Kevin McKenna – The Guardian – 26/10/2013
Présentation du journal :
The Guardian, fondé en 1821, est un quotidien d’information britannique, faisant partie de la presse dite de « qualité » et dont la ligne éditoriale est de centre gauche. En effet, il fut pendant longtemps présenté comme le journal de référence de l’intelligentsia, des enseignants et des syndicalistes, surtout dans Londres, au point que lorsque les conservateurs veulent qualifier quelqu’un d’« intellectuel de gauche », ils disent que c’est un « lecteur du Guardian ».
Depuis sa création, les différents propriétaires qui se sont succédés à la tête du Guardian ont tous voulu respecter les principes dictés par John Edward Taylor, le fondateur, et pouvant être résumé par la phrase suivante : « Comment is free, but facts are sacred … The voice of opponents no less than that of friends has a right to be heard ». Ce qui signifie, les commentaires sont libres, mais les faits sont sacrés … La voix des opposants, non moins que celle des amis, a le droit d’être entendue.
Encore aujourd’hui, le Guardian se caractérise principalement par une volonté de liberté et d’indépendance, au risque de heurter son lectorat. Le tirage du quotidien britannique se monte à 400 000 exemplaires.
De plus, la version hebdomadaire du Guardian diffuse une version anglophone du mensuel français Le Monde diplomatique, et ce depuis 1999.
Présentation de l’article original : contexte et auteur
L’article intitulé « An independent Scotland must own its energy sources » renvoie à la fermeture annoncée de l’usine pétrochimique de Grangemouth en Écosse par le groupe suisse Ineos. M. Ratcliffe, entrepreneur milliardaire et fondateur du groupe Ineos, avait surpris syndicats et opinion en mettant fin à l’exploitation de l’usine, employant 800 personnes.
Une fermeture jugée « catastrophique » d’après le premier ministre écossais, Alex Salmond. En effet, le site, qui comprend également une raffinerie de pétrole fournissant 80% des besoins en fioul de l’Écosse, est l’une des plus grandes en son genre en Europe.
Ineos, qui demandait à ses salariés d’accepter un nouvel accord social en échange du maintien de l’activité sur le site, va toucher 800 salariés travaillant dans le complexe pétrochimique avec cette fermeture. Cet accord prévoyait notamment un gel des salaires de 2014 à 2016, un report des primes jusqu’en 2016 ainsi qu’une baisse du niveau des pensions. Le groupe avait été accusé de jouer l’avenir du site à la roulette russe.
Aujourd’hui, le complexe de Grangemouth est trop important pour l’économie écossaise pour être fermé en raison du caprice d’un milliardaire.
C’est dans ce contexte d’incertitudes et de tensions entre un milliardaire capricieux, M. Ratcliffe, et les partisans écossais que Kevin McKenna, correspondant en Écosse pour le journal britannique The Guardian, a rédigé cet article publié le 26/10/2013.
Traduction :
Dans une des hautes chambres de St Andrew’s House, un escadron d’élite de fonctionnaires fait ce qu’ils font de mieux : effacer les derniers vestiges négatifs persistants du texte de l’indépendance. Il ne reste plus que 30 jours avant que le SNP (Parti National Ecossais) ne publie le document qu’il espère influencera la campagne du référendum vers un vote favorable, mais il y a surement encore de la place pour un autre chapitre en rapport avec les événements de Grangemouth.
Celui-ci n’aurait pas besoin d’être très long et aurait simplement pour titre : la Renationalisation ». Le sous-titre indiquerait quelque chose comme: « Pourquoi, dans une Écosse indépendante, toutes les sources de chaleur, lumière et d’énergie doivent toujours rester la propriété du peuple Écossais ».
Le drame, de la semaine dernière, de la raffinerie de pétrole de Grangemouth ressemble aux leçons de l’histoire en marche où les acteurs font renaitre des personnages et des drames anciens et rendent ainsi un sujet ennuyeux plus vif et intéressant.
Regarder les enfants, voilà comment fonctionnaient les relations industrielles au 18e siècle. D’abord, les patrons s’en prennent à un fauteur de troubles, qu’ils accusent de propager des idées de sédition parmi les ouvriers et ils trouvent la preuve dans sa boîte à outils. Alors les ouvriers se liguent pour protéger l’ouvrier et sa famille, en menaçant de retirer leur force de travail.
Ensuite le propriétaire multimilliardaire, M. Rat, ferme l’usine et dit aux ouvriers qu’ils doivent perdre toutes les primes pour lesquels ils ont travaillé, l’argent qu’ils ont économisé pour leurs retraites sinon il supprimera leurs emplois. Alors les politiciens locaux et les ouvriers s’inclinent en avançant qu’ils n’ont pas eu l’intention de l’offenser et qu’ils accepteront gaiement toutes ses demandes s’il rouvre l’usine. Celui-ci déclare dédaigneusement qu’il y pensera alors qu’une lueur malfaisante habite ses yeux au moment où son pouce se lève et qu’il rassemble 130M£ provenant de fonds publics. Ainsi tous les autres patrons jettent leurs chapeaux en l’air et portent un toast à M. Rat, car il leur a montré comment négocier à sens unique avec des ouvriers vindicatifs.
La seule fin heureuse pour ce conte, même si M. Ratcliffe a vraiment voulu accorder à Grangemouth un sursis d’exécution, serait que, dans une Écosse indépendante, l’usine soit nationalisée.
À présent, nous ne savons pas vraiment combien Grangemouth perd chaque année parce qu’Ineos lui-même, ayant fourni plusieurs chiffres différents, ne semble pas savoir. Certains employés séniors d’Ineos prétendent même que Grangemouth est rentable. En effet John Swinney, le secrétaire financier du gouvernement écossais, et Alistair Carmichael, du ministère des Affaires écossaises à Westminster, ont prétendu que Grangemouth avait « un avenir brillant ».
