Introduction
Se déroulant en seulement quelques jours, la guerre des Six Jours a été l’une des plus déterminantes dans l’équilibre du Moyen Orient. Israël, opposé à l’Egypte, la Jordanie et la Syrie, va voir sa situation bouleversée en l’espace de seulement quelques jours. Une guerre éclaire qui aura considérablement redistribué les cartes du jeu, modifiant presque du jour au lendemain les rapports de force dans la région. Il est en effet intéressant de souligner que la période entre le conflit de 1956 et la guerre des six jours qu’a été celle de 1967, fut une période relativement calme, où l’on note l’absence d’escalade de violence malgré quelques tensions. Ce n’est qu’à partir de 1965 qu’il y aura une recrudescence des attaques terroristes1 . La situation militaire et stratégique d’Israël lui était alors favorable et les menaces ne se faisaient pas grandement ressentir au sein de la société israélienne. Les arabes étaient certes en nombre bien supérieur mais leur organisation présentait bien trop de faiblesse, face à une armée israélienne à la tactique calibrée. Quel a été l’impact de cette guerre qui fut l’une des plus courte mais également l’une des plus déterminantes pour l’équilibre de la région ? Il est intéressant de constater dans un premier temps que cette guerre est survenue dans un contexte particulier ressenti comme une situation désespérée par une grande partie de la société israélienne ainsi que par la classe politique elle-même (I). Puis, il convient de souligner l’effet d’engrenage et la crise politique qui ont mené inéluctablement à la bataille (II) ; pour finalement comprendre en quoi l’issue de cette guerre ne représente pas nécessairement une victoire pour l’Etat d’Israël (III). Aussi, du mois d’avril jusqu’au début du mois de juin 1967 la région va traverser une période de tensions intenses et une rapide escalade de la violence. Alors que la tension est à son paroxysme Israël opte pour le seul choix qui semble s’offrir à lui, celui de l’offensive.
I- Un contexte dominé par l’inquiétude
Alors que les relations bien que peu cordiales, étaient relativement calmes entre Israël et ses voisins, les tensions commencent à resurgir. Aussi, c’est un sentiment de grande inquiétude qui prévaut dans la mentalité de la population israélienne avant la guerre (A) ; le gouvernement quant à lui se presse de rechercher l’appui des grandes puissances (B).
A) Le sentiment d’insécurité et l’attente de la guerre au sein de la population israélienne
La mentalité dominante au sein de la société israélienne au courant des années 1960 a joué un rôle considérable dans la manière dont a eu le pays ainsi que toute la société israélienne d’appréhender la guerre. Tout d’abord, la propagande antisémite des pays arabe est particulièrement virulente et est ressentie par les israéliens comme une véritable menace pour l’existence de leur pays. La crainte d’un nouveau génocide est réelle puisque venant directement des discours prononcés par les dirigeants arabes. Le fait que les frontières héritées de la guerre d’indépendance de 1948 étaient indéfendable face à de telles menaces, joue également un rôle dans le profond sentiment d’insécurité régnant dans le pays. Israël ne dispose à cette période-là d’aucune « profondeur territoriale »2.
Cela s’inscrit également dans un tournant dans le processus identitaire autour de la Shoah. Dans les années 1960 avec notamment le procès Eichmann, la Shoah est désormais gravée dans la mémoire collective israélienne. C’est selon l’historien Ilan Greilsammer « l’événement qui a façonné la conscience nationale et exprime la manière dont on se perçoit et dont on perçoit les autres »3. Ce sentiment de ne pas pouvoir compter sur la communauté international pour garantir sa survie est particulièrement ravivé au courant des années 1960. Cela tend a renforcer dans l’inconscient collectif, que seul une action de l’armée israélienne peut protéger les israéliens de la menace qui ressort de la propagande des pays arabes. Durant cette période c’est également le rapport aux survivants des camps de concentration et aux juifs qui vivaient en diaspora à cette époque qui change. Jusque-là les sabras vivant déjà en Israël lors de la seconde guerre mondiale n’avaient jamais véritablement accepté l’attitude des juifs de diaspora, et ont le sentiment que leur passivité a joué un rôle important dans le génocide. Cela va changer dans les années 1960 avec les différentes menaces que subi Israël, et le sentiment d’impuissance partagé par les israéliens leur permet désormais de s’identifier à ces juifs de diaspora.
