La dissuasion nucléaire est-elle encore d’actualité ?
Bernard Brodie (1910-1978), le militaire américain qui a établi les bases de la stratégie nucléaire, nous expose la dissuasion nucléaire comme un concept qui « déplace la question centrale du comment gagner la guerre à comment l’éviter ». Plus tard, Etienne Copel (1935), Général de la brigade aérienne française soumet quant à lui l’idée selon laquelle « l’humanité a accumulé de quoi mettre un terme à l’histoire humaine sur la terre ».
Soulevé dès les débuts de la guerre froide, ce concept de dissuasion nucléaire a joué un rôle central dans les stratégies de défense et les relations des « deux grands » à savoir le bloc Soviétique et le bloc Américain. L’arme nucléaire a suscité une rupture profonde dans l’histoire de l’humanité avec les bombardements de Nagasaki et Hiroshima en 1945. Il n’est d’ailleurs pas admis avec certitude que le 21ème siècle se termine sans que l’arme ne soit utilisée une troisième fois.
Il est intéressant ici d’analyser cette notion au niveau mondial, puisque à proprement parlé, la dissuasion repose sur une relation interétatique. Pour répondre à la problématique centrale : « La dissuasion nucléaire est-elle encore d’actualité ? », nous allons nous poser les questions suivantes : Pourquoi la dissuasion est encore d’actualité ? Et pourquoi dérive-t-elle vers une idée d’abandon ? La dissuasion nucléaire est-elle aussi efficace et adaptée au 21ème siècle qu’au 20ème siècle?
N.B : Rappelons qu’ici nous comprenons la notion « actualité » comme faisant référence à la qualité de ce qui est récent, donc de ce qui appartient ou convient au moment présent.
Pour répondre à ces questions, et s’intéresser à cette notion de dissuasion nucléaire, nous allons présenter trois grandes parties. Dans un premier temps, nous développerons les fondamentaux de la dissuasion nucléaire (origine, définitions et moyens d’acquisitions). Puis, nous présenterons en quoi cette notion est encore d’actualité dans ce monde multipolaire (persistance des grands, avancée des petits pays proliférants et caractéristiques). Enfin, nous finirons par exposer l’émergence de nouvelles contraintes qui remettent en cause cette stratégie de dissuasion (questions en suspens, nouveaux enjeux du 21ème siècle et présence de produits de substitution).
I / Comprendre la notion de dissuasion nucléaire
A/ Quelle en est l’origine ?
La dissuasion nucléaire est née lors de la Guerre Froide durant laquelle s’opposait le bloc de l’Est (emmené par l’URSS) et le bloc de l’Ouest (emmené par Etats-Unis). La bombe nucléaire, dont l’idée fut initialement conçue en Allemagne, restera un monopole américain de coercition jusqu’en 1949.
En effet, c’est dans le cadre du « Projet Manhattan » entamé en 1938 aux Etats-Unis afin de réaliser un engin explosif que le premier essai nucléaire de l’histoire est réalisé en juillet 1945 dans le désert du Nouveau-Mexique sous le nom de code « Trinity ». Cette expérience est une telle réussite que le Projet Manhattan aboutit au lancement d’une bombe atomique sur Hiroshima le 6 août 1945 et sur Nagasaki 3 jours plus tard. Contribuant à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’arme nucléaire a donc été utilisée comme moyen de coercition en contraignant le Japon à la capitulation le 2 septembre 1945.
C’est dans le cadre de l’établissement de « l’équilibre de la terreur » que l’arme nucléaire passe d’un monopole américain à un oligopole puisque l’URSS fait exploser sa première bombe A au Kazakhstan en août 1949. Une course à l’armement nucléaire et une prolifération verticale (nombres de têtes) s’en suivent avec la constitution du « club nucléaire » composé de pays intéressés par l’avantage dissuasif de l’arme atomique (Russie, Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Chine).
