La Turquie, puissance et identité.

« A la confluence de trois mondes, la Turquie est le pivot stratégique de l’Eurasie. Au milieu du chaos oriental, de l’imbroglio balkanique, des soubresauts caucasiens, elle est un îlot de stabilité. Du fait de sa position géographique entre terre et mer, la Turquie essuie le ressac de l’éternelle lutte entre puissance terrestre et océaniques. »

JOSSERAN Tancrède, LOUIS Florian, PICHON Frédéric, Géopolitique du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Du Maroc à l’Iran, PUF 2012.

La Turquie est un pays très riche culturellement, avec un rayonnement international, tant en terme d’histoire, que d’économie et de politique. La complexité de ce pays en plein essor résulte de plusieurs composantes : tout d’abord l’Histoire de la Turquie, ensuite sa position et ses réseaux géostratégiques, son identité culturelle, sa politique intérieure et extérieure et pour finir son économie. Ceci nous aidera à répondre à la problématique suivante : les clivages de la Turquie nuisent-ils à sa puissance ?

La capitale de la Turquie est Ankara, mais sa plus grande ville reste Istanbul. Étendue sur une surface d’environ 800 000km², la Turquie est un pays situé à la frontière de trois continents. Sa population est d’environ 75 millions d’habitants. Sa langue officielle est le turc, mais d’autres langues telles que le Kurde, le Dimli, l’Azéri et le Kabardian y sont parlées. Il y a 99% de musulmans, dont environ 60% de sunnites, 20% d’Alévins, 20% de chiites et moins de 1% de chrétiens.

Concernant l’histoire de la Turquie, il faut noter plusieurs périodes incontournables : L’Empire Ottoman, le Kémalisme, ainsi que la Révolution du Bosphore.

L’Empire Ottoman est né de la fusion de l’Empire Byzantin et Seldjoukide. Il a été créé au XIVème siècle et est tombé officiellement en 1923. A son apogée, l’Empire Ottoman est culturellement et religieusement très diversifié. Il se compose notamment de Turcs, d’Arabes, de Persans, de Tatars, de Kurdes, de Grecs mais regroupe également des musulmans, aussi bien sunnites que chiites, des Chrétiens et des Juifs.

D’abord peuple envié et admiré des Européens, ils subirent ensuite une campagne de diabolisation à partir du XVIIIème siècle, notamment à cause des massacres qu’ils perpétrèrent à l’encontre des Grecs (1822 : île de Scios). Ils s’inspirèrent des Lumières pour installer diverses réformes dans l’Empire Ottoman au XIXème siècle, dans le but de sauver leur Etat qui s’affaiblissait.

L’empire Ottoman fit la guerre du côté des Allemands durant la Première Guerre Mondiale, et perdit face aux Russes en 1915. Cette même année, ils furent également en cause du génocide Arménien. En 1923, l’Empire Ottoman chuta et fut démantelé, et laissa place à la République Turque de Mustafa Kemal.

Ensuite, en 1923, Kemal contribua à créer la République Turque. Il combattit le traité de Sèvres de 1920 qui prévoyait de démanteler entièrement la Turquie actuelle. Finalement, le traité de Lausanne créa les frontières actuelles de la République Turque en 1923.

Kemal se distingue des autres dictateurs car pour lui, ce n’était qu’une situation transitoire afin de pousser la Turquie vers la modernité. Il tenta de créer des partis d’opposition en 1925 et 1930, sans succès. Il faudra attendre 1946 avant de voir s’installer le multipartisme en Turquie. En 1924, une Constitution plutôt libérale fut adoptée et l’Assemblée vota l’abolition du califat, faisant disparaitre le pilier central de l’Islam sunnite, ouvrant la voie à la laïcité.

Il fut à l’origine de l’éducation laïque, l’alphabet latin, un nouveau Code Civil, des avancées dans les Droit des Femmes et une économie nationale et l’industrialisation du pays, qui conduisirent à une économie de marché.

En 1938, Mustafa Kemal meurt. La Turquie poursuit dans la voie de la démocratie et la laïcité. Elle devient membre de l’OTAN en 1952. Malgré deux Coups d’Etats militaires échoués (1960 et 1980), la Turquie reste une démocratie, même si certaines tensions religieuses et ethniques persistent.

