Introduction
L’Inde et l’Union Européenne (UE) sont deux acteurs économiques majeurs dans le monde. A priori très différents économiquement et culturellement, ils présentent toutefois des similarités de par l’enjeu de la diversité des territoires qui les composent et l’enjeu d’intégrer des États autonomes et indépendants dans un tout harmonieux et cohérent. Un enjeu qui se chiffre à 27 Nations pour l’Union Européenne et 28 Etats pour l’Inde.
L’Inde représente aujourd’hui un marché prometteur : un taux de croissance à 7%, une ouverture qui se fait à grand pas, deuxième pays le plus peuplé du monde avec une classe moyenne dépassant les 300 millions de consommateurs, des industries modernes dans des secteurs innovants, un réservoir immense de talents et de matière grise… Une série d’atouts qui font de l’Inde une puissance économique majeure avec laquelle l’Union Européenne ne veut pas laisser passer sa chance.
Aujourd’hui, l’Inde et l’Union Européenne poursuivent des négociations afin de renforcer leur coopération économique avec pour objectif final la conclusion d’un accord de libre-échange.
Comment sommes-nous arrivés à cette situation ? Dans quel contexte cet accord de libre- échange aura-t-il lieu ? Quels sont les secteurs stratégiques à développer entre l’UE et l’Inde ? Quels sont les enjeux et les chances de succès d’un tel projet ?
Ce document a pour objectif d’apporter des éléments de réponses à ces différentes questions et de mieux comprendre comment et pourquoi la création d’une zone de libre échange entre l’Inde et l’Union Européenne est porteuse d’une multitude d’attentes en matière de dynamismes économiques pour les deux parties.
Notre analyse se fera en trois points. Dans une première partie, nous analyserons l’évolution des relations commerciales entre l’Inde et la Communauté Economique Européenne (CEE) puis l’Union Européenne. Ensuite, nous nous pencherons sur les secteurs clés, sources de coopération et d’échanges stratégiques. Enfin, nous nous interrogerons sur la potentielle mise en place d’une zone de libre échange entre les deux acteurs et les enjeux liés à un tel projet.
I. Une coopération commerciale progressive
Cette première partie est destinée à comprendre l’évolution des relations commerciales entre l’Inde et la Communauté Européenne, ainsi que les principaux enjeux qui ont marqué cette évolution.
a. L’Inde, premier défenseur de la CEE
L’Inde n’a pas toujours supporté et défendu la construction de la Communauté Economique Européenne. En effet, en 1957, l’Inde protesta contre ce projet car elle y voyait un moyen de mettre en place des tarifs préférentiels, limitant de la sorte le commerce international et profitant seulement aux pays membres de la communauté.
Toutefois, en 1962, l’Inde est le premier pays émergent à entreprendre des relations diplomatiques avec la CEE en y envoyant un ambassadeur. Jawaharlal Nehru prend alors l’initiative d’établir une mission économique à Bruxelles. Nous pouvons nous questionner sur ce renversement. Quelles sont les raisons qui ont poussé l’Inde à approuver et à supporter le projet européen ? Une des principales raisons à un tel appui s’explique par la volonté indienne de s’assurer une entrée sur le marché européen, propice à son développement économique.
b. Une ribambelle d’accords commerciaux des années 1970 aux années 1980
Par la suite, différents accords de coopération sont signés. En 1971, un accord sur les textiles de coton est signé dans le cadre du GATT. Il est remplacé en 1974 par l’accord multifibres qui fixe des quotas d’exportation pour chaque pays et pour chaque type de produit. Un deuxième accord se référant au système de préférences généralisées (SPG) de la CEE est signé. Cet accord permet aux pays industrialisés de faire bénéficier d’avantages commerciaux à tous les pays en développement.
En 1973 est signé l’accord de coopération commerciale qui prévoit le développement et la diversification des échanges commerciaux. Une conséquence directe de cet accord est la mise en place de différentes actions de coopération commerciale, dont l’ouverture d’un centre commercial de l’Inde (India Trade Center) est un exemple pertinent. Ce centre, qui avait pour but de favoriser un rapprochement entre l’Inde et la CEE, fut ouvert à Bruxelles en 1980 et fut largement financé par la CEE.
