et à mesure que les moujahidins gagnaient du terrain en Afghanistan, ils ordonnaient aux paysans de planter de l’opium comme une taxe révolutionnaire. À cette époque, les autorités américaines refusèrent d’enquêter sur plusieurs cas de trafic de drogue par leurs alliés afghans.
En 1995, l’ancien directeur des opérations de la CIA en Afghanistan, Charles Cogan, admis que la CIA avait en effet sacrifié la lutte contre la drogue face à la Guerre froide.
Le recyclage de l’argent de la drogue par la CIA était utilisé pour financer les insurrections post-Guerre froide en Asie centrale et dans les Balkans, y compris pour Al Quaeda. Ces revenus générés sont considérables.
Comment s’organisent alors les finances? Pour cela il faut se rappeler que le pays est en conflit quasi permanent depuis plus de vingt ans.
Pour les paysans afghans, l’opium est un des seuls moyens de pouvoir subsister à ses besoins, les guerres incessantes ayant contribuées à prolonger le manque d’eau pour l’agriculture.
Pour comprendre, il faut prendre en considération le rôle que les talibans ont joué dans l’apologie de l’économie de l’opium en imposant à la fois la récolte et le commerce. Cette taxation a effectivement été sévèrement dénoncée dans le rapport de 1999 International Narcotics Control Board. Cependant, une telle taxation est conforme aux principes islamiques connus sous le nom zakat et a été reconnu par les autorités des Taliban eux-mêmes. En 1997, le directeur adjoint de la Banque Centrale des talibans, a été cité comme disant que «le propriétaire doit payer dix pour cent de tout montant qu’il fait sur ses cultures». Ces taxes sont bien connues et constituent des pratiques islamiques qui datent d’avant les talibans. La zakat, ou purification, est le troisième pilier de l’Islam et elle concerne tous les musulmans. Une fois prélevée elle est redistribuée aux pauvres, aux dirigeants et aux combattants du djihad saints. L’autre impôt est l’usher, collecté sur les produits agricoles bruts. La moitié va aux pauvres, et l’autre est pour les talibans.
Le 17 Janvier 2002, le gouvernement de transition afghan déclare que la culture du pavot, ainsi que la vente et la consommation d’opium sont totalement interdites en Afghanistan, bien que les coquelicots semé tard à l’automne 2001 sont sur le point de fleurir, avec une production potentielle de 1900 à 2700 tonnes d’opium.
Ceci bouleverse les paysans afghans qui avaient traditionnellement empruntés des sommes importantes ou bénéficié d’avances sur recettes pour être en mesure de nourrir leurs familles jusqu’à la saison de la récolte. C’est dans ce contexte délicat que le 3 Avril 2002, le gouvernement provisoire lance son programme d’éradication et offre 250 $ en compensation pour chaque plant éradiqué (1250 $ par hectare). Toutefois, les cultivateurs ont déclaré qu’ils pouvaient obtenir de 1700 $ à 3500 $ par hectare s’ils collectaient leur opium et le vendaient au prix du marché.
Le conflit entre le gouvernement et les paysans provoqua un certain désordre, et a même conduit à des affrontements armés. En Avril 2002, huit paysans furent tués et 35 autres blessés dans un des districts. Malgré les incidents l’ONUDC estime qu’un tiers de la surface totale fut détruite. Cependant les paysans ou leurs gouverneurs locaux auraient eu recours à divers subterfuges pour profiter à la fois de la compensation gouvernementale et de la vente de l’opium sur le marché.
Ce programme est un écran de fumée puisque depuis la culture a augmenté en flèche.
L’économie de la drogue en Afghanistan est d’une certaine manière protégée. Le commerce de l’héroïne faisait partie des plans de guerre. On observe alors une sorte de narco-régime dirigé par un gouvernement fantoche soutenu par des États-Unis.
De plus son autorité est disparate et mène à des situations de traitement diverses: Aujourd’hui, 79% des producteurs de pavot continuent à payer l’usher: Là où la présence des talibans est forte tous le paie, et seuls les paysans qui se trouvent dans les régions où le gouvernement contrôle la situation ne paie pas cet impôt.
Cet argent représente des sommes importantes qui se retrouvent aux mains des talibans. C’est en partie grâce à cela qu’ils peuvent financer leurs actions terroristes.
