La place de la défense anti-missile dans la survie d’Israël

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Comme le prouve l’actualité brûlante de ces derniers jours, les dangers menaçants l’Etat d’Israël sont toujours bien présents sur la scène internationale. Le Moyen-Orient reste une poudrière où les armes conventionnelles ont laissées place à des menaces hybrides. C’est en réponse à ce changement de paradigme que la stratégie de défense d’Israël s’est tournée vers la défense antimissile. Désormais nous avons à faire au développement d’une doctrine défensive dans un pays à forte culture offensive. Quand est-il véritablement ?

Mercredi dernier, Donald Trump a de nouveau fait parler de lui en reconnaissant Jérusalem comme la capitale d’Israël. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a salué un “jour historique” et encouragé les autres pays du monde à transférer leurs ambassades à Jérusalem.

De l’autre côté, l’ensemble de la communauté n’approuve pas le choix américain de jeter de l’huile sur le feu d’un conflit israélo-palestinien qui dure depuis trop longtemps. L’ensemble du monde arabe s’est ainsi enflammé à l’approche de cette annonce. Des manifestations et des scènes de violences envers les Etats-Unis ont été répertoriées à Jalalabad en Afghanistan, à Jakarta, à Istanbul, à Rabat, au Caire, à Bethléem en Cisjordanie ou encore au Liban. Le Fatah du président Mahmoud Abbas a appelé les Palestiniens à poursuivre leurs manifestations contre la décision des Etats-Unis. Les ministres des Affaires étrangères de la Ligue arabe ont « dénoncé et condamné » le choix diplomatique de Washington et ont appelé à l’annulation de cette décision. “Nous n’abandonnerons pas Jérusalem à la merci d’un Etat qui tue des enfants”, a renchéri le président turc Recep Tayyip Erdogan, qualifiant Israël « d’Etat terroriste ». Nous avons donc clairement à faire face à une montée de violence importante.

L’Etat hébreux a, à juste titre, émis de grandes craintes sur ces violences. Pourtant Israël n’en n’est pas à sa première provocation. Encerclé, le pays a lancé depuis plusieurs années maintenant une politique agressive de colonisation des terres palestiniennes. En 2015 les négociations sur une solution à deux Etats sont retombées au point mort. Pour répondre aux enjeux de sécurisation, le budget de défense israélienne atteint ces dernières années le pourcentage impressionnant de 6 à 7% du PIB. C’est un chiffre important quand nous le comparons aux budgets d’autres pays comme celui des Etats-Unis (4,7 % du PIB américain) ou la France (2,5% du PIB français). Cette dépense s’explique en partie par une stratégie propre à Israël, celle du tout technologique qu’il soit offensif ou plus récemment défensif. Le pays mise désormais sur « son dôme de fer » une défense antimissile quasi impénétrable. Mais qu’en est-il vraiment ? Pour mieux comprendre cette défense israélienne, il nous faut revenir sur une doctrine stratégique en constante adaptation par-rapport à sa sphère régionale.

Pour commencer une précision s’impose, le débat sur une solution à deux Etats ne nous regarde pas ici, même si cette question est la raison d’être de l’analyse qui va suivre. Depuis la création de l’Etat hébreu en 1947 la société israélienne partage un sentiment d’encerclement fort. Cette crainte historique vient bien évidement d’un passé tumultueux avec tous ses voisins arabes. Le but est alors simple, compenser cette peur d’être attaqué. À la suite de différentes évolutions, notamment technologiques, Israël a adapté ces 20 dernières années sa stratégie militaire face aux dynamiques de la prolifération de missiles et de roquettes au Moyen Orient. Un débat central s’est alors constitué autour d’une stratégie, celle de la survie par l’offensive ou la défensive. La problématique de l’Iran et de son armement est bien sûre au cœur des débats quand on parle de politique de défense en Israël. Cette peur s’est d’autant plus affirmée depuis la normalisation des relations entre l’Iran et les Etats-Unis sous la présidence d’Obama. Mais la politique de défense d’Israël cache, étant donné le nombre d’ennemis potentiels qui lui font face, une réalité bien plus large. Comme l’illustre l’actualité récente le soutien matériel, financier et diplomatique des américains reste bien évidement central et pour le moment constant. L’étude du cas israélien, son évolution stratégique face à la menace des missiles du Moyen-Orient, est riche d’enseignements dans le cadre des analyses sur les politiques de défense en général puisqu’elle peut être étendu à beaucoup de systèmes.

