Il y a encore peu, l’opinion publique s’est fortement indigné de la politique d’espionnage et d’écoutes des services américains dont la NSA fait partie, le corps diplomatique a lui feint l’étonnement. Il aurait vraiment été naïfs de croire que le Big Brother ne nous surveillait pas, nous son fidèle allié, refusant de rester membre de l’Otan (jusqu’à la présidence de Nicolas Sarkozy), de l’accompagner dans « sa » guerre préventive en Irak, … Durant la Seconde Guerre Mondiale, c’est la persistance de Winston Churchill, ne voulant pas être seul en Europe face à la menace future qu’allait devenir les Russes, qui nous a fait préfigurer en tant que « vainqueur ». Mais revenons-en à la question du renseignement. Il ne faut pas rester dupe, tout le monde surveille tout le monde, de l’individu qui observe son voisin avec des jumelles à celui qui écoute à la porte pendant une réunion pour savoir si on ne parlerait pas de lui. Certes, la France ce n’est pas les Etats-Unis ou même le Royaume-Uni, l’image d’Hollywood nous faisant rêver avec ses superproductions et autres James Bond comparé à l’ « OSS 117 » de Jean Dujardin. La vérité ne semble pas loin, compte tenu des 55 000 employés et d’un budget de presque 11 milliards de dollars[1] pour la seule NSA alors que le budget de la DGSE (la Direction Générale de la Sécurité Extérieure, le service de renseignement et de sécurité nationale de la France) ne s’élèvent qu’à 600 millions pour 1 800 employés en comptant les 800 employés de la Direction du Renseignement Militaire. Pour autant, il faut savoir que la France n’a en fait rien à envier à ses homologues américains et britanniques, et s’avère être également un « Big Brother » à la française.
Un réseau bien implanté
L’une des clés pour la sécurité nationale est de savoir les dangers qui pèsent de l’étranger. En fait, la France de par sa présence par-delà le monde occupe une position stratégique pour pouvoir écouter toutes les conversations et surveiller l’activité sur la toile. Déjà avec son ancien empire colonial, elle jouissait d’une répartition sur l’ensemble du globe pouvant capter les informations directement. Son réseau diplomatique important, le troisième en matière de présence dans des comptoirs (ambassades et consulats) qui servent encore de refuge pour espions, tant français qu’étrangers, compte tenu des discussions pouvant s’y tenir. A l’heure actuelle, la France est surtout active en Afrique et au Moyen Orient, dont elle est le « Big Brother » selon Fabrice Ebelpoin, enseignent à Sciences Po. Cela s’explique notamment par les forts antécédents et zones d’influences d’autrefois et d’aujourd’hui sur ces espaces stratégiques. Dans les pays africains, la France mis en place un système de surveillance sous le nom de code « Croco », notamment au Gabon et en Guinée[2]. La DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure) a par ailleurs des stations d’écoute en Côte d’Ivoire. Au Moyen Orient, la France possède notamment deux bases militaires à Djibouti et aux Emirats Arabes Unis qui lui permettent en outre de pouvoir surveiller la région que ce soit en visuel physique ou par le renseignement d’origine électromagnétique. Pour ce qui est de l’écoute sur notre territoire et même pour nos voisins, la France jouit d’un large maillage de stations d’écoute sur son territoire, parfois surnommé « Frenchelon » en référence au programme « Echelon » américain. On peut ainsi citer exhaustivement la base de Domme en Dordogne, de Saint Laurent de la Salanque dans les Pyrénées Orientales, de Solenzara en Corse ou encore la « Piscine », le siège de la DGSE. Toujours en restant sur son territoire, la France a la possibilité d’avoir des oreilles à l’autre bout du monde grâce à ses Régions d’Outremers comme Saint Pierre et Miquelon, la Nouvelle Calédonie ou encore la base de lancement d’engins aérospatiaux de Kourou en Guyane, ce qui lui permet aisément de surveiller ce qui se dit aux Amériques, surtout chez « l’allié » américain et le géant Brésil. Le ROEM peut également être apporté par la Direction Centrale du Renseignement Intérieur, qui est née de la fusion entre la Direction Centrale des Renseignements Généraux (que l’on appelait communément les RG) et Direction de la Surveillance du Territoire.