Ainsi dans un tel contexte l’attente de la guerre devient insupportable. Le gouvernement, par son indécision, plonge le pays dans une phase de doute. La population a le sentiment que les dirigeant ne sont pas à la hauteur de la menace qui pèse sur le pays. Les soldats attendant au front en viennent à souhaiter une offensive rapide tant l’attente et l’incertitude sont insupportables. La population entière retient son souffle dans l’espoir d’une évolution de la situation, dans l’attente d’une éventuelle guerre.
Israël doit donc s’efforcer de défendre ses intérêts, faisant les tours des grandes capitales dans le but de bénéficier de l’appui des grandes puissances.
B) Israël à la recherche de ses alliés : les forces en présence
La menace semble d’autant plus réelle pour les israéliens que la supériorité numérique des pays arabes est écrasante. En effet, le territoire arabe s’étend sur 13 496 461 km²4 et accueille une population représentant environ 104 354 760 habitants. Tandis qu’en cette même période Israël, toujours limité par les frontières héritées de 1948 ne s’étend que sur une petite étendue de territoire et ne comprend jusqu’au début des années 1970 qu’environ 3 millions d’habitants5. De plus, il est a noté que seul 14km séparent la mer de la frontière jordanienne6. Le système militaire du pays est basé sur une armée de réserve. Ce système ne permet pas à Israël de mobiliser un grand nombre d’hommes sur une longue durée et encore moins sur trois fronts différents. En effet depuis le 30 mai 1967 une alliance a été conclue entre la Jordanie, la Syrie et l’Egypte, l’armée jordanienne se trouvant totalement sous le commandement de l’armée égyptienne7.
Dans ce contexte, Israël part à la recherche de ses alliés et tente de développer ses relations avec ce qui a été nommé le « Cercle extérieur moyen oriental »8, notamment avec l’Iran et la Turquie. Israël effectue un rapprochement avec l’Ethiopie ainsi qu’avec plusieurs pays de l’Afrique noire. Mais l’Etat juif est à la recherche du soutien de grandes puissances. Abba Eban, alors ministre des affaires étrangères dans le gouvernement de Lévy Eshkol, est envoyé par celui-ci pour une tournée des grandes capitales afin d’y trouver des soutiens9. Les capitales britannique et américaine ne semblent pas vouloir s’engager ouvertement dans un tel conflit.
La question de choisir entre les deux grands choix stratégiques s’offrant à Israël se repose. Ben Gourion avait toujours envisagé l’option européenne qui permettait de développer l’arme nucléaire, tandis que Lévy Eshkol était bien plus réticent à cette idée. Jusqu’à la fin des années 1950 la question du nucléaire a pesé de manière importante dans la manière dont Israël a eu de former ses alliances. Dès 1957 un accord secret avait été passé avec la France dans le but de construire une centrale nucléaire qui sera achevée en 1958 à Dimona10.
Toutefois à partir du début des années 1960, la politique pro-arabe de De Gaulle inquiète Israël. Lorsque Lévy Eshkol arrive à la tête du gouvernement en 1963, celui-ci est bien plus favorable à l’axe américain. En 1967 ce choix semble d’autant plus pertinent que le président Johnson semble plus favorable à Israël que son prédécesseur11. Israël va donc se tourner vers les Etats-Unis qui acceptera de fournir à l’Etat hébreu des avions Skyhawk et des tanks lourds de type Patton12. Toutefois cela ne prend effet que plus tard et le premier avion Skyhawk ne sera livrer à Israël qu’à la fin de l’année 1967. Ainsi lors de la guerre des six jours, l’armée israélienne dispose essentiellement d’avions de fabrication française, notamment des Mirage III, Super-Mystère, Vautour, Mystère IV et Ouragans13. Israël recevra toutefois des Etats-Unis des missiles « Raytheon Hawk »14.
Les alliances d’Israël à la veille de la guerre des Six Jours semblent avoir partiellement changé. Cette atmosphère de grande inquiétude, notamment au sein de la population va être exacerbée par la crise précédant la guerre.