Si l’on se place maintenant d’un point de vue plus géographique, on observe que l’Afghanistan, premier producteur d’opium (3 600 tonnes, soit 74 % du volume mondial pour environ 195 700 hectares mondiaux), possède donc la plus grande superficie d’hectares consacrés à cette production.
Cette culture est passée d’une moyenne de 30 000 hectares sous l’ère soviétique, pour ensuite atteindre un pic de 90 000 hectares en 1999 (Talibans) puis 193 000 hectares en 2007 avant de redescendre à 157 000 hectares l’année suivante, soit 7000 tonnes d’opium (cf. Cartes annexes).
L’année 2010 est moins pertinente en raison d’une maladie ayant attaquée les cultures, c’est pourquoi nous prenons les chiffres de 2009.
Côté fabrication, il faut savoir que l’on utilise des précurseurs et des produits chimiques dans la fabrication illicite de drogues telles que l’anhydride acétique par exemple. Ce dernier est en effet, introduit en contrebande en Afghanistan à travers les États voisins, pour raffiner l’opium et ainsi le transformer en morphine ou héroïne.
Le trafic se fait donc dans tous les sens, et provient de tous les côtés, c’est pourquoi de nombreuses stratégies sont mises en œuvre pour faciliter le passage de ces produits illicites. Les trafiquants achètent la route, en général par tranche de 500 km pour six mois, et corrompent sans vergogne douaniers, policiers et magistrats pour se rendre jusqu’en Russie par exemple.
→ Ce contrôle géopolitique et militaire des routes de la drogue est aussi stratégique que celui du pétrole et des oléoducs.
Ils mettent ensuite en commun leur méthode: Les trafiquants d’héroïne apprennent aux trafiquants de cocaïne comment sécuriser la partie «intercontinentale» du trajet, les seconds leur apprennent la sécurisation de la partie «locale» où ils sont experts car leur stock doit s’écouler rapidement puis que la coke périme rapidement (alors que l’héroïne se conserve plus longtemps).
Les stratégies d’élaboration, d’offre et de demande sont donc différentes, comme nous allons le voir maintenant.
B/ L’organisation de la production de la cocaïne dans les Andines
– La culture de la coca dans les Andines
La demande globale de cocaïne à changé. Aujourd’hui le marché de la cocaïne en Europe est chiffré à 33 milliards de dollars et se rapproche du marché des Etats-Unis (37 milliards de dollars). Les deux tiers des consommateurs de cocaïne en Europe vivent seulement dans 3 pays, la Grande Bretagne, l’Espagne et l’Italie. Avec l’Allemagne et la France ces pays représentent 80% de la consommation de cocaïne en Europe.
Il existe une certaine stabilité concernant la consommation et la fabrication de cocaïne au niveau mondial. Cette stabilité masque des tendances différentes. En effet on s’aperçoit que la Colombie, entre 2006 et 2010 a enregistré une forte baisse au niveau de la production de cocaïne, ce qui a entrainé une diminution globale de la fabrication de cocaïne. Par ailleurs un déplacement de la culture du cocaïer et de la culture de la coca dans cette même période s’est effectué en Bolivie et au Pérou, ces pays devenant des fournisseurs de plus en plus importants.
Les principaux marchés de la cocaïne se trouvent en Amérique du Nord, en Europe et en Océanie (essentiellement en Australie et en Nouvelle-Zélande). La consommation de cocaïne a nettement reculé en Amérique du Nord, En revanche, un tel déclin n’a pas été observé en Europe, où la consommation de cocaïne s’est stabilisée pendant la même période. Les données les plus récentes communiquées par l’Australie montrent une augmentation de la consommation de cocaïne.
Les marchés européens se sont tournés vers la cocaïne bolivienne et péruvienne en 2006 afin de compenser, en partie, la pénurie de cocaïne colombienne. Il semble y avoir une baisse des saisies en Europe, alors que l’approvisionnement de la région en cocaïne paraît stable. Cela montre que les modes de trafic sont en train de changer et que les trafiquants ont peut-être de plus en plus recours aux conteneurs. En Europe, aucune modification notable des prix n’a été observée depuis 2007. L’apparition de nouveaux marchés de la cocaïne, bien que de taille réduite, dans des régions telles que l’Europe orientale et l’Asie du Sud Est, est un facteur supplémentaire influant sur l’offre et la demande globale de cocaïne dans différentes régions.
Afin de mieux envisager le trafic de cocaïne, il faut s’intéresser aux lieux d’origine de sa production. En effet la culture de la coca s’effectue dans les Andes dans des pays tels que le Pérou, la Bolivie, mais surtout la Colombie.