Des atouts technologiques à faire valoir pour la surveillance téléphonique
La France a particulièrement rattrapé son retard, puisque le « renseignement humain était considéré comme plus noble dans la culture française ». Les activités de renseignement ayant même été peut considérées voire laissées de côté jusqu’aux années 2000[3], suite à une prise de conscience de la compétition mondiale qui commençait à faire rage. Le monde académique a donc décidé d’opérer un regain d’intérêt pour le renseignement. Les attentats du 11 septembre 2001 ont également contribué à accroitre la volonté de se prémunir contre des nouveaux risques pesant sur la sécurité nationale. A ce moment, la France avait 20 ans de retard sur les Etats-Unis et 10 ans sur le voisin britannique. Ainsi, en 10 ans, la France a su se tourner vers le renseignement technique, qui consiste en la pénétration informatique, le cryptage/décryptage et surtout le ROEM (Renseignement d’Origine Électromagnétique) où la France avait le plus de retard. La France bénéficiait déjà d’un bon service technique d’appui dont l’imagerie satellite (Programme Hélios) fait partie. Eric Denécé, directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) et docteur en science politique, affirme que la France est « en première division sur ces technologies, dans le sens où nous maitrisons tous les modes d’interception (mobiles, internet, communications satellites…) ». On ne peut néanmoins que constater le fossé qui sépare la France du géant américain qu’est la seule NSA et même du Government Communications Headquarters (GCHQ), le pendant de la NSA britannique[4]. Cependant, Louis Caprioli, ancien responsable de la section antiterroriste à la DST (Direction de la Surveillance du Territoire), affirme que « Le renseignement français fait du bon boulot avec ses moyens ». Il faut dire que la surveillance téléphonique est bien moins facile qu’aux Etats-Unis, faute à un réseau téléphonique moins centralisé. Cela suppose qu’il devient très difficile de surveiller tout le réseau en même temps, le faire impliquerait des moyens colossaux pour y parvenir. Kavé Salamatian, professeur à l’université de Savoie, explique que « contrairement aux Etats-Unis, la France n’a pas les moyens d’une telle surveillance généralisée, en aveugle. En gros, on peut faire de la pêche à la ligne sur des sujets précis mais, pas au chalut ». La cible de l’agence concerne en premier ressort les métadonnées, soit les identifiants de l’appelant et de l’appelé, le lieu et la durée, plutôt que se concentrer d’abord sur le contenu même du message, qui s’opère en deuxième rideau dès lors que l’un des premiers indicateurs attire l’attention. Cette technique peut permettre de traiter plus de données et se révèle donc plus productive. Cela montre que la France a parfaitement su s’adapter aux « contraintes » de son organisation en privilégiant la qualité à la quantité. Dès lors, Eric Denécé assure que « Le renseignement français a le meilleur rapport coût efficacité du monde occidental ».
Le renseignement français profite également du savoir-faire de Bluecoat, une entreprise spécialisée dans la sécurisation des organisations et de leurs données. La technologie Bluecoat, qui est par ailleurs présente chez l’opérateur téléphonique Orange, peut permettre à la surveillance de la population. La France y a recours, de même qu’un certain Bachar Al-Assad, à qui on reprochait son attitude d’espionnage des communications vis-à-vis des Syriens. La DGSE bénéficie également dans son quartier général du boulevard Mortier d’un Supercalculateur de plus de 10 pétaoctets, ce qui représente 10 millions de giga octets, alors qu’en comparaison les ordinateurs en ventes à l’heure actuelle pour le grand public ont une capacité de calcul de 10 giga octets par seconde. La France peut également se targuer d’avoir dans sa manche des partenaires privés qui s’avèrent stratégiques. On peut donc citer Orange, anciennement France Télécom, qui était déjà sous actionnariat de l’Etat français, qui peut fournir des données aux autorités si la demande est motivée[5]. Qomos (sécurisation et extraction des données IP d’entreprises) et Amesys (créateur de système critique de haute technologie pour les secteurs d’activités stratégiques dont exhaustivement la Défense, les télécoms ou encore l’aéronautique) sont également des sociétés spécialisées dans le domaine des télécommunications, et par conséquent du renseignement inhérent. Elles sont françaises et justifient un « ancrage » technologique à laquelle la France peut se rattacher. Leurs technologies sont effectives principalement dans les zones d’écoutes des points stratégiques, à l’image d’Amesys qui, par sa technologie, contribue au projet[6] d’écoute en Afrique de l’Ouest.