L’accord de 1973 fut remplacé le 23 juin 1981. En effet, la croissance des relations impliquait un accord plus vaste et permettant de couvrir une réalité plus complexe.
Voici un extrait de la proposition de règlement, datant du 1er juin 1981 : « Le Conseil des Communautés Européennes, d’une part, le Gouvernement de l’Inde, d’autre part, vu les relations amicales et les liens traditionnels qui unissent l’Inde et les États membres de la Communauté, ainsi que les bases d’une coopération créées par l’accord signé entre l’Inde et la Communauté le 17 décembre 1973 et entré en vigueur le 1er avril 1974, prenant acte avec satisfaction des progrès réalisés au cours de la période d’application de cet accord et du développement des relations économiques et commerciales entre l’Inde et la Communauté, estimant le moment venu de donner une impulsion nouvelle aux relations mutuelles existant entre l’Inde, d’une part et la Communauté, de l’autre, conscients que les liens plus dynamiques, souhaités à la fois par la Communauté économique européenne et l’Inde, exigent une coopération plus étroite s’étendant à l’ensemble de l’activité économique et commerciale de ces pays. Ce nouvel accord ne s’intéresse plus seulement au commerce mais envisage une coopération économique élargie ».
Cet accord avait pour but, entre autre, d’intensifier les échanges commerciaux ainsi que les échanges d’informations, de soutenir les institutions créées, de promouvoir la coopération industrielle, les transferts de technologie et les investissements et d’encourager la coopération technique et scientifique via la création de programmes de recherche et de développement.
Une commission mixte a également été constituée dans le cadre de cet accord afin d’identifier les secteurs de coopération privilégiés. L’article 10 de l’accord stipule que « les parties contractantes conviennent de créer une commission mixte chargée de veiller au bon fonctionnement du présent accord, d’élaborer les mesures pratiques visant à la réalisation de ces objectifs, d’examiner et de suivre effectivement, à la lumière de ses principes et de ses buts, toutes les questions qui pourraient découler de sa mise en œuvre. »
c. L’Inde s’ouvre au monde globalisé : des relations renforcées restant toutefois limitées
Cependant, il faut attendre l’ouverture économique de l’Inde dans les années 1990 par le premier ministre du parti de Congrès, Narasimha Rao, pour que les relations entre l’Inde et l’Union Européenne s’intensifient. En 1992 est signé un accord important qui pose les fondements de ce que pourrait devenir une potentielle zone de libre-échange entre l’Union Européenne et l’Inde.
Toutefois, les choses se compliquent. En effet, l’Inde va voir rapidement son déficit commercial se creuser du fait de sa forte propension à importer des produits à forte valeur ajoutée de l’Union Européenne et de ses exportations constitués essentiellement de produits à faible valeur ajoutée. Les chiffres sont frappants. En 2000, les importations indiennes sont constituées pour le quart de produits européens. L’Union Européenne quant à elle n’importe que 1,3% de produits indiens au regard de ses importations totales. Il y a donc un déséquilibre entre les deux acteurs économiques, qui se fait au détriment du géant asiatique.
De plus, malgré la libéralisation des échanges, l’Inde a toujours regardé avec méfiance l’implantation de multinationales étrangères sur son territoire. C’est pourquoi, les flux d’investissements étrangers sont restés limités dans certains secteurs. Les explications d’une telle méfiance sont multiples. Tout d’abord, le refus d’une sorte d’impérialisme occidental représentée à travers une domination économique. Il s’agit également d’une solution pour un parti politique de se garantir un électorat composé de millions de pauvres. La lutte contre la mondialisation et les inégalités qui en découlent est un moyen de marquer un discours politique auprès de la population indienne et de la faire adhérer à un parti. Ce comportement fut notamment important pour le parti du congrès indien, qui a toujours montré sa volonté d’éradication de la pauvreté en Inde et qui est soutenu par une grande partie de la population rurale, minoritaire et souvent pauvre du pays.
Cette méfiance à l’égard des investissements étrangers se retrouve encore aujourd’hui. Cela fait plusieurs années que le gouvernement de Manmohan Singh tente de renforcer la libéralisation économique du pays. Aujourd’hui, ce n’est pas sans peine, que souffle un vent libéral sur New Delhi avec des réformes visant à ouvrir au capital étranger un certain nombre de secteur de l’économie, dont le commerce de détail, jusqu’à présent très encadré. Toutefois, une telle réforme met à mal le Parti du congrès, qui voit son soutien électoral diminuer et sa coalition ébranlée (six ministres du Parti du Congrès Trinamool ont démissionné pour protester contre ces réformes).
