Geolinks | 14.12.2017 à 20h | Par Eléna Thill
Le 24 novembre 2016, le président colombien Juan Manuel Santos a signé un accord de paix avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) mettant fin à un conflit de plus d’un demi-siècle. Un an plus tard, le bilan se révèle mitigé, entre désillusion de l’ex-guérilla et rejet d’une partie de la population colombienne[1].
Le président colombien Juan Manuel Santos (deuxième à gauche) serre la main de l’un des leaders des FARC Ivan Marquez sur le site de démobilisation de Fonseca, le 15 août. Fernando Vergara/AP
Des débuts difficiles
Pourtant dans une bonne dynamique et une bonne médiatisation, le processus de paix s’est rapidement embourbé à partir du referendum du 2 octobre 2016, par lequel la population à montrer son désaccord. En effet, l’opinion n’était, tout d’abord, pas favorable à ce qu’un blanc-seing soit donné aux FARC. À la tête de cette contestation se trouve l’ex-président Álvaro Uribe pointant du doigt l’accord sur la justice transitionnelle, qui garantirait une impunité aux insurgés coupables de crimes. Les détracteurs de cet accord appellent à lutter contre la menace d’un « castro-chavisme ». Le deuxième point noir de ce document pour la paix est l’absence d’une transformation du système économique, comme le stipulait pourtant le Plan Colombie, par la réduction des inégalités foncières, « dans un pays où 1 % de la population possède plus de 50 % des terres. […] Autrement dit, il ne traite pas des problèmes qui sont à l’origine du conflit : il se borne à favoriser le statu quo, sans toutefois prétendre rétablir la situation d’avant-guerre. [2] »
Néanmoins, la victoire du NON, tient également du fait du peu de participation au vote. En effet, seulement 37,4 % de la population[3] s’est déplacée aux urnes. Elle résulte, cependant, sans doute de la répression sévère exercée par le pouvoir étatique, aidée des paramilitaires, qui « ont pratiquement éliminé toute une génération de militants et de défenseurs des droits sociaux.[4] »
Le résultat de ce referendum place donc les deux camps dans une situation inconfortable, puisqu’aucune légitimité populaire n’a été apportée au cours de ce procédé. Le volet de la justice transitionnelle est véritablement le point noir des négociations. Négociations qui n’ont pour autant pas été avortées.[5]
Où est en l’accord de paix aujourd’hui ?
Le processus de paix signé en Colombie repose sur cinq points clés, tels que définis dans l’accord signé le 24 novembre 2016[6] :
La réforme agraire
Ce point représente la revendication initiale des FARC à l’encontre du gouvernement colombien et le début d’un long conflit d’une cinquantaine d’années. À la suite des négociations, l’accord de paix prévoit initialement la redistribution de trois millions d’hectares. Cependant, aujourd’hui encore la politique agraire se fait attendre[7] et le scepticisme quant à un respect total de l’accord gronde.
La lutte contre la drogue
La Colombie est le premier producteur de coca au monde avec 150 000 hectares de plantation[8].
La coca finance en effet, outre les anciennes actions des FARC, des groupes criminels d’extrême-droite ainsi que des paramilitaires tels que les 1 500 guérilleros marxistes de l’ELN (Mouvement de Libération National), malgré un fragile cessez-le-feu dernièrement signé.
Le grand défi actuel est donc de stopper l’économie illégale pour mettre fin au cycle de la violence qui sévit depuis des années dans le pays. Pour cela, le Plan Colombie, lancé dans les années 1990, avait pour mission, notamment, l’éradication des cultures narcotiques couplée d’une stratégie de substitution des cultures de la drogue par la valorisation des exportations légales. Néanmoins, la suppression des cultures par voie de fumigation a entraîné plus d’effets indésirables que de réelles améliorations économiques et sociales[9]. C’est pourquoi, il n’est pas anodin que ce point de l’accord de paix soit encore en pourparlers avec les organisations défenseuses des droits humains.