Enfin, il est important de parler de la Révolution du Bosphore. L’AKP, le parti islamo-conservateur d’Erdogan, est à l’origine de la révolution du Bosphore. Ce qu’on appelle la révolution du Bosphore est en fait une vague de réformes et de changements sociaux qui ont conduits la Turquie à accéder au statut de candidat à l’UE en 2005. Mais depuis 2005, la Turquie semble s’éloigner de plus en plus des critères de l’Union Européenne, notamment à cause des scandales de corruption qui ont touchés le Gouvernement Turc ces dernières années. L’AKP a également été accusé de non-laïcité en 2008.

Cette histoire chargée explique partiellement la situation géopolitique actuelle de la Turquie. Empire tricontinental sous l’Empire Ottoman, elle reste culturellement diversifiée et regroupe de nombreux clivages ethniques et religieux. La fondation de la République a laissé des traces dans l’esprit turc, car la Turquie actuelle a failli ne jamais exister et être totalement démantelée.

La Turquie : Un nouveau pivot géostratégique

La géographie physique

Le territoire de la Turquie est un territoire complexe, il représente certains clivages, certaines dualités, qu’il est intéressant de comprendre afin de pouvoir appréhender le fonctionnement du pays.

Tout d’abord, il est important de constater que le territoire turc est décomposé en plusieurs régions, qui forment deux grandes familles de région naturelle. Les familles de région naturelle, sont des familles qui comportent des régions ayant les mêmes caractéristiques. Concernant la Turquie, il y a les régions maritimes ainsi que les différentes régions de l’Anatolie (centrale, orientale et du sud-est).

C’est à partir de ce constat, que nous découvrons les premiers clivages de la Turquie. En effet, ces deux grandes familles de région engendrent des différences en termes de développement et de mode de vie. Il y a une forte différence entre le littoral et les régions de l’intérieur. Les contrastes y sont frappants. A l’intérieur par exemple, on peut trouver un climat semi-aride avec des modes de vie très simples et parfois très ruraux, il y est même possible de trouver des nomades. Alors qu’à Istanbul, nous allons avoir une forte concentration métropolitaine et donc une urbanisation prononcée. Nous voyons également une grande différence entre l’Ouest du pays, très développé et l’Est du pays beaucoup moins avancé et très montagneux.

En plus d’impacter le mode de vie des turcs, ce clivage géographique peut également impacter sur le tourisme. Effectivement nous voyons une forte concentration des touristes à Istanbul ainsi que sur le littoral méditerranéen, aboutissant alors à un abandon des régions de l’est.

Enfin, il est possible de constater que le clivage bioclimatique et écologique influence fortement l’agriculture. Avec par exemple une spécialisation en maïs pour les régions du littoral et une spécialisation en orge dans le centre.

Tous ces éléments nous permettent de dire que le territoire turc en lui-même est complexe et qu’il est la cause de fractions régionales et de premiers clivages qui peuvent potentiellement impacter la population, avec notamment le clivage Est/Ouest qui est le plus important.

Un carrefour stratégique

A présent, il est important de comprendre la position de la Turquie dans le monde. Il faut savoir que la Turquie est entourée de trois continents : l’Europe, l’Asie et l’Afrique. Elle est également bordée par trois mers : La mer Méditerranée, la mer Egée et la Mer Noire.

Du fait de sa position, la Turquie sert de « pont » pour faire le lien entre l’Orient et l’Occident. En effet, elle est cœur d’un trafic d’influence entre les trois continents. Et elle a réussi à en tirer profit. Effectivement, étant en lien direct avec l’Europe, elle a su développer ses relations avec les différents pays européens. Elle a également pu tisser des liens forts avec la Russie grâce à la mer Noire. Mais aussi avec les pays des Balkans, le Caucase, le Moyen Orient et même les Etats Unis. Il est également possible de noter le développement des relations commerciales sino-turques.

Le détroit du Bosphore illustre parfaitement ces propos, et montre l’importance de la position turque, en étant un véritable lieu de trafics, de flux, et d’échanges.