Enfin, la France peut également compter sur les renseignements issus des équipements militaires français, à savoir les six sous-marins nucléaires d’attaque, le navire espion Dupuy-de-Lôme ou encore les deux avions Transall Gabriel, que l’on peut par exemple voir lors du défilé national du 14 juillet, véritables centres de commandes informatiques bardés de radars et d’équipements électroniques en tout genre. On peut également prendre en compte la « constellation Elisa », composé de quatre microsatellites d’écoutes opérationnels depuis 2011[7], ainsi que différents drones[8], propriétés de la Direction Générale de l��Armement (DGA) qui constituent encore un réservoir de possibilités supplémentaires quant à la surveillance de télécommunications.
Une collaboration avec différents pays
L’indignation vis-à-vis des écoutes de la NSA est en fait quelque peu démagogique, même s’il on sait qu’il ne s’agit que d’une manœuvre officielle. Ainsi, après une colère de façade, Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, a confirmé les propos tenus par The Guardian britannique et Der Spiegel allemand selon lesquels il y aurait des « accords de coopération et d’échanges de données entre la France et la NSA ». La collaboration existerait même depuis 2011 entre les homologues français et américains. Il semble en effet difficile de passer à côté d’une coopération avec l’immense corps qu’est la NSA. Une telle association, quoique nettement plus étroite, était déjà en place depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale entre le renseignement américain et britannique, de même qu’on pouvait déjà observer un fragile partenariat dans la mutualisation du renseignement entre le GCHQ britannique et la DGSE français. De ce fait, on peut dire qu’indirectement la France et les Etats-Unis partageaient déjà leurs données issus du renseignement électromagnétique, encore peu omniprésent dans les sources d’intelligence. Une coopération pour les autres renseignements subsistait par ailleurs déjà par le biais de l’OTAN pendant la Guerre Froide, même si la France comptait dans son paysage politique une forte pression communiste.
En Europe, le leader du renseignement est le service britannique du GCHQ. En effet, il chapote les services de renseignement de la plupart des pays ayant tel service, leur prodiguant conseils et même aides. Ainsi, The Guardian déclare que « le GCHQ a joué un rôle essentiel en conseillant ses homologues européens sur la façon de contourner les lois nationales destinées à limiter le pouvoir de agences de renseignement ». De même, sous la présidence de Nicolas Sarkozy a été initié l’accord « lustre ». Il s’agit d’accords de coopération dans le renseignement entre la France et différents pays dont la Grande-Bretagne, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. D’autres accords entre les services de renseignement de pays européens, que sont l’Allemagne, l’Espagne (dont la surveillance de masse des flux internet est gérée par une société britannique), la Suède (qui a élargi le périmètre légal l’interception de données par fibres optiques) et bien évidemment le GCHQ, l’agence de renseignement britannique, ont également été mis en place afin d’aboutir à des systèmes de surveillance de masse des communications téléphoniques et d’internet. Ces alliances existeraient depuis plus de cinq ans, selon The Guardian (se basant lui-même sur les révélations d’Edward Snowden). Comme sur le plan économique et relativement sur le plan politique, l’alliance franco-allemande se retrouve également dans le renseignement. Ainsi, certaines des bases de la DGSE dédiées au ROEM sont partagées avec le BND (Bundesnachrichtendienst), le Service Fédéral du renseignement outre-Rhin, notamment à Kourou, en Guyane Française, ou à Mutzig en Alsace, et inversement dans la base allemande de Bad u. L’Allemagne dispose encore d’une réglementation restrictive concernant les interceptions de télécommunication (suite à son histoire trouble en matière d’espionnage de communications téléphoniques). C’est pour cela que son service de renseignement, le BND, est actuellement aidé par le GCHQ à obtenir une réforme pour faciliter leur champ d’action, selon le rapport de ce même GCHQ sur lequel se base The Guardian. Par ailleurs, même si la loi n’est pas « encore » en faveur de la surveillance de masse des communications, le BND est relativement bien avancé sur le plan technologique. Il surveille d’ores et déjà « les câbles de fibre optique de 40 gigabits et 100 gigabits par seconde » alors que le GCHQ ne peut surveiller « que 10 gigabits par secondes », selon The Guardian.