La justice
Ce thème est le point noir des négociations pour la paix en Colombie. Le vote du non au referendum du 2 octobre 2016 en est le parfait exemple. Sujet important de l’accord de paix, le processus d’amnistie des FARC emprisonnés fait donc couler de l’encre. Ses détracteurs s’insurgent de l’absence de peines réelles et adéquates relatives aux crimes commis. En effet, la simple coopération des FARC à dire « la vérité » sur les crimes commis et à s’engager à dédommager les victimes ainsi qu’à n’avoir plus recours à la violence, a pour conséquence une transformation des peines de prison en travaux d’intérêts généraux aux services des communautés colombiennes. De plus, La création d’un tribunal spécial pour juger les crimes commis par les FARC a été initiée par le biais de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) dans le but de garantir le droit des victimes à la justice, la vérité et la réparation. Cependant, il est intéressant de souligner que cette CVR a elle-même fait l’objet de vives critiques. En effet, à la suite de nombreux débats survenus après le début de la démobilisation paramilitaire, et en conséquence de la mise en place du Plan de sécurité démocratique de l’ancien président colombien Álvaro Uribe, la loi « Justice et Paix » a été promulguée en avril 2005. Cette dernière prévoit la création d’une CVR ayant pour objectif : la contribution à l’éclaircissement des faits, la contribution à la reconnaissance des victimes ainsi que la promotion de la coexistence sur les territoires. Cependant, cette CVR s’écarte du modèle traditionnel par : sa composition nettement gouvernementale, le fait que la reconstruction historique n’ait pas une place fondamentale au sein de l’organisme mais aussi parce qu’elle émerge d’un contexte de conflit armé pérenne et ne prévoit que cinq à huit ans de peine maximum pour les chefs paramilitaires, peine dérisoire en comparaison de la gravité des crimes commis. Il est clair que cette CVR sert donc ici « d’objet politique[10] ». Il s’agit, en effet, d’affirmer que la politique d’Uribe ait contribué à un véritable infléchissement du conflit. Le texte a reçu de vives critiques des ONG défenseurs des Droits de l’Homme, l’accusant d’être une loi d’impunité qui « nie la possibilité d’octroyer le statut de « victimes » aux personnes ayant subies des violences des forces de sécurité étatiques[11] », visant seulement les victimes des actions des groupes armés illégaux.
La participation politique de la société civile.
Ce sujet est en lien étroit avec le précédent. Dans le but de promouvoir la paix et la réconciliation, la CVR a la vocation d’élaborer un rapport détaillé sur les formes de violences commises pendant la répression et la guerre civile. Pour cela, il lui faut récolter le témoignage du plus grand nombre de victimes possible. Ainsi, depuis le 24 novembre 2016, des efforts ont été menés, notamment via les médias, afin de permettre à tous les Colombiens de se faire entendre. Ironiquement, lors de sa dernière participation, la population civile s’est exprimée négativement concernant la signature de l’accord de paix. De plus, de nombreuses régions de la Colombie sont encore marginalisées, certaines n’ont pas accès à l’eau potable. Les préoccupations des Colombiens sont donc bien plus tournées vers la reconstruction que vers la réconciliation.
Le désarmement
Plus de 8 000 armes ont été déposées sous le contrôle de l’Organisation des Nations Unies (ONU), dans les vingt-six zones prévues à cet effet. 11 816 membres des FARC se sont officiellement démobilisés[12] et regroupés dans les zones de cantonnement appelées « espaces de réincorporation et de formation ». Dans le cadre d’un processus de réinsertion civile, les FARC confinés dans ces camps reçoivent une aide financière s’élevant à 90 % du revenu minimum, une affiliation au système de santé publique ainsi, qu’entre-autre, un apprentissage à la lecture pour les 70 % d’analphabètes recensés par l’ONU.