II- De l’escalade de la violence à la guerre éclaire
Les tensions dans la région favorisent l’escalade de la violence. Chaque altercation, aussi anodine qu’elle puisse paraître représente pour Nasser un pas de plus vers la guerre (A), alors que la classe politique israélienne connaît l’une de ses plus importantes crises (B).
A) La précipitation de Nasser dans la bataille : l’engrenage de la guerre des Six Jours
La Syrie a joué un rôle important dans la décision de Nasser de préciser ses menaces d’attaque contre Israël. En effet le 7 avril 1967, lors d’une bataille aérienne au-dessus du lac de Tibériade l’aviation israélienne fait perdre à l’armée syrienne six avions de type Mig2115. Nasser n’a pas d’autre choix que de menacer d’entrer en guerre avec Israël. La Syrie ne manquant pas de lui rappeler qu’un traité de défense mutuelle le liait dans le cas où la Syrie venait à être menacée par Israël. Nasser ne peut pas rester impassible à cet événement, il se doit de conserver son statut de « leader » et de ne pas être discrédité aux yeux de l’allier syrien. Ne souhaitant toutefois pas une confrontation directe avec Israël, celui-ci se contente de menaces, n’entreprenant aucune véritable action militaire et affirmant se préparer à une guerre totale contre Israël si cela était nécessaire.
Après cette confrontation aérienne entre Israël et la Syrie, l’Union Soviétique commence à se crisper, accusant Israël de vouloir renverser Damas, son allier prosoviétique. Les soviétiques ont joué un rôle jusqu’à un certains point dans l’escalade de la violence. En effet l’Union Soviétique envoie un télégramme aux capitales arabes affirmant qu’Israël se préparait à l’offensive à la frontière syrienne. A plusieurs reprises le premier ministre Eshkol invite l’ambassadeur de l’URSS à venir vérifier de lui-même ; ce que ce dernier n’acceptera jamais16.
L’aura de leader dont jouissait Nasser jusque-là commence à se ternir. Afin de maintenir son leadership celui-ci se voit contraint d’effectuer un revirement dans sa politique et d’adopter un ton plus agressif. Nasser qui jusque-là avait contenu les attaques de fedayins (par crainte d’une confrontation directe avec Israël, sachant que son armée n’était pas prête à vaincre Tsahal) va alors demandé le retrait de la Force d’Urgence des Nations Unies mobilisée dans le Sinaï. Depuis 1957 ce sont 3400 casques bleus qui séparaient les forces égyptiennes et israéliennes17. Les forces égyptiennes n’étant toutefois pas encore prête à faire face à une guerre totale contre Israël, Nasser souhaite préserver des troupes de la FUNU dans les zones sensibles que sont Gaza et Charm-el-Sheikh18. Le secrétaire général des Nations Unies, U Thant, ne laisse pas la possibilité à Nasser de conserver une partie seulement des troupes de l’ONU.
Ainsi, il s’agit ici pour Nasser de choisir entre le retrait total des troupes de la FUNU et le maintien du statut quo. Celui-ci, toujours dans un soucis de préserver son image ainsi que l’avantage sur Israël, demande un retrait total. En 48h le secrétaire général des Nations Unies accède à la requête de Nasser vidant le Sinaï de la dernière force faisant tampon entre les forces égyptiennes et israéliennes19. Cette action fut critiquée notamment en Israël, et considérée comme une véritable maladresse de la part du secrétaire général des Nations Unies.
Ainsi, Nasser fait avancer ses troupes dans le Sinaï les positionnant à la frontière israélienne. Le leader égyptien est allé trop loin pour reculer et tenter d’éviter le conflit. Sous estimant sûrement l’enjeu de sa décision, il annonce le 21 mai 1967, la fermeture du détroit de Tiran bloquant ainsi le golfe d’Aqaba20.
Ce qui pour Nasser ne constituait qu’une politique de dissuasion et une manière de ne pas perdre la face, va représenter pour Israël un véritable Cassus Belli. A cela va s’ajouter une hésitation au sein du gouvernement, plongeant un peu plus le pays dans le doute.