Il s’avère que la coca, plante sacrée, est présente en Amérique latine depuis 3 000 av. JC. Les peuples indiens de la Cordillère qui la mastiquent depuis plus de 4000 ans la considèrent comme un « don du dieu soleil ».
Au début des années 1980 le Pérou et la Bolivie étaient les plus importants producteurs mondiaux de feuilles de coca (sur environ 120 000 ha et 50 000 ha respectivement en 1994), et de pâte base, matière première du chlorhydrate de cocaïne fabriqué, pour l’essentiel, en Colombie (pays le plus industrialisé le plus proche du marché nord-américain). En interrompant la ligne d’approvisionnement aérienne qui permettait aux trafiquants de ce dernier pays de s’approvisionner en matière première, les Etats-Unis ont compris que la feuille de coca ne trouverait plus preneur, ce qui entrainerait la chute du prix de la feuille de coca au Pérou et en Bolivie.
Les Etats-Unis ont donc mis en place un dispositif appelé Air Bridge Denial au début des années 1990. Ce dispositif consistait en une chaine de radars au niveau des frontières entre le Pérou, l’Equateur et la Colombie, afin de repérer les avions permettant le trafic de drogue. Ce dispositif était relié à l’aviation de chasse péruvienne qui forçait à atterrir les appareils non-identifiés ou les abattait, le plus souvent sans sommation. Cette politique semble avoir dissuadé les trafiquants colombiens de venir s’approvisionner en matière première dans les pays voisins et le prix de la feuille de et de la pâte base de cocaïne boliviennes et péruviennes se sont effondrées, détournant les paysans d’une production qui ne trouvait plus preneur.
Cependant les Etats-Unis n’avaient pas prévu que les trafiquants colombiens, ne pouvant plus s’approvisionner dans les pays voisins, allaient développer les superficies de cocaïers, qui sont ainsi passées de 40 000 hectares en 1995 à près de 170 000 ha en 2000. Ainsi la réduction de la production obtenue en Bolivie et au Pérou a été plus que compensée par son accroissement en Colombie ce qui a donné le « balloon effect », ou « effet ballon » qui montre que quand on appuie sur la surface d’un ballon gonflable, cela provoque une excroissance plus loin sur le ballon.
– La destruction des cultures entrainant la déforestation
On ne connaît pas l’étendue de la culture illicite de la coca en Colombie. Toutefois les données de l’ONUDC, datant de 2010 montrent que la culture de la coca a diminué de 16% par rapport à l’année précédente, «ramenant la superficie cultivée à 68.000 hectares, soit 60% de moins qu’il y a dix ans». Le Pérou aurait détrôné la Colombie comme premier producteur de coca dans le monde. Ces chiffres résultent de la politique de lutte contre le narcotrafic appuyé par les Etats-Unis, qui consiste à détruire des parcelles chaque année. Cette politique se traduit par d’intenses campagnes de fumigations aériennes qui provoquent de graves dommages à l’environnement et, probablement aussi à la santé humaine, Les parcelles mises à nu subissent des phénomènes d’érosion durables. Et la lutte n’a pas les effets escomptés, de nouvelles cultures sont implantées dans les zones les plus reculées ou sous couvert forestier et près d’un quart de ces nouvelles parcelles ont été gagné directement sur la forêt primaire (International Journal of Drug Policy, juillet 2009).
En Colombie la culture de la coca est depuis une vingtaine d’années le principal facteur de déforestation devant l’élevage, l’agriculture ou l’exploitation minière. Près de 47.000 ha par an, en moyenne, entre 2000 et 2005, selon la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture). C’est ce que démontre une étude réalisée par une équipe de chercheurs de l’université de l’État de New York (Environmental Science and Technology, janvier 2011).
De plus, les progrès technologiques utilisés par les trafiquants font que la productivité à l’hectare et la teneur en alcaloïde de la feuille de coca ont augmenté. Les feuilles de coca sont produites par un arbuste qui ne dépasse pas deux mètres de hauteur. La culture est intensive avec une utilisation accrue d’engrais et d’herbicides. Les feuilles sont cueillies trois fois dans l’année ; le cocaïer peut être exploité durant une trentaine d’années. L’extraction de la cocaïne met en jeu des techniques très polluantes, notamment avec du kérosène. Malgré la baisse des prix de la cocaïne au cours des dix dernières années, sa culture nécessite peu d’investissements et rapporte deux fois plus que celle de la banane. Selon l’UNODC, la politique des paysans colombiens de disperser leurs cultures sur de petites parcelles pour éviter les fumigations aurait fait que la production de cocaïne reste globalement stable : 994 tonnes en 2007 (dont 600 tonnes proviennent de la Colombie), contre 984 tonnes en 2006.
