- L’article est issu du journal « The New-York Times » et son titre est le suivant : En Syrie, des médecins risquent leurs vies et luttent avec l’éthique. Il s’agit d’un quotidien new-yorkais distribué internationalement et qui a été fondé le 18 septembre 1851 par Henry Jarvis Raymond. Le « NYT » a pour vocation de tenir informer des actualités concernant l’économie, la technologie, la science, la santé, le sport, l’art, les tendances vestimentaires ou culinaires et enfin les voyages. Ce journal a une forte identité politique démocrate qui représente la gauche des Etats-Unis et dont l’équivalent en France est le centre droit. Il est un des plus prestigieux journaux américains et a été récompensé par 98 prix Pulitzer.
- Cet article a été rédigé le 21 octobre 2013 par les journalistes Sheryl Gay Stolberg de Washington aux Etats-Unis, Anne Barnard et Hwaida Saada de Beyrouth au Liban. Il traite des évènements récemment survenus en Syrie, en l’occurrence, l’utilisation d’armes chimiques au mois d’Août dernier par le gouvernement de Bachar al-Assad, lui même de confession Alaouite. Plus particulièrement, il relate l’importance du travail que réalisent les médecins en Syrie depuis l’incident et il met le doigt sur les risques que ces médecins prennent tous les jours.
- Article traduis :
En Syrie, des médecins risquent leurs vies et luttent avec l’éthique
WASHINGTON — Des mois avant que l’attaque d’armes chimiques ne tue des centaines de Syriens et conduise à l’intervention de la force armée Américaine, un anesthésiste du nom de Majid, a entendu une explosion près de chez lui dans la banlieue de Damas. Il s’est précipité vers l’hôpital où il travaille et il est tombé sur des patients avec des démangeaisons, les yeux brûlés, ou encore des difficultés à respirer.
Majid, qui a seulement donné son prénom pour protéger sa sécurité, a collecté des échantillons de cheveux et d’urine, des vêtements, des feuilles d’arbres, de la terre et même un oiseau mort. Il a partagé cela avec la Société Médicale Syrienne Américaine[1], un groupe humanitaire qui a délivré des échantillons semblables aux responsables du renseignement Américain, comme preuve d’une possible attaque chimique.
« On n’a cessé de communiquer avec le département d’Etat pour le prévenir de ce qu’il allait se passer-ils nous ont dit qu’il ne s’agissait que d’attaques ponctuelles », dit le président de la Société Médicale, le Docteur Zaher Sahloul, ajoutant qu’il avait parlé avec Robert S. Ford, l’ambassadeur Américain de la Syrie, avec Samantha Power, puis avec un conseiller de la maison blanche et maintenant avec le représentant des Nations Unies. « Il était très important pour nous de véhiculer cette information, mais ça a été long avant d’avoir un impact et avant que le monde réagisse ».
Enfin, le monde a réagi. Des inspecteurs des Nations Unies ont mis en œuvre les premières mesures nécessaires afin de détruire les réserves d’armes chimiques en Syrie. Mais pendant que le gouvernement d’Obama s’attribue le mérite de pousser le président Bashar al-Assad à abandonner son arsenal, quelques experts disent que le vrai mérite, c’est les docteurs qui ont risqué leurs vies qui l’ont — eux qui se sont confrontés aux questions épineuses de l’éthique médicale — pour pouvoir enfin révéler l’utilisation d’armes chimiques.
La guerre civile en Syrie a particulièrement mis en danger la santé des professionnels ; un rapport des Nations Unies publié le mois dernier décrivait la « cible délibérée des hôpitaux, du personnel médical et des transports » comme « l’une des caractéristiques les plus alarmantes du conflit Syrien ». Selon des estimations qui varient, plus de cent docteurs ont été tué et pas moins de 600 ont été emprisonnés.
La remise en place d’un système de santé adéquate traîne des pieds dans le pays. Plus de la moitié de ses hôpitaux publics ont été endommagés pendant la guerre civile qui a duré deux ans et 37% sont totalement hors service, d’après un rapport récent de L’Organisation Mondiale de la Santé[2]. Beaucoup de docteurs Syriens ont fui ; ceux qui sont restés décrivent des conditions terribles où même les soins basiques ne sont pas disponibles.