La Turquie a donc été capable de confirmer sa position, en créant un réseau d’influence important et en développant ses relations commerciales avec le reste du monde.

Un pays de réseau

Du fait de sa position géographique, la Turquie a pu développer de nombreux « réseaux ». Mais il faut tout de même noter que ces réseaux ne sont pas tous souhaités et que la Turquie se passerait bien de certains.

Pour commencer, il faut savoir que la Turquie est souvent qualifiée comme le « Château d’Eau » du Moyen Orient. En effet, le Tigre et l’Euphrate prennent leur source dans les Monts Taurus, qui se situent dans l’Est de la Turquie. Le Tigre et l’Euphrate sont deux grands fleuves qui irriguent l’Irak et la Syrie. La Turquie irrigue environ deux millions d’hectares de terre aride et elle s’est même lancée très tôt dans une politique d’aménagement de l’Euphrate. Le fait que ces deux fleuves prennent source sur son territoire, donne à la Turquie une position dominante et avantageuse sur les autres pays.

En effet elle a et elle va mettre en place différents barrages permettant d’avoir un certain contrôle sur cette eau. Selon certains, « l’eau de le pétrole de la Turquie ».

 

Carte issue “du dessous des cartes” arte

En plus de ce réseau d’eau, la Turquie est au centre d’un autre enjeu crucial, celui des hydrocarbures. En effet, le territoire turc a réussi à s’imposer en tant que pont énergétique entre les producteurs d’hydrocarbure, les pays du Moyen Orient et les consommateurs d’hydrocarbure, les pays d’Europe. Il existe beaucoup de raffineries et de champs pétroliers dans des pays comme la Syrie, l’Irak, ou encore l’Iran. C’est un enjeu crucial pour tous les pays autour de la Turquie et pour la Turquie elle-même. C’est pourquoi, il existe trois projets de transport énergétiques prévu d’ici 2020. Cependant, ces projets soutenus par différents pays peuvent mener à des conflits d’intérêt. En effet, il existe donc trois projets de gazoducs qui sont en concurrence directe.

Il y a tout d’abord Nabucco, qui serait un gazoduc reliant l’Iran aux pays d’Europe en passant par la Turquie. Un projet soutenu par Bruxelles et Washington.
Ensuite il y a South Stream, reliant la Russie et les pays d’Europe centrale. Projet soutenu par la Turquie elle-même et la Russie.
Et enfin TAP, qui passerait par le sud de l’Italie et qui serait un projet alternatif à Nabucco. Actuellement la réalisation de Nabucco semble très peu probable alors que celle de TAP et de South Stream le sont plus. Nous voyons donc qu’il peut y avoir beaucoup de négociations et de conflits qui pourraient perturber la stabilité du pays.

De plus, la Turquie est une terre de passage, permettant l’accès à l’Occident. Il est vrai que beaucoup de migrants clandestins quittent l’Orient pour gagner les pays d’Europe par voie terrestre. Les migrants, arrivant d’Afghanistan, du Pakistan, d’Iran, d’Irak ou encore de Syrie ont deux choix en arrivant en Turquie. Soit ils passent par la Grèce ou la Bulgarie pour rejoindre les Balkans et l’Europe de l’Ouest. Soit ils passent par la Roumanie ainsi que la Hongrie et l’Autriche pour atteindre l’Allemagne. Dans les deux cas, les migrants clandestins passent par la Turquie et c’est dans ce pays qu’ils font leur choix d’itinéraire. C’est un vrai problème pour le pays, notamment avec la montée du nationalisme et la volonté de renforcer les frontières en Europe.

Un autre réseau également non souhaité est celui de la drogue. En effet la Turquie joue un rôle incontestable dans le trafic de drogue, bien, qu’il y ait peu de production dans le pays même. La Turquie sert surtout de « transit ». Beaucoup de pays producteurs visent les marchés européens. La drogue provient majoritairement de l’Orient et passe par la Turquie. Mais peut venir de l’Amérique du Sud, notamment de Colombie en passant par le Sahel, remontant par des pays comme la Syrie et traversant donc la Turquie. Les autorités anti-drogue du pays font un effort considérable. Cependant, l’importance du transport routier en Turquie, l’incapacité du gouvernement à contrôler ses frontières (avec l’Iran, l’Irak ou la Syrie) et les gros problèmes de corruption dans la lutte anti narcotique, font que le trafic reste toujours aussi dense.