«En 2006, les États-Unis ont dépensé 205 millions de dollars dans les opérations de pulvérisation d’herbicides mais seulement 72 millions de dollars pour le développement d’alternatives à la culture de la coca», soulignent les chercheurs de l’université de l’État de New York (Environmental Science and Technology, janvier 2011). Selon eux, la meilleure arme contre la culture de la coca réside pour l’instant dans la création de parcs nationaux. En effet «les petits exploitants rechignent à y installer une parcelle car ils savent qu’ils ne pourront jamais en être propriétaires.»
II] Les conséquences collatérales de ces trafics et la position de l’UE
A/ L’instrumentalisation du trafic au service de la criminalité organisée
L’augmentation des superficies cultivées en Colombie, a permis aux groupes rebelles, que ce soit les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), ou les groupes paramilitaires, de se développer. Ils ont augmenté leur contrôle territorial et le nombre de leurs soldats en protégeant les paysans producteurs de coca et tirant profit des taxes sur la production et le trafic de cocaïne. Les paramilitaires, contrairement aux FARC, sont d’abord structurellement liés aux cartels de la drogue qui, souvent, les ont créé de toutes pièces pour protéger leurs propriétés rurales et leurs laboratoires.
Les groupes paramilitaires se sont développés en Colombie suite aux désirs de riches entrepreneurs, légaux et illégaux, colombiens et étrangers, de se protéger des revendications des groupes révolutionnaires suite à des inégalités économiques et sociales très importantes. Ces groupes paramilitaires sont représentés dans les plus hautes sphères de l’Etat. Amnesty International leur attribue 15000 « disparitions » ainsi qu’une intégration dans le trafic de drogues illicites en Colombie.
Depuis longtemps il existe une relation entre les FARC et la drogue. Dès les années 1980 un des moteurs économiques de la guérilla est le contrôle et la taxation des régions productrices de coca et de pâte base. Les cultivateurs de coca constituaient la base sociale de la guérilla, par conséquent ils étaient protégés par les FARC. Cette protection se traduisait par une limitation des superficies de cultures, ainsi que l’interdiction de la délinquance et de la consommation de bazuco. En échange les FARC ont perçus un impôt sur cette culture comme sur toutes les autres productions.
Mais autoriser la culture de coca n’a de sens que si des trafiquants achètent la production et la transforme. Ainsi, les FARC vont également percevoir des impôts sur les activités lucratives des trafiquants de cocaïne et sur le transit de cette drogue. C’est pour cette raison que les FARC se sont peu à peu liées à des activités criminelles, sans toutefois gérer leurs propres laboratoires et en ne participant que dans de rares cas à des réseaux d’exportation. Ces limitations ont plusieurs raisons. Pour les exportations les FARC, à l’inverse des paramilitaires, ne contrôlent ni villes portuaires en Colombie ni réseaux commerciaux à l’étranger. Concernant les laboratoires, la production de drogue implique le contrôle de réseaux d’importation de précurseurs chimiques, ce qui constituerait un investissement logistique qui serait trop important pour les FARC et qui aurait pour conséquence de détourner de leurs objectifs militaires une partie de leurs forces. De 1995 à 2000, les revenus de la coca permettent le doublement des effectifs des FARC.
La drogue est la source de revenus la plus importante pour les activités terroristes comme l’a annoncé Interpol dès 1994. Comme nous l’avons vu dans nos deux cas, là où le climat est propice à l’agriculture, il peut l’être pour la production et la vente de drogues. Et même quand ce n’est pas le cas, les groupes terroristes récoltent néanmoins d’énormes profits de ces ventes. Pour ce qui est des intégristes musulmans, celles-ci représentent environ 25 à 30% de leurs revenus.
(De la même manière l’est européen est la porte d’entrée de tous les produits venant de l’Afghanistan et plus largement de l’Asie.)