Pour bien comprendre la culture militaire d’une nation il faut se pencher sur sa doctrine. Historiquement Israël a une doctrine militaire offensive qui s’explique simplement par son emplacement géographique et la valeur symbolique de la création de cette nation. Certains parlent ainsi d’un enclavement international. Les principaux ennemis d’Israël sont effectivement ses voisins directs (l’Egypte, la Syrie, le Liban et la Jordanie). Les pays arabes limitrophes avec lesquels aucune solution diplomatique n’a été trouvée créent une impossibilité de paix formant une menace constante sur le pays.

Israel Wall Map - Maps.com

Israël va bien vite comprendre qu’elle ne peut pas gagner une guerre par le nombre. Sur le terrain du quantitatif, le pays représente moins de 9 millions d’habitants. Leur infériorité numérique va alors les pousser à miser sur le développement rapide des technologies de pointe. Pour maintenir constamment une supériorité incontestable sur ses adversaires, Israël va se procurer un arsenal principalement américain. Le pays va miser sur des armes offensives en développant un tissu militaro-industriel à fort potentiel de recherche et de développement.

L’année 1967 représente un tournant pour Israël avec sa victoire écrasante sur le pays arabes. Elle permet, comme toute guerre, de forger une doctrine nationale de défense forte. Celle-ci se base ainsi sur une offensive rapide, forte et technologiquement à la pointe. Malgré le nouveau conflit en 1973, la situation internationale a évolué et le statut d’Israël n’est avec le temps, plus vraiment remis en question grâce à cette doctrine offensive. Les pays arabes voisins n’ont pas les moyens de suivre cette course à l’armement. Les attaques frontales devenant obsolètes, celles à distance vont devenir la norme même si elles doivent être moins destructrices. L’objectif de la sanctuarisation du territoire va donc être atteint avec en prime une réduction des armées ennemies. C’est un âge d’or de la défense israélienne.

Mais paradoxalement, pendant que la menace décline avec le temps, la prolifération de missiles roquettes augmente au Moyen Orient au point de faire renaître un débat sur l’existence de l’Etat hébreu. Comme le disait l’ancien responsable du programme Arrow, Uzi Rubin, en 2010 au journal Haaretz, « l’ennemi a aujourd’hui acquis la suprématie aérienne sans avoir d’avions ». Si le diagnostic est volontairement alarmiste, ces propos révèlent bien « le renversement psychologique qui s’est opéré en Israël en l’espace de trois décennies ». L’armée israélienne a pu se rendre compte de l’inefficacité des chars ou même des avions dans les conflits contemporains. La menace est désormais diffuse et urbaine à l’image des missiles ou roquettes. De plus Israël est un pays qui n’a pas de profondeur stratégique. Autrement dit, il est assez petit et toute sa surface se trouve proche d’une frontière. Les villes sont facilement attaquables.

Les pays frontaliers vont s’adapter stratégiquement à ce fossé technologique en prenant en compte la géographie de leur ennemi. Le but est de rééquilibrer les forces dans la région. Durant les années 70 il va y avoir une prolifération de missiles balistiques au Moyen Orient faisant de cette zone du monde la plus active en termes de courses aux missiles. A la fin des années 80, l’Irak de Saddam Hussein est sans aucun doute la plus grande menace. La crédibilité de cette dernière sera actée en 1991 durant la Guerre du Golfe puisque 42 missiles sud irakiens frappent alors Israël. Selon un ancien responsable du Ministère de la Défense israélienne : « Les frappes irakiennes ont profondément remis en cause le fondement d’Israël en tant que foyer pour les Juifs contre toute persécution, contre toute attaque ».

Le régime syrien d’Hafez al Assad se rend compte aussi de l’impossibilité d’égaler stratégiquement Israël et va s’élancer à son tour dans l’achat de roquettes et de missiles grâce à l’aide soviétique, chinoise et Nord-Coréenne. Selon les estimations israéliennes, il y aurait en 2012, 50 000 roquettes et missiles pouvant avoir une portée de 700 km. L’Iran démarre quant à lui le développement d’un arsenal de missiles balistiques liés au conflit Iran-Irak de 1980 à 1988. Il va aussi bénéficier de l’aide de la Chine, de la Corée du Nord et de la Russie. Aujourd’hui c’est l’arsenal le plus important du Moyen Orient. C’est aussi l’un des plus variés comme le prouve ce référencement de l’AFP.

