Les Printemps arabes sont un ensemble de contestations populaires, d’ampleur et d’intensité très variables, qui se produisent dans de nombreux pays du monde arabe à partir de décembre 2010. Après des années de souffrance, des milliers de personnes osent s’opposer aux dirigeants autoritaires en place dans ces pays, pour réclamer plus de liberté et de meilleures conditions de vie. Les pays essentiellement d’Afrique du Nord ont ainsi les uns après les autres, été touchés par les révolutions arabes. Les populations sont descendues dans les rues afin d’instaurer un régime démocratique, cependant deux ans et demi après les révolutions arabes, la transition politique est loin d’être achevée. En témoignent les tensions présentes en Tunisie, en Egypte et en Libye. Il devient intéressant de comprendre les causes de ces insurrections et les moyens qui ont permis au peuple de renverser les pouvoirs en place. Mais aussi d’identifier les différents acteurs internes ou externes qui ont influencé l’évolution de ces révolutions. Ainsi nous avons posé la question suivante : Les facteurs internes et les enjeux externes ont-ils permis une transition démocratique à la suite des révolutions arabes?
Dans un premier temps nous verrons que des causes communes ont déclenché les contestations et engendré la propagation des révolutions à travers plusieurs pays du monde arabe pour ce faire nous nous concentrerons sur la Tunisie, la Libye et l’Egypte. Dans un deuxième temps nous montrerons que les révolutions arabes ont été influencées par des acteurs externes aussi bien occidentaux qu’orientaux. Dans un troisième temps, nous tenterons de savoir si les régimes de transition actuels évoluent vers une démocratie et quelles sont les perspectives d’avenir de ces pays ?
I. Les raisons communes
- Les facteurs politiques
Les populations sont usées d’être sous des dictatures depuis plusieurs décennies (Ben Ali depuis 1987 en Tunisie, Moubarak depuis 1981 en Egypte et Kadhafi depuis 1969 en Libye). Tout d’abord, comme nous le montre l’indice de corruption de l’agence Transparency Interntional en 2010, ces trois pays possèdent une corruption importante jusqu’au plus haut niveau du pouvoir ce qui empêche la mise en place d’une démocratie, en effet, comme en Libye la présence d’un parti unique empêche l’émergence d’une opposition pouvant contester le pouvoir démocratiquement. De plus, les tentatives de contestations sont étouffées par l’intervention de l’armée placée sous les ordres du pouvoir exécutif, qui n’hésite pas à se montrer menaçante en cas d’expressions politiques contestant le pouvoir en place.
- Les facteurs socio-économiques
Tout d’abord, la flambée des prix des aliments a contribué à réveiller la colère du peuple. Ensuite, le secteur de l’agriculture a connu un déclin dans ces pays où la moitié de la population est rurale, en effet, l’urbanisation rampante gagne progressivement du terrain sur les terres agricoles, diminuant leur part d’autosuffisance et de ce fait augmentant les importations de denrées alimentaires. A plusieurs reprises, l’augmentation du prix des denrées de base a généré les « émeutes du pain » : en Egypte (en 1977 et 2008), au Maroc (en 2008) et en Tunisie (en 1984 et 2011).
Les révolutions sont menées par de nombreux jeunes, appartenant à la génération des 15- 30 ans. Cette tranche de la population souvent instruite a manifesté sa colère face à un chômage important notamment pour les personnes ayant effectuées des études supérieures (le taux de chômage chez les jeunes atteint en moyenne 24 % en Tunisie, au Maroc, en Algérie et en Égypte, contre 9,8 % pour le reste de la population).
- Les moyens médiatiques
L’accès à Internet à jouer une part modérée dans la propagation des révolutions arabes qui furent avant tout des révolutions de rue. Ainsi, les réseaux sociaux ont permis de diffuser l’information, des groupes ont été créés pour mobiliser la population et la maintenir informer de l’évolution des contestations dans les pays voisins.
