Commandement intégré de l’Otan : Quels intérêts pour la France ?

L’OTAN, Organisation du Traité d’Atlantique Nord a été créée le 4 avril 1949 à Washington par 10 pays européens que sont la France, la Belgique, le Danemark, L’Islande, l’Italie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni et 2 pays d’Amérique du Nord, à savoir les Etats-Unis et le Canada. L’objectif était d’assurer la défense mutuelle face à l’Union Soviétique après la Seconde Guerre mondiale. Initialement membre du commandement intégré de l’Otan, son commandement militaire, la France décide de le quitter en 1966 sous l’impulsion du général de Gaulle. En 2009, Nicolas Sarkozy décide de réintégrer le commandement. Quatre ans après sa réintégration au sein du commandement intégré de l’Otan, quels sont les intérêts pour la France ? Le pays en a-t-il bénéficié ? Dans quelle mesure ?

 

      I.         Rappels historiques.

Comprendre la situation actuelle de la France dans l’OTAN, c’est aborder ses rapports passés avec l’alliance. Il est possible de dégager deux étapes majeures que sont la sortie de la France du commandement intégré, et sa réintégration.

 

 a)    Les raisons de l’éloignement.

Le 7 mars 1966 le général de Gaulle adresse une lettre au président américain Johnson dans laquelle il indique : « La France se propose de recouvrer sur son territoire l’entier exercice de sa souveraineté, actuellement entravé par la présence permanente d’éléments militaires alliés ou par l’utilisation qui est faite de son ciel, de cesser sa participation aux commandements intégrés et de ne plus mettre de forces à la disposition de l’OTAN[1]. » En effet, le pays abrite alors 12 bases aériennes de l’US Air Force et 2 bases de la Royal Canadian Air Force. De Gaulle précise toutefois qu’il ne remet pas en cause les fondements de l’alliance et affirme sa qualité de membre actif malgré son retrait du commandement intégré.

Cette décision fait également suite à la volonté du président français de garantir l’autonomie du pays surtout en matière de dissuasion nucléaire, en particulier dans le contexte de l’époque : la Guerre froide, malgré la détente amorcée en 1962. En fait, l’objectif du général de Gaulle est de garantir une politique de défense indépendante de l’emprise des Etats-Unis. La décision ne surprend pas réellement. En effet lors de sa réélection en 1958, de Gaulle affirmait déjà dans une lettre adressée au président américain Eisenhower et au premier ministre britannique Macmillan que « L’OTAN ne correspond plus aux nécessités de notre défense [2]», il souhaitait une réforme qui garantirait à la France plus d’autonomie (sur la question de l’arme nucléaire en particulier) et une influence plus grande en matière de décision au sein de l’alliance. Conscient du niveau d’exigence de ses déclarations, il accepte sans surprise le refus des britanniques et des américains. Selon le journal Le Monde[3] citant un entretien avec Alain Peyrefitte, de Gaulle savait que les conséquences de sa lettre adressée à Eisenhower seraient nulles, elle ne constituait qu’un moyen de pression diplomatique pour sortir pas à pas de l’alliance en prenant des mesures face au refus : retrait de la flotte de Méditerranée du commandement de l’OTAN, opposition au stockage d’armes nucléaires alliées sur le territoire national.

Le retrait français du commandement intégré n’a pas eu de grand impact diplomatique ou militaire puisque la France a gardé des liens forts avec l’alliance, le pays restant une pièce maitresse en Europe, mais n’est plus soumis à l’influence des décisions de l’alliance en matière militaire et stratégique, son autonomie est garantie et affirmée.

 

b)    La réintégration du commandement intégré de l’OTAN par la France.

La chute du mur de Berlin le 16 novembre 1989 marque la fin de la Guerre froide et la fin d’un monde bipolaire. C’est un bouleversement dans la géopolitique mondiale qui favorise une approche multipolaire. La stratégie d’indépendance de la France vis-à-vis des grandes puissances de la Guerre froide n’est plus d’actualité. C’est ainsi qu’en 1995, le président Chirac décide un rapprochement avec l’alliance atlantique sous deux conditions : la répartition équilibrée du commandement entre Europe et Etats-Unis et le lancement d’une politique européenne de sécurité et de défense. Souhaits qui n’aboutissent pas mais qui relancent la participation plus active du pays dans les opérations notamment au Kosovo et en Afghanistan avec l’envoi de troupes.

En 2009, Nicolas Sarkozy annonce à Strasbourg lors du Sommet de l’OTAN la réintégration du commandement intégré de l’alliance évoquant que ceci correspond aux intérêts de la France en émettant le souhait que le pays retrouve sa juste place et que la dimension européenne soit plus prise en compte face à l’intérêt américain. La France ne participera par contre pas au groupe des plans nucléaires de l’alliance et conservera ainsi son indépendance nucléaire conformément au Livre Blanc Français de juin 2008 sur la défense et la sécurité nationale.[4] L’objectif est donc de renforcer la position de la France dans un contexte mondial multipolaire en gardant la souveraineté du pays comme de Gaulle le souhaitait.