B) Une crise politique majeure menant finalement à la guerre
Tout au long de cette montée des tensions Israël se retrouve confronté à un véritable dilemme dont l’enjeu est sa survie. Le gouvernement de Lévy Eshkol a le choix de ne pas agir tout en laissant la situation se dégrader. Plusieurs membres du gouvernement redoutent le blocus du golfe d’Aqaba, ce qui reviendrait pour Israël à renoncer au port d’Eilat. Israël se retrouverait donc privé d’un accès Asie-Afrique ainsi que d’un accès pétrolier. Mais Israël devrait également renoncer à la réhabilitation du Néguev21. La deuxième possibilité s’offrant au gouvernement de Lévy Eshkol est celle de lancer une offensive sans toutefois bénéficier du soutien de la communauté internationale, ce qui reviendrait à isoler Israël d’avantage et mèneraient a des conséquences imprévisibles pouvant être graves pour la reconnaissance d’Israël. Le choix est difficile et Eshkol ne semble pas en mesure de pouvoir prendre une véritable décision. Le mois de mai 1967, la crise politique au sein du gouvernement éclate et va déboucher sur ce qui fut appelé par la suite « la révolte des généraux ».
En effet l’armée exerce une très forte pression sur le gouvernement et notamment sur Eshkol dans le but de lancer une offensive. Au début du mois de mai, même lorsque Nasser faisait déjà avancer ses troupes de le Sinaï, il était encore bien difficile de prévoir l’arrivée d’une guerre. Ezer Weizman, alors chef des opérations, pensait que la possibilité qu’une guerre éclate n’était qu’infime, mais il reconnaîtra plus tard qu’à ce moment-là « l’engrenage de la guerre des six jours avait commencé à s’enclencher »22. En seulement quelques jours l’armée réalise que les actions qui pouvaient être perçues comme un cassus belli pour Israël, avaient été effectuée par Nasser ; à savoir la fermeture du détroit de Tiran et la progression des troupes dans le Sinaï. Selon Ezer Weizmann, à partir du 23 mai l’armée savait déjà que la guerre était inévitable23 .
Les désaccords survinrent lorsqu’il fallut décider d’attaquer immédiatement ou non. Pour certains, comme le chef des forces aériennes Motti Hod, attendre que le maximum de troupes égyptiennes se concentrent à la frontière permettrait de briser plus facilement leur ligne de défense24. Toutefois le plan de l’armée étant fondé essentiellement sur l’effet de surprise, il apparaît plus approprié de lancer une offensive le plus vite possible afin de ne pas laisser le temps aux forces égyptiennes de s’organiser dans le Sinaï. De plus maintenir des réservistes dans un objectif défensif reviendrait à donner un coup presque fatal à l’économie du pays.
Le 1er juin 1967 Lévy Eshkol décide de former un gouvernement d’unité nationale. Il nomme aussitôt en tant que Ministre de la défense, Moshé Dayan partisan depuis longtemps de l’offensive25. Selon Dayan Israël ne peut se permettre d’attendre que les égyptiens attaques les premiers. Cette date marque également un tournant dans la politique israélienne puisqu’elle voit entrer pour la première fois Menachem Begin, alors à la tête du parti Hérout au gouvernement, ainsi que de Yossi Sapir, leader du parti libéral.
Le 4 juin le nouveau gouvernement d’union nationale prend alors la décision d’attaquer sans plus attendre, suivant les grandes lignes du plan que Ezer Weizman avait proposé ; à savoir attaquer par surprise 19 bases égyptiennes26. Les bases situées dans le Sinaï ne se trouvant qu’à quelques heures de vols des principales villes israéliennes il était impératif que l’aviation égyptienne soit détruite au sol le plus rapidement possible. De plus, Israël devait agir au plus vite afin de pouvoir se battre sur les deux autres fronts contre la Syrie et la Jordanie.
Ainsi le 5 juin au matin, c’est une véritable guerre éclaire qui est lancée par Israël. En seulement quelques heures, les troupes égyptiennes sont presque anéanties. En une heure seulement l’Egypte avait déjà perdu plus d’une centaine d’avions27. En quelques jours Israël devient maître du Sinaï, mais après seulement quelques heures de combats Israël avait déjà porté un coup décisif comme l’a exprimé Ezer Weizman après la guerre : « La guerre n’était pas finie. Il restait quelques problèmes à résoudre. Mais à 10 heures, 2 heures et demi après qu’elle ait commencé, la guerre était une totale et prodigieuse victoire »28. La prise de Jérusalem fut la plus difficile du fait de sa valeur religieuse et historique rendant impossible tout bombardement.