Enfin, la Turquie est considérée comme un « état tampon ». C’est-à-dire qu’elle est entourée de pays très instables. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle est à la porte du conflit actuel lié à Daech. En effet les troupes de l’Etat Islamique sont actuellement à quelques kilomètres de la frontière turco-syrienne, avec la ville de Kobane en ligne de mire.

 

Identité et ethnies

Les différentes ethnies

La population Turque est plutôt jeune, avec une moyenne d’âge de 28.5 ans. Le taux d’éducation reste assez faible, avec une forte disparité entre la ville et la campagne. Le taux de travail des femmes est de seulement 28%.

Au niveau des cultures, il y a 79% de Turcs, 20% de Kurdes et moins de 1% d’Arméniens, de Juifs et de Grecs. Il y a cependant 46 groupes ethniques en Turquie mais seulement trois (les Kurdes, les Arméniens et les Grecs) ont été reconnues par le traité de Lausanne en 1923. Il y a eu plusieurs montées de xénophobie en Turquie au cours du XXème siècle.
Ces clivages ethniques sont très importants à souligner car ils montrent la fraction et la fragilité du peuple turc.

La question Kurde

Le peuple Kurde est le seul peuple réuni sur une zone géographique restreinte, qui n’a jamais réussi à obtenir l’autodétermination et le droit de fonder un Etat. Ils sont écartelés entre l’Irak, l’Iran, la Syrie et la Turquie. La population kurde du pays aspire à une forte autonomie, mais elle subit la loi martiale depuis 1987 et une forte répression s’opère dans le Kurdistan turc.
Le mouvement clandestin Kurde fit l’objet d’une répression très dure entre 1980 et 1983. Il y eut 3 000 villages détruits, 2 Millions de réfugiés et de nombreux partis politiques kurdes furent interdits. Le PKK, Parti des travailleurs du Kurdistan, se lança à partir de cette date dans une guérilla contre l’Etat Turc, accompagnée d’attentats et d’affrontements contre les militaires turcs. Ce conflit interne n’est toujours pas résolu, malgré un relatif apaisement de la situation. Aujourd’hui une solution politique semble privilégiée, avec l’introduction de 20 députés Kurdes à l’Assemblée Nationale en 2007, même si les récents évènements en Irak, la chute de la ville de Kobane, et la non-réaction de la Turquie amène la communauté internationale à remettre en questions les efforts turcs.

Le face à face de deux Turquies

La Turquie semble également être un pays tiraillé par différents aspects culturels. Tout d’abord, il y a la rivalité entre Istanbul et Ankara. La quasi-totalité des sièges d’entreprises se trouvent à Istanbul, ville monde, chargée en culture, au rayonnement international. Ankara, ville purement turque, a été la capitale choisie par Mustafa Kemal, qui fit son possible pour la moderniser.
« D’un côté, la république Kémaliste, modernisatrice mais autoritaire, méfiante à l’égard de Bruxelles et de Washington. De l’autre, une tradition tout à la fois plus religieuse, plus conservatrice mais aussi plus libérale surtout en matière économique, réformiste pro-UE. » La Turquie, Ali Kazancigil, Editions le Cavalier Bleu, 2008. Istanbul incarne par excellence la ville de l’AKP.

Il y a également un fort clivage entre la Turquie rurale et la Turquie urbaine. En effet, dans les villes, le taux d’alphabétisation est de presque 100% contre 70% dans les campagnes. Les différences de revenu vont également de 1 à 10.