Depuis les années 2000, les relations entre l’Inde et l’Union Européenne se sont renforcées. En 2004, l’Inde est devenue l’un des « partenaires stratégiques » de l’UE. En 2005, c’est un plan d’action conjoint qui a été instauré afin d’optimiser ce partenariat.
II. Les secteurs d’activités et d’échange stratégiques
Cette seconde partie nous permettra de nous pencher sur les secteurs clés des relations commerciales entre l’Inde et l���Union Européenne, sources de coopération et d’échanges stratégiques, malgré la méfiance de quelques acteurs.
a. Une coopération stratégique de plus en plus grande
En 1962, l’Inde était le premier pays en développement à envisager des relations diplomatiques avec la Communauté en construction composée de six pays européens. Espérant l’admission de l’Angleterre dans la CEE, l’Inde pensait pouvoir défendre ses intérêts face au géant du colonialisme. Et finalement, même sans l’Angleterre, l’Inde et la Communauté européenne développent leurs relations. Dans un premier temps, les accords de coopération ont permis à l’Inde de vendre des produits agricoles et industriels franchisés dans la CEE, avec dégrèvement douanier et suppression de certaines restrictions quantitatives.
Après 1971, les accords se développent pour diversifier les échanges commerciaux. Faisant suite aux accords multifibres, dans la filière textiles de coton, et au système de préférences généralisées, l’Inde et la CEE émettent leur premier accord de coopération. Après 1981, l’Inde tourne la page du protectionnisme économique de l’époque post-coloniale, pour ouvrir les marchés grâce à des réformes économiques structurelles. Les années 1990 viendront ensuite renforcer ce positionnement de l’Inde dans le nouvel ordre mondial.
La date de 1992 marque le début de nouvelles orientations stratégiques entre l’Inde et la CEE, mais le déficit commercial est alors très important entre les deux partenaires : l’Inde importe des produits à forte valeur ajoutée tandis qu’elle exporte vers l’Europe des produits agricoles et textiles à bas prix.
Depuis les années 2000, l’Inde développe ses nouvelles technologies de l’information avec l’extension des centres d’appels et les sociétés de services en ingénierie informatique. C’est l’une des priorités des sommets bilatéraux avec l’Union Européenne, en vue de nouvelles coopérations. L’Inde semblerait alors devenir leader dans ce secteur particulier.
Plus récemment, les accords bilatéraux prouvent que l’Union Européenne veut agrandir son partenariat avec l’Inde. Ils souhaiteraient ensemble aboutir entre autres à la mise en place d’un accord de libre-échange ou encore la coopération dans le secteur spatial et nucléaire (notamment avec la France).
Le sommet du 10 février 2012 a marqué une nouvelle étape dans cette coopération bilatérale, en introduisant de nouvelles négociations pour cet accord de libre-échange qui stimulerait le commerce des biens et services entre les deux partenaires. Ce sommet a également été l’occasion de marquer leur volonté commune d’améliorer la sécurité et l’efficacité énergétiques. L’UE entendait ainsi développer sa collaboration avec l’Inde pour étudier de nouvelles sources d’énergie à faibles émissions de carbone, de nouvelles sources d’énergies renouvelables.
Au-delà de cette collaboration en termes d’énergie et de changement climatique, l’Inde et l’Union Européenne avaient pour projet de lancer des programmes de recherche dans le domaine de l’eau et des bioressources. Ce sommet a permis d’affirmer la volonté de collaborer en matière de recherche, dans l’énergie, la santé, les technologies de l’information ou encore la communication par exemple.
Enfin, dernier élément contenu dans les négociations liées à ce sommet, l’Inde et l’Union Européenne échangent de plus en plus sur la lutte contre le terrorisme, ou la piraterie ou encore la cybercriminalité. La sécurité est donc également au cœur des discussions.
b. Malgré certaines réticences
Cependant, quelques acteurs se méfient pourtant de ce rapprochement entre l’Inde et l’Union Européenne, voire cet accord de libre-échange. En plein cœur des négociations, Oxfam sollicite l’Union Européenne et lui demande de ne pas faire pression sur l’Inde pour conclure de nouvelles règles commerciales dans le secteur des produits pharmaceutiques.