B/ La situation de la population européenne et l’orientation des politiques
Les saisies européennes de cocaïne ont rapidement augmenté entre 1998 et 2006, pointant jusqu’à 121 tonnes. Elles ont brusquement chuté depuis lors, à environ 53 tonnes en 2009. Depuis la demande au niveau européen s’est stabilisée. Il y a eu une augmentation des saisies en Amérique du Sud, mais le prix de la cocaïne pure n’a pas augmenté considérablement en Europe, suggérant que les trafiquants aient trouvé de nouveaux moyens d’éluder l’application de la loi. Côté européen, le contrôle renforcé des aéroports des grandes capitales a incité les cartels à transiter par l’Afrique de l’Ouest. À l’exclusion de ce qui est importé pour la consommation locale, on estime qu’environ 21 tonnes de cocaïne ont été trafiquées d’Afrique occidentale vers l’Europe en 2009. La Bolivie et le Venezuela sont les principaux pays d’origine pour l’envoie de cocaïne directement en Europe, avec de la cocaïne venant principalement de Colombie.
Avions, go-fast, cargos de commerce, yachts et embarcations de pêche quittent le Venezuela pour décharger leur marchandise en Haïti, en République Dominicaine, puis en Afrique de l’Ouest et enfin en Europe. L’Europe est donc désormais confrontée à de multiples routes alimentant ses marchés des drogues illicites dont celui de la cocaïne en forte extension (UNODC, 2008b). Les réseaux du trafic de drogues illicites vers l’Europe se sont de plus agrégés à des routes traditionnelles de trafics illicites variés comme les routes des diamants et les routes du trafic d’êtres humains.
La plupart des saisies récentes de cocaïne concernent des conteneurs d’Amérique du Sud envoyés vers l’Afrique occidentale ayant le Nigéria ou le Ghana pour destination. Presque tous les conteneurs proviennent du Pérou ou de la Bolivie. Si la Gambie, le Nigéria, la Guinée, la Guinée-Bissau ou le Ghana font figure de zones de transit traditionnelles, la plupart des Etats d’Afrique de l’Ouest sont touchés, non seulement par la corruption liée au trafic mais aussi par la consommation. «Les pays de transit ont longtemps cru qu’ils ne seraient pas impactés, or les habitants de l’Afrique de l’Ouest deviennent de plus en plus des consommateurs», observe Etienne Apaire, ex-président de la MILDT.
Il s’avère que la majeure partie de la cocaïne d’Europe arrive par mer, principalement via l’Espagne. Presque la moitié de la cocaïne saisie en Europe a été prise par les autorités espagnoles, dont deux-tiers a été détecté dans les eaux internationales et 11% dans des conteneurs. Malgré les accords de Schengen sur l’ouverture des frontières de l’Union Européenne des pays comme la France ont toujours maintenu des postes observatoires qui se présentent la plupart du temps comme des péages. Le secrétaire général de la commission européenne a voulu « mettre fin au non-respect de l’article 22 du règlement n°562/2006 » disposant que « les Etats membres suppriment tous les obstacles (…), notamment les limitations de vitesse qui ne sont pas fondées exclusivement sur des considérations de sécurité routière.»
Toutefois le col du Perthus reste un problème. C’est le point d’entrée de la cocaïne en France. « La situation de tolérance de l’Espagne à l’égard de l’usage de stupéfiants a été un véritable appel à tous les trafiquants internationaux », confie Etienne Apaire. « L’Espagne est l’un des premiers pays consommateurs de cocaïne d’Europe et cette situation nous impose, tout en respectant les directives européennes, de faire évoluer notre dispositif de contrôle des trafics en provenance de ce voisin.»
Malgré la volonté d’harmonisation de l’UE, les dissonances sont présentes. Les règles affichées sont les suivantes : pour surmonter la production, les gouvernements et la communauté internationale ne doivent pas imposer l’élimination sans mettre en œuvre un vaste programme de développement alternatif et intégré, à la fois dans les régions de production d’opium et de cocaïne et dans le reste des pays. Ces programmes doivent être mis en œuvre de manière progressive et, surtout, dans des conditions politiques stables.
Une déclaration politique conjointe signée le 16 novembre 2005 met en évidence le partenariat de l’UE avec l’Afghanistan. Elle se fonde sur les priorités telles que la mise en place d’institutions solides et comptables de leur action, la réforme du secteur de la sécurité et de l’appareil judiciaire, la lutte contre la drogue, le développement et la reconstruction.