Ce qui est clair est que l’on a laissé le raffinage et à la distribution d’une part significative de la provision pétrolière de l’Écosse devenir le jouet d’un seul individu. La menace d’éliminer Grangemouth et plusieurs milliers d’emplois peut être levée pour cette fois, cependant elle ne partira pas et restera au lieu de cela jusqu’à ce que les forces du marché ne jugent pas nécessaire de la remettre en jeu de nouveau. L’usine est l’esclave d’un capitalisme particulièrement toxique et sans entrave. Ceci met en danger le concept de durabilité graduelle, soit le cas où le travail d’une main-d’œuvre entretient l’usine et la population locale.
Le mot « nationalisation » a été déformé en quelque chose de laid par les forces de droite de ce pays, qui incluent désormais le Parti travailliste britannique et son projet écossais équivalent. Il véhicule l’image de patrons de syndicat militant et prenant en otage les gouvernements avec des grèves infinies dans le but d’obtenir d’énormes augmentations de salaire.
Diamétralement opposée à la Nationalisation – la vente en gros, privatisation du libre échange – a été, ne l’oublions pas, catastrophiques pour la majorité des habitants dans ce pays. Dennis Healey a initié le cycle de privatisation en 1977, quand le gouvernement travailliste minoritaire a bradé des actions de BP après que le Fonds Monétaire International ait mis la Grande-Bretagne face à ses problèmes de déficit. Quand Margaret Thatcher est arrivée au pouvoir deux ans plus tard, Healey, son allié inconscient, avait fait le sale travail d’adoucissement des Britanniques ; après quoi elle s’embarqua dans une orgie de privatisation pour équilibrer les déficits budgétaires. Au même moment elle a commencé secrètement à siphonner les réserves de pétrole de la mer du Nord afin de rembourser la dette nationale. Ainsi, elle a pu revendiquer les lauriers d’un miracle économique qui aura duré environ 20 ans et aura rendu un groupe de conservateurs riches, très riches. Un certain miracle.
Des atouts nationaux comme l’acier et le charbon ont aussi été sacrifiés sur le compte d’une épouvantable absence de leadership stratégique au sein du parti travailliste britannique et du mouvement syndical britannique. On nous faisait croire que le Roi Charbon était vieux, gris et endormi et que l’Acier britannique était contaminé. Le maintien de ces atouts nationaux dans la propriété publique aurait permis au pays d’avoir une estimation à plus long terme de leur durabilité dans le marché mondial. La Nation aurait pu profiter des augmentations futures des prix de ces marchandises, plutôt que de les laisser, elles et les communautés sur lesquelles elles reposaient, se faire dévorer par l’avidité du Commerçant et de ses acolytes.
Mme Thatcher a en effet réellement réparé l’économie – mais seulement pour les plus riches en Grande-Bretagne. On a économiquement nettoyé des centaines de milliers de gens ordinaires, des douzaines de communautés et plusieurs industries prospères pour faire que cela arrive. Le Charbon aide toujours à faire fonctionner notre monde moderne qui est toujours inondé de bateaux, tant paisibles que belliqueux. Très peu de ceci est britannique parce que la Nation s’est fait vendre un mensonge.
Alex Salmond nous a promis qu’une Écosse indépendante renationalisera le Courrier Royal, un autre atout national rentable vendu au profit de Torries avide. Il doit aussi promettre qu’une Écosse indépendante garantira la nationalisation de toutes nos sources d’énergie. Le seul gagnant a été M. Ratcliffe. Il a réussi à faire payer tant Westminster que Holyrood pour son yacht à 130M£. Je crois d’ailleurs qu’il offrira à messieurs Cameron et Salmond une semaine gratuite l’été prochain. En attendant, faites attention aux hommes très riches, qui possèdent des yachts aux armatures de chêne, qui vous prédisent le pire et notamment que cette année Noël a été annulé. Creusez plus profond si vous voulez la vérité.
Commentaire :
Appelé à s’exprimer devant le Parlement, le ministre de l’Énergie britannique du gouvernement Cameron, Edward Davey, a assuré que le gouvernement était attristé par la décision d’Ineos et a jugé regrettable que l’entreprise et les syndicats ne soient pas parvenus à un accord juste et équitable. Le ministre a donc appelé à la poursuite du dialogue et a proposé l’aide du gouvernement britannique, en insistant sur le fait qu’il souhaite que l’usine reste ouverte.
M. Davey a assuré qu’il travaillait, avec l’ensemble du gouvernement écossais, afin que carburants et fioul de chauffage soient acheminés en Écosse.
Cependant, regrettant une annonce très décevante, le premier ministre écossais, Alex Salmond, a souligné que son gouvernement allait examiner l’option d’une vente de façon urgente. Ainsi, le gouvernement écossais croit fermement que le site a un avenir et va travailler avec le gouvernement britannique et toutes les parties concernées afin de trouver une solution qui soutiennent les salariés touchés et l’ensemble de l’économie écossaise.
L’heure est encore aux négociations du côté de Grangemouth, où les syndicats devraient faire d’importantes concessions financières, afin d’��viter la fermeture définitive de l’usine.
De plus, Ineos se prépare à exploiter, d’ici 2015, de l’éthane issu du gaz de schiste sur le site de Grangemouth en fermant définitivement des unités sur son complexe écossais. De quoi soulever la colère des écologistes à présent
Maxime Achard
Article original :
http://www.theguardian.com/commentisfree/2013/oct/26/independent-scotland-must-own-energy
Étiquettes : ecosse, énergie, Europe, Grangemouth, Guardian, Union Européenne