Un autre clivage est représenté par la question du port du foulard. C’est l’opposition de la laïcité et de l’islamisme. Le foulard était interdit jusqu’en 2008 à l’université et dans les administrations publiques. Pour le remplacer, les étudiantes portaient des perruques. La plupart des Turcs (environ 75%) semblaient favorables à l’autorisation de porter le voile à l’université, ce qui pose le problème de la laïcité dans un pays quasiment exclusivement musulman. Après plusieurs tentatives, notamment en 2008, le Gouvernement est parvenu à lever l’interdiction, ce qui a provoqué de nombreuses manifestations. Le voile fait donc son retour dans les universités, les écoles et notamment sur les chaines de télévision, où une présentatrice est récemment apparue voilée.

En conclusion, les clivages ethniques sont une vraie composante de la politique actuelle de la Turquie. Son passé avec la minorité Kurde est un facteur de compréhension de la stratégie militaire du Gouvernement Turc contre l’Etat Islamique.

Enjeux politiques et économiques

La politique intérieure

La politique de la Turquie, est sous la forme d’une république multipartite à régime parlementaire. Le pouvoir exécutif est exercé par le gouvernement et le pouvoir législatif est partagé entre le gouvernement et le parlement. La Constitution actuelle est celle du 7 novembre 1982. Les dernières élections présidentielles se sont déroulées le 10 août 2014. Il faut noter qu’elles ont été pour la première fois sous la forme du suffrage universel direct et c’est l’ancien premier ministre Recep Tayyip Erdoğan qui a été élu président. Il fait partie de l’AKP (Parti pour la justice et le développement), un parti islamo-conservateur. L’une des principales volontés du nouveau président en termes de réforme est de renforcer le pouvoir présidentiel.

Durant sa mission de premier ministre, Erdogan a été soumis à de fortes contestations. Notamment en 2013. Le mouvement a débuté le 28 mai à Istanbul par un « sit-in » d’une cinquantaine de riverains auxquels s’associent rapidement des centaines de milliers de manifestants. Par son ampleur, la nature de des revendications et les violences policières qui lui ont été opposées, ce mouvement a été comparé au printemps arabe, ou encore à Mai 68. A cela s’ajoute une accusation de « dérive autoritaire » par l’Occident, après les scandales de corruption qu’Erdogan a dénoncé de complot, avant de purger la police et de démuseler les réseaux sociaux et la justice. Certains médias occidentaux ont même osé faire une comparaison d’Erdogan au Président russe, Vladimir Poutine. En effet, selon le Figaro : « Il existe dans la population turque la même acceptation du compromis observé en Russie, entre enrichissement et libertés publiques. ». Il annonce également : « Si la Russie de Poutine cherche à créer son propre bloc eurasien en marge de ceux existant, la Turquie voudrait, elle, être un trait d’union entre les blocs occidentaux et musulmans… »

Nous voyons ici un président contesté tant par sa population que par l’Occident. Le contraste est que beaucoup de turcs et de médias savaient que son élection allait être gagnée d’avance. Il est vrai qu’Erdogan a été très apprécié car il a débarrassé la Turquie de la tutelle de son armée. Et la majorité religieuse et conservatrice a su profiter de la forte croissance économique durant ses mandats.

La politique extérieure

La politique extérieure de la Turquie serait plutôt celle du « zéro problèmes avec mes voisins ». La Turquie cherche à maintenir la paix autour d’elle, même si elle pratique de ce fait une politique plutôt floue, tiraillée entre l’islamisme du Moyen-Orient et la laïcité de l’Europe. Deux principaux problèmes sont toujours en cours : le génocide arménien et le conflit chypriote.

Le génocide arménien aurait fait 1.2 Million de victimes dans la population arménienne de l’Empire Turc. L’empire ottoman comptait environ 2 millions d’Arméniens à la fin du XIXe siècle sur une population totale de 36 millions d’habitants. Entre 1894 et 1896, les Arméniens demandent des réformes et une modernisation de l’Empire : le sultan Abdul-Hamid II (le Sultan Rouge) ordonne l’assassinat de 200 000 à 250 000.Les occidentaux ferment les yeux et émettent seulement de plates protestations. Les Jeunes Turcs, en 1909, placent sur le trône Mohamed V, et pour assurer « l’homogénéité » de leur pays, massacrent entre 20 000 et 30 000 Arméniens d’Asie Mineure à Adana. En 1915, suite à la défaite de la Turquie contre les Russes, le massacre commence. Le gouvernement commence par envoyer en camps de travail les hommes. Puis ils déportent ensuite le reste de la population arménienne. 2/3 des Arméniens de Turquie disparaissent.
Aujourd’hui, la Turquie ne nie pas le massacre, mais en nie la responsabilité et refuse de lui attribuer le terme de « génocide ».