Autre média, la chaine de télévision qatarie, Al Jazeera (environ 40 millions de téléspectateurs dans le monde) qui a relayé l’information et mis en avant les actions contestatrices contre les régimes autoritaires en place
II. Influence des acteurs externes
Selon, l’ancien ministre des affaires étrangères Hubert Védrine, l’impérialisme humanitaire est un devoir de protection des populations menacées. A contrario, le principe de non-ingérence est le fait de ne pas intervenir dans les affaires intérieures d’un autre Etat. Mais, ces principes sont ambivalents car la non-intervention favorisera de facto l’un ou l’autre camp. Ainsi pour bien mesurer ce qui est interdit par le principe de non-intervention, il faut déterminer cette sphère de liberté d’un Etat dans laquelle ses pairs n’ont pas le droit de s’immiscer.
- Intervention des pays de l’ONU
En prenant l’exemple, de l’intervention militaire de l’OTAN en Libye qui trouve son explication dans les propos d’Oana Lungescu, la porte-parole de l’OTAN « prendre toutes les mesures jugées nécessaires pour protéger les populations civiles ». On peut relever des critiques provenant, d’une part de certains habitants qui ne veulent pas voir des étrangers dicter leur révolte, d’autre part d’observateurs considérant que des raisons d’approvisionnement en pétrole tout comme les éventuels investissements et contrats énergétiques, industriels ou d’équipements ont poussé les pays de l’ONU à intervenir.
D’autres critiques estiment que la finalité réelle de cette opération était de permettre l’installation de la base principale de l’USAFRICOM (coordonne toutes les activités militaires et sécuritaires des États-Unis sur ce continent), ceci afin de contrôler au mieux un continent africain qui représente un réservoir de matières premières plein de promesses et objet de toutes les convoitises notamment pour la concurrence chinoise.
- Intervention controversée des ONG
Pour prendre l’exemple de l’Egypte où des perquisitions ont eu lieu dans plusieurs ONG américaines en février 2012, les ONG sont accusées d’ingérences « politiques » illégales. Les raisons invoquées par le gouvernement sont que les révoltes contre le pouvoir de Mohamed Morsi ont été guidées et financées par certaines ONG, notamment dans des formations informatiques ou au métier de journaliste. Même si des ONG sont présentes depuis plusieurs années, certaines éveillent le soupçon d’être proches de parties politiques. Cette tension a amené à une remise en question du milliard de dollars d’aides des Etats-Unis donnés au peuple égyptien.
- Influence des pétromonarchies du golfe
L’Arabie saoudite et le Qatar ont pris part aux révolutions sans pour autant que ces dernières ne se propagent sur leurs territoires. Les enjeux pour eux sont d’étendre leur zone d’influence.
Pour le Qatar, il s’agit de modifier le jeu des alliances dans le Golfe. Il a ainsi cherché à renforcer sa position isolée au sein de la Ligue arabe en misant sur une alliance tripartite avec l’Egypte de Mohamed Morsi ainsi qu’avec ce second «poids lourd» régional qu’est la Turquie de Recep Tayyip Erdogan. L’Arabie saoudite souhaite éviter que s’impose une démocratie authentique et des gouvernements stables, ce qui voudrait dire que la révolution est possible et que les monarchies des Emirats ne seraient plus à l’abri.
Le point de divergence majoritaire est le choix du soutien religieux, malgré leur confession sunnite commune, l’islam du Qatar est un islam alternatif à l’islam salafiste saoudien mais pas moins modéré. Les deux puissances pétrolières vont ainsi utiliser le financement des parties politiques pour avoir une influence sur l’évolution des pays en révolution. En Egypte par exemple, l’Arabie saoudite finance le parti politique salafiste Al-Nour pendant que le Qatar soutient celui des Frères musulmans.