Néanmoins, la dissuasion nucléaire montre ses premières limites lors de la crise des missiles de Cuba en 1962. En 1967 apparaît donc la nécessité de contrôler la prolifération de puissances nucléaires. S’engage alors une dé-prolifération verticale entre les Etats-Unis et l’URSS à travers plusieurs traités. Les accords Strategic Arms Limitation Talks (SALT) 1 en 1972 et 2 en 1979 signés par les deux grands fixent aux armes stratégiques offensives des plafonds. Les accords Strategic Arms Reduction Treaty (START) 1 en 1991 et 2 en 1993 imposent quant à eux une réduction des arsenaux de chacun des deux pays. De même, le Traité de Washington du 8 décembre 1987, le Traité de Paris du 19 novembre 1990 et le Traité de Moscou du 31 juillet 1991 entrevoient la réduction mutuelle des armements nucléaires stratégiques.
Cependant, dans un même temps s’engage une prolifération horizontale (nombre de pays développant la bombe). C’est pourquoi les puissances du Conseil de Sécurité de l’ONU établissent en 1968 le Traité de Non-Prolifération Nucléaire (TNP) afin de contrôler les risques associés à cette prolifération. Par ce traité, les 5 puissances nucléaires s’engagent à ni transférer des armes nucléaires, ni à aider des Etats non nucléaires à en fabriquer. Néanmoins, les Etats-signataires ont l’autorisation d’accéder au nucléaire civil s’ils se soumettent aux vérifications de l’AIEA (l’Agence Internationale de l’Energie Atomique) et s’ils s’engagent à ne pas se doter de l’arme nucléaire.
B/ Qu’est-ce que la dissuasion nucléaire ?
« La dissuasion constitue l’assurance d’une nation contre toutes menaces d’origine étatique visant les intérêts vitaux d’un pays grâce à sa possession de l’arme nucléaire »[1].
Dissuader quelqu’un est le détourner de son intention de faire quelque chose. Dans ce contexte, il n’y a donc pas d’emploi de la force. Il s’agit en d’autres termes d’influencer un acteur à ne pas agir. Le nucléaire correspond quant à lui au noyau de l’atome et à toute l’énergie qui s’en dégage. Finalement, si l’on relie ces deux notions, nous pouvons dire que la dissuasion est née de la confrontation d’un moyen (l’arme nucléaire) et d’une idée (la dissuasion). La doctrine de la dissuasion nucléaire s’est développée sur l’hypothèse de la rationalité des opposants.
La notion de dissuasion nucléaire s’appuie sur un caractère terrifiant au vu de la puissance d’une telle arme. Il y a donc un impact psychologique considérable sur les hommes. Le rapport entre la puissance d’une arme nucléaire et celle d’une arme conventionnelle est d’environ « 100 000 pour 1»[2].
Les caractéristiques de la dissuasion nucléaire
Il existe aujourd’hui 2 types de dissuasion : par interdiction ou par représailles. La première consiste à convaincre l’ennemi qu’il n’arrivera pas à ses fins. La deuxième, est de loin le principal mode de dissuasion nucléaire qui consiste à dire que cette dernière est une menace : je menace d’attaquer parce que j’ai en ma possession l’arme nucléaire.
La dissuasion repose sur trois grands principes. Le premier est relatif à la permanence de l’arme, c’est-à-dire que le dispositif est toujours effectif. Le 2ème principe est la crédibilité. L’acteur doit être assez crédible pour que l’agresseur redoute la menace d’engager le feu nucléaire. Enfin, l’arme doit être strictement suffisante c’est-à-dire exclusivement défensive, excluant toutes attaques.
Les armes nucléaires
Les armes nucléaires sont des armes non conventionnelles de dissuasion, en opposition avec les armes conventionnelles dites classiques (« de guerre ») qui sont donc conformes aux conventions internationales. C’est en raison de ses effets destructeurs que l’arme nucléaire est considérée comme non conventionnelle : effet de souffle de l’explosion qui détruit tout sur son passage, chaleur de l’explosion qui provoque incendies et graves brûlures et effet des radiations (syndrome d’irradiation aigue[3], pollution radioactive, impacts sur l’individu à long terme – à relativiser-).
Cette arme de destruction massive utilise deux types d’énergies : soit l’énergie dégagée par la fission de noyaux atomiques lourds appelés Uranium et Plutonium (ce qui donne la bombe A) soit l’énergie dégagée par la fusion de noyaux atomiques légers, l’hydrogène, qui donne la bombe H. Cette énergie se mesure en kilotonne ou mégatonne.