Il est également important de parler du conflit Chypriote. La séparation de l’île s’est produite après la décolonisation de Chypre. Jusqu’en 1960, les deux communautés grecques et turques vécurent côte à côte pendant des siècles, sous les dominations ottomanes puis britanniques. La Constitution du nouvel Etat a privilégié la minorité turcophone par rapport à la majorité grecque : les Turcs, qui représentaient 18% de la population se sont vus octroyé 30% des sièges au Parlement et au Gouvernement. Des affrontements intercommunautaires surgissent très rapidement. En 1974, des colonels grecs tentent un Coup d’Etat. Des troupes d’Ankara débarquent et occupent rapidement 38% du territoire. La situation est bloquée depuis lors. Une solution diplomatique est aujourd’hui recherchée.

Ces deux conflits, montrent bien que la politique du « Zéro conflit avec mes voisins » est difficile à mettre en œuvre, ce qui consiste un premier clivage en termes de politique extérieure.
Un autre clivage, qu’il est important de mentionner est celui de la volonté du « leadership » régional. La Turquie a pour volonté d’être le centre, le leadership de ses pays voisins. Cependant, ce n’est pas choses facile, notamment avec la concurrence de l’Arabie Saoudite et du Qatar.
Par ailleurs, il existe un autre clivage très important, celui de l’ouverture sur l’Occident. La Turquie cherche à s’ouvrir sur l’Occident. Mais nous voyons que cette dernière commence à prendre une certaine distance avec ces pays. Par exemple, récemment, les liens entre Erdogan et  Barack Obama ont été rompu par le président turc lui-même, à cause de la politique américaine en Syrie, que la Turquie désapprouve.

De plus, il y a eu récemment une polémique à propos de l’intervention de la Turquie contre l’Etat Islamique, ce qui creuse davantage la distance entre le pays et l’Occident. Le 2 Octobre, le Parlement Turc a voté une motion autorisant l’armée à intervenir en Irak et en Syrie. Mais le principe de leur intervention reste encore très floue, et semble viser d’abord le PKK (les Kurdes), avant même l’Etat islamique. C’est toutefois une intervention très tardive de la Turquie, et la communauté internationale se demande si ce n’est pas une façon de déstabiliser les Kurdes, qui se battent actuellement contre l’Etat Islamique.

Enfin, comme nous l’avons dit précédemment, la Turquie est en négociation pour rentrer dans l’UE, mais les critères semblent de moins en moins respectés. L’Etat de Droit ou la séparation des pouvoirs semblent moins respectés. Le Gouvernement Turc a également été éclaboussé de scandale de corruption, et a refusé que les proches d’Erdogan soient jugés par la justice.

Une économie diversifiée avec certaines fragilités

L’économie turque  est une économie en pleine croissance. En effet, alors que le PIB de la zone euro et de la France affichaient respectivement une récession de 0,4% et une croissance de 0,3%, le PIB de la Turquie atteint les 4 % en 2013 et continue sa croissance en atteignant 4,3% au premier trimestre de 2014. Cela peut être dû à Erdogan qui a fait en sorte que la Banque Centrale baisse ses taux directeurs, ce qui a engendré une baisse des taux d’intérêts. A cela s’ajoute une monnaie dévaluée, ce qui est une très bonne chose pour les échanges commerciaux. La Turquie n’a donc pas à s’inquiéter pour son économie. D’autant plus que c’est une économie très diversifiée et donc très riche. En effet, on voit un rôle très important du tourisme (avec des grosses entreprises comme Turkish Airlines), mais également du transport des hydrocarbures ou encore de la production d’or et d’eau. Cependant, nous pouvons remarquer encore une fois certains clivages économiques. En effet la croissance économique turque est rapide mais elle manque de financement à long terme. Pour cela il est nécessaire de rassurer les investisseurs extérieurs avec un cadre politique stable, ce qui n’est pas tout à fait le cas pour le moment. Par ailleurs, il existe tout de même des IDE entrants mais qui, cependant, creusent d’autant plus les déséquilibres spatiaux.