Le mouvement libanais du Hezbollah procède lui aussi à ce tournant opérationnel dans les années 90 passant des attentats suicides à des missiles et des roquettes de courtes portées. En 2006, malgré une campagne offensive israélienne importante contre le Hezbollah, la ville de Haifa sera touchée par les roquettes. Pour finir, la Palestine et la bande de Gaza n’ont pas eu la même facilité pour se procurer un arsenal militaire digne de ce nom. Leur degré d’insécurité pour Israël s’étend à une sphère beaucoup plus locale et disparate. Cela s’explique simplement par les faibles moyens financiers et les contrôles israéliens permanents. Mais les roquettes ont l’avantage d’être des armes que l’on trouve en grande quantité. Elles sont donc peu chères et plus facilement maniables. Ces roquettes restent donc un outil très efficace d’harcèlement sur le plan psychologique des populations israéliennes. Autrement dit, même si peu d’attaques sont perpétrées leur valeur symbolique et leur proximité effraie la population israélienne. Ces nouvelles armes « d’harcèlement » au Moyen-Orient vont avec le temps supplanter l’idée d’une guerre frontale face à la supériorité israélienne. Israël fait donc face, dès les années 80 et véritablement durant les décennies 90/2000, à de nouvelles menaces que son armée conventionnelle ne peut contrer.

Nous avons à faire dans le monde de la doctrine militaire à ce qu’on pourrait qualifier de jeux de ping-pong. Alors qu’une armée s’adapte aux failles de son ennemi, ce dernier opère le même résonnement d’adaptation de sa technique. Ce jeu de miroir permet des bonds scientifiques important. Face à un monde arabe qui évolue, un nouvel investissement israélien dans la défense anti-missile va apparaitre comme une évidence. Ce développement intensif commence dès 1986 avec un investissement important de la part des Etats-Unis qui rapproche son programme « Initiative de défense stratégique » (l’IDS, lancé par Ronald Reagan sous le terme de « guerre des étoiles ») de celui d’Israël dirigé par la MAFAT (l’Administration pour le Développement des Armements et des Infrastructures Technologiques). Nous pouvons analyser ce choix politique comme une matérialisation de la théorie réaliste des relations internationales. Nous avons à faire au départ à une guerre par procuration face à l’influence du communisme dans cette région du monde. Cette dernière a longtemps eu un intérêt énergétique pour l’Amérique, gros consommateur d’énergie fossile. Dans un deuxième temps l‘intérêt est purement personnel. Les Etats-Unis sont très proches culturellement et économiquement d’Israël. Un soutien discontinu chaque année va donc être prévu et même être inscrit dans le budget de la première puissance du monde (entre 2001 et 2007 c’est plus de 19,5 milliards de dollars qui seront investis uniquement sur des questions militaires). En 2011 par exemple l’aide financière américaine s’évalue à 205 millions de dollars et pour la période 2012-2016, elle monte à 680 millions de dollars. Le couple américano-israélien lance le projet de missile Arrow de 3ème génération dont le but est l’interception exo atmosphérique c’est-à-dire purement nucléaire. Il faut tout de même souligner que l’investissement majeur reste pour l’interception à courte portée. Pour finir les États-Unis déploient à partir de 2008, dans le désert du Néguev le système de radar à bande X utilisant leur réseau satellite ce qui le rend plus efficace que les radars israéliens (analyse à 150 Km pour l’un, 900 Km pour l’autre).

Dès les années 2000-2010, Israël institutionnalise concrètement cette nouvelle défense avec les programmes : ARROW 1, 2 et 3, suivi d’Iron Dome et David’s Sling. Ce nouvel investissement n’est pourtant pas l’unanimité, même au sein du pays. L’allocation d’un important budget pour cette défense pénalise les autres unités militaires ayant une culture offensive. Par exemple, il faut savoir que le projet ARROW 2 a coûté 57 millions de dollars et que le ARROW 3 est monté, pour le moment, à 66 millions de dollars. Autre illustration, le nouveau bataillon de l’armée de l’air, placé au Sud d’Israël, s’est équipé de 3 premières batteries qui coûtent chacune 50 millions de dollars. L’état-major de Tsahal se sent politiquement mis de côté au profit des ingénieurs de la MAFAT, tout comme leur financement. De plus, il faudra attendre uniquement 2012 pour observer les premiers succès de cette défense face aux roquettes palestiniennes d’où le doute sur la pertinence et l’efficacité d’un tel revirement stratégique.

Trois composantes sont nécessaires pour l’efficacité d’une défense antimissile : un système radar de détection et de traçage des projectiles, un système de commandement et de contrôle, et une unité de lancement de missiles-intercepteurs.