Ainsi en seulement quelques jours les troupes arabes sont mises en déroute et Israël assoit durablement sa suprématie militaire dans la région
III- Une victoire militaire éclatante au goût de défaite diplomatique
Les arabes vaincus, Israël est complètement libéré de leur étau, éloignant la peur d’un nouveau génocide. Au sein de la société israélienne ce bouleversement est célébré avec une grande euphorie (A) ; tandis que les pays arabes réaffirment leur non-intention de reconnaître Israël et refusent de reprendre le dialogue (B).
A) Le bouleversement de la balance des pouvoirs dans la région
La guerre des six jours débouche sur une victoire écrasante de l’Etat d’Israël qui assoit ainsi durablement sa suprématie militaire dans la région. En effet, en seulement quelques jours l’armée israélienne est reconnue comme l’une des plus puissantes au monde. La façon dont est perçu Israël et dont les israéliens se perçoivent eux-mêmes change du tout au tout. Il ne s’agit plus d’un minuscule Etat vulnérable et sans défense pris dans l’étau que les pays arabes représentent tout autour. La victoire apporte un véritable sentiment d’euphorie et de stupéfaction dans tout le pays. Un immense soulagement s’empare des israéliens. La pression qu’avait exercé l’attente de la guerre et la peur d’un nouveau génocide retombe, laissant place à l’exaltation ainsi qu’à un fort sentiment d’unité dans tout le pays. En Israël la guerre des six jours est vue unanimement comme une guerre défensive, inévitable pour assurer la survie de l’Etat juif. Tous les partis le reconnaissent, jusqu’au Maki, le parti communiste juif. Seul le Rakah, le parti communiste arabe conteste cela29. La victoire de 1967 marque le sommet dans l’identification à Israël, notamment au sein de la diaspora. En effet, entre 1967 et 1970 Israël va connaître d’importantes vagues d’immigration30.
Nombreux sont ceux qui y voit là une intervention divine. L’installation de colons en Judée-Samarie s’intensifie, il s’agit pour eux d’une véritable mission divine. Grâce à ce nouveau sentiment d’invincibilité les mouvements nationalistes juifs religieux bénéficient d’un véritable élan et revendiquent de plus en plus l’annexion de tous les territoires occupés pour achever le rêve du Grand Israël. Ainsi deux types d’implantations se développent. Les implantations « idéologiques » établies par les colons sionistes religieux, ainsi que les implantations dites stratégiques établies pour des raisons sécuritaires par le gouvernement31.
Israël qui ne jouissait jusque-là d’aucune profondeur territoriale voit désormais son territoire considérablement augmenter. En effet le Sinaï conquit, puis restitué sous condition de démilitarisation permet de créer une zone tampon entre Israël et l’Egypte. La bande de Gaza reste après la guerre sous contrôle israélien ainsi que la Cisjordanie. Le Golan quant à lui est directement annexé. L’une des prises les plus difficiles fut celle de Jérusalem-Est qui sera également annexée.
Cette victoire écrasante permet donc à Israël de redessiner ses frontières. Le facteur démographique n’est alors plus pris en compte lors du tracé des frontières32. Après la conquête de ces nouveaux territoires, Israël octroie la nationalité israélienne à un nombre important de palestiniens, notamment à Jérusalem, réduisant ainsi la supériorité démographique des juifs de Jérusalem33.
Cette victoire aura permis à Israël de jouir d’une certaine profondeur territoriale et de frontières plus facilement défendables mais elle va confronter Israël à de nouveaux défis.