On peut donc se demander : quatre ans plus tard, qu’a changé cette réintégration du commandement intégré de l’OTAN pour la France ?

 

    II.         La position actuelle de la France au sein de l’OTAN.

Le recul est faible pour évaluer les effets de la réintégration du commandement intégré, mais il y a tout de même eu des changements notables. Les voici :

 

a)    L’influence de la France

La France a aujourd’hui repris une place de tout premier ordre au sein de l’alliance. En effet, aujourd’hui plus de 800 Français travaillent à plein temps pour l’OTAN dont une centaine à Norfolk, l’un des deux quartiers généraux de l’organisation. Dès 2009, le général Abrial, ancien chef d’état major de l’armée de l’air, dirige d’ailleurs cette structure aux Etats-Unis en qualité de Commandant Suprême Allié de la Transformation chargé d’établir les lignes directrices de l’alliance et d’entraîner les troupes. Il fut le premier homme non américain à ce poste jusqu’à son remplacement par le général Paloméros, un Français encore une fois. Avant la réintégration de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, les Français n’étaient que 12 sur la base. Au niveau global depuis le retour de la France, le nombre de militaires français est passé de 242 à 925.

L’intervention en Lybie atteste aussi de la place de la France au sein de l’organisation : en mars 2011, les premières frappes sont menées par les appareils français sous la bannière de l’OTAN appuyé par les troupes de l’alliance. Selon le général Abrial : « on est toujours mieux écouté, plus efficace quand on est membre du club et que donc on participe depuis les premières phases à toutes les prises de décisions, plutôt que d’autres proposent une décision puis venir essayer de la corriger [5]». Le général Jean-Fred Berger, commandant du Joint Warfare Center de l’OTAN, affirme quant à lui que même si la France était grande contributrice en Bosnie ou au Kosovo, elle était dans une situation moins confortable du fait de sa position d’appui et non de commandement à proprement parler. Le pays a donc plus de poids et plus de légitimité sur la scène internationale. Pendant l’opération Serval au Mali la France n’a pas été épaulée par l’OTAN car elle n’en avait pas fait la demande.[6]

Sur le sujet de l’indépendance et de la souveraineté de la France en matière stratégique, les principales interrogations concernant sa réintégration du commandement intégré  reposait sur le concept d’emprise potentiellement trop importante des Etats-Unis sur les décisions. Or au sommet de Chicago en 2012, François Hollande a tenu sa promesse de campagne de retirer les troupes de « combats », le terme est important, il s’agit bien des troupes de combat et non de toutes les troupes (soutien) d’Afghanistan fin 2012 en expliquant que sa décision était définitive.

La question du Bouclier Anti Missiles était un des sujets sur lesquels François Hollande se montrait très retissant durant la campagne présidentielle en invoquant le fait que le projet ne profiterait pas aux industriels français, qu’il n’y aurait pas de contrôle politique de la France, qu’il serait très couteux et qu’il nuirait à la dissuasion française. Sur ce projet, qui a pour objectif d’intercepter des missiles en provenance du Moyen-Orient, il est question de l’installation de radars, de frégates, de satellites et d’intercepteur de missiles. A Chicago, Monsieur Hollande a affirmé que sur ces quatre points il avait été convaincu. Il a par ailleurs ajouté que ce projet était complémentaire des défenses françaises et non substituables, réaffirmant ainsi la souveraineté nationale.

 

b)    Aspects économiques

Le surcoût lié à la réintégration dans le commandement intégré de l’alliance est chiffré selon la Cour des Comptes à 100 millions d’Euros environ en 2011. Le surcoût final par année de la pleine participation devrait se chiffrer à 75 millions d’euros par an et ne devrait être vraiment mesuré qu’en 2020. Au-delà d’un aspect purement comptable, la France à accès à des marchés importants liés à la défense et peut constituer des opportunités non négligeables pour les industriels. Selon le rapport d’Hubert Védrine pour le président Hollande, le retour de la France « constitue une opportunité pour l’industrie mais ne s’est pas encore traduit par un accroissement marqué des contrats obtenus. » Il faudra donc attendre encore quelques années pour véritablement chiffrer les avantages ou les inconvénients éventuels sur le plan économique pour la France.

 

c)     La dimension européenne

Posée par Nicolas Sarkozy comme une condition informelle du retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, la prise en compte de la dimension européenne surtout par le concept de « l’Europe de la défense » était un point important. Or il n’y a pas eu d’évolution sur le sujet, si ce n’est une évocation quasi protocolaire lors des différents sommets depuis 2009. La question n’a pas avancé du fait que la France est le seul pays a donner l’impulsion de ce projet qui ne trouve que très peu de soutien auprès des pays européens. Cela s’explique par le fait qu’en raison de la crise économique, les pays ont baissé leur budget de défense qui n’est plus que 1% à 1,5% du PIB et ne désirent plus mobiliser de ressources supplémentaires. D’autre part, la France n’a pas réellement manifesté d’intérêt particulier pour le projet mais les raisons ne sont pas claires et ne sont pas évoquées dans le rapport de Hubert Védrine.

