« Il est difficile de mesurer la criminalité organisée, car elle peut rarement être assimilée en soi à une forme précise de criminalité ». Cette remarque du rapport 1996 sur la criminalité organisée dans l’Union Européenne souligne que la criminalité organisée ne constitue pas une notion équivoque et commune. Il n’existe donc aucune définition universellement partagée de la notion de criminalité organisée, même dans les milieux spécialisés. De quoi parlons-nous alors sous le terme de criminalité organisée ? Quelle est son importance dans l’organisation mondiale ?
On peut cependant affirmer qu’une organisation criminelle peut assurément être définie comme un groupe structuré, existant depuis un certain temps, composé de plus de deux personnes qui agissent de concert afin d’obtenir, par des manœuvres d’intimidation, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel, et qui nuit gravement à la cohésion économique et sociale du pays dans lequel ils opèrent, ces actions pouvant se répercuter à l’international.
A vocation transnationale, la criminalité organisée couvre tout les grands trafics : drogue, êtres humains, armes, véhicules volés, faune sauvage, etc. La corruption et le blanchiment en sont les conséquences.
Avec l’accroissement de la mobilité des personnes, des biens et des capitaux, cette criminalité a considérablement évolué et s’appuie sur les nouvelles technologies non seulement à des fins de blanchiment mais aussi pour perfectionner ses activités et en créer de nouvelles, comme la cybercriminalité.
Une économie à part entière
Uniquement pour le crime organisé, les montants évoqués par les organisations internationales s’élèvent à environ 4% du PIB mondial, soit plus de 2 000 milliards de dollars annuels. Parallèlement, le blanchiment d’argent (dont le but est de rendre légal un argent qui a été gagné par des moyens illégaux) représente quant à lui 1 600 milliards supplémentaires.
La criminalité organisée n’est plus un phénomène historiquement et territorialement délimité : les organisations traditionnelles de type mafieux qui existent dans certaines régions, bien qu’elles conservent un contrôle étroit sur leur territoire, ont progressivement développé leurs zones d’influence en profitant des nouvelles opportunités offertes par la mondialisation économique et par le progrès technologique, en concluant des alliances avec des groupes criminels d’autres pays en vue de se partager les marchés et les zones d’influence.
Le crime organisé aujourd’hui ressemble de plus en plus à une entreprise commerciale multinationale, caractérisée par la fourniture simultanée de différents types de biens et de services illégaux. On parle aujourd’hui d’économies souterraines, de circuits parallèles : l’économie mafieuse et ses circuits clandestins ont pour caractéristiques d’être quasi exclusivement orientés sur des activités illicites hautement lucratives.
La criminalité organisée est par conséquent devenue une économie en soi et, profitant des importantes ressources financières accumulées grâce à ses activités illicites, elle agit sur la base d’énormes avantages concurrentiels qui altèrent le système de façon frauduleuse : elle dispose de ressources financières quasiment illimitées qui proviennent de ses délits et elle peut faire pression sur ses concurrents en recourant à l’intimidation et à la violence.
On note que, du moins dans les régions où les organisations criminelles sévissent traditionnellement, leur infiltration économique dépend du niveau de pauvreté et du degré de réceptivité du territoire : la fragilité du système productif, le manque de compétitivité par rapport aux régions plus développées, la propagation de l’économie souterraine, le manque de confiance dans les institutions et les faibles niveaux de scolarisation sont autant de facteurs qui constituent un terrain propice à la criminalité organisée. Cela vaut aussi pour les régions où l’expansion des organisations criminelles est plus récente : l’influence sur l’économie, sur la société et sur les institutions locales est un phénomène de plus en plus établi. En effet, la capacité d’infiltration des organisations criminelles a évolué, passant de l’exploitation parasitaire des ressources économiques (par le biais de menaces, de vols, d’extorsions, de détériorations, etc.) à la transformation en véritables entreprises commerciales actives dans des secteurs comme les travaux publics, les transports, la grande distribution, la gestion des déchets, les énergies renouvelables et bien d’autres encore.
La criminalité organisée dans l’économie mondiale
Afin de pénétrer discrètement l’économie légale, le crime organisé s’est infiltré dans un certain nombre de banques d’affaires, de cabinets juridiques, de sociétés de courtage et de transports qui lui apportent à la fois leur expertise et une couverture légale très appréciée. Il investit également en bourse dans les marchés spéculatifs de matières premières et de produits dérivés, en utilisant de multiples sociétés écran.
