Troubles politiques récurrents dans les eaux paradisiaques des Maldives

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Des manifestations dans la capitale ont donné lieu à l’arrestation de plusieurs opposants au régime. – Mohamed Sharuhaan/AP/Sipa

Que connaissez-vous véritablement des Maldives ? Un simple décor de carte postale où règne la détente ? C’est effectivement un paysage de rêve avec une eau turquoise qui attend les touristes. Pourtant ce pays, oublié des relations internationales, connait depuis le début du mois un chaos politique dénoncé timidement par l’ONU d’« attaque contre la démocratie ». Comme le préconise France Diplomatie, nous ne pouvons aujourd’hui que vous déconseiller d’aller vous prélasser sous le soleil de ce micro-Etat. L’actuel président de la république, Abdulla Yameen, musèle l’opposition, réprime violemment les manifestations et vient de supprimer le contre-pouvoir de la chambre suprême et de la chambre législative. La température géopolitique a véritablement monté d’un cran. Explications :

Le 1er février 2018, la Cour suprême du micro-État de l’océan Indien a ordonné la libération de neuf opposants politiques emprisonnés. Elle a également demandé le retour au Parlement de douze députés de l’opposition qui avaient été évincés. Par cette décision, le parti du président Abdulla Yameen, arrivé au pouvoir dans des conditions douteuses en 2013, perd de ce fait immédiatement la majorité. Les hauts magistrats ont également annulé les poursuites qui avaient été engagées contre le précédent président des Maldives, Mohamed Nasheed, le seul à avoir été élu démocratiquement en 2008 et qui est en exil depuis cinq ans à Londres.

Photo de l’actuel président des Maldives Abdulla Yameen Résultat de recherche d'images pour "les maldives crise politique"

La réponse du président Abdulla Yameen ne s’est pas fait attendre. Durant la semaine qui a suivi cette annonce, il a fait arrêter Maumoon Abdul Gayoom, son demi-frère, ancien président de la République récemment passé dans l’opposition, ainsi que le président de la Cours suprême Abdulla Saeed, et un autre juge de haut rang, Ali Hameed. Depuis le samedi 4 février l’unique chambre législative est suspendue. Le lendemain il a annoncé l’état d’urgence ce qui lui permet de mettre davantage la main sur l’autorité policière et militaire, tout en accroissant leurs pouvoirs de répression. Sous cette violente pression, la Cour suprême, réduite donc de cinq à trois juges, a finalement annoncé sa décision de revenir sur son arrêt ordonnant la libération des neuf opposants «à la lumière des inquiétudes exprimées par le Président». Pour finir, plusieurs médias ont été menacés de fermeture s’ils mettaient en danger la « sécurité nationale » alors qu’au même moment des manifestations sont réprimées. L’archipel des Maldives plonge donc dans le despotisme à moins d’un an des prochaines élections.

Le principal rival politique de l’actuel président est Mohamed Nasheed. Ancien président du pays (2008-2012), Mohamed Nasheed avait échoué à sa réélection lors des dernières présidentielles considérées comme douteuses. Il avait été ensuite condamné en 2015 à 13 ans de prison pour terrorisme. Un jugement politiquement motivé selon les Nations Unies, d’autant qu’à la même période tous les opposants ont été écartés. Incarcéré, Mohamed Nasheed avait obtenu l’asile au Royaume-Uni l’année suivante à la faveur d’une permission médicale.

Mohamed Nasheed, qui s’est désormais allié avec Maumoon Abdul Gayoom également ancien président de la République (cf photo ci-dessous), a demandé l’aide des Etats-Unis et de l’Inde pour écarter l’actuel président de la République. Il a déclaré : « Le président Yameen a illégalement déclaré la loi martiale et s’est emparé de l’État. Nous devons l’évincer du pouvoir.».