Les armes nucléaires peuvent être utilisées à des fins tactiques ou stratégiques. Celle utilisée dans le cadre de la stratégie (exemples des bombes de Hiroshima et Nagasaki) consiste à détruire une agglomération ou/et les moyens de représailles. En revanche, une arme tactique permet les tactiques purement militaires qui consistent à attaquer les forces ennemies sur un champ de bataille[4]. D’un point de vue technique, une ogive nucléaire est la partie antérieure d’un projectile qui contient la charge nucléaire. Une ogive est opérationnelle lorsqu’elle est associée à un vecteur nucléaire, chargée de l’amener sur la cible.
Il existe 3 composantes nucléaires : aérienne, maritime et terrestre. La Chine, les Etats-Unis et la Russie possèdent les 3 composantes, alors que la France a resserré son dispositif autour des composantes aériennes et maritimes, et le Royaume Uni autour de la composante maritime seulement. La composante maritime a comme principaux atouts l’invulnérabilité et la discrétion. La composante aéroportée quant à elle, montre la démonstrabilité puisqu’elle est détectable.
La « hiérarchie nucléaire » : les détenteurs de l’arme nucléaire (voir carte ci-dessous)
En bordeaux, on retrouve le « club nucléaire » c’est-à-dire les 5 puissances nucléaires officielles, toutes membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU. Elles sont reconnues comme telles par le Traité de non-prolifération (TNP), puisqu’elles ont procédé à un essai nucléaire avant le 01/01/1967, soit avant que le traité n’aie figé le paysage nucléaire.
En rouge, les états détenteurs mais non signataires du TNP. Israël n’a jamais reconnu avoir développé ses capacités nucléaires. La Corée du nord a effectué 3 tests nucléaires en 2006, 2009 et 2013.
En jaune, ce sont les états « soupçonnés de développer un programme nucléaire ». Ils sont tous signataires du TNP et de ce fait en infraction puisqu’ils veulent l’arme nucléaire. En 2003, l’Iran a signé un accord avec les 5 puissances nucléaires pour limiter ses taux d’uranium. L’Arabie Saoudite aurait également eu un accord avec le Pakistan sur un échange de technologie nucléaire contre du pétrole bon marché.
Enfin, en vert, nous trouvons les états qui ont démantelé pour diverses raisons leurs installations atomiques. L’Algérie l’a par exemple fait lors de son indépendance en 1962. Le programme nucléaire de Taiwan a été démantelé par les Etats-Unis.
La « hiérarchie nucléaire »
C/ Commentl’acquérir ?
L’arme nucléaire est une arme très sophistiquée qui demande une grande technicité et de nombreuses expérimentations. En effet, chaque bombe contient plus de deux milles composants différents. Sa fabrication n’est donc pas à la portée du premier venu. Ce dispositif demande des investissements lourds tant dans les matières premières que dans la haute technologie. En réalité, les atomes nécessaires à la construction de l’arme sont en faible quantité, et ne se trouvent pas « dans la nature ». Les techniques sont alors très complexes pour les développer. Les ingénieurs, scientifiques et chercheurs procèdent à des séparations isotopiques consistant à augmenter le nombre d’isotopes d���un élément chimique. Aujourd’hui, il n’existe pas de « marché de l’arme nucléaire », c’est-à-dire un marché où l’arme est faite intégralement. Cependant, il existe bel et bien un marché clandestin des matériaux et des fournitures nécessaires à sa fabrication. Pour commencer à contrer ce phénomène, le TNP actuel oblige les états membres à ne pas révéler les techniques, matières et fournitures nécessaires à sa confection. Cependant, nous assistons depuis plus de 5 ans à un trafic d’uranium et de plutonium (nécessaire pour la création de la bombe A) qui menace indubitablement la sécurité internationale.
