L’impact des activités mafieuses sur l’économie italienne

INTRODUCTION

Entre 2005 et 2008, l’impact négatif des organisations criminelles s’élevait à 16,5% du PIB de l’Italie, d’après la Banque d’Italie.

Historiquement les activités mafieuses italiennes ont débuté dès l’unification de l’Italie (1861) en Sicile. En effet ces organisations ont été créées afin de protéger les exploitations agricoles et les producteurs de souffre après la fin du système féodal. La Mafia était alors une protection privée pour des acteurs économiques privés mais la finalité de cette organisation est rapidement devenue la protection ses propres intérêts et activités économiques. Ces organisations se sont ensuite développées jusqu’à aujourd’hui, même si elles ont presque été éliminées sous le régime fasciste de Mussolini. La Mafia a aussi résisté aux lois et poursuites judiciaires au début des années 1990, cette lutte a dramatiquement pris fin lors de l’assassinat du juge Giovanni Falcone (1992).

Aujourd’hui les activités mafieuses sont principalement concentrées dans les régions du Sud de l’Italie. Les trois principales organisations sont la « Cosa Nostra » en Sicile, la « Camorra » en Campanie et la « ‘Ndrangheta » en Calabre. Ces régions sont également les plus pauvres de l’Italie (voire cartes ci-dessous) et nous allons donc examiner quels sont les différents effets des activités mafieuses sur l’économie italienne.

Répartition géographique

                                                                                         Des activités criminelles            Du PIB par habitants

Afin d’analyser cet impact, nous allons étudier les différentes voies par lesquelles les Mafias intervient directement dans l’économie (sur les marchés des biens et des services). Puis nous allons étudier les conséquences pour le développement des entreprises implantées en Italie, pour les investissements étrangers dans ces régions et pour le développement économique de l’Italie.

I – INTERVENTIONS DIRECTES SUR LES MARCHES DE BIENS ET SERVICES

En 2008, le « chiffre d’affaires » des Mafias italiennes étaient de 135miliars d’euros. Cette estimation provient de SOS Impresa, une association d’entreprises créée en 1991 à Palerme, qui a pour finalités de soutenir les dirigeants victimes des organisations criminelles et de changer la législation italienne. Le principal moyen d’action de cette association est de communiquer sur l’impact des mafias, ces rapports donnent un diagnostic précis et documenté de la situation.

Secteurs économiques concernés

Premièrement, il est important d’expliquer pourquoi les Mafias ont leurs propres entreprises ou ont le contrôle sur des entreprises légales. Ces activités licites procurent deux avantages : elles génèrent des bénéfices et permettent de blanchir de l’argent. En 2009, 595 entreprises ont été saisies par la justice lors d’enquêtes contre les organisations criminelles. En examinant les entreprises saisies pendant les 3 dernières années nous pouvons avoir une vue d’ensemble des secteurs économiques où les mafias sont directement impliquées, comme nous pouvons le constater dans le graphique suivant :

Source : SOS Impresa

D’après ce graphique, nous pouvons constater que les organisations criminelles ont des entreprises dans de nombreux secteurs économiques. Mais les mafias interviennent aussi en prenant le contrôle d’organisation légale et nous allons examiner plusieurs de ces cas.

Moyens d’interventions

Le secteur de la distribution en Sicile est un cas intéressant où les Mafias ont obtenu le contrôle sur un investissement légal. Le mécanisme, décrit par SOS Impresa est le suivant : quand des entreprises multinationales, comme les entreprises françaises Carrefour et Auchan ou une entreprise italienne comme Iper, veulent ouvrir un nouvel hypermarché ou un supermarché en Sicile et qu’ils recherchent un directeur de magasin, presque tous les candidats sérieux sont Mafiosi. C’est ainsi que la Mafia obtient le contrôle sur ces investissements légaux. À cause de ce contrôle, des hypermarchés légaux deviennent “un lieu extraordinaire pour le blanchiment d’argent” selon le procureur de Palerme, Roberto Scarpirato.

Une autre méthode, pour contrôler les entreprises, est le “Pizzo”. C’est une sorte de système de taxes basé sur l’intimidation. Il y a 3 types d’extorsions : taxes, contribution à l’organisation criminelle et le paiement en nature. Les taxes sont souvent un pourcentage du chiffre d’affaires (la moyenne est 2 ou 3 %). La contribution à l’organisation criminelle consiste souvent à aider des familles de prisonniers ou à payer des frais judiciaires. La contribution en nature peut prendre des aspects divers, par exemple un restaurant à Palerme a été forcé d’organiser le mariage et le baptême des membres d’une Mafia. Ce contrôle par l’intimidation est très important dans quelques villes. En effet, selon une évaluation, la proportion des entreprises qui payent le “Pizzo” est de 50 % dans Napoli, 70 % dans la Calabre et 80 % à Palerme. Nous allons, désormais, détailler les conséquences économiques dans la partie suivante.