Pour rappel l’Inde était déjà intervenue militairement au Maldives en 1988 pour éviter un coup d’Etat. Désormais les affinités politiques, notamment concernant les valeurs démocratiques, se partagent davantage avec l’opposition qu’avec le pouvoir maldivien actuel. Mais le lien économique entre les deux nations demeure majeur voir vital pour l’archipel.

Inversement, durant son mandat, Abdulla Yameen s’est fortement rapproché de la Chine et de l’Arabie saoudite et pourrait juger qu’il est suffisamment soutenu pour traverser de cette crise. Pékin n’a d’ailleurs pas tardé à mettre en garde contre toute tentative d’ingérence. « La communauté internationale devrait jouer un rôle constructif dans le respect de la souveraineté des Maldives plutôt qu’en prenant des mesures qui pourraient compliquer la situation actuelle », a déclaré le Ministère chinois des Affaires Etrangères. La Chine se rapproche depuis plusieurs années de l’archipel des Maldives, surtout grâce à son fort levier économique. Ce rapprochement n’est pas désintéressé. Il permet au président Yameen de s’émanciper de la tutelle de l’Inde. Pour Pékin, il contribue à poursuivre le tissage de son « collier de perles » s’intégrant dans les futures routes de la soie. Les Maldives ne seraient donc qu’un pion de l’échiquier géopolitique régional. Aurions-nous bientôt à faire à une guerre par procuration entre l’Inde et la Chine ?

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Carte des Maldives dans l’océan Indien

Pour le moment, les tensions semblent gelées mais le problème politique persiste. Sous fond de manifestations populaires l’actuel président s’attache au pouvoir et met temporairement la communauté internationale en alerte. Pourtant, la série tumultueuse que connait les Maldives n’est pas la première de sa courte existence. Pour davantage comprendre les tensions actuelles il nous faut remettre en perspective le parcours de ce micro-Etat.

Historiquement les Maldives, s’étendant sur 21 372,72 km² dont uniquement 298 km² sont des terres émergées, est un sultanat de 370 000 habitants. Au début de son existence, ce petit pays insulaire a connu une période d’occupation portugaise de 15 ans et a été également, juste avant son indépendance en 1965, un protectorat britannique garantissant l’existence du sultanat islamique. La deuxième République des Maldives fut proclamée le 11 novembre 1968. Désormais, la Constitution de 1997 a fait des 26 atolls et 3 îles composant les Maldives une République, où l’Islam est la religion d’État. Sa législation est basée sur la charia. C’est une République présidentielle, dans laquelle le président est à la fois chef de l’État et chef du gouvernement, ce dernier exerçant le pouvoir exécutif. Le président de la République cumule également le rôle de commandant en chef des forces armées maldiviennes. Le pouvoir législatif est du ressort d’un parlement monocaméral qui fut longtemps composé d’un parti unique mais qui est devenu en 2005 multipartiste. Tout semble ainsi idyllique au pays des eaux turquoise.

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Pourtant, la situation politique des Maldives a toujours été fragile voir chaotique. L’homme fort du pays a longtemps été le fameux Maumoon Abdul Gayoom, arrêté récemment. Durant 30 ans, de 1978 à 2008, il cumula 6 mandats en tant que président de la République des Maldives puisqu’il était le candidat du parti unique. On reprochera souvent à Maumoon Abdul Gayoom ses timides réformes en faveur d’une meilleure démocratie, son manque d’engagement pour la libération de la presse et son régime autoritaire qui bafouait les droits de l’Homme.