II/ La Dissuasion nucléaire : Une notion actuelle dans un monde multipolaire
Selon certains spécialistes, l’éclatement de l’URSS en 1991 marque la naissance d’une nouvelle ère : celle du « second âge nucléaire » dans lequel les armes nucléaires sont toujours bien présentes. Il s’agit aussi de la multiplication de nouvelles puissances. Cette pluralité des acteurs accroît ainsi le risque d’emploi, fragilise le tabou sur l’usage de l’arme atomique et rend possible le recours du nucléaire dans un conflit régional. Afin de démontrer que la dissuasion nucléaire est toujours d’actualité, il convient de s’intéresser à la fois aux pays qui modernisent sans cesse leur arsenal nucléaire afin d’améliorer leur crédibilité, et à ceux qui travaillent à l’acquérir si ils n’y ont pas déjà renoncé. Nous noterons alors que la question nucléaire est devenue une question asiatique.
N.B : Il est à noter que les doctrines de dissuasion de chaque pays tendent à évoluer d’année en année.
A/ La persistance de la menace « des grands » : une modernisation de l’arme
1-Une dissuasion russe améliorée face à l’OTAN
Depuis la chute de l’URSS et en raison de son infériorité sur le plan de l’armement conventionnel face à l’OTAN, la Russie a placé son arsenal nucléaire au centre de sa politique de défense. De telle manière qu’aujourd’hui, la Russie possède le plus grand arsenal nucléaire au monde, malgré le démantèlement de 1000 têtes nucléaires par an suite au traité New START. Depuis 2010, la doctrine militaire russe prévoit le recours à l’arme nucléaire en réponse à une attaque conventionnelle lorsque “l’existence même de l’Etat est menacée”. Aujourd’hui, cette ligne considère l’OTAN comme un “risque” pour la sécurité russe.
Néanmoins, tout en réduisant progressivement son arsenal nucléaire, la Russie n’a cessé de moderniser ses forces et ressources stratégiques nucléaires en réponse à la mise en place éventuelle d’un système de frappe planétaire rapide par les Etats-Unis. On peut citer le tandem de sous-marin/missile Yury Dolgoruky/Bulava, dont le dernier essai fut réalisé avec succès le 23 décembre 2011.
2- Vers un affrontement Chine-Etats-Unis ?
La Chine promeut le désarmement nucléaire total et le non-usage en premier de l’arme nucléaire. Néanmoins, l’Armée Populaire de Libération abaisse le seuil d’emploi de ses armes stratégiques en janvier 2014. Elle pourrait désormais envisager de conduire une frappe nucléaire préventive contre une puissance nucléaire qui aurait détruit par des moyens conventionnels des lieux stratégiques clés sur son territoire. Ainsi, avec l’objectif de dissuader d’autres pays d’utiliser ou de menacer d’utiliser des armes nucléaires contre elle, la Chine se dote actuellement d’une force suffisante pour répondre aux besoins de sa sécurité.
Elle consacre donc des ressources croissantes à moderniser, étoffer et diversifier son arsenal nucléaire, tant qualitativement que quantitativement. Celui-ci offre à la Chine une force de dissuasion stratégique plus crédible face à la menace que représenterait le bouclier antimissile américain – et par extension – de l’OTAN.
Cependant, l’opacité quasi-complète du programme nucléaire militaire chinois inquiète la communauté internationale puisque la Chine estime en 2010 que son propre programme ne pouvait être soumis à aucune restriction ni regards internationaux. En 2013, ce dernier est evalué à 240 têtes nucléaires opérationnelles. En janvier 2014, la Chine teste pour la première fois avec succès un engin hypersonique qui ne peut être intercepté destiné à permettre à l’avenir de frapper rapidement des cibles éloignées.
Parallèlement, la doctrine nucléaire stratégique des Etats-Unis exclut l’utilisation de l’arme atomique contre un pays non doté respectueux du Traité de non-prolifération nucléaire, même en cas d’attaque biologique ou chimique.
Aujourd’hui, les Etats-Unis mettent donc en avant la domination de la puissance de leur arsenal nucléaire. Bien qu’ils poursuivent leur désarmement et l’élimination des armes obsolètes conformément au traité New START, les Etats-Unis avancent notamment sur le projet de missiles intercontinentaux équipés de charges non nucléaires et poursuivent le développement de la défense anti-missile. Au cours des dernières années, 352 milliards de dollars sont consacrés à la modernisation de leur triade nucléaire, la rénovation la plus couteuse de l’histoire.