Pourtant il est difficile de faire reposer toute une doctrine stratégique sur cette défense antimissile. Elle ne permet pas un revirement total de la stratégie de guerre israélienne et cela pour beaucoup de raisons. Premièrement cette technologie a un coût très élevé : un missile intercepteur coûterait environ 100 000 dollars tandis qu’une simple roquette Qassam utilisée par le Hamas peut être produite avec seulement quelques centaines de dollars. Ensuite même avec des progrès considérables aient été réalisé, il existe toujours un problème d’efficacité pour les missiles de longue portée. Malgré le succès d’Iron Dome face aux attaques de la bande de Gaza, il est inefficace face à un arsenal de moyenne ou de courte portée venu de Syrie ou d’Iran. La détection et la précision de la contre-attaque n’est pas encore au point. De plus, que se passerait-il lors d’une attaque simultanée de plusieurs centaines de missiles ? Aucune défense, aussi parfaite soit-elle ne peut être totale.

Il faut aussi noter que l’opinion publique n’est pas favorable à ces armes. Beaucoup d’experts militaires mettent en doute la véritable capacité des pays arabes à menacer le territoire d’Israël avec ces armes. D’autres estiment que leur culture stratégique offensive, capable d’infliger de lourds dégâts en peu de temps, est plus efficace que cette technologie défensive. De plus le coût des batteries anti-missiles est si élevé que leur nombre reste pour le moment limité. Les populations ne comprennent pas que cette technologie serve pour le moment en priorité à la défense de zones militaires. Parallèlement à cette technologie, la culture militaire historiquement offensive a continué à innover. En 2008 par exemple Eisenkot, Général de commandement, a formulé la doctrine offensive « Dahya », contre argument supplémentaire face au défenseur du « dôme de fer ». Cette doctrine consiste à réagir à une agression par une attaque disproportionnée sans distinction de civils et militaires.

D’un point de vue stratégique, même si la défense anti-missile répond à certains impératifs militaires, elle ouvre une nouvelle question, celle de l’indépendance d’Israël. Par l’acquisition de cette technologie de pointe l’Etat hébreu est devenu totalement dépendant des Etats-Unis. Or même si Trump semble réaffirmer son soutien à Israël, le cas de l’ancienne administration qui a opéré une baisse du financement et du soutien diplomatique au profit d’un rapprochement avec l’Iran reste encore dans les mémoires. Il est très dangereux pour un pays de devenir dépendant militairement d’un Etat tiers. Un revirement géopolitique est toujours envisageable.

Pour finir, la nouvelle menace due à la déstabilisation syrienne et au terrorisme n’est pas tant en termes de missiles que d’attentat. Ces attaques sont d’une plus grande pluralité et une simple défense antimissile ne suffit pas. La défense anti-missile est née de l’obsolescence d’une stratégie, elle est à son tour victime de l’évolution rapide du monde. Il n’y a pas dans la logique terroriste une armée régulière, il n’y a pas des bases éparses de lancement qui mettent sous pression la population. Ce sont des loups solitaires, des attentats surprises, une radicalisation qui donne évidemment une plus grande priorité aux renseignements plutôt qu’aux défenses anti-missiles. Ainsi, pour toutes les raisons évoquées précédemment, il n’est question avec cette nouvelle défense anti-missile que d’un arsenal complémentaire dans une culture stratégique toujours offensive.

La course à l’armement et la politique de défense en général est un véritable jeu de ping-pong. Face aux outils et techniques de l’adversaire, le pays s’adapte et répond en conséquence. Dans cette étude de cas nous avons pu observer que l’ensemble des pays arabes hostiles à Israël ont profité des avancées technologiques et de la prolifération de nouvelles armes dans la région dans le but de dépasser la barrière militaire que l’Etat hébreux s’était efforcé de mettre en place depuis sa naissance.

Ce fut alors dans les années 80/90 au tour d’Israël de réagir face à ces roquettes et missiles, en investissant dans une nouvelle technologie qui n’a pas totalement aboutie : la défense anti-missile. La culture stratégique anciennement offensive du pays c’est alors vue menacée par cet outil défensif. Néanmoins à la vue des jeux diplomatiques régionaux, des contraintes budgétaires, de l’efficacité d’une telle arme, des menaces toujours évolutives et d’une opinion publique réticente, la défense anti-missile ne reste qu’un complément d’une doctrine offensive toujours présente. Même si la situation n’est pas identique pour la France et surtout ses alliés de l’OTAN, des questions similaires de distinguo et d’équilibre entre une doctrine offensive et défensive seront à résoudre dans le futur.

Auteur : Alexandre LAPARRA

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