De plus il est important de souligner l’importance de l’économie souterraine en Turquie. Les activités informelles sont effectivement très importantes. Il existe beaucoup de doutes à ce sujet et cela peut poser des problèmes de confiance ainsi que des problèmes éthiques.

Enfin, il existe un problème lié à l’éducation. Malgré une population jeune et dynamique, il existe un réel manque d’éducation et de formation en Turquie. De ce fait une éducation informelle s’est organisée dans le pays, avec une forte augmentation des leçons privées et des cours donnés par une organisation autre que l’Etat. Beaucoup d’étudiants cherchent à compléter leurs études pour développer davantage de connaissances et combler ce manque de formation.

Malgré la croissance économique intéressante de la Turquie, il peut y avoir des risques à long terme dans le domaine des financements extérieurs et de formation.
Cependant, le président Erdogan a confiance en son pays et compte faire passer la Turquie dans les dix premières puissances mondiales conformément à son programme « objectifs 2013 ». De plus, M. Gül, homme d’Etat turc (membre de l’AKP) a déclaré au quotidien Dagens Nyheter “Si on prend en compte le taux de croissance il est vraisemblable que la Turquie va devenir l’une des économies les plus puissantes d’Europe dans la décennie à venir“. Et il a poursuivi en disant : “La Turquie sera la plus grande économie, oui, numéro un, en 2050“.

 

Les clivages de la Turquie constituent son identité. En effet, il est important de les comprendre pour pouvoir analyser le fonctionnement du pays. Il y a donc des clivages au niveau de la position de la Turquie qui va à la fois lui être favorable et défavorable. Des clivages identitaires avec des ethnies très différentes et l’influence d’une culture orientale et occidentale. Des clivages également politiques, avec une politique intérieure qui relie confiance et corruption. Des clivages en termes de politique extérieure, laquelle s’avère être très contradictoire, avec une candidature d’adhésion à  l’UE d’un côté et un rapprochement avec l’Orient de l’autre. Et enfin des clivages économiques qui montrent une croissance forte mais qui peut être facilement fragilisée.

Il s’agit donc de savoir si tous ces clivages sont susceptibles de nuire à la puissance de la Turquie. La réponse n’est pas si simple. Cependant en vue des différents éléments abordés, nous voyons que la puissance économique de la Turquie est en pleine croissance et que les autorités feront tout pour que cela perdure. Il faudra donc rassurer les investisseurs et axer davantage la politique sur l’éducation afin de pouvoir obtenir une croissance aussi stable sur le long terme que rapide.
Si la puissance économique n’est pas gênée par les différents clivages, nous ne pouvons pas en dire autant de la puissance politique. En effet, les clivages, qu’ils soient géostratégiques, identitaires ou encore gouvernementaux, ont un impact direct sur la puissance politique. Ils engendrent effectivement beaucoup de conflits tant internes qu’externes et peuvent poser des problèmes en termes d’image.

Cependant, il est important de remarquer la volonté d’amélioration continue venant de la Turquie. En effet, voulant rentrer dans l’UE, la Turquie est obligée de respecter des critères exigeants. Elle fera donc tout pour lisser les conflits et améliorer son éthique ainsi que son image pour confirmer sa position de « pont d’Union » et « d’ilot de stabilité » aux yeux du reste du monde.

Charlène Peteuil & Lucie Pajon

Turquie – la révolution du Bosphore, Marc Semo, Editions du Cygne, 2009

La Turquie, Ali Kazancigil, Editions le Cavalier Bleu, 2008

La Turquie : Géographie d’une puissance émergente, M. BAZIN & S. TAPIA, 2012

Turquie – la révolution du Bosphore, Marc Semo, Editions du Cygne, 2009 à Identité

La Turquie, Ali Kazancigil, Editions le Cavalier Bleu, 2008 à Histoire, identité

Livre : La Turquie géographie d’une puissance émergente, 2012 à Géographie physique

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