En 2012, l’Administration Obama met l’accent sur une « stratégie du pivot asiatique », c’est-à-dire un pivotement de la politique étrangère des Etats-Unis vers l’Asie dans un contexte de tensions liées aux problèmes de Taiwan, des îles de la mer de Chine méridionale et des Îles Sankaku en mer de Chine orientale. Dans ses rapports avec les pays émergents, l’Administration Obama compte sur une logique d’inclusion. Néanmoins, cette politique atteint ses limites en 2014 lorsque la main tendue d’Obama est interprétée comme un signe de faiblesse par les autorités chinoises. Elles y voient l’opportunité d’affirmer brutalement leur pouvoir dans le Pacifique occidental. En conséquence, l’« engagement » en Asie-Pacifique face à la Chine devient plus compétitif, voire militaire.
B/ L’avancée de « petits pays » : prolifération et menace sur leur région
1-La Corée du Nord : élément déstabilisateur de l’Asie du Nord-Est ?
« La stratégie du fou » de la Corée du Nord repose sur sa force nucléaire supposée et déclarée, et des capacités balistiques démontrées lors de plusieurs essais. Si elle n’est pas officiellement formulée, la stratégie de dissuasion nord-coréenne s’appuie sur deux piliers : la menace permanente d’une utilisation et une opacité sur les réelles capacités nucléaires dont dispose ce pays.
La crise des missiles nord-coréens de 2013 témoigne de manière claire de la volonté de la Corée du Nord de développer et d’améliorer sa dissuasion nucléaire quantitativement et qualitativement. En effet, malgré des sanctions diplomatiques et financières de la part de la communauté internationale depuis son retrait du TNP en 2003, Pyongyang ne cesse de procéder à des essais nucléaires et de développer son programme de missiles balistiques. Ces développements sont justifiés dans sa doctrine par la menace que représenteraient les manœuvres conjointes entre la Corée du Sud et les Etats-Unis pour le pays.
Source de perturbation dans l’échiquier politique de l’Asie orientale, le discours du régime de Pyongyang est néanmoins pris au sérieux, notamment par la Chine qui a durci sa politique envers son allié historique nord-coréen. En effet, la Corée du Nord possède une panoplie de missiles balistiques pouvant servir de vecteur à l’arme nucléaire pouvant atteindre la Corée du Sud et le Japon — donc les bases américaines situées dans ces deux pays.
La dictature nord-coréenne se lance ainsi dans une diplomatie « au bord du gouffre », transformant la fabrication de missiles balistiques en moyen de pression à l’échelle internationale pour obtenir des garanties et des aides financières. D’où le recours actuel à la dissuasion nucléaire qui a déjà fait ses preuves dans le passé afin de monnayer un calme relatif.
2-Les vertus de la dissuasion nucléaire dans le sous-continent indien : Les relations Inde-Pakistan
Au cœur de l’actualité internationale, les tensions existant entre le Pakistan et l’Inde à propos du Cachemire rappellent l’importance de la problématique de la prolifération nucléaire. Aujourd’hui, les relations entre l’Inde et le Pakistan s’inscrivent dans un rapport classique de dissuasion nucléaire. Dans une région où la prolifération nucléaire s’explique par la recherche d’équilibre, la possession de l’arme nucléaire par l’Inde et le Pakistan apparaît comme un élément «stabilisateur».[5]
En 1998, l’Inde théorise sa détention de l’arme nucléaire en affirmant que celle-ci repose « sur le non-usage en premier ». Elle utilise l’arme nucléaire comme moyen de reconnaissance au niveau mondial et comme moyen de dissuasion face au Pakistan et la Chine. Le Pakistan quant à lui, allié des Etats-Unis cependant, s’inscrit dans la logique « du faible au fort » dans la recherche de la stabilité en Asie.
Dans ce contexte, ces deux pays ont conjointement mis en place un groupe d’experts qui œuvre à une certaine « harmonisation » des positions de New Delhi et d’Islamabad, cela a permis d’acquérir une stabilisation stratégique dans le but de légitimer leur détention de l’arme nucléaire, tout en rassurant la communauté internationale. Pourtant, les difficultés sur la scène internationale perdurent : le Traité de non-prolifération ne distingue que cinq États dotés de l’armement nucléaire, dont l’Inde et le Pakistan ne font pas partie. De plus, l’Inde et le Pakistan ne parviennent pas à dissiper l’inquiétude de la communauté internationale quant à un risque de « dérapage » causé par des tensions sociales et religieuses.
