La nouvelle arme chinoise : l’économie

La nouvelle arme chinoise : l’économie

Chine-Japon : un conflit à plus de 300 millions d’euros, titre Le Figaro. Le torchon brûle entre l’empire du Milieu et celui du Soleil Levant.

Culturellement, les influences sont d’importance et ce dès les premiers siècles de notre ère – en particulier de l’empire du Milieu vers l’empire du Soleil Levant. Ecriture, religion (bouddhisme), administration… dans tous ces domaines, l’influence chinoise sur le Japon est essentielle.

Seulement les échanges entre les deux pays ne sont pas limités aux domaines économique ou culturel. Au fur et à mesure de l’extension des empires japonais et chinois, les conflits se sont accentués, avec pour toile de fond des luttes d’influence dans la région.

L’opposition s’est cristallisée dans la seconde moitié du XIXe siècle avec l’influence que les deux empires voulaient exercer sur les pays voisins, comme la Corée. Ces tensions grandissantes ont abouti à deux guerres sino-japonaises (1894-1895 et 1938-1945).

Ces dernières années, les crispations nationalistes et territoriales se sont aussi portées sur le domaine économique. Le Japon a ainsi accusé la Chine de faire de la rétention de ces terres rares indispensables à la fabrication de batteries et d’écrans plats.

Tout récemment, c’est la question de la possession de cinq petites îles inhabitées qui a rajouté de l’huile sur le feu d’un conflit jamais éteint. Ces îles appelées Senkaku en japonais et Diaoyu en chinois sont situées en mer de Chine à 200 milles nautiques des cotes japonaises et chinoises. 5 petites îles inhabitées certes mais qui recèleraient d’importantes réserves en hydrocarbures.

Revenons tout d’abord sur les origines de l’actuel conflit.

Des îles disputées et convoitées

En 1894 éclate une guerre entre les deux pays au sujet de la Corée qui durera jusqu’en 1895. Conflit qui se termine par une défaite chinoise, obligée de céder Taïwan ainsi que d’autres petites îles – dont les îles Senkaku/Diaoyu – au Japon.

En 1945, nouveau changement, la reddition du Japon signe non seulement la fin de la Seconde Guerre mondiale mais aussi celle de la seconde guerre sino-japonaise (1937-1945). Le Japon rend Taïwan à la Chine mais les îles Senkaku/Diaoyu ne sont pas incluses dans le traité.

Depuis, le Japon a donc maintenu sa souveraineté sur ces îles qui de fait appartenaient à des propriétaires – japonais – privés.

L’Etat japonais a décidé de racheter trois de ces îles à leurs propriétaires. L’occasion pour la Chine de monter au créneau et de rappeler ses revendications sur les îles. Depuis, des manifestations ont lieu des deux côtés, des navires chinois sont présents dans les eaux territoriales des îles, des garde-côtes japonais interviennent, et les deux pays protestent et se menacent l’un l’autre.

Le début d’une guerre économique ?

Les tensions politiques et territoriales entre les deux pays se sont reportées vers le domaine économique. Les appels au boycott des produits japonais commencent déjà à faire sentir leurs effets, comme l’explique Le Figaro : “Les grands groupes japonais présents en Chine ont annoncé avoir déjà souffert de la crise. Toyota, Nissan et Suzuki sont en train de réduire leur production dans le pays. Dans certaines provinces, les ventes de voitures japonaises auraient chuté de 60%. La compagnie aérienne Japan Airlines (JAL) a annoncé vendredi une réduction de la fréquence de ses vols entre le Japon et la Chine à la mi-octobre. Et selon des entreprises nippones, la Chine a renforcé ses contrôles douaniers sur les marchandises japonaises qui arrivent dans ses ports”.

Autre source d’inquiétude : la Chine est le premier acheteur étranger d’obligations souveraines japonaises, et menace de s’en débarrasser. Lors d’un précédent conflit territorial entre les deux pays, certains dirigeants chinois avaient déjà parlé de boycotter la dette japonaise. Or le Japon est le premier émetteur d’obligations souveraines au monde. Son endettement atteint près de 200% du PIB.