 

Conclusion

En définitive la réintégration de l’alliance atlantique est relativement positive pour la France dans le sens où elle n’a rien perdu. Elle préserve son indépendance stratégique surtout en matière de dissuasion en ne participant volontairement pas au groupe des plans nucléaires de l’organisation et en affirmant ses choix lors des sommets comme la volonté de retrait des troupes de combat en Afghanistan.

En terme d’image la France se donne un poids supplémentaire dans un monde multipolaire en évitant une position d’isolement. Certains diront que la France a choisi de jouer selon la stratégie américaine, mais depuis 2009 ce sont des Français qui dirigent le quartier général de Norfolk où sont prises les décisions concernant la conduite future de l’OTAN. L’influence de la France est par conséquent garantie.

On peut par ailleurs s’interroger sur les bénéfices à retirer de cette réintégration. Pour l’instant, ils sont difficilement quantifiables étant donné que le recul est faible, il faudra attendre 2020 pour pouvoir évaluer ce choix pris en 2009. Mais on peut d’ores et déjà s’assurer qu’en cas de crise éventuelle, le soutien d’une telle organisation est primordial. En effet, malgré certaines interrogations quant à l’utilité de l’OTAN à l’heure actuelle, l’organisation jouit d’un avantage unique par rapport aux autres alliances : c’est la seule coalition dans laquelle les armées savent travailler ensemble et coopérer autant au niveau des états majors qu’au niveau des hommes sur le terrain, elle est capable de monter une opération de façon extrêmement rapide.

 

 

Eléments bibliographiques

INSTITUTIONS

Centre virtuel de la connaissance sur l’Europe :

  • Lettre de de Gaulle à Johnson 7 mars 1966 :

http://www.cvce.eu/obj/lettre_de_charles_de_gaulle_a_lyndon_b_johnson_7_mars_1966-fr-d97bf195-34e1-4862-b5e7-87577a8c1632.html

  • Lettre de de Gaulle à Einsenhower 17 septembre 1958 :

http://www.cvce.eu/obj/lettre_et_memorandum_du_general_de_gaulle_au_general_eisenhower_17_septembre_1958-fr-aebdd430-35cb-4bdd-9e56-87fce077ce70.html

 

Ministère des affaires étrangères

  • Hubert Védrine : Rapport pour le président de la République française sur les conséquences du retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, sur l’avenir de la relation transatlantique et les perspectives de l’Europe de la défense. 14/11/2012

http://www.rpfrance-otan.org/IMG/pdf/Rapport_Vedrine-2.pdf

 

OTAN

  • Qu’est ce que l’OTAN

http://www.nato.int/nato-welcome/index_fr.html

 

PRESSE

Le Monde

  • « 1966 : la France tourne le dos à l’OTAN » Le Monde 10/03/2009

http://www.lemonde.fr/international/article/2009/03/10/1966-la-france-tourne-le-dos-a-l-otan_1165992_3210.html

 

France 24

  • Quelle place pour la France dans l’OTAN. 22/05/2012 (reportage). Disponible sur :

http://www.france24.com/fr/20120521-quelle-place-pour-la-france-dans-otan/

Le Parisien

  • Intervention française au Mali : L’OTAN salue l’opération de la France au Mali 14/01/2013.

http://www.leparisien.fr/international/mali-les-jihadistes-menacent-de-frapper-au-coeur-de-la-france-14-01-2013-2479909.php

SITES INTERNET

 

Institut de relations internationales et stratégiques

  • La réintégration de la France dans le commandement intégré de l’OTAN. Didier Billion 17/06/2009

http://www.iris-france.org/Tribunes-2009-06-17a.php3

 


[1] Lettre de de Gaulle à Johnson 7 mars 1966. Disponible sur http://www.cvce.eu/

[2] Lettre de de Gaulle à Einsenhower 17 septembre 1958. Disponible sur http://www.cvce.eu/

[3] « 1966 : la France tourne le dos à l’OTAN » Le Monde 10/03/2009.

[4] Rapport Védrine, Novembre 2012 : http://www.rpfrance-otan.org/IMG/pdf/Rapport_Vedrine-2.pdf

[5] Quelle place pour la France dans l’OTAN. 22/05/2012. France 24 Disponible sur :

http://www.france24.com/fr/20120521-quelle-place-pour-la-france-dans-otan/

[6] Intervention française au Mali : L’OTAN salue l’opération de la France au Mali. Disponible sur :

http://www.leparisien.fr/international/mali-les-jihadistes-menacent-de-frapper-au-coeur-de-la-france-14-01-2013-2479909.php

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*