Depuis 2006, les mesures de confiance sur le nucléaire entre ces deux pays se sont renforcées. Néanmoins, il y a aujourd’hui une recrudescence des tensions entre l’Inde et le Pakistan à propos du Cachemire alors que le chef de l’armée pakistanaise promet de répliquer à toute agression contre son pays. Même si les deux pays ont signé l’accord de Simla en 1972 par lequel ils s’engagent à résoudre leurs différends pacifiquement, le risque qu’une guerre nucléaire persiste et risque de mettre à mal la dissuasion nucléaire vue comme un élément stabilisateur.
3- Les relations Iran-Israël : une menace à la sécurité du Moyen Orient ?
Aujourd’hui, l’Iran joue sur les dissonances au sein de la communauté internationale dans la mesure où les autorités nationales alternent entre un discours légitimant un programme nucléaire civil et la mise en avant de capacités dans le domaine nucléaire militaire. En effet, bien que l’article 4 du Traité de non-prolifération ratifié par l’Iran en 1970 lui donne le droit « de développer la recherche, la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques », un rapport de l’AIEA de 2012 indique que l’Iran poursuit le développement de ses capacités d’enrichissement de l’uranium. Ainsi, l’Iran pratique désormais une dissuasion nucléaire « ambiguë » au Moyen Orient, particulièrement en direction d’Israël.
Parmi les différentes raisons qui encouragent Téhéran à proliférer, les ambitions régionales jouent un rôle important. En effet, l’Iran ne cache pas son intention de s’imposer comme la grande puissance du Moyen-Orient. Cependant, sa prolifération est surtout encouragée par le fait que, à l’heure actuelle, seul Israël est doté de l’arme nucléaire au Moyen Orient. Ainsi, un Iran détenteur de l’arme nucléaire lui permettrait de dissuader Israël de frappes potentielles contre le pays. Cependant, des risques de confrontation et d’attaque ciblée de Tsahal contre les installations nucléaires iraniennes demeurent.
Enfin, l’élection du président iranien Hassan Rohani a permis le déblocage du dossier du nucléaire. Après 10 ans, l’Iran et les grandes puissances occidentales se sont mis d’accord sur un “plan d’action” qui limite le programme iranien aux activités civiles en échange d’un allègement des sanctions en novembre 2013 dans le cadre des Accords de Genève. Les dirigeants iraniens se détachent peu à peu de leur image de « mad mullahs » puisque aujourd’hui, leurs actions sont dictées par une logique de coût-bénéfice. Les récentes avancées entre le pays et les occidentaux viennent confirmer cette nouvelle posture iranienne.
C/ Les raisons poussant les pays à proliférer et/ou moderniser[6]
Aujourd’hui, la dissuasion nucléaire est durable, et tient lieu « d’assurance vie » puisqu’elle permet d’éviter la guerre. Les hommes agissent dans un univers certain. Il serait donc – comme le pense les partisans de l’arme – incohérent et illogique de se priver de cette arme. Cette dernière apparait alors comme une garantie, une protection ou encore une sécurité pour l’humanité. Peut-on finalement dire : oui c’est une sécurité puisqu’il n’y a pas eu de 3ème guerre mondiale ?
Certains parlent même « d’instruments de paix » qui gère les conflits. La preuve en est lors de la Guerre Froide entre les deux Grands : coexistence pacifique dès leurs possessions de l’arme. Mais également entre l’Inde et le Pakistan, où l’arme a permis et permet encore à éviter une guerre. Les dégâts qu’infligerait cette guerre sont effrayants. Les deux pays préfèrent donc « rester sur leurs positions ».
La possession de l’arme permet aussi au pays détenteur d’être garant de son indépendance. Le pays peut donc affirmer sur la scène internationale qu’il ne dépend d’aucune autre puissance en matière de sécurité. Par exemple, l’arme nucléaire est un véritable critère de puissance pour l’Iran. Ou encore, pour le cas de la France, Jean-Yves Le Drian nous dit que la dissuasion nucléaire « donne à la France un poids politique nécessaire pour parler comme la France doit parler ».