Pour le moment, le Japon emprunte à bas prix – ce qui l’arrange étant donné ses immenses besoins. Un afflux d’obligations sur le marché obligataire secondaire ferait automatiquement remonter les rendements. Remontée qui forcerait la Banque du Japon à racheter ces obligations afin de maintenir un contrôle sur les rendements et donc sur le poids du service de la dette (coût du remboursement) dans le budget de l’Etat japonais.

Cependant, les Japonais ont particulièrement tendance à acheter des obligations émises par leur Etat : plus de 90% de la dette souveraine nippone est détenue par les Japonais eux-mêmes. La Chine ne détient qu’environ 2% de la dette japonaise, ce qui relativise le risque de sanctions.

En pratique, si l’empire du Milieu se décidait à vendre les 230 milliards de dollars d’obligations japonaises qu’il détient, il est probable que la Banque du Japon réplique immédiatement avec un assouplissement monétaire, qui est une pratique courante pour elle. Si le yen augmente, ce qui nuit aux entreprises exportatrices nippones, la Banque du Japon rachète de la monnaie pour faire remonter son cours. Si le pays manque de liquidités ou est en récession, la Banque du Japon émet plus de monnaie et rachète des obligations.

Et les risques d’inflation ?

L’économie japonaise est dans un tel état depuis la crise de la fin des années 90 que les risques d’inflation sont minimes. Comme l’explique Damien Durand dans La Quotidienne, le Japon appelle même de ses vœux une petite inflation. Il ne faut donc pas prendre très au sérieux la menace des obligations souveraines japonaises. Mais la guerre économique ne se tient pas uniquement sur le champ obligataire.

L’économie, la nouvelle arme chinoise ?

Nous avons vu un peu plus haut que les entreprises japonaises pâtissent du conflit entre la Chine et le Japon. Nombre de commentateurs soulignent le peu de probabilité que le conflit aille plus loin, mettant l’accent sur la dépendance économique des deux pays. Il est vrai que ces dernières années, cette coopération s’est renforcée. Les deux empires peuvent échanger leurs devises sans passer par le dollar.

En outre, comme le rappelle Le Figaro : “La Chine est le premier partenaire commercial du Japon, les échanges ayant bondi de 14,3 % l’an dernier, pour atteindre un montant record de 345 milliards de dollars. Et si le Japon importe nombre de produits finis chinois (appareils audiovisuels, téléphones, vêtements), il exporte vers son voisin des machines, des pièces détachées (pour machines ou automobiles notamment) et des composants (comme les semi-conducteurs)”.

Pourtant, comme le rappelait Florent Detroy, deux éléments font pencher pour une poursuite des tensions :

– Ce conflit arrive à point nommé pour détourner l’attention des Chinois des problèmes économiques et sociaux internes vers un “ennemi” extérieur

– Outre les potentielles réserves d’hydrocarbures dans leurs eaux territoriales, les îles Senkaku/Diaoyu ont une importance stratégique majeure pour l’empire du Milieu. Son objectif est de sécuriser la voie commerciale qui relie la Chine au Moyen-Orient et donc les accès au pétrole.

C’est ce qui est expliqué l’Edito Matières Premières du jour : les compagnies pétrolières chinoises sont en train de placer leurs pions au Moyen-Orient et deviennent des partenaires commerciaux pour l’OPEP aux dépens de certaines compagnies occidentales.

Comment en profiter ?

La seule manière d’en profiter – outre investir sur les compagnies énergétiques chinoises, est de miser sur la course à l’armement qui a lieu en ce moment même en Chine, et plus généralement, en Asie.

Quelques sociétés majeures du secteur dans la région :

– Singapore Technologies Engineering, un conglomérat de compagnies sud-asiatiques spécialisées dans l’armement
– le premier fabricant d’armes japonais, Mitsubishi Heavy Industries, coté aussi bien au Japon qu’aux Etats-Unis

En août dernier, dans Défis & Profits, Jean-Claude Périvier s’est intéressé au conflit opposant la Chine au Vietnam, là encore au sujet d’une île :