Et donc ?
En définitive, malgré un écart de niveau flagrant entre les « ovnis » britanniques et américains, la France a su rattraper en partie son retard. Désormais, on pourrait presque dire qu’elle n’a rien à envier au programme « Prism » américain, compte tenu du réseau et de la technologie dont elle dispose, malgré une contrainte budgétaire forte. A l’image de l’armée dans sa globalité, la France semble privilégier l’option qualité à l’option quantité choisie notamment par Washington. Le faux courroux du Quai d’Orsay ne servait vraiment qu’à amuser les couloirs du ministère et relayer le choc de la population. La convocation de l’ambassadeur des Etats-Unis peu de temps après a sans doute permis de déboucher une bonne bouteille. Par ailleurs, il ne faut pas s’interloquer d’écoutes téléphoniques réalisées sur le territoire français, on pourrait même presque dire que c’est une histoire d’amour, rappelez-vous cet ancien président socialiste. Un scandale avait émergé dans les années 1980. Mais cela « choque » probablement plus quand il s’agit de quelqu’un de l’extérieur, même si la porte est laissée entrouverte aux « alliés », par la mutualisation du renseignement et des méthodes. Cependant, la plus belle carte à jouer quant’ à son rôle de « Big Brother » semble être la voie de la surveillance des données sur le cyberespace, puisqu’en effet, la France a de toute évidence un avantage certain sur ce domaine. La cyber-surveillance est peut-être même la plus aboutie, moins onéreuse et surtout plus difficile à détecter et retracer.
Sources :
Agoravox.fr – « Espionnage : France et NSA, même combat »
Huffingtonpost.fr – « Espionnage: la France et l’Allemagne aussi écoutent les communications à grande échelle, selon le Guardian »
Wikipedia.fr – Direction Générale Sécurité Extérieure
OPEX.fr – « L’an passé, 27 cyberattaques majeures ont été traitées en France » – « Les réseaux informatiques de la marine américaine auraient été infiltrés par des pirates iraniens »
Le Monde.fr – « L’Etat veut maintenir “l’ancrage national” d’Alcatel Submarine Networks » – « Révélations sur le big brother français »
Thompson Reuters – données Alcatel Lucent
Les Echos – interview de Fleur Pellerin (ministre de l’économie numérique)
Challenges.fr – « Comment l’Etat surveille ce qui se dit sur le net et au téléphone »
Defense.gouv.fr – « Programme Ceres, un nouveau pas dans la détection de signaux électromagnétiques » – « Démonstrateur Elisa, des oreilles dans l’espace »
CF2R – « Les études sur le renseignement en France » – Eric Denécé & Gérald Arboit
Sites institutionnels – Bull – Qomos – Orange Cyberdéfense – Bluecoat – Amesys
[1] Selon les récentes révélations d’Edward Snowden
[2] Le projet « Croco » entre dans le cadre du projet « Eagle » conçu par Amesys, une filiale de Bull, une société française.
[3] Voir la partie sur « l’absence de culture du renseignement en France » dans les «Etudes sur le renseignement en France » d’Eric Denécé et Gérald Arboit
[4] Cf. fin de l’introduction
[5] Les autres opérateurs téléphoniques que sont SFR, Bouygues Télécoms et le nouveau venu Free sont également tenus de répondre aux requêtes des autorités.
[6] Projet Croco, Cf. Supra
[7] La constellation Elisa préfigure du futur système d’écoutes électromagnétique Cérès qui devrait être opérationnel d’ici 2020. Le programme Cérès placerait la France dans le trio de tête en matière de renseignement électromagnétique derrière les Etats-Unis et la Russie.
[8] La plupart fabriqués par l’entreprise française d’armement Safran.
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