Une guérillera prépare son fusil avant de le faire répertorier dans le cadre du désarmement. Louis Witter/Hanslucas
Un long chemin à parcourir
Un an après l’accord de paix, le taux de criminalité a certes baissé mais la violence n’a pas totalement disparu dans les campagnes. Principal producteur de cocaïne, d’or et de bois précieux, la Colombie est le repère de nombreux groupes criminels se disputant les territoires laissés par les FARC. L’ELN (Armée de libération nationale) avec laquelle le gouvernement colombien est en négociation de paix depuis février 2017, en fait partie. Les FARC eux-mêmes sont en constante surveillance, notamment les 10 % d’entre eux qui auraient refusés la démobilisation[13]. Parmi eux, certains auraient même repris les armes. D’autres encore, environ 3 600 ex-guérilleros selon l’ONU, auraient abandonnées les zones de réincorporation, sans doute dans le but de retourner auprès de leur famille. Cependant, la perte de confiance envers le gouvernement et ses promesses de paix est désormais palpable. Ceci notamment par la remise en cause de la sécurité physique des ex-guérilleros aujourd’hui désarmés ainsi que par les nombreux assassinats de défenseurs des droits humains qui se sont déroulés pendant l’année post-signature de l’accord de paix.
Un avenir tourné vers la politique
Face à ce manque de confiance de plus en plus perceptible, certains anciens leaders des FARC ont décidé de prendre les choses en mains en se lançant dans la politique. L’accord de paix prévoyait en effet, la garantie d’obtention d’au moins dix sièges sur deux cents soixante-huit au Congrès bicaméral, ceci pendant deux mandats consécutifs soit huit ans. Le mouvement révolutionnaire des FARC s’est dès lors transformé en parti politique de gauche lors du congrès national tenu à Bogota. Gardant leur acronyme le mouvement se nomme désormais « Force alternative révolutionnaire du peuple. »
L’objectif actuel est les élections présidentielles de 2018, pour lesquelles se présente en tant que candidat au poste de Président, Rodrigo Londoño, plus connu sous son le nom d’ancien leader des FARC « Timochenko ». Soutenus par la gauche urbaine colombienne, ceci notamment dû à la politique sociale pour la paix menée par l’actuel président Juan Manuel Santos, le nouveau parti des FARC fait aujourd’hui face à une droite incisive. Portée par l’ancien président Álvaro Uribe, cette droite dénonce l’accord de paix comme un pacte conclu avec des narcoterroristes qui ont eu le droit à des privilèges inadmissibles dans leur reddition, privilèges payés par la population colombienne, première victime des crimes commis.
Néanmoins, malgré le peu d’espoir d’obtenir des scores au-dessus des 5 % des votes, cette participation électorale ne peut que leur donner un coup de publicité médiatique afin de prouver à leurs détracteurs leur bonne foi pour la paix.