“Il y a une quinzaine de jours, la Chine a annoncé le déploiement de forces militaires dans des zones de mer de Chine du Sud qui font l’objet de contestations territoriales entre elle-même et des pays comme le Vietnam, Taïwan, et les Philippines. Ce dispositif est basé sur les îles Paracel, un archipel contesté dont la Chine a pris le contrôle en 1974 à la suite d’une confrontation avec le Vietnam. Elle vient d’ailleurs d’en faire une “municipalité”. Cette région de la mer de Chine du Sud est sillonnée de “bateaux de pêche” chinois, civils mais néanmoins lourdement armés, qui sont une manière d’occuper le terrain. Et pourquoi donc ? Vous l’aurez compris, la mer de Chine du Sud est censée regorger de ressources en hydrocarbures ! Le Vietnam dénonce avec vigueur cette politique du fait accompli et n’a pas renoncé à cet archipel. Les tensions montent également entre la Chine et certains pays du Sud-est asiatique comme la Malaisie, les Philippines, Taïwan et même Brunei au sujet de la souveraineté sur des eaux territoriales dans les zones voisines. Ces tensions étant bien évidemment exacerbées par la stratégie américaine récente d’asseoir son influence sur les pays du Sud-est Asiatique. Les Etats-Unis se sentent donc particulièrement concernés – d’autant que certains pays comme les Philippines ont déclaré qu’ils feraient appel à l’aide militaire américaine si les tensions montent. Fait rarissime, le Vietnam, dont le régime se revendique encore communiste, a dénoncé cette ingérence et a fait état de son incapacité diplomatique et militaire à l’empêcher. Ce message est bien entendu destiné à l’Occident.

Voilà qui crée un dilemme aux Etats-Unis. D’un côté, les Américains veulent garder leur influence géopolitique et commerciale sur l’Asie du Sud-Est, à commencer par Taïwan, les Philippines ou le Vietnam qui émergent, car c’est peut-être la clé du développement des affaires. Mais d’un autre côté, ils ne veulent pas fâcher la Chine leur principal partenaire commercial et créancier. Sans parler du fait que les Etats-Unis ne sont pas en situation d’engager un conflit avec ce géant. D’un point de vue géopolitique, cette action forte de la Chine est considérée comme une menace par Washington alors que le président Obama a mis l’emphase il y a quelques mois (en s’adressant aux pays de l’Asie du Sud-Est mais pas à la Chine) sur les liens qui devaient unir les deux rives du Pacifique et sur les aspects commerciaux de cette coopération. Cette vision a été rappelée avec force par Hillary Clinton au cours de sa récente tournée en Asie du Sud-Est. Mais les Etats-Unis n’ont aucune envie d’avoir à choisir un camp. Or le risque d’une escalade est réel.

La Chine veut assurer ses approvisionnements en nourriture, en eau, en énergie, en métaux et autres minéraux – en toute matière première qui lui permettra d’assurer sa croissance et de garantir la paix sociale à l’intérieur du pays. Mais surtout, comme au jeu de Go, il s’agit de s’assurer une domination progressive sur le reste du monde en captant les ressources naturelles destinées à se raréfier par des achats ou des contrats de long terme. Et croyez-moi, avec des réserves de change de 3,4 trillions de US$, elle en a les moyens ! Le problème est que la plupart des ressources recherchées par la Chine sont des ressources qui ne sont pas infinies. Les réserves de pétrole, classiques ou non conventionnelles, sont limitées. La nourriture qui peut être produite chaque année est limitée par les surfaces cultivables (et accessoirement par l’eau et les matières premières utilisées dans les engrais). A long terme, avec la croissance de la population, ces pénuries ne pourront être évitées au niveau mondial ; certaines se produiront plus vite que ce que nous pensons. Ce à quoi nous assistons, c’est en réalité la préparation de la Chine à cette situation future au détriment des autres pays. Quand ceux-ci vont-ils réagir ?

Tout ceci vous concerne, en tant qu’investisseur. Car ces événements nous rappellent que les pays émergents du Sud-Est asiatique ne sont pas à l’abri de conflits territoriaux qui impacteraient durablement leurs économies. Les Etats-Unis pourraient s’y trouver impliqués bon gré mal gré, ce qui serait financièrement catastrophique – pour ne parler que de cet aspect. Enfin, l’enjeu des ressources naturelles va devenir de plus en plus un facteur de risque qu’il convient d’appréhender avant tout investissement…”

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