Les mères insistent désespérément pour faire vacciner leurs enfants ; des patients souffrant de maladies chroniques tels que des maladies cardiaques ou du diabète luttent pour se procurer des médicaments ; et il y a « une énorme anxiété de la part de la population », dit le Docteur Adi Nadimpalli, un pédiatre et un spécialiste de médecine interne Néo-Orléanais de 38 ans qui dirige deux hôpitaux au nord de la Syrie pour le groupe humanitaire Médecins Sans Frontière[3].
Travailler au milieu de factions rebelles en conflits s’est avéré être une tâche délicate. Dr Nadimpalli a conclu une entente avec les combattants : « Ils déposaient leurs armes à la porte. »
La guerre chimique — qui a semblé commencer avec des attaques à petites échelles cette année et qui s’est soldée par une attaque au sarin[4] en Août dernier, tuant des centaines de Syriens — a rendu cette situation déjà difficile encore plus complexe, posant des questions éthiques à savoir faut-il s’exprimer et si oui, de qu’elle manière ?
Médecins Sans Frontière est entrain d’exploiter six hôpitaux dans le nord du pays contrôlé par les rebelles, sans la permission du gouvernement Assad. En janvier, cette association a également commencé à procurer secrètement des conseils techniques, de l’équipement médical et des traitements — notamment de l’atropine, un antidote aux agents neurotoxiques-aux hôpitaux et cliniques des régions contrôlées par le gouvernement.
Le 21 Août, le groupe a appris par certains de ses « partenaires silencieux » que les hôpitaux débordaient de patients atteints de « symptômes neurotoxiques »[5] — à peu près 3600 en trois heures, dont 355 sont mort. Quelques jours plus tard, les leaders du groupe se sont réunis lors d’une conférence pour débattre sur la façon de comprendre cette information délicate, dit Sophie Delauney, la directrice générale de Médecins Sans Frontière pour la gestion des Nations Unies.
Elle et ses collaborateurs le savaient : toute déclaration publique pouvait mettre le groupe de médecins et leurs partenaires Syriens en danger, les exposant à des accusations comme d’être du côté des rebelles et de laisser ces rebelles se venger des forces de l’Etat. De plus, ils avaient peur que les Etats de l’Ouest, notamment le gouvernement d’Obama, utilisent ces déclarations comme une excuse pour intervenir militairement.
Le groupe a néanmoins émis une déclaration publique ; l’information, dit Mme Delauney, était trop importante et trop « fiable » pour être gardée. Cette déclaration, formulée avec précaution, sollicitait une investigation approfondie signalant que Médecins Sans Frontière ne pouvait « ni confirmer scientifiquement la cause de ces symptômes, ni connaître le responsable de cette attaque ».
Peu après, toutefois, le secrétaire d’Etat John F. Kerry et Jay Carney, l’attaché de presse de la maison blanche, ont commencé à faire référence aux déclarations de Médecins Sans Frontière comme étant la raison de l’intervention militaire, exactement ce que le groupe redoutait. Cela a été suivi par une deuxième déclaration, avertissant une nouvelle fois, que cette information « ne pouvait pas être utilisée comme une preuve » pour attribuer une quelconque responsabilité.
Un responsable du département d’Etat, intervenant de façon anonyme pour parler de la prise de décision en interne, a dit que les autorités Américaines avaient réuni des renseignements sur les armes chimiques et que le travail des médecins et des groupes humanitaires avait « simplement fourni un autre indicateur. »
Mais J. Stephen Morrisson, un expert de la santé mondiale au « Center for Strategic and International Studies » à Washington, dit que Mme Delauney et ses collaborateurs « ont énormément de mérite » pour avoir révélé le problème et pour avoir fait de ce problème une affaire mondiale. «Ils ont fait avancer le dialogue international» dit-il. « Cela était très risqué, ils ont pris une décision difficile et les choses auraient pu tourner très mal pour eux ».
Le débat selon lequel les médecins devraient ou non révéler le non respect des droits de l’Homme a longtemps été « un de ces arguments prégnants au sein de la communauté humanitaire » dit Len Rubenstein, une experte des droits de l’Homme et de l’éthique médicale à l’Université de Johns-Hopkins. Alors que Médecins Sans Frontière a souvent « été témoin », dit-il, ce n’est pas le cas de toutes les organisations humanitaires.