Auteur : Eléna Thill
Sources :
BIASSETTE Gilles, « La Colombie, entre guerre et paix », La Croix, [en ligne] 28 mai 2017. Disponible sur : https://www.la-croix.com/Monde/Ameriques/Colombie-entre-guerre-paix-2017-05-28-1200850723 [Consulté le 7 décembre 2017]CAVELIER Jeanne « Colombie : « Le processus de paix avec les FARC s’est embourbé » », entretien avec JeanJacques KOURLIANSKY, Le Monde, [en ligne] 24 novembre 2017. Disponible sur : http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2017/11/24/colombie-le-processus-de-paix-avec-les-farc-s-est-embourbe_5220129_3222.html [Consulté le 7 décembre 2017]DELCAS Marie, « En Colombie, la désillusion le dispute à l’espoir un an après l’accord de paix avec les FARC », Le Monde, lundi 27 novembre 2017, p. 6
LECOMBE Delphine : La CNRR colombienne : une commission « instrumentalisée » ou un instrument d’action publique ? In FREGOSI Renée et ESPANA Rodrigo (dir.), Droits de l’Homme et consolidation démocratique en Amérique du Sud, L’Harmattan, Paris, 2009, pp. 113-124Oficina del Alta Comisionada para la paz, Comisión para el esclarecimiento de la verdad, la convivencia y la no repetición [en ligne], Disponible sur : <http://www.altocomisionadoparalapaz.gov.co/Documents/informes-especiales/comision-verdad-proceso-paz/index.html> [Consulté le 30 janvier 2017]THILL Eléna, Plan Colombie : plan antinarcotique ou plan de guerre ? Projet de mémoire : Science Politique, Relations Internationales. Lyon : Université Jean Moulin III, CLESID, 2017
TOUSSAINT F. et SOURBIE C. Colombie : « Le processus de paix avec les FARC s’est embourbé », ARTE.tv, [en ligne] 25 novembre 2017. Disponible sur : https://youtu.be/pSdRlukw5E0 [Consulté le 7 décembre 2017]WILPERT Gregory, « Pourquoi les Colombiens ont rejeté la paix », Le Monde diplomatique, [en ligne] novembre 2016. Disponible sur : <http://www.monde-diplomatique.fr/2016/11/WILPERT/56757> [Consulté le 26 janvier 2017]
- CAVELIER Jeanne « Colombie : « Le processus de paix avec les FARC s’est embourbé »», entretien avec JeanJacques KOURLIANSKY, Le Monde, [en ligne] 24 novembre 2017. Disponible sur : http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2017/11/24/colombie-le-processus-de-paix-avec-les-farc-s-est-embourbe_5220129_3222.html [Consulté le 7 décembre 2017] ↑
- WILPERT Gregory, « Pourquoi les Colombiens ont rejeté la paix », Le Monde diplomatique, [en ligne] novembre 2016. Disponible sur : <http://www.monde-diplomatique.fr/2016/11/WILPERT/56757> [Consulté le 26 janvier 2017] ↑
- Ibid. e ↑
- Ibid. e ↑
- THILL Eléna, Plan Colombie : plan antinarcotique ou plan de guerre ? Projet de mémoire : Science Politique, Relations Internationales. Lyon : Université Jean Moulin III, CLESID, 2017 ↑
- BIASSETTE Gilles, « La Colombie, entre guerre et paix », La Croix, [en ligne] 28 mai 2017. Disponible sur : https://www.la-croix.com/Monde/Ameriques/Colombie-entre-guerre-paix-2017-05-28-1200850723 [Consulté le 7 décembre 2017] ↑
- DELCAS Marie, « En Colombie, la désillusion le dispute à l’espoir un an après l’accord de paix avec les FARC », Le Monde, lundi 27 novembre 2017, p. 6 ↑
- TOUSSAINT F. et SOURBIE C. Colombie : « Le processus de paix avec les FARC s’est embourbé », ARTE.tv, [en ligne] 25 novembre 2017. Disponible sur : https://youtu.be/pSdRlukw5E0 [Consulté le 7 décembre 2017] ↑
- THILL E., Plan Colombie : plan antinarcotique ou plan de guerre ?, rap. cit. ↑
- Oficina del Alta Comisionada para la paz, Comisión para el esclarecimiento de la verdad, la convivencia y la no repetición [en ligne], Disponible sur : <http://www.altocomisionadoparalapaz.gov.co/Documents/informes-especiales/comision-verdad-proceso-paz/index.html> [Consulté le 30 janvier 2017] ↑
- LECOMBE Delphine : La CNRR colombienne : une commission « instrumentalisée » ou un instrument d’action publique ? In FREGOSI Renée et ESPANA Rodrigo (dir.), Droits de l’Homme et consolidation démocratique en Amérique du Sud, L’Harmattan, Paris, 2009, pp. 113-124 ↑
- DELCAS M., « En Colombie, la désillusion le dispute à l’espoir un an après l’accord de paix avec les FARC », art. cit., p.6 ↑
- Ibid., p. 6 ↑
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