Durant cette période la principale figure de l’opposition fut Mohamed Nasheed, du parti démocratique maldivien. A la suite de 16 incarcérations entre 1978 et 2008, ainsi qu’un asile politique de deux ans au Royaume Unis (2003-2005), il devient en 2008 président de la République. Il est donc le premier (et seul ?) président de la République élu démocratiquement à la suite de l’ouverture multipartiste de 2007. Ce grand défenseur de la lutte contre le changement climatique ne pourra néanmoins pas finir son mandat de 5 ans. Début 2012, une série de manifestations menées par des islamistes conservateurs éclatent. La situation dégénère alors que Mohamed Nasheed accuse les pouvoir judiciaire de protéger le clan de l’ancien président. Le 6 février 2012 l’armée disperse violemment une manifestation menée par les policiers eux-mêmes. Le lendemain, Mohamed Nasheed est contraint de démissionner face à la pression des militaires. Il parlera alors de « coup d’état islamiste ». Jusqu’à l’élection présidentielle de 2013 c’est son vice-président, Mohammed Waheed Hassan, qui assurera l’intérim.

Résultat de recherche d'images pour "les maldives présidents" La dernière élection présidentielle de 2013 sera une fois de plus le théâtre d’une lutte politique pour le pouvoir. Mohamed Nasheed va se représenter mais cette fois-ci face non pas à la figure historique de Maumoon Abdul Gayoom mais contre son demi-frère Abdulla Yameen Abdul Gayoom. Alors que le premier tour du 7 septembre proclame une large victoire pour l’ex-président démissionnaire Mohamed Nasheed, la Cour suprême décide d’annuler les résultats du premier tour et ordonne qu’il soit de nouveau organisé le 19 octobre. Cependant, la police intervient le jour du scrutin pour empêcher les électeurs de voter, repoussant de nouveau les élections au 9 novembre 2013. Le 16 novembre 2013, Abdulla Yameen Abdul Gayoom remporte, à la surprise générale, le second tour de l’élection présidentielle avec 51,3 % des voix face à Mohamed Nasheed qui l’avait pourtant de nouveau emporté au premier tour.

L’union récente des anciens opposants et ex-présidents des Maldives, respectivement Maumoon Abdul Gayoom (à gauche) et Mohamed Nasheed (à droite).

La suite nous la connaissons, les Maldives sont de nouveau dans une insécurité politique chronique depuis deux semaines. Les yeux sont désormais tournés sur les forces de sécurité, et leur réaction à l’arrestation de Maumoon Abdul Gayoom, ainsi que vers la rue, où de nouvelles manifestations pourraient germer. Mohamed Nasheed de son côté voudrait se représenter aux prochaines élections présidentielles du deuxième trimestre 2018, mais son retour au pays semble compromis.

Pourtant, il faut rappeler qu’au-delà de l’urgence démocratique, ce petit pays a d’autres priorités. Il n’y a pas que la politique locale qui prend l’eau mais également toutes les îles de l’archipel. La montée du niveau de la mer due au réchauffement climatique menace l’existence même des atolls des Maldives. De plus, les pouvoirs publics n’arrivent plus à maîtriser les déchets considérables fournis par le million de touristes à l’année et par la pollution des mers. Selon les chiffres du gouvernement, chaque touriste produit 7,2 kg de déchets par jour, contre 2,8 kg par habitant à Malé. Désormais nous trouvons à quelques kilomètres de la capitale la plus grandes « île-poubelle » du monde : Thilafushi. Celle-ci emmagasine puis compacte 330 tonnes de déchets par jour, ce qui l’a fait grandir quotidiennement de 1m².

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Il devient ainsi urgent que le pays se ressaisisse politiquement, au risque d’en payer un lourd tribut. Cette crise démocratique entache déjà fortement le tourisme, principale source de revenue. Elle affecte également l’ensemble de la population réprimée et lasse de ces luttes politiques. Pour s’accaparer ces atolls sans ressources mais à l’implantation stratégique, l’Inde et la Chine participent également à cette crise. Pour finir, celle-ci paralyse l’urgence nationale qu’est la défense de l’environnement. Sans cette lutte à la préservation d’une faune et une flore unique au monde, les Maldives risquent non seulement de perdre leurs précieux touristes mais surtout de disparaitre définitivement de la surface du globe.

Auteur : Alexandre LAPARRA

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