Le plan d’action de l’UE de 2009, pour l’Afghanistan et le Pakistan, qui vise à renforcer l’action de l’UE dans la région, est devenu une pièce maîtresse du programme de travail de la délégation de l’UE à Kaboul. Celle-ci rappelle la nécessité de continuer à renforcer une approche européenne commune à la fois pour les questions politiques et pour la coopération au développement.
L’UE a ainsi développé plusieurs plans d’actions dont le dernier a pour mesures prioritaires l’amélioration de la coordination, la réduction de la demande et de l’offre, l’accroissement de la coopération internationale et une meilleure compréhension du phénomène de consommation des drogues.
En effet 6 500 à 9 000 décès (par overdose) chaque année dans l’UE sont constatés selon l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT). Sans compter que ces injections sont un important vecteur de maladies à diffusion hématogène, telles que le VIH, l’hépatite B ou l’hépatite C. La moitié des deux millions d’usagers à problèmes que compte l’UE se droguent par injection.
C’est donc par la prévention que l’on peut en partie remédier à la situation. Il faut ainsi compliquer la disponibilité du produit (en encourageant les saisies et en faisant obstacles aux cultures), réduire l’attrait psychologique et inverser l’acceptation sociétale. Ceci passe par un discours social fort, et des campagnes relayées de façon pertinente par les médias.
Il faut aussi améliorer le recours à la substitution tout en étant cohérent en maintenant l’interdiction juridique symbolique sanctionnée par paliers. Ceci passe par ces trois phases : prévention puis soins et enfin répression.
CONCLUSION
Malgré tout un constat s’impose, nous sommes face à une constante progression de la production de drogue qui fait face à la faiblesse des stratégies mises en œuvre. La mondialisation n’a fait que diminuer les circuits et les prix, ceci avec une augmentation de la qualité. La crise actuelle favorise cette offre et cette demande.
L’action des États n’arrange pas la situation, en effet, les faiseurs d’opinions baissent la garde: la prise de conscience est souvent défaillante et la volonté politique parfois absente. La coopération internationale est frileuse et s’observe à travers des transpositions des obligations des conventions parfois fantaisistes. Les institutions sont inadaptées et sans moyens face aux enjeux. Enfin les idées et positions en faveur de la légalisation du cannabis progressent.
A juste titre certains expliquent que ce commerce peut seulement prospérer si les principaux acteurs impliqués dans la drogue ont des « amis politiques aux plus hauts niveaux ». Les entreprises légales et illégales sont de plus en plus imbriquées, la ligne de démarcation entre hommes d’affaires et criminels est de plus en plus floue. Dans certains pays comme nous l’avons vu, les relations entre les criminels, les politiciens et des acteurs du milieu du renseignement ont teinté les structures de l’État et le rôle de ses institutions. Le trafic de drogues est un maillon important dans la chaîne du crime organisé et il évolue en parallèle aux nouvelles menaces liées par exemple aux NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication) ou à l’environnement. Coexistent ainsi sur la scène internationale, les groupes traditionnels (mafias, cartels…) et les plus récents (Maras et cartels afghans).
SITOGRAPHIE et BIBLIOGRAPHIE
– Rapports ONUDC 2009, 2010 et 2011
– Rapport OFDT 2012
– Conventions de Palerme et de Mérida
– http://europa.eu/agencies/regulatory_agencies_bodies/policy_agencies/emcdda/index_fr.htm
– http://ec.europa.eu/health-eu/my_lifestyle/drugs/index_fr.htm
– http://www.atimes.com/atimes/Central_Asia/EI17Ag01.html
– «La seule victoire en Afghanistan est celle de l’opium, la démocratie s’avère une drogue moins puissante.» par Michel Chossudovsky sur http://globalresearch.ca/articles/CHO406A.html
– AMNESTY INTERNATIONAL, 2008, « Colombie, homicides, détention arbitraire et menaces de mort. La réalité », Press release, 3 Juillet 2008, [En ligne] http://www.amnestyinternational.be/doc/article13215.html?artpage=11#outil_sommaire_6
– ONUDC “The transatlantic cocaine market”, avril 2011, www.unodc.org/documents/data-and-analysis/Studies/Transatlantic_cocaine_market.pdf
– Alain Labrousse, Daurius Figueira et Romain Cruse, « Évolutions récentes de la géopolitique de la cocaïne», http://espacepolitique.revues.org/index691.html
– Le Figaro – Environnement : La coca grignote la forêt colombienne
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