B) Le durcissement de la politique arabe et l’isolement d’Israël
La défaite est sans appel mais difficilement acceptable pour les pays arabes qui subissent une grande mise en déroute. Les pertes matérielles pour les troupes arabes s’élèvent à 70% de leur armement lourd ; tandis que pour les pertes humaines, les armées arabes ont perdu environ 20 000 hommes34. Après le premier jour de combats l’Egypte avait déjà perdu 319 avions et hélicoptères, tandis qu’Israël en aura perdu 26 à la fin de la guerre35. Le manque d’unification aura été l’une des plus grandes erreurs stratégiques des arabes comme ce fut déjà le cas lors des précédentes guerres les opposants à Israël. De plus certains généraux, comme le général égyptien Abû-Nidhal estiment que les troupes arabes n’étaient guère préparées à un tel conflit tandis que la société israélienne aurait été préparée depuis plusieurs décennies à ce conflit36. La stratégie arabe était fondée sur son unité militaire et sur l’utilisation de ses capacités en vue d’un conflit prolongé. Le fait de perdre l’initiative du combat a ébranlé les plans des égyptiens qui ont subi une véritable débandade dans le Sinaï. Abu-Nidhal explique après la guerre que c’est bien la stratégie arabe et la médiocrité de l’Etat-major, allié à de mauvaises conditions climatiques, qui a rendu bataille du Sinaï décisive37.
Toutefois bien que cela constitue indéniablement une victoire militaire de l’Etat d’Israël, il ne s’agit pas pour autant d’une victoire politique et diplomatique. L’humiliation subie par les Etats arabes ne va faire que durcir leur politique. Cette défaite est en effet loin de marquer une étape vers la paix avec Israël et encore moins vers sa reconnaissance. Dans le détroit de Tiran les égyptiens continuent à attaquer les navires israéliens afin de bloquer leur navigation. De plus, grâce à l’aide de l’Union Soviétique, les pays arabes vont pouvoir reconstituer leurs armées jusqu’à 70%38.
La conférence de Karthoum tenue par les Etats arabes en août 1967 témoigne de cela. En effet la politique de Karthoum se fonde sur trois idées principales ; soit le triple non : non à la réconciliation, non à la négociation, et non à la reconnaissance de l’Etat d’Israël39. La conférence de Karthoum est l’occasion pour les pays arabes de soulever la question des palestiniens et de leur droits40. Avec la conquête de nouveaux territoires ces derniers apparaissent pour la première fois en tant que palestiniens. C’est ainsi qu’Israël va se retrouver face au nouveau problème du nationalisme palestinien grandissant dans les territoires nouvellement occupés. Il s’agit là d’une question qui n’avait pas été soulevée auparavant, puisque la notion de « palestinien » n’existait pas réellement.
En Egypte ainsi que dans le monde arabe en général cette défaite marque également la fin du Nassérisme et l’islamisme radical apparaît pour une grande partie de la population comme la seule alternative possible aux gouvernements ayant été incapable de mener à bien la guerre contre Israël.
L’un des plus grand bouleversements qu’aura apporté la guerre des six jours consiste en l’image que renvoie Israël aux autres nations du monde. Israël n’est plus un Etat faible encerclé par un ennemi bien supérieur sur le plan numérique. Cela va remettre en cause les soutiens d’anciennes puissances alliées. Les relations avec la France sont durablement altérées. Dès le 4 juin 1967 le général De Gaulle avait déclaré un embargo sur Israël, cessant également de lui vendre ses avions Mirages41. L’Union Soviétique ainsi que les démocraties populaires rompent leur liens diplomatique avec Israël42. Au sein de la communauté internationale, de nombreux Etats souhaitent condamner Israël. Dès le 14 juin un projet de résolution condamnant l’action d’Israël est proposé à l’Assemblée Générale des Nations Unies mais elle sera bloquée à plusieurs reprises par le Conseil de Sécurité43. Il n’est pas aisé de déterminer le moment précis où l’image d’Israël a réellement commencée à être diabolisée, mais l’issue de la guerre des Six Jours représente bien une autre étape vers ce phénomène.
Conclusion
La guerre des 6 jours fut l’une des guerre les plus courtes mais également l’une des plus décisives de son époque. Mettant en avant la supériorité militaire de l’Etat d’Israël, cette incontestable victoire sur le champ de bataille marque pourtant une véritable défaite sur le plan diplomatique. La victoire n’a pas seulement fini d’isoler Israël sur la scène internationale, mais elle lui a aussi apporté de nouveaux défis qui restent irrésolus jusqu’à aujourd’hui.