II –  CONSÉQUENCES SUR LES INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS, LES ENTREPRISES ET L’ECONOMIE ITALIENNE

Dans cette partie, nous allons examiner les conséquences sur le développement de l’Italie en termes de coût pour des entreprises, de risque pour les investissements étrangers et d’impact sur l’économie italienne. Afin d’observer quantitativement l’effet des Mafias sur l’économie, nous analyserons le développement de deux régions particulières avec la méthode de contrôle synthétique.

Impact sur les entreprises italiennes

Comme nous l’avons vu le système du « Pizzo » peut représenter un coût important pour les entreprises mais il y a un autre type d’impact sur l’économie italienne : la contrefaçon et les trafics illégaux. En effet la valeur des produits contrefaits en Italie est évaluée à 18 milliards d’€ par an. Ces activités affectent de nombreux secteurs industriels comme les vêtements, les produits électroniques, les jouets, la cosmétique, les produits alimentaires et les médicaments. La contrebande concerne principalement les cigarettes (opération Diabolo), les trésors archéologiques (opération Ghelas) et le trafic d’essence. Selon la police italienne, 260tons de cigarettes ont été importées illégalement d’Europe de l’Est en 2008. En effet un trafic d’essence entre la Tunisie et Palerme a été découvert en 2008 par la police italienne, il s’agissait d’un système de grands réservoirs cachés dans des camions de légumes ou de fruits. Par conséquence, la  contrefaçon et la contrebande ont un effet négatif sur le chiffre d’affaires des entreprises légales.

Un autre impact négatif est l’effet sur le taux d’intérêt des banques, les banques ont des difficultés pour évaluer les candidats à un prêt, donc ils exigent des garanties très élevées et augmente les taux d’intérêts. Selon la Banque de l’Italie ce taux est 30 fois plus haut dans les zones victimes des activités criminelles .

Par ailleurs, la sécurité privée représente également un coût important pour les entreprises : les marchés des systèmes de sécurité et des honoraires d’assurances sont continuellement la croissance en Italie. La cause : 360 hold-up et cambriolage sont commis tous les jours pour une valeur annuelle totale de 1.8 milliards de € (en 2009) . Ces coûts additionnels ont donc un impact négatif substantiel sur ces entreprises, mais aussi sur les investissements directs étrangers et nous allons examiner cet impact dans la partie suivante.

Conséquences pour les investissements étrangers

Afin de comprendre les conséquences sur les IDE, nous allons analyser le facteur qui favorise l’attraction des IDE. Selon Vittorio Daniele, les 5 déterminants principaux (au niveau de régional) sont le coût de la main-d’œuvre, le marché local, l’infrastructure et le risque  sécuritaire :

 

Tableau 1: Déterminants d’attrait des investissements étrangers (au niveau régional)

Source : Vittorio Daniele. 2005

La répartition géographique des investissements étrangers, entre 2000 et 2003, était la suivante :

Tableau 2: Répartition des investissements étrangers en Italie

Source : Vittorio Daniele. 2005

Afin de comprendre cette grande différence, nous pouvons analyser la situation en comparant la performance des régions du sud avec la moyenne du pays (régions du sud inclues). Ce tableau illustre ces différences avec utilisation des déterminants à l’attrait des investissements étrangers (tableau 1) :

Tableau 3 : Situation des régions du sud

8 régions du sud

Coût du travail

Chômage

Niveau d’éducation

R&D

Infrastructure

Criminalité

Calabria

84.4

245.6

9.6

34.6

72.4

214.6

Sicilia

91.9

214.9

19.2

70.8

79.2

206.8

Puglia

84.6

166.7

12.8

90.5

77.6

148.4

Campania

91.5

207.9

14.6

89.1

98.1

135.3

Sardegna

94.4

184.2

13.4

85.2

51.4

117.0

Basilicata

86.6

150.0

20.6

66.3

39.5

116.9

Molise

91.6

142.1

9.8

25.6

51.9

105.7

Abruzzo

90.4

88.6

86.7

87.6

86.9

88.8

Italie (indice)

100

100

100

100

100

100

 

Source : Vittorio Daniele. 2005: 

Comme nous pouvons le voir dans ce tableau, les régions du sud ont un avantage compétitif pour le coût de la main-d’œuvre. Mais malgré cet avantage, le développement de ces régions est à l’arrêt. Selon une enquête réalisée par Marini et Turato (2002) sur un panel composé de directeurs italiens des régions du Nord-est, 92 % pensent que la criminalité est le problème principal pour l’investissement dans des régions du sud. En effet comme nous avons vu dans la partie précédente, les activités criminelles augmentent les coûts pour des entreprises légales. Donc des organisations criminelles sont un désavantage compétitif substantiel pour ces régions, ce qui a de lourdes conséquences pour l’économie italienne comme nous allons voir dans la partie suivante.