La notion de dissuasion nucléaire, et ses risques sont donc bien d’actualité. Cependant, ses perspectives d’avenir posent de lourdes interrogations. Est-elle finalement peu adaptée au monde géostratégique d’aujourd’hui ?
III/ De l’émergence de nouvelles contraintes pour le nucléaire à la remise en cause de la stratégie de dissuasion
A/ Les raisons poussant au désarmement
1-La question de la légalité et moralité
Avant, l’arme semblait presque « morale » puisque l’objectif de sa possession pour un pays était d’amplifier son emprise sur un territoire. Aujourd’hui, la menace de la conquête d’un pays n’est plus présente. Alors, comment accepter moralement la présence de cette arme, qui conduit à l’extinction de l’humanité ? Cette question de légitimité est apparue suite aux bombardements de Nagasaki et Hiroshima. Cet acte a terrifié et impacté la psychologie des hommes. L’humanité se rend compte que cette stratégie n’a jamais et ne sera jamais anodine. On parle ici d’immoralité et de menace pour le genre humain de la planète qui est finalement « pris en otage » par cette arme.
2-La légitimité
Le droit international est très vaste sur la notion de dissuasion nucléaire. En 1996, la Cour Internationale de Justice estime que la dissuasion nucléaire est « généralement contraire aux règles du droit international ». Mais à la fin de ce même avis, la Cour précise « qu’elle ne peut pas conclure de façon définitive que la menace ou l’emploi d’armes serait licite ou illicite ».
3-L’efficacité et la crédibilité
La dissuasion nucléaire est finalement vue comme une théorie qui ne pourra jamais être démontrée puisque l’arme ne doit « jamais » être utilisée. Les non partisans de l’arme expliquent la relation de cause à effet, qui n’est selon eux pas démontrée. Les Japonais ont capitulé en 1945 parce qu’ils ont été démunis (Et non pas à cause du caractère dissuasif de la possession de l’arme).
La dissuasion nucléaire a également un caractère instable. En effet, il existera toujours le risque qu’elle échoue. Chaque adversaire a peur de l’autre, peur d’être dépassé par les armes. Et cela conduit à un cercle vicieux, une spirale sans fin de course à l’armement, où les pays sont affectés économiquement parlant (de façon négative) et où l’amas d’armes pousse aux risques de déclenchement accidentel.
4-Le coût[7]
L’achat d’arme et également son renouvellement régulier coûtent chers. A titre d’exemple, si la France abandonnait son arme, cela lui permettrait d’économiser 16 milliards d’euros sur 5 ans. Les militaires mondiaux ont souvent une opinion négative sur le coût apporté aux armes nucléaires. En effet, ce choix pèserait trop sur leurs forces conventionnelles, et notamment les forces terrestres.
La solution serait donc d’abandonner une composante, pour progressivement retirer la dissuasion de leur stratégie.
B/ Les nouveaux enjeux du 21ème siècle
Depuis le 11 septembre 2001, le terrorisme est passé en premier plan des attentions de la sécurité mondiale. Les moyens conventionnels ont pris une place croissante au détriment des armes non conventionnelles. La puissance nucléaire des Etats-Unis n’a d’ailleurs pas empêché ces attentats.
Aujourd’hui, il n’existe plus de luttes de souveraineté ou d’ambitions territoriales. D’autres enjeux apparaissent tels que le trafic de drogue, le blanchiment d’argent sale, les prises d’otages, l’immigration clandestine, les conflits liés aux ressources naturelles, ou encore l’arrivée du cyber terrorisme (attaque contre la désorganisation des systèmes d’informations). Et face à tous ces nouveaux enjeux et menaces, la dissuasion nucléaire n’est plus adaptée et ne « sert à rien ».
L’arme nucléaire est détenue aujourd’hui par des pays où certains segments sont islamistes radicaux ou proches d’organisations terroristes. Par exemple, le Pakistan, dictature militaire la détient aujourd’hui. On parle alors ici de « bombe sale », une bombe radiologique conventionnelle qui est entourée de matériaux radioactifs répandus lors de l’explosion. Cette nouvelle bombe est tout aussi puissante qu’une bombe conventionnelle en termes d’intensité mais son but principal n’est pas de détruire, mais de faire peur. Ce type de bombe intéresse de nos jours les terroristes, d’autant plus que sa fabrication est beaucoup plus simple qu’un autre type de bombe.