La politique des ponts ouvert de Moshé Dayan consistant à laisser circuler librement personnes et marchandises vers la Jordanie, n’amènera pas les résultats escomptés. Les politiques mises en œuvre dans les territoires nouvellement occupés n’interviennent que sur le court terme et n’apportent aucune solution sur le long terme, ce qui posera dans le future de nombreux problèmes. L’insurrection générale est seulement repoussée mais ne sera pas évitée. Le cas de gaza illustre bien cela puisque l’occupation de ce territoire confrontera directement Israël à une importante crise humanitaire difficilement gérable. Cela créera également d’importantes tensions au sein de la population israélienne, notamment entre la gauche et la droite qui s’oppose au retrait des territoires occupés. Le retrait des troupes ainsi que des implantations juives dans Gaza effectué en 2005 n’apaisera ni les mouvements terroristes palestiniens, ni la communauté internationale, considérant que le blocus exercé par Israël s’apparente à une occupation du territoire.
Bibliographie
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WEIZMANN, Ezer, On Eagles’ Wings : The personal story of the leading commander of the israeli air force, London, Steimatzky’s Agency Ltd., 1976, 302 pages
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Notes:
1BARNAVI, Elie, Israël au XXème siècle, Paris, PUF, 1982, p.224
2Ibid., p.212
3 GEILSAMMER, Ilan, La Nouvelle Histoire d’Israël. Essai sur une identité nationale, Mayenne, Editions Gallimard, 1998, p.
4SADI ABU, p11
5ENCEL, Frédéric, THUAL, François, Géopolitique d’Israël, Paris, Editions du Seuil, 2006, p.107
6Ibid, p.364
7Ibid., p.362
8GEILSAMMER, Ilan, Op.Cit., p.306
9BARNAVI, Elie, Op.Cit., p.225
10GEILSAMMER, Ilan, Op.Cit., p.307
11Ibid., p.318
12Ibid., p.319
13JACKSON, Robert, The Israeli Air Force Story : The struggle for Middle East aircraft supremacy since 1948, London, Tom Stacey ltd, 1970, p.165
14 Ibid., p.166
15BARNAVI, Elie, Op.Cit., p.224
16Ibid., p.224
17HAZAN, Pierre, 1967 : La Guerre des Six Jours : La victoire empoisonnée, Bruxelles, Editions Complexe, 1989, p.13
18Ibid., p.18
19JACKSON, Robert, Op.Cit., p.174
20Ibid., p.175
21BARNAVI, Elie, Op.Cit., p.225
22WEIZMANN, Ezer, On Eagles’ Wings : The personal story of the leading commander of the israeli air force, London, Steimatzky’s Agency Ltd., 1976, p.208
23Ibid., p.213
24Ibid., p.214
25BARNAVI, Elie, Op.Cit., p.227
26JACKSON, Robert, Op.Cit., p.176
27WEIZMANN, Ezer, Op.Cit., p.225
28Ibid., p.226
29GEILSAMMER, Ilan, Op.Cit., p.335
30Ibid., p.335
31DE CROUSAZ, Pascal, « Le facteur démographique dans la détermination par Israël de ses frontières avec les Palestiniens », A contrario 2/2005 (Vol. 3), p.74
32Ibid., p.73
33Ibid., p.75
34DIECKHOFF, Alain, « Cinquante ans de guerres israélo-arabes », in Israël : De Moïse aux accords d’Oslo, Paris, Editions du Seuil, 1998, p.391
35JACKSON, Robert, Op.Cit., p.204
36ABU-NIDHAL, Sabr, La lutte armée arabe et l’impérialisme (1- La bataille du 5 juin 1967), l’Herne, théorie et stratégie n°4, 1970, p. 49
37ABU-NIDHAL, Sabr, Op.Cit., p. 84
38GEILSAMMER, Ilan, Op.Cit., p.345
39DIECKHOFF, Alain, Op.Cit., p.391
40GEILSAMMER, Ilan, Op.Cit., p.346
41ENCEL, Frédéric, THUAL, François, Op.Cit., p.362
42DIECKHOFF, Alain, Op.Cit.,1998, p.391
43BARNAVIE, Elie, Op.Cit., p.229
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