III. Une évolution ou une régression
En Tunisie, à la suite de la révolution, le parti islamiste tunisien Ennahda a été le grand vainqueur des élections du 23 octobre. Il a été légalisé le premier mars 2011 par le gouvernement d’union nationale instauré après la fuite de Ben Ali. Deux ans après, le parti est dénoncé à cause de ses promesses inachevées. En ce qui concerne les institutions, l’armée est un acteur clé dans le changement en Tunisie. Elle a démontré son indépendance pendant les évènements. Aujourd’hui, face à la corruption généralisée du régime discrédité de Ben Ali, elle joue la carte de la garante de l’ordre et de la transition démocratique. Les militaires sont convaincus qu’ils restent le rempart contre l’avènement d’un régime islamiste. Le contexte social ne s’est pas apaisé car la population tunisienne, principalement des jeunes, n’ont pas noté une amélioration des conditions de vie et le chômage reste encore très élevé à cause d’une accélération de l’inflation. Par ailleurs, une majorité de Tunisiens rendent le parti Ennahda responsable de la montée du terrorisme et veulent sa démission.
En Egypte, la scène politique est également agitée. Issu des Frères musulmans, Mohamed Morsi est le premier président égyptien élu et le premier civil à ce poste. Il a occupé cette fonction du 30 Juin 2012 au 3 Juillet 2013 où il est déchu suite à un coup d’État mené par l’armée sur la volonté du peuple insatisfait des mesures prises par Morsi. L’armée égyptienne, qui est la plus grande en nombre de tout le continent africain, est très appréciée du peuple. Elle a ainsi pris le parti du peuple depuis 2011 et elle bénéficie du soutien des autorités religieuses du pays (chrétiens et musulmans). Le contexte social en Egypte n’est pas favorable à l’instauration d’un environnement sécurisant. En effet, l’Égypte a été classé dernier sur 22 pays étudiés par la Fondation Thomson Reuters en ce qui concerne les conditions des femmes, le pays ont connu une hausse des violences contre les femmes, des viols par exemple en pleine manifestation sur la place Tharir en juin dernier.
En Libye, l’adoption d’une Constitution était l’une des principales revendications des révolutionnaires, excédés par l’arbitraire kadhafiste, des réformes politiques ont été menées, le 3 août 2011, une Constitution est instaurée puis Mohammed Youssef qui fut élu mais que pour quelques mois avant sa démission, en somme, le pays demeure dans une instabilité politique car de nombreuses questions sont à résoudre : sur l’adoption de la charia, d’un fédéralisme ou d’une décentralisation et une négociation de l’équilibre entre les tribus. Ensuite, l’armée nationale a été créée à la suite de la révolution libyenne mais elle est confrontée à des groupes armés, les membres de ces milices sont tous des anciens révolutionnaires et veulent donc que leurs revendications soient respectées. Le contexte social en Libye est de ce fait instable par la présence de ces milices.
A la suite de cette analyse, on peut affirmer que les trois pays sont dans des phases de transition démocratique différentes. Pour ces Etats en transition, la priorité ne réside pas dans le combat idéologique mais dans la pérennisation des institutions. Ainsi, la Tunisie doit lutter contre le chômage afin d’apaiser sa population de jeunes qui constituent la force du pays, l’Egypte quant à elle doit lutter contre le pouvoir de l’armée et la Libye doit régler les problèmes ethniques (tribus).
En conclusion de cet article, nous nous sommes demandés à la suite de cette analyse, si la vague d’insurrections pourrait mettre en danger la souveraineté des monarchies du monde arabe. En effet, des monarchies comme le Maroc ou l’Arabie saoudite n’ont pas été exposés à des révolutions de cette ampleur. Mais d’autres monarchies comme le Bahreïn commencent à être victime de cet embrasement.
Sources :
« c’est quoi le monde arabes ? pourquoi les révolutions ? » le dessous des cartes, Arte.
http://www.lemonde.fr/international/article/2012/10/05/des-transitions-inachevees_1770877_3210.html
L’étincelle, révolte dans les pays arabes. Tahar Ben Jelloun
Site web pour informations générales : Realpolitik et Herodote
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