On est passé de la criminalité violente à l’infiltration dans l’économie légale, avec pour double conséquence que peu de secteurs échappent aux criminels, qui contrôlent de plus en plus d’activités formellement licites (hôtels, restaurants, supermarchés, autobus, discothèques, etc.) ; et la violence qui a toujours caractérisé le crime organisé finit par être nécessaire à l’acquisition de pouvoir et de ressources économiques et, lorsque l’organisation est menacée, à la survie même de celle-ci.
Il est évident que la crise économique qui sévit depuis quelques années a épargné, voire favorisé, la criminalité organisée. D’une part, les États en difficulté sont tentés de réduire les crédits consacrés à la lutte contre la criminalité organisée et la corruption. D’autre part, les entreprises en général, indépendamment de leur dimension, ne peuvent plus accéder facilement au crédit car les banques, en manque de liquidités, ont tendance à exiger des garanties de plus en plus importantes. Il est dès lors évident que certaines entreprises, notamment les plus petites, peuvent avoir besoin de recourir à l’usure, permettant ainsi à la criminalité organisée d’accélérer sa pénétration dans l’économie légale.
La lutte contre la criminalité organisée
Malgré d’importantes tentatives d’harmonisation des législations nationales, la criminalité organisée continue à faire l’objet d’un intérêt variable de la part des États, à l’instar du degré d’infiltration et de dangerosité relatif des organisations criminelles qui y sont actives. On peut ainsi passer d’une absence totale de dispositions pénales spécifiquement axées sur les organisations criminelles (comme c’est par exemple le cas au Danemark et en Suède) à l’existence de dispositions qui définissent de façon détaillée (ou punissent) les organisations criminelles de type mafieux (comme c’est par exemple le cas en Italie, où un véritable Code des lois anti-mafia est en vigueur).
Pour combattre un phénomène mondial tel que la criminalité transnationale organisée, il faut conclure des partenariats à tous les niveaux. Les gouvernements, les entreprises, la société civile, les organisations internationales et tous les habitants de la planète ont un rôle à jouer. Pour combattre le crime organisé, il faut, notamment, privilégier les points suivants:
• Coordination : Il faut impérativement, pour identifier, examiner et poursuivre les personnes et groupes à l’origine de ces crimes, mener une action intégrée au niveau international.
• Éducation et sensibilisation : Il faut que les citoyens ordinaires en sachent davantage sur le crime organisé et sur la façon dont il affecte la vie quotidienne. Les consommateurs peuvent également jouer un rôle clef en sachant ce qu’ils achètent, en le faisant de manière éthique et en s’assurant qu’ils n’alimentent pas le crime organisé.
• Renseignement et technologie : Les systèmes de justice pénale et les méthodes traditionnelles de répression ont souvent peu de poids face à de puissants réseaux criminels. Ce qu’il faut, c’est acquérir de meilleures méthodes de renseignement par la formation d’unités de police plus spécialisées et équiper ces dernières de moyens ultramodernes.
• Assistance : Pour pouvoir mieux contrer ces menaces, les pays en développement ont besoin d’aide. Il existe, à cet effet, un important outil: la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, dont le but est d’aider à identifier, à prévenir et à démanteler les groupes criminels organisés.
Morgane Delmas
Annexe
“Les groupes criminels n’ont pas perdu de temps pour adopter d’enthousiasme l’économie mondialisée d’aujourd’hui et les technologies de pointe qui l’accompagnent. Mais nos efforts pour les combattre sont restés jusqu’à présent très fragmentaires et nos armes pratiquement obsolètes. Avec une coopération internationale renforcée, nous pouvons porter véritablement atteinte aux capacités dont disposent les criminels internationaux pour opérer avec succès, et aider en tout lieu les citoyens qui luttent souvent avec acharnement pour la sécurité et la dignité dans leur foyer et leur communauté.”
Kofi Annan
Sources et bibliographie
Parlement Européen : Document de travail sur la criminalité organisée – Novembre 2012, Commission spéciale sur la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment de capitaux
France Diplomatie : La France et la lutte contre la criminalité organisée
United Nations Office on Drugs and Crime : Criminalité transnationale organisée, l’économie illégale mondialisée
Les Echos : L’essor économique de la criminalité organisée au niveau mondial, par Sylvain Fontan
Centre Français de Recherche sur le Renseignement : Le crime organisé, principale menace du XXIème siècle, par Alain Rodier (2012)
Christian CHOQUET (2003), Terrorisme et criminalité organisée, Ed. Harmattan
Jean PRADEL et Jacques DALLEST (2012), La criminalité organisée, Ed. LexisNexis
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