D’après cette confédération d’ONG, l’Union Européenne désirerait profiter du sommet du 10 février 2012 pour négocier un renforcement de la protection des brevets sur les produits pharmaceutiques, ce que l’Inde – grand producteur de médicaments génériques – refuse depuis toujours, pour protéger son marché. En effet, une plus forte protection de la propriété intellectuelle engendrerait forcément une augmentation des prix des médicaments et des vaccins, au profit des entreprises européennes. Les pays en développement, subissant cette hausse de prix, ne verraient que baisser leurs objectifs de développement sanitaire.
Nisha Agrawal, la directrice générale d’Oxfam Inde, a déclaré en ce sens : « Jusqu’à présent, le gouvernement indien a toujours rejeté les demandes réitérées de l’Union européenne d’introduire un renforcement des règles de propriété intellectuelle dans le cadre de l’accord de libre-échange. Nous soutenons fermement la position indienne. Compte tenu du contexte, alors que des discussions sur des politiques en faveur de l’accès universel, abordable et gratuit aux soins de santé en Inde sont en cours, poser l’introduction de règles supplémentaires sur la propriété intellectuelle comme condition à la conclusion d���un accord de libre-échange serait contradictoire, puisque cela aurait pour conséquence de renchérir le coût des médicaments en Inde et dans le monde en développement. »
III. Vers une zone de libre-échange ?
Cette dernière partie a pour but de se questionner sur la possibilité de voir se créer une future zone de libre-échange entre l’Inde et l’Union Européenne. Le 10 Février 2012, l’Inde et l’UE se sont rencontrés à New Delhi dans le but de relancer leur coopération, notamment en matière de commerce, d’énergie et de recherche. Durant ce sommet, José Manuel Barroso, président de la Commission, a déclaré : « L’accord de libre-échange entre l’UE et l’Inde constituera le plus vaste accord de ce type dans le monde ; il profitera à 1,7 milliard de personnes, il ouvrira de nouvelles perspectives aux entreprises indiennes et européennes, et sera un moteur important pour la croissance, l’emploi et l’innovation durables tant en Inde qu’en Europe ».
Une éventuelle zone de libre-échange semble pertinente. L’UE est le premier partenaire commercial de l’Inde, l’Inde est le huitième partenaire de l’UE. En 2010, les exportations de l’UE vers l’Inde montent à 34,8 milliards d’euros. Quant aux importations, elles atteignent un montant de 33,2 milliards d’euros. Depuis 2010, la tendance est à l’augmentation.
Le tableau ci-dessous met en évidence la croissance des échanges entre l’UE et l’Inde depuis les années 2000.
Conclusion
Finalement, dans leur développement conjoint, l’Union Européenne et l’Inde semblent dessiner peu à peu les contours d’une zone de libre-échange. Cela n’est pas simple à gérer et il faut du temps pour négocier : certains pans entiers de l’économie européenne ou indiennes peuvent être affectés par les conséquences de ces accords.
C’est certain, les deux acteurs en présence ont le désir de mettre en place ce partenariat, et tous deux gagneraient au change. En effet, il y a déjà de quoi se réjouir de la quantité d’échanges entre l’Inde et l’Union Européenne : en 2010, on comptait 80 milliards d’euros de volume des échanges dans les deux sens. Mais c’est finalement très en dessous du potentiel que les experts anticipent. L’accord de libre-échange devrait alors donner un coup d’accélérateur très fort aux deux acteurs.
Les négociations actuelles se situent autour des barrières tarifaires : il s’agit de baisser les prix des produits vendus dans toute la zone de libre-échange. De plus, il faut ouvrir la collaboration dans un certain nombre de secteurs, notamment dans le cas de l’UE et de l’Inde dans le secteur des services, de la grande distribution ou encore de la propriété intellectuelle.
Pour conclure cette analyse, nous pouvons affirmer que l’Union Européenne et l’Inde sont bien engagées sur le chemin du libre-échange, mais cela prend du temps et demande des négociations. Ce projet a de larges chances de succès dans la mesure où les deux acteurs en question sont gagnants, mais il ne faut pas négliger les difficultés liées au libre-échange dans certains secteurs.
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