La commission internationale de la Croix-Rouge, par exemple, adhère à un code très strict de neutralité politique ; cela fonctionne à l’intérieur d’un pays uniquement avec l’approbation de l’Etat organisateur et typiquement on ne fait pas de déclaration publique qui pourrait compromettre sa capacité à fournir un secours médical. (Sept personnes qui travaillent avec la Croix-Rouge et le « Syrian Arab Red Crescent » ont été kidnappées ce mois-ci alors qu’elles étudiaient la situation médicale en Syrie ; ce lundi, trois d’entre eux été toujours détenus.)
Des experts disent que les médecins qui donnent leurs avis sur les armes chimiques peuvent avoir des informations erronées. « Les médecins sont notoirement peu capables d’évaluer les blessures causées par les guerres chimiques s’ils n’en n’ont jamais vu auparavant, » dit Joost Hiltermann, l’auteur de « A Poisonous Affair », l’histoire de la guerre chimique pendant le conflit opposant l’Iran et l’Irak dans les années 1980.
Mr Hiltermann clame que les médecins Iraniens ont joué un rôle essentiel en divulguant l’utilisation d’agents neurotoxiques en Irak, mais également en abandonnant l’information erronée selon laquelle l’Irak aurait utilisé du gaz de cyanure. Ces rumeurs, dit-il, ont plus tard été « cyniquement manipulées » par les services de renseignements Américains qui disaient que l’Iran-et non pas l’Irak — avait utilisé du gaz de cyanure. En réalité, continue t-il, il n’y a pas de preuve que l’un ou l’autre en utilisait.
En Syrie, le gouvernement et des groupes d’opposition ont chacun essayé de rassembler des preuves contre l’autre. La première preuve d’attaques chimiques est apparue début décembre, dit le Docteur Sahloul, un camarade de Mr Assad à l’école médicale, dont la société fournit de l’aide aux médecins Syriens, notamment une formation aux soins des traumatismes. Mais le compte-rendu s’est confronté à des analystes sceptiques.
Ces affirmations contradictoires ont rendu essentielle la collecte d’échantillons physiques. Mais Médecins Sans Frontière n’y participera pas, dit Mme Delauney, en expliquant « ce n’est pas notre rôle de collecter des échantillons pour tel ou tel gouvernement ou agence d’investigation. »
A la place, des médecins Syriens comme Majid, l’anesthésiste, réunissent des échantillons sous la supervision de groupes d’expatriés.
L’explosion qui a précipité Majid à l’hôpital au printemps dernier s’est déroulée au milieu de la nuit. Lors d’une interview après l’incident, il dit qu’il a seulement été capable de recueillir des échantillons de deux personnes ; la cohue des patients était trop accablante pour en collecter davantage. Il a eu du souci pour les préserver ; avec l’électricité qui fonctionnait seulement de manière intermittente, il n’y avait pas une réfrigération constante.
« Ils sont conservés dans un endroit frais et sec », dit-il, enfin.
C’était le 25 Avril. Quelques heures plus tard, Mr Kerry et le secrétaire de la défense Chuck Hagel disaient pour la première fois que le service des renseignements Américain avait une preuve — « avec un degré de fiabilité variable, » dit Mr Hagel — que le gouvernement Syrien a eu recours aux armes chimiques.
Sitographie
- http://www.nytimes.com/2013/10/22/health/in-syria-doctors-risk-life-and-juggle-ethics.html?pagewanted=2&_r=0&src=xps
- http://www.integrersciencespo.fr/blog/index.php?article15/orientations-politiques-de-la-presse-etrangere#.UpT_Dc2vDZQ
- http://fr.wikipedia.org/wiki/The_New_York_Times
4. Cet article comprend des témoignages de médecins Syriens. Cela permet de comprendre comment ils ont vécu l’attaque chimique, eux qui ont soigné de nombreux civils blessés et qui ont risqué leurs vies. Ces témoignages rendent l’article concret et réaliste, ils nous apportent la vision de personnes qui ont réellement vécu ce dont ils parlent.
L’éthique des médecins est également abordée, à savoir les médecins doivent-ils révéler le non-respect des droits de l’Homme ? L’article a dont également la vocation de faire avancer le débat avec des arguments à l’appui.
[1] Syrian American Medical Society
[2] World Health Organization
[3] Doctors Without Borders
[4] substance inodore, incolore et qui absorbée peut être fatale
[5] maux de tête etc.
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