Impact pour l’économie italienne

Donc, nous avons examiné les conséquences pour les entreprises et sur les investissements étrangers, dans cette partie nous allons utiliser la méthode du contrôle synthétique (synthetic control) afin d’analyser quantitativement l’effet des Mafias sur l’économie italienne. Paolo Pinotti (2012) a étudié l’histoire économique des régions Puglia et Basilicata, où les mafias siciliennes et napolitaines ont développé leurs activités pendant les années 1970. En effet, avant les années 1970 ces deux régions avaient la croissance économique la plus élevée d’Italie et après cette période elles avaient la plus faible. La méthode de contrôle synthétique consiste à comparer le développement de ces deux régions avec une moyenne pondérée d’autres régions moins affectées par les activités criminelles, le contrôle synthétique fournit donc un scénario contre factuel. Comme nous pouvons voir sur cette table et ce graphique la différence entre entre la PIB réel et le scénario contre factuel est de 16.2 % en 2007, donc le PIB en 2007 est par personne 16.2 % inférieurs qu’il devrait être sans la présence des organisations criminelles.

Graphique 2 : Le PIB par habitant dans les régions traitées comparé aux contrôle synthétique

Source : Paolo Pinotti, 2012 

Comme nous pouvons le constater sur ce graphique, le point de départ de cette différence correspond au moment où le nombre de meurtres a augmenté dramatiquement au milieu des années 1970.

Graphique 3 : Parallèle entre le nombre de meurtres et le contrôle synthétique

Source : Paolo Pinotti.2012

Donc, selon cette étude nous pouvons observer et quantifier le lien entre la criminalité et ralentissement de la croissance économique régionale. En effet, la méthode de contrôle synthétique montre que le PIB en 2007 est par personne 16.2 % inférieur qu’il devrait être sans les activités criminelles.

CONCLUSION

Nous avons donc constaté que les organisations criminelles ont un impact considérable sur l’économie italienne. En effet la Banque d’Italie a évalué l’effet négatif de la Mafia à 16.5 % du PIB italien. Nous avons examiné les différentes voies par lesquelles les Mafias interviennent directement dans l’économie sur le marché des biens et des services. En effet, nous avons vu que des organisations criminelles ont des entreprises dans des secteurs économiques divers et qu’ils agissent aussi directement par le contrôle des entreprises légales avec le système d’intimidation nommé le “Pizzo”. Ensuite nous avons analysé les conséquences pour les investissements directs étrangers en Italie, le développement du pays et des entreprises implantées en Italie. Ces interventions représentent un coût important pour les entreprises en Italie. Ces coûts additionnels ont donc un impact négatif substantiel sur ces entreprises mais aussi sur l’investissement direct étranger. En effet, pendant la période de 2000 à 2003, 67 % de FDI sont réalisés dans les régions du nord-ouest, spécifiquement à Milano, cette ville a reçu 46% du total des IDE en Italie. Pendant la même période, les 8 régions du sud ont reçu un total de 1.1 % du FDI comme nous pouvons voir. Malgré un avantage compétitif pour le coût de la main-d’œuvre, le développement de ces régions traîne et cela peut expliquer la différence de FDI entre des régions. Afin d’évaluer quantitativement l’effet des Mafias sur l’économie, nous avons étudié l’application de la méthode du contrôle synthétique sur ces deux régions : Puglia et Basilicata. Avant les années 1970 ces deux régions avaient la croissance économique la plus élevée en Italie et après qu’elles avaient la plus faible. La différence entre la réalité et le scénario contre factuel est donc aujourd’hui de 16.2 % en 2007, donc le PIB par personne en 2007 est 16.2 % inférieurs à ce qu’il devrait être sans activités criminelles.

 


  Références

Tarantola. A. (2012), “Dimensione dale attività criminali, costi per l’economica, effetti della crisi economica” (en italien), Parlementarian Antimafia Commission, 06.06.2012 : 3-8.

Pinotti, P. (2012), “The economic costs of organized crime: evidence from southern Italy” (en anglais), Banca d’Italia, Temi di discussion number 868, 04.2012: 4-34.

SOS Impresa (2010), “Le mani della criminalità sulle imprese” (en italien), XII editions: 3-117.

Daniele, V. (2005), “Perchè le imprese estere non investono al Sud?” (en italien) : 2-16.

Marini D., F. Turato (2002), “Nord-Est e Mezzogiorno: nuove relazioni, vecchi stereotipi”, Rapporti Formez-Fondazione Nord-Est, aprile (en italien).

 


 

 

1 Commentaire

  1. Tu ne parles pas pas du traffic de déchets qui peut sembler déloyal pour les entreprises légales et créer un frein à leur dvt et les appels d’offre indéscents qui leur permet de contrôler toutes les régions et pour finir tu ne parles pas de la corruption qui provoque un frein à la délocalisation. Sinon c’est super interessant , merci pour les stats

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