Fiche – Principe d’ingérence

le droit d'ingérence

 

Le principe d’ingérence

« Nous assistons aujourd’hui – lentement, mais je le crois, surement- à l’émergence d’une norme internationale prohibant les formes de répressions violentes à l’encontre d’une catégorie ou d’un peuple. Cette norme doit prendre – et prendra- le pas sur les souverainetés des Etats » [1]. Cette citation de Kofi Annan, ancien Secrétaire Général des Nations Unies, révèle bien le contexte dans lequel le principe du droit d’ingérence a évolué. Le droit d’ingérence a ainsi pu émerger comme un principe du droit international par la rencontre d’une démarche humaniste et d’une volonté politique.

Ainsi, l’ingérence se définit comme étant une « intervention non désirée dans les affaires d’une tierce partie. L’ingérence peut s’effectuer au niveau individuel, organisationnel, ou international. Elle peut aussi prendre diverses orientations : politique, économique, sociale, culturelle, religieuse, et humanitaire »[2] (Définition Perspective Usherbrooke).

Dans le cadre de ce dossier nous nous concentrerons essentiellement sur l’ingérence humanitaire qui est la forme d’ingérence la plus développée aujourd’hui et la seule qui est plus ou moins tolérée par la communauté internationale.

Nous pouvons alors définir l’ingérence humanitaire, que nous généraliserons sous le terme d’ingérence, comme étant la « faculté d’intervention sur le territoire d’un Etat, que le Conseil de Sécurité des Nations Unies s’attribue ou autorise, lorsque des violations graves du droit humanitaire ou des droits de l’Homme s’y commettent »[3] (Définition Encyclopédie Universalis).

Cependant il paraît important de différencier deux notions qui se ressemblent beaucoup : le « droit d’ingérence » et le « devoir d’ingérence ». Ainsi, le droit d’ingérence est le droit des États de violer la souveraineté nationale d’un autre État, en cas de violation massive des droits de la personne, tandis que le devoir d’ingérence, plus contraignant, fait référence à l’obligation morale faite à un État de fournir son assistance en cas d’urgence humanitaire.

De ce fait, afin de mieux comprendre le développement de l’ingérence au cours des dernières décennies et les enjeux qui lui sont associés, nous allons diviser la présentation en trois parties. Tout d’abord, nous reviendrons sur l’historique du concept de droit d’ingérence ; puis nous réaliserons un panorama du droit d’ingérence afin d’en connaitre les caractéristiques, les évolutions et les différentes formes qu’elle peut prendre ; enfin, nous ferons un point sur les enjeux actuels liés à l’ingérence humanitaire

Historique du concept de « droit d’ingérence »

L’ingérence humanitaire est un concept ancien, même si à l’époque il n’était pas connu sous cette dénomination.

Au XVIIème siècle, Hugo Grotius, juriste à l’origine des fondements du droit international, parlait déjà « d’un droit accordé à la société humaine pour intervenir dans le cas où un tyran ferait subir à ses sujets un traitement que nul n’est autorisé à faire »[4]. Au XIXème siècle, on évoquait désormais la notion « d’intervention d’humanité », qui autorisait déjà une grande puissance à agir dans le but de protéger ses ressortissants ou des minorités (ethniques ou religieuses) qui seraient menacées. Ensuite, s’est vu développer l’« intervention humanitaire », c’est-à-dire toute action humanitaire mise en place ou acceptée par la communauté internationale en faveur d’une population dont les droits fondamentaux sont violés. Il peut s’agir soit de la protection des nationaux de l’Etat qui intervient, soit la protection des nationaux de l’Etat dans lequel l’intervention a lieu, soit une protection mixte qui protège les minorités. C’est donc dans le prolongement de « l’intervention humanitaire » que s’est développée la notion « d’ingérence humanitaire », concept qui a été théorisé seulement dans les années 1980.

Ainsi c’est au cours du XXème siècle qu’est née l’appellation « ingérence humanitaire ».  Monsieur Bernard KOUCHNER, médecin et cofondateur de Médecins Sans Frontières et Médecins du Monde, a joué un rôle important dans l’émergence de cette notion.

De ce fait, en 1967, a eu lieu ce que l’on pourrait considérer comme la première manifestation d’ingérence. Le Nigéria était dans une situation quelque peu controversée. Le pays venait de découvrir du pétrole dans la région du Biafra, cependant les habitants de cette région demandent leur indépendance. Indépendance que le Nigéria refuse d’accorder car le pays ne veut pas perdre cette zone riche. Le gouvernement décide donc d’imposer un embargo sur sa propre population, qui entrainera 2 millions de morts et d’affamés. KOUCHNER décide donc de dénoncer l’immobilité des chefs d’Etats face à cette situation en raison du principe de non-ingérence, inscrit dans les textes de l’ONU. Il décide alors d’intervenir au Nigéria avec son ONG, Médecins Sans Frontières, pour apporter des soins au peuple. C’est alors qu’a eu lieu la première ingérence. Par cette intervention KOUCHNER a voulu montrer que la violation massive des droits à la personne engendrait une remise en cause de la souveraineté de l’Etat en question et que ceci autorisait de facto l’intervention d’acteurs extérieurs.

Suite à cela le concept a été formalisé dans les années 1980 par Jean-François REVEL qui fut le premier à parler de « devoir d’ingérence » dans un article du magazine « L’Express » en 1979. Le terme fut repris un an plus tard par Bernard-Henry LEVY au sujet de la situation au Cambodge (génocides du régime Khmer rouge). Enfin, c’est en 1988, lors d’une conférence de Mario BETTATI et Bernard KOUCHNER, qu’apparait pour la première fois la formulation « Droit d’ingérence ». Ce concept a alors été fortement promu au sein de l’ONU par ses deux « auteurs ».

Depuis, deux résolutions ont été votées par l’Assemblée Générale des Nations Unies afin de préciser l’application du droit d’ingérence : la résolution 43/131, adoptée le 8 décembre 1988, qui introduit « l’assistance humanitaire aux victimes de catastrophes naturelles et de situation d’urgence de même ordre » ; et la résolution 45/100, adoptée le 14 décembre 1990 qui rend légitime le droit d’ingérence : « Le temps de la souveraineté absolue et excessive est révolu » a alors lancé le secrétaire général de l’ONU en activité, Boutros Boutros-Ghali. De même, on retrouvait déjà cette idée dans le Chapitre 7 de la Charte des Nations Unies, qui permet d’intervenir dans les affaires internes d’un pays en cas de menace « contre la paix ». Le droit d’ingérence vient donc appuyer et illustrer ce chapitre 7. La formule « droit d’ingérence » a donc été consacrée, dès1991, avec l’opération « Provide Comfort » qui avait pour but de porter secours aux Kurdes d’Irak. En décembre 1992, c’est également au nom du « droit d’ingérence » qu’a été engagée l’opération « Restore Hope » qui visait à mettre fin à la situation tragique de la Somalie.

Enfin, depuis le 16 septembre 2005, le droit d’ingérence bénéficie d’une nouvelle dénomination qui est « La responsabilité de protéger ». Cette nouvelle appellation, renvoie à la notion de « devoir d’ingérence ». Ainsi, le droit d’ingérence va au-delà de la souveraineté des Etats pour imposer un « devoir d’assistance au peuple en danger ». Il s’agit ici de placer la souveraineté des Etats sous la subordination d’une « morale de l’extrême urgence » dans le but de protéger les droits fondamentaux de la personne.

 

Un panorama de l’ingérence humanitaire

Les éléments du droit d’ingérence 

Mario BETTATI a lieu identifier seuls deux éléments caractéristiques de l’ingérence :

  •  L’atteinte à la compétence nationale de l’Etat
  • La contrainte

Cependant, nous pouvons identifier cinq éléments constitutifs du « droit d’ingérence » :

  • Le principe de libre accès aux victimes de catastrophes naturelles et politiques, pour les organismes porteurs de secours
  • Un usage éventuel de la force pour protéger les convois humanitaires
  • Une intervention armée possible pour protéger les victimes
  • Dans ces deux derniers cas, seule une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU peut autoriser l’usage de la force militaire
  • Des poursuites judiciaires internationales à des fins préventives et de répression se développent progressivement (ex : Cour Pénale Internationale)

L’évolution de l’ingérence dans le temps

Nous pouvons identifier quatre périodes dans la construction de l’ingérence humanitaire :

  • L’ingérence immatérielle (1948-1968) : période caractérisée par l’universalité des Droits de l’Homme et il s’agit donc d’une ingérence qui autorise un Etat ou la communauté internationale à prendre position sur la situation interne d’un autre Etat. Il s’agit donc d’un « droit de regard » sur la situation interne d’autres pays.
  • L’ingérence caritative (1968- 1988) : sur cette période, les opérations transfrontalières se déroulent soit avec l’accord de l’Etat touché soit par des franchissements de manière illégale des frontières de l’Etat par des ONG qui agissent sans mandats. La sécurité des acteurs n’était donc pas garantie.
  • L’ingérence matérielle (depuis 1988, après l’affirmation du principe de droit d’ingérence)
  •           Ingérence forcée : intervention à des fins d’assistance mais jamais consentie par l’Etat, ou alors le consentement est le fait de pressions préalables. Ici, la sécurité des ONG et des autres intervenants est assurée par la communauté internationale (Etats, agents de l’ONU…) Ce type d’ingérence met en jeu la force militaire ou la diplomatie pour parvenir, par la pression, à la cessation des manquements aux droits de l’Homme.
  •          Ingérence dissuasive : nécessiterait la mise en place d’un dispositif dissuasif et de prévention des drames humanitaires donc des conflits.

Les types et formes d’ingérence

Nous pouvons identifier deux grands types d’ingérence humanitaire :

  • L’ingérence humanitaire non armée
  • L’ingérence humanitaire armée, qui est l’encadrement de l’aide humanitaire avec des opérations d’usage de la force. C’est le type d’ingérence le plus discuté, en raison de l’article 2.4 de la Charte de l’ONU qui prohibe le recours à la force armée.

Il existe aussi trois formes d’ingérence applicables à l’ingérence humanitaire :

  • L’ingérence avec l’accord de l’Etat qui subit l’ingérence
  • L’ingérence en dehors de tout accord de l’Etat concerné
  • L’ingérence en cas d’inexistence de structure étatique

Il convient de noter que l’ingérence humanitaire peut être le fait d’un ou plusieurs gouvernements ou celui de la communauté internationale.

 

Les enjeux actuels de l’ingérence

Le droit d’ingérence engendre de nombreux questionnement tant au niveau de sa licéité et de sa légitimité, qu’au niveau de ses motivations.

Ainsi, ni le droit d’ingérence ni le devoir d’ingérence n’ont d’existence dans le droit humanitaire international. Les partisans du droit d’ingérence considère que l’intervention est légale parce qu’elle tire sa légitimité de l’adjectif « humanitaire ». Ses opposants, quant à eux, refusent de reconnaitre cette légitimité car il n’y a aucun fondement légal puisque aucune définition précise du droit d’ingérence ou des conditions de son utilisation n’est donnée dans les textes des Nations Unies. Ils avancent aussi l’argument que l’ingérence s’est construite en totale imposition avec les principes fondamentaux de souveraineté des Etats et du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures de ces derniers qui sont inscrits dans le Traité de Westphalie de 1648 et dans l’article 2.7 de la Charte des Nations Unies. Les opposants craignent alors que l’acceptation et la légitimation du droit d’ingérence entrainent un développement des interventions unilatérales.

Cette crainte est d’autant plus renforcée par une application sélective du droit d’ingérence, d’une vision « deux poids- deux mesures ». Le droit d’ingérence n’est-il pas un moyen de donner bonne conscience à l’Occident en lui donnant, une nouvelle fois, la possibilité de s’instaurer en modèle et de qualifier de « barbares » ceux qui refusent d’adopter leur modèle ? Nous pouvons remarquer que ce sont les pays développés qui interviennent dans les pays les moins développées et non l’inverse. Les USA et la France se positionnent comme des pays à vocation universaliste et s’autorisent, à ce titre, d’intervenir dans d’autres pays au nom du droit d’ingérence. Cependant, une question importante se pose : les Etats, en dehors de tout mandat de l’ONU, sont-ils légitimes d’intervenir seuls ? En effet, la légitimité d’une intervention au nom du droit d’ingérence vient du fait que ce soit le Conseil de Sécurité de l’ONU qui ait autorisé ou demandé à certains pays d’intervenir. Cependant, ceci n’empêche pas certains Etats d’intervenir sans l’accord du Conseil de Sécurité et d’être, par la suite, légitimé par la communauté internationale.

De plus, beaucoup craignent que le droit d’ingérence soit l’outil d’une nouvelle forme d’impérialisme. Ils voient dans l’ingérence humanitaire un outil de « l’ingérence démocratique », c’est à dire la volonté de traduire les idéaux de la démocratie occidentale. C’est justement en prévision de ces comportements qu’avait été créé le principe de non-intervention qui avait pour avantage de protéger les pays les plus faibles contre les interventions d’Etats plus puissants. C’était alors un moyen de mettre fin au colonialisme et à l’impérialisme occidental qui avait pris comme prétexte l’humanité civilisatrice afin de pouvoir mener leurs conquêtes territoriales. Aujourd’hui la négation du principe de non-ingérence par l’établissement du droit d’ingérence, laisse penser à une fausse « bonne morale ». Les opposants du droit d’ingérence ont ainsi peur que, sous des prétextes humanitaires (« bonne morale »), les pays cherchent à justifier des formes d’ingérence démocratique, écologique ou judiciaire. Par exemple, l’intervention des USA en Irak en 2003 soulève des débats à savoir si cette intervention n’était pas faite pour la promotion des intérêts nationaux.

Enfin, en raison de la forte médiatisation des questions humanitaires, et notamment celles liées à l’ingérence, il y a un risque que les zones d’intervention soient essentiellement des zones bénéficiant d’une couverture médiatique importante et de la compassion de l’opinion publique, tout en occultant l’aspect humanitaire de l’intervention.

 

 

Ainsi, pour conclure, nous avons pu voir à travers ce dossier que le principe d’ingérence n’est pas une idée nouvelle, elle était déjà développée au XVIIème siècle mais ce n’est qu’au XXème siècle que le droit d’ingérence fut véritablement reconnu. L’ingérence peut vêtir plusieurs noms selon la fonction qu’elle vise, mais l’ingérence la plus répandue et surtout la seule tolérée, est l’ingérence humanitaire. Nous avons pu voir qu’au cours de son évolution l’ingérence humanitaire a évolué jusqu’à la forme que nous connaissons aujourd’hui : l’ingérence matérielle. Cependant, ses applications contemporaines soulèvent quelques questionnements notamment au niveau de la légitimité et de la légalité ; mais aussi au sujet de l’usage de la force dans le cadre d’une ingérence humanitaire.

Nous pouvons donc dire que le droit d’ingérence s’inscrit dans un nouvel ordre mondial, plus large, et régi par des principes démocratiques, d’Etat de droit et de respect de la personne humaine. Ce droit d’ingérence tend donc à instaurer une moralisation des relations internationales.

 

 

Bibliographie – Sitographie

  • Bibliographie :

 

–          M.BELANGER – Droit international humanitaire général – 2e édition, Edition GUALINO (2007), (156p)

 

  • Sitographie :

 

–          Définitions :

 

–          Contenu :

http://doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/Etudiants/Memoires/Cyberdocs/MFE2001/demaugebosta/these_body.html

 


[1] Kofi Annan, « Droits de l’homme et intervention au XXIème siècle », contribution spéciale au Rapport mondial sur le développement humain 2000, Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), www.undp.org.

[2] Université de Sherbrooke – Perspective monde – Définition de « Ingérence »,

[3] Mario BETTATI, « INGÉRENCE DROIT D’INGERENCE», Encyclopædia Universalis

[4] Hugo Grotius- De Jure Belli ac Pacis (1625)

A propos Marie-Mélodie MOUNIER 1 Article
étudiante Master1 Management Internatonial - IAE de Lyon

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