C/ La présence de nouveaux substituts [8]
En tant que substitut à l’aspect dissuasif de l’arme nucléaire, il convient de noter que la menace d’utilisation d’armes « conventionnelles » (chars de bataille, mines terrestres…) n’est pas de nature à faire reculer un agresseur dès lors que les enjeux sont extrêmes ou vitaux, comme cela a été le cas en Irak en 2003, par exemple. De même, l’aspect dissuasif du projet de bouclier anti-missile de l’OTAN ayant pour but de protéger l’Europe de tirs provenant du Moyen-Orient est remis en question, notamment par François Hollande en 2012 : « La défense antimissile ne peut pas être un substitut à la dissuasion, mais un complément. »
Qu’en-est-il alors des deux autres armes non-conventionnelles dites « de destruction massive », dont l’acquisition s’inscrit dans une logique de dissuasion ?
Les armes chimiques (gaz, agent VX), qui utilisent délibérément les propriétés toxiques de substances chimiques pour tuer ou blesser, sont nettement plus faciles à mettre au point, à fabriquer et à entretenir que les armes nucléaires et coûtent donc moins chères. Qualifiées de « bombe atomique du pauvre », les armes chimiques peuvent infliger des pertes importantes malgré leurs effets imprévisibles.
Les armes biologiques quant à elles utilisent délibérément des agents pathogènes pour tuer ou blesser. Elles sont encore plus faciles à fabriquer que les armes chimiques ou nucléaires et sont largement moins coûteuses. Tout pays ou groupe terroriste déterminé à fabriquer un agent biologique peut probablement le faire avec un investissement minimal. Même si elles présentent des avantages, les armes biologiques sont généralement considérées comme peu fiables. De plus, bien qu’une convention internationale interdit leur utilisation depuis 1925, la réduction des stocks n’a progressé que lentement depuis.
Bien que les armes chimiques et biologiques constituent des substituts à l’arme nucléaire pour leurs utilisateurs car elles sont peu coûteuses, dissimulables et dévastatrices, leurs aspects dissuasifs ont montré leurs limites. On peut citer l’attaque à l’arme chimique dans la banlieue de Damas en Syrie le 21 août 2013 qui a causé la mort de 1302 Syriens.
Conclusion
Après avoir montré ses vertus lors de la Guerre Froide dans un monde bipolaire, la dissuasion nucléaire tend à montrer ses limites dans le nouveau contexte géostratégique marqué par la multiplicité de ses acteurs. Il convient de noter que celle-ci fonctionne toujours dans plusieurs régions du monde, bien qu’elle soit actuellement mise à mal.
Finalement, un abandon, même provisoire de l’arme ne rendrait-il pas un retour extrêmement difficile par la suite?
Quelles sont alors les perspectives d’avenir de la dissuasion nucléaire face au nouveau contexte géostratégique et de nouveaux substituts?
SITOGRAPHIE
ARTE. Nucléaire militaire : Etat des lieux. http://ddc.arte.tv/nos-cartes/nucleaire-militaire-etat-des-lieux (01/10/2014).
BUREAU DES AFFAIRES DU DESARMEMENT DES NATIONS UNIES. Armes de destruction massive. http://www.un.org/fr/disarmament/wmd/index.shtml (1/10/2014).
CABESTAN, Jean-Pierre. L’arsenal nucléaire chinois et sa capacité de frappe en second. http://www.cesim.fr/observatoire/fr/77/chronique/ (22/10/2014).
CALDINI, Camille. Poutine est-il capable d’employer l’arsenal nucléaire russe? http://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/poutine-est-il-capable-d-employer-l-arsenal-nucleaire-russe_685555.html (8/10/2014).
CLES. La prolifération nucléaire aujourd’hui. http://notes-geopolitiques.com/la-proliferation-nucleaire-aujourdhui/ (16/10/2014).
KELLER, Bill. L’ère incertaine du nucléaire pour tous. http://www.courrierinternational.com/article/2004/02/19/l-ere-incertaine-du-nucleaire-